ANNEXE III - DÉBAT EN COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
Réunion du mercredi 21 juin 2006
Présidence de M. Gérard César , vice-président
Un débat s'est engagé à l'issue de la présentation par M. Jean Bizet de son rapport d'information.
M. Marcel Deneux a partagé le point de vue du rapporteur, considérant qu'un échec du cycle de Doha était chaque jour plus probable. Il a estimé que l'ambition avec laquelle avait été créée l'OMC il y a dix ans était sans doute excessive. Reconnaissant l'importance de la problématique agricole pour la France, mais aussi pour l'Europe, la politique agricole étant la seule commune, il a toutefois souligné que la France avait plus à gagner à l'OMC sur les services que sur l'agriculture, ce que les milieux agricoles peinaient naturellement à reconnaître. Il a convenu que l'OMC avait besoin de se repositionner, la majeure partie des questions soulevées à l'OMC ayant des effets collatéraux qu'il faudrait régler dans d'autres instances, telles que l'Organisation internationale du travail (OIT) ou la Banque mondiale. Il a imaginé une gouvernance mondiale reposant sur une instance politique associant mieux les parlements, qui ne pouvaient rester à l'écart des négociations intergouvernementales. Ce rééquilibrage, qui ne devait pas conduire à abandonner l'Organe de règlement des différends (ORD), réel progrès lui a paru dépasser les compétences de la commission des affaires économiques du Sénat et relever plus largement du ministère des affaires étrangères.
M. Claude Saunier a rendu hommage à M. Jean Bizet pour son travail, auquel il essayait, dans la mesure du possible, de s'associer au sein du groupe de travail OMC. Soulignant la pugnacité et l'attention constante du rapporteur sur ce sujet majeur, il a considéré qu'il était de la responsabilité des parlementaires de s'y impliquer davantage. Il a ensuite regretté de partager le diagnostic posé par M. Jean Bizet. Rappelant qu'il avait accompagné la délégation ministérielle à la Conférence de Doha, en novembre 2001, il a jugé que « l'Agenda pour le Développement » finalisé à cette occasion orientait positivement la mondialisation, en prenant en compte les pays du Sud, la problématique spécifique du coton et la dimension humanitaire attachée aux brevets sur les médicaments. Tout en confirmant son engagement dans une association qui n'était pas connue pour son soutien inconditionnel à la mondialisation, il a considéré qu'il fallait donner sa chance à l'OMC dans l'espoir d'une conclusion des négociations lancées à Doha.
Toutefois, devant le risque d'un échec, il a estimé que les propositions avancées par le rapporteur ne paraissaient pas à la hauteur des enjeux, même s'il partageait le souci d'un suivi plus approfondi des négociations à l'OMC par le Parlement, souci qui l'avait conduit à déposer deux ans plus tôt une proposition de loi visant à créer une délégation parlementaire aux institutions internationales. Il a considéré que le sujet de la gouvernance mondiale méritait plus qu'un « bricolage » et devait s'envisager sous un angle plus large qu'exclusivement commercial. Déplorant que l'ONU « joue au pompier » lorsque le feu avait déjà pris, le plus souvent sur le fondement de divergences d'intérêts économiques, il a suggéré d'intégrer la problématique du commerce mondial dans une vision politique permettant de faire converger les différents systèmes. Notamment, M. Claude Saunier a annoncé qu'il allait, avec son collègue, M. Pierre Laffitte, présenter un rapport sur le climat, la crise énergétique et ses effets économiques et s'est interrogé sur la possibilité d'établir à l'OMC des règles de concurrence loyale quand la Chine, par exemple, s'exonère de toute participation à la lutte contre le réchauffement de la planète.
Il a conclu en indiquant que le groupe socialiste s'abstiendrait sur le rapport présenté par M. Jean Bizet.
M. François Fortassin a fait part de sa surprise en constatant l'étonnement général face aux dysfonctionnements de l'OMC. Comment une organisation reposant sur les principes de solidarité et de réglementation pourrait-elle fonctionner alors que de nombreux pays privilégient la concurrence, la déréglementation, voire la tricherie ou la contrefaçon ? Sans se faire d'illusion, il a toutefois loué les efforts déployés à travers l'OMC pour améliorer le système mondial et ne pas se contenter d'accords bilatéraux.
Se félicitant du consensus des intervenants sur le constat qu'il avait présenté, M. Jean Bizet , rapporteur , a souhaité faire quatre remarques :
- d'abord, l'OMC lui paraît vivre au rythme de la politique intérieure américaine, aujourd'hui occupée par l'élection d'un prochain Congrès « mid term review » que le parti républicain pourrait remporter s'il était assuré du soutien de deux ou trois grands Etats agricoles, et par l'expiration, en juillet 2007, de la délégation, par le Congrès, de ses pouvoirs de négociation commerciale au président américain. Ces raisons laissent augurer d'un certain immobilisme des Etats-Unis dans les négociations pour les deux ans à venir, ce qu'avait d'ailleurs confirmé l'audition de Mme Elizabeth Berry, ministre conseiller chargée des Affaires agricoles à l'Ambassade des Etats-Unis en France, qui avait présenté les grands traits du projet de futur « Farm bill » maintenant un budget global quasiment identique au profit de l'agriculture mais différemment réparti, l'assurance récolte se trouvant renforcée pour garantir le revenu des « farmers » américains ;
- si l'agriculture apparaît aujourd'hui comme la pierre d'achoppement des négociations à l'OMC, M. Jean Bizet , rapporteur , a considéré qu'un modus vivendi allait probablement émerger entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur le sujet, les premiers allant sans doute réduire leurs « marketing loans » et leur aide alimentaire, la seconde devant supprimer en 2013 les restitutions à l'exportation et consacrant déjà un budget plus important à la cohésion qu'à l'agriculture. Il est donc temps de se focaliser sur les services, réservoir de croissance et d'emplois, même si les mentalités ne sont pas encore prêtes, comme l'a prouvé le débat sur la directive Bolkestein ;
- concernant la problématique environnementale, M. Jean Bizet , rapporteur , a convenu avec M. Claude Saunier que les Etats-Unis tentaient d'y échapper, alors que l'Union européenne cherchait au contraire à s'ajuster au protocole de Kyoto. Il a toutefois fait observer que les Etats-Unis investissaient en recherche et développement dans ce domaine et consentiraient sûrement à des règles en la matière lorsqu'ils détiendraient les brevets afférents ;
- enfin, insistant sur l'importance du multilatéralisme pour éviter une réplique des événements du 11 septembre 2001, il a confirmé qu'à ses yeux, le pouvoir politique, notamment exécutif, devait reprendre la main sur ce dossier tout en laissant suffisamment d'espace à la démocratie participative. L'établissement de passerelles entre institutions internationales lui a paru de nature à renforcer l'action de l'OMC et de son excellent directeur général, M. Pascal Lamy, une relance de l'OMC constituant assurément la moins mauvaise des solutions.
M. Gérard César , président , rebondissant sur ces derniers propos, a suggéré d'inviter M. Pascal Lamy à la rentrée devant la commission des affaires économiques et d'organiser, avant ou après cette audition, une question orale avec débat en séance publique sur l'évolution de l'OMC.
M. Jean Bizet , rapporteur , a abondé en ce sens, soulignant notamment qu'une telle question orale irait dans le sens souhaité d'un plus grand investissement du Sénat sur ce dossier.
M. Marcel Deneux , relevant que les organisations internationales étaient datées et spécialisées sectoriellement, sans lien entre elles, a plaidé pour une approche plus globale. Regrettant la moindre fréquence, aujourd'hui, de réunions conjointes au Sénat entre la commission des affaires étrangères et celle des affaires économiques sur ce sujet, il s'est néanmoins félicité des grands progrès de l'action interparlementaire sur ce dossier.
M. Gérard César , président , a alors indiqué qu'il soumettrait au président Jean-Paul Emorine la question de savoir si la commission des affaires étrangères pourrait être associée à l'audition de M. Pascal Lamy.
A l'issue de ce débat, la commission a adopté le rapport d'information présenté par M. Jean Bizet, les groupes UMP, UC et RDSE se prononçant en faveur de cette adoption, le groupe socialiste s'abstenant.