B. UN BILAN MITIGÉ

Pour avoir assisté in situ aux travaux de la Conférence ministérielle, votre rapporteur, tout comme ses collègues parlementaires, peut témoigner de l' âpreté des débats et des difficultés rencontrées par l'Union européenne pour, jour après jour, résister aux pressions sur le volet agricole des autres délégations, très puissamment relayées au plan médiatique . Du reste, c'est également en position d'accusée qu'elle s'est trouvée placée à l'occasion de la Conférence parlementaire organisée conjointement par l'UIP et le Parlement européen en marge de la Conférence de l'OMC (31 ( * )).

Dans ce contexte, l'unité des Etats membres, fermement maintenue au cours des cinq sessions spéciales du CAGRE réunies pendant la Conférence pour confirmer le mandat du négociateur européen, n'a pas été la moindre des satisfactions . En outre, il convient de reconnaître que le Commissaire européen au commerce a remarquablement su « tenir la barre » durant ces quelques jours, opposant sans relâche à ses confrères les arguments de l'Union sur les sujets tant offensifs que défensifs de la négociation.

Reste que le bilan de la Conférence, même au regard des ambitions finalement limitées exprimées avant son ouverture, demeure très largement mitigé : au-delà des quelques points positifs , plusieurs dossiers restent bloqués et, surtout, les sujets réellement porteurs de conflit ont été reportés à un examen ultérieur, dans le courant de l'année 2006. C'est ainsi que le Directeur général de l'OMC, lors de la session de clôture, a estimé que les engagements des Membres dans les négociations avaient permis de porter de 55 à 60 % le degré de réalisation du Cycle de Doha : si l'on peut se féliciter de cette progression, force est néanmoins de relever qu'il restait donc, au 18 décembre 2005, 40 % d'efforts à réaliser en une année à peine pour achever le Cycle du développement. Quelle gageure quand cinq années entières de discussion n'avaient permis de réaliser que 60 % du chemin !

1. Une Déclaration finale en demi-teinte

Objectivement, les motifs de satisfaction sont peu nombreux à l'issue de la Conférence. Plus que cela, ils sont chacun assortis de limites qui en tempèrent la portée effective : éternel problème du verre à moitié plein - ou à moitié vide.

a) Des avancées limitées

? Le principal apport de la Déclaration concerne le volet développement , qui conforte la stratégie de Doha : en effet, après l'accord sur le médicament, obtenu dès avant le début de la Conférence, l'ouverture des marchés des pays riches à 97 % des produits de 32 PMA en franchise de droits de douane et de quotas dès 2008 ne peut être tenue pour négligeable.

Certes, il eût été préférable qu'à l'instar de ce que l'Union européenne a décidé dès 2001 avec son programme TSA, l'ensemble des produits soit concerné : de fait, le solde de 3 % peut viser des lignes douanières tout à fait essentielles, comme le riz par exemple. Reste qu'il s'agit d'un premier pas, qu'il conviendra de poursuivre dans les années à venir en supprimant les dernières flexibilités .

? Avec l' accord sur le coton , une certaine prise de conscience des américains sur leur responsabilité à l'égard des économies africaines doit également être constatée. Mais là encore, il est difficile de se déclarer pleinement satisfait par ce qui a été qualifié de « récolte ponctuelle » : si le principe de l'élimination des subventions aux exportations d'ici la fin de l'année 2006 a été décidé, encore faut-il relever que, s'agissant des Etats-Unis :

- sa mise en oeuvre concrète dépend d'un accord formel du Congrès américain pour annuler le dispositif législatif actuellement appliqué (programme Step2), Congrès sur lequel l'administration du Département au commerce n'a guère de moyens d'influence ;

- il était de toute manière rendu indispensable par la condamnation de ces subventions par un « panel coton » datant du 25 mars 2005, l'Organe de règlement des différends (ORD) ayant alors jugé qu'elles constituaient une violation des règles de concurrence de l'OMC et condamné les Etats-Unis à réformer leur dispositif de subventions dans un délai de six mois.

En outre et surtout, aucun engagement sur l'élimination des soutiens domestiques à la production cotonnière n'a été pris , ce qui est doublement regrettable puisque, d'une part, le montant des sommes en jeu est incomparablement plus important (4 milliards de dollars contre 400 millions seulement pour les subventions aux exportations) et, d'autre part, les effets distorsifs qui pénalisent les économies cotonnières africaines sont, du coup, beaucoup plus grands. Seule a été actée la nécessité, pour les pays développés, de réduire les subventions internes ayant des effets de distorsion des échanges davantage et plus rapidement en ce qui concerne le coton que pour les autres produits de l'accord général. Dans ce contexte, l'accès en franchise de droits et de contingent des exportations de coton des PMA sur les marchés des pays développés dès le début de la période de mise en oeuvre du cycle n'apparaît que comme une bien faible contrepartie positive.

? S'agissant par ailleurs du volet agricole , l'Union européenne ne peut que se féliciter d'être parvenue à limiter le niveau des concessions qui lui étaient demandées sans réelles contreparties : les termes de la Déclaration finale sont en définitive acceptables dans la mesure où la date de 2013 qui a été fixée comme limite au dispositif communautaire des restitutions aux exportations est compatible avec l'accord sur la PAC courant jusqu'à ce terme . Même la formule de démantèlement progressif ne remettra pas en cause, de manière prématurée, le cadre de programmation de la PAC, si, comme l'a fermement indiqué à plusieurs reprises le ministre de l'agriculture, M. Dominique Bussereau, les réductions prévues portent sur les plafonds en valeur consolidés par l'UE lors de l'Uruguay Round.

En outre, conformément aux demandes de l'Union, a été admise la définition parallèle de disciplines concernant toutes les autres formes d'entraves au commerce , telles que les mesures à l'exportation d'effet équivalent aux subventions à l'exportation (32 ( * )), l'activité des entreprises commerciales d'Etat exportatrices et l'aide alimentaire : ces disciplines devront être achevées pour le 30 avril 2006, dans le cadre des modalités. Pour l'Union européenne, son engagement figurant dans la Déclaration finale sur les restitutions est totalement conditionné par celui de ses partenaires : clairement et définitivement, l'un ne va pas sans l'autre .

? Enfin, il est possible de saluer quelques avancées obtenues sur des sujets qui, s'ils n'ont pas constitué le coeur des négociations à Hong Kong, ne sont cependant pas sans intérêt pour le développement du commerce mondial. Il en est ainsi, notamment, du volet « facilitation des échanges » , qui a progressé d'une manière satisfaisante permettant d'espérer un accord dans le courant de l'année 2006 : on estime que la simplification des procédures douanières et de contrôle aux frontières, en particulier par la standardisation des outils douaniers, permettrait de dégager, pour les opérateurs européens, une économie de 300 milliards d'euros par an (33 ( * )).

b) Des ambitions réduites et imprécises

? Au regard des ambitions qui étaient les siennes sur les volets NAMA et services , l'Union européenne n'a pas manqué d'exprimer sa déception quant à l' absence d'avancées substantielles .

S'agissant des produits industriels , si elle a pu se féliciter que la formule ABI, qui conduisait à quasiment exempter les pays émergents, notamment l'Argentine, le Brésil et l'Inde, de toute contrainte d'ouverture de leurs marchés, ne soit plus à l'ordre du jour, elle a toutefois regretté que la référence à la formule suisse figurant dans le texte de la Déclaration finale puisse éventuellement compter plusieurs coefficients , et non deux au maximum : cette latitude ouvre en effet la voie à un marchandage complexe entre les pays développés et chacun des PED concernés. En outre, le micro-parallélisme entre le dossier NAMA et l'accès au marché agricole , tel que proposé par le Directeur général en « green room », a été conservé dans la Déclaration, ce qui nuit à l'équilibre entre les différents volets d'une négociation qui doit demeurer globale. En tout état de cause, l'immobilisme constaté sur ce dossier a été largement imputable à l' intransigeance du Brésil , qui l'avait clairement pris comme otage de son combat contre les subventions aux exportations agricoles communautaires, entraînant derrière lui non seulement le G20, mais aussi le G33, les pays ACP, le groupe africain et celui des PEV.

Quant au dossier de l' AGCS , le constat est encore plus consternant puisque le texte de la Déclaration n'a non seulement pas été amélioré par rapport à la version soumise à discussion au début de la Conférence, mais il a même été appauvri : en effet, les objectifs de négociation ont été remplacés par de simples références non contraignantes , ce qui aggrave le retard déjà pris dans ce domaine depuis 2004. Certes, il est vrai que la plupart des PED avaient une position très défensive sur ce sujet : les pays émergents qui, à l'exception de l'Inde, considèrent que le maintien pendant quelques décennies de barrières tarifaires est indispensable à l'affermissement de leurs propres entreprises de services, comme les pays les plus pauvres , parfois pour des raisons idéologiques (34 ( * )), parfois pour de simples raisons tactiques. On aurait alors pu craindre, dans un scénario-catastrophe, l'exclusion de l'annexe C, qui concernait le volet services, de la Déclaration ministérielle.

Reste que, lors de la réunion finale, les pays industriels ont globalement regretté l'enlisement de la négociation sur le dossier NAMA et les services , plusieurs Membres, tels les Etats-Unis, la Suisse et Israël, venant officiellement faire chorus avec l'Union européenne pour déplorer le « manque patent d'ambition » dans ces domaines pourtant essentiels pour le développement.

? Mais les PED eux-mêmes ont été victimes de l'espèce de « monopolisation » de la Conférence par le volet agricole de la négociation .

En effet, comme l'a au demeurant indiqué le représentant de Maurice, s'exprimant au nom du G90, lors de la réunion finale, plusieurs points ont insuffisamment été examinés lors des travaux : ainsi, par exemple, le texte de la Déclaration ministérielle n'a pas été amélioré en ce qui concerne l'érosion des préférences ou le traitement spécial et différencié, et trop peu d'intérêt a été accordé au problème spécifique des petites économies vulnérables.

De fait, au regard de l' absence d'évolution sur ces différents dossiers qui intéressent au premier chef les pays les plus pauvres , le « leadership » revendiqué par le Brésil qui, face à l'UE et aux Etats-Unis, s'est souvent placé comme porte-parole de l'ensemble des PED , n'est pas sans susciter quelques interrogations : car la poursuite de la négociation sur les bases issues de Hong Kong ne manquerait pas de favoriser considérablement une dizaine de grands pays émergents producteurs agricoles face aux autres PED dont la plupart disposent, jusqu'à maintenant, d'accords préférentiels leur permettant d'écouler sur le marché communautaire une partie substantielle de leurs exportations agricoles.

c) Des lacunes regrettables

Enfin, la Déclaration finale ne comporte aucune référence à quelques points importants pour certains des Membres de l'OMC.

Ainsi que l'a souligné lors de son audition par la commission des affaires économiques M. Mariann Fischer Boel, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, il en est ainsi du dossier des indications géographiques , seul sujet offensif du volet agricole pour l'Union européenne, et auquel est également très attachée la Suisse, que la plupart des autres pays exportateurs agricoles répugnent à aborder . Le Commissaire Mandelson a ainsi regretté publiquement, lors de la réunion finale des chefs de Délégation, le 18 décembre, l'absence d'engagement sur l'extension de la protection additionnelle pour cet « objectif cléf » de l'Union européenne. De même, aucune référence à une éventuelle clause de sauvegarde en cas de forte perturbation des marchés n'a été évoquée.

C'est également le cas du dossier de la banane qui, avec le sucre et le coton, demeure le dernier produit sectoriel faisant l'objet d'un contentieux sérieux entre certains Membres . Ainsi, le Honduras et le Nicaragua ont exprimé officiellement leur mécontentement à l'encontre de l'Union européenne qui, selon eux, ne respecterait pas les conclusions de l'OMC. Du reste, le ministre norvégien du commerce a été désigné comme médiateur entre ces pays, auxquels seraient associés plus largement tous les pays ACP.

2. Le report à 2006 des questions délicates

Au-delà de son existence même, la caractéristique essentielle de la Déclaration finale adoptée à Hong Kong est de renvoyer à l'année 2006 , selon un calendrier précisément fixé , les aspects de la négociation qui demeurent à la fois les plus délicats et les plus importants puisqu'ils conditionnent la mise en oeuvre effective d'un accord global .

Ainsi, quatre rendez-vous ont été formellement prévus :

- achèvement dès que possible de la présentation des offres initiales dans le domaine des services (AGCS) et présentations des offres plurilatérales par les groupes de Membres à compter du 26 février 2006 (l'UE ayant déposé ses propres demandes d'accès au marché le 28 février) ;

- le 30 avril 2006 , adoption tant des modalités de l'accord sur l'agriculture que de celles de l'accord NAMA ; pour ce qui concerne le dossier agricole , ces modalités viseront à définir les formules exactes et chiffrées ainsi que le calendrier des engagements pris en décembre 2005 en matière de suppression des restitutions aux exportations et de disciplines parallèles sur les autres formes distorsives de soutiens aux exportations (crédits à l'exportation, garanties de crédit à l'exportation ou programmes d'assurance, entreprises commerciales d'État exportatrices et aide alimentaire) ; s'agissant du dossier NAMA , l'objectif est de définir les éléments techniques de la formule de réduction des tarifs douaniers industriels, tels que le nombre et le niveau des coefficients ;

- le 31 juillet 2006 , présentation des listes contenant les engagements des Etats sur l'agriculture et le dossier NAMA , ainsi que de nouvelles offres révisées portant sur le volet AGCS ;

- le 31 octobre 2006 , enfin, présentation des listes d'engagements des Etats sur ce dossier des services .

Ces trois derniers rendez-vous, qui devaient se tenir à Genève et, pour obtenir des résultats significatifs, réunir les ministres concernés et pas seulement les représentants des Etats auprès de l'OMC, apparaissaient indispensables pour parvenir à achever le Cycle de Doha dans les délais . En effet, comme cela a été précédemment indiqué, l'échéance désormais explicite des négociations doit être la fin de l'année 2006 ou le tout début de l'année 2007 , dès lors que l'autorisation de conduire les négociations donnée à l'administration américaine par la « Trade Promotion Authority » s'achève le 31 juillet 2007 et que les procédures formelles de ratification d'un accord multilatéral prendront plusieurs mois.

Pour autant, il paraissait difficile de formaliser en six mois les éléments techniques d'un accord obtenu à l'arraché et qu'aucun des négociateurs ne considérait comme réellement satisfaisant.

S'agissant des intérêts offensifs de l'Union européenne, et au regard de la nécessité de parvenir à un accord global portant sur tous les aspects de la négociation (l'engagement unique), ce calendrier ambitieux présentait, tel Janus, deux aspects opposés :

- il était satisfaisant en ce qu'il liait intimement les avancées sur le volet agricole et sur le volet NAMA : les dates d'échéances étaient les mêmes, ce qui permettait d' éviter le « saucissonnage » , selon la formule de Mme Christine Lagarde, de la négociation, méthode de discussion consistant à régler le volet agricole avant les autres qui aurait été extrêmement préjudiciable à l'Union, et que d'aucuns soupçonnaient très fortement un certain nombre de ses partenaires, notamment les pays émergents, de chercher à favoriser ;

- il était en revanche préoccupant parce qu'il formalisait précisément un décalage chronologique au détriment de la négociation du volet AGCS , qui ne bénéficiait pas de la même priorité que les volets agriculture et NAMA.

* (31) Voir l'annexe I, page 95.

* (32) Crédits à l'exportation, garanties de crédit à l'exportation, programmes d'assurance ayant des périodes de remboursement de 180 jours et moins.

* (33) Communiqué de presse du mardi 6 juin 2006 d'Eurochambres, UNICE, Eurocommerce et autres organisations européennes représentatives de l'industrie et du commerce.

* (34) Les réserves officiellement formulées par Cuba et par le Venezuela ont notamment porté sur l'annexe C de la Déclaration, relative à l'AGCS.

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