B. RENFORCER LA LÉGITIMITÉ DU SYSTÈME POUR EN ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ
Outre les pistes d'amélioration procédurale des négociations en cours à l'OMC, l'ambition d'aboutir à un résultat doit aussi conduire à explorer un deuxième volet de possibilités : celles qui, en renforçant la légitimité de l'OMC, lui permettrait d'obtenir plus de soutien et donc d'atteindre plus facilement les résultats escomptés.
Votre rapporteur en a identifiées trois : miser sur l'assistance technique pour emporter l'adhésion des pays en développement (PED) ; mieux associer les acteurs non gouvernementaux ; enfin, encourager la cohérence de l'action de l'OMC avec celle des autres organisations internationales.
1. Miser sur l'assistance technique pour emporter l'adhésion des PED
a) Les difficultés de mise en oeuvre des engagements pris par les PED
Il ne fait pas de doute que les difficultés d'application, par les pays en développement, des engagements pris lors de la conclusion du cycle d'Uruguay sont en partie responsables des réticences de ces mêmes pays à conclure le Cycle de Doha du Développement. Les PED estiment avoir dû prendre des engagements fermes et coûteux dans le domaine des règles, notamment via les accords sur les normes techniques et sanitaires, la propriété intellectuelle et l'investissement. Ils indiquent que ces accords ne peuvent matériellement pas être mis en oeuvre dans les délais ou sont trop contraignants et se plaignent d'une assistance technique insuffisante, bien qu'elle ait fait l'objet de vagues promesses.
En effet, la mise en oeuvre des accords du cycle d'Uruguay - malgré les longues périodes de transition et des niveaux d'engagement souvent faibles - constitue en elle-même un sujet de négociation. Cette « mise en oeuvre » fait ainsi l'objet du premier chapitre de l'Agenda de Doha. Elle relève de ce qu'il est convenu d'appeler le traitement spécial et différencié (TSD) (100 ( * )), lequel admet la nécessité d'adapter les engagements internationaux aux besoins et priorités des PED par l'octroi de préférences commerciales non réciproques (101 ( * )), par l'exemption de certaines disciplines multilatérales ou par l'adaptation de leur rythme et conditions de mise en oeuvre au niveau de développement considéré.
Les pays développés ne peuvent négliger ces préoccupations, d'autant plus que les PED ne sauraient prendre de nouveaux engagements tant que la mise en oeuvre des obligations qu'ils ont déjà contractées leur pose des difficultés. Il importe donc de rendre plus effectives les nombreuses mesures de Traitement spécial et différencié contenues dans les accords existants, notamment les « clauses de meilleurs efforts » pour l'octroi, par les pays développés, d'assistance technique. Le programme de Doha prévoit précisément qu'une décision doit être prise sur le financement à long terme de l'assistance technique et la Déclaration adoptée à l'issue de la conférence ministérielle de Hong Kong en décembre 2005 confirme cet engagement des pays membres .
b) L'assistance technique : un levier essentiel...
Il s'agit d'aider les pays en développement à disposer des moyens institutionnels de négocier et d'administrer les accords auxquels ils sont partie. Ceci implique le développement des infrastructures, les institutions de contrôle et de régulation qualitative...
L'Institut de formation et de coopération technique du secrétariat de l'OMC y participe en organisant, à Genève ou dans les pays concernés, des programmes destinés à expliquer le fonctionnement du système et former des négociateurs nationaux. Des séminaires régionaux peuvent également être montés sur les nouvelles questions à débattre lors des négociations.
Cette aide au développement des capacités, entendues au double sens de possibilité de réaction de l'offre économique et de qualité des institutions, apparaît essentielle pour rallier un jour les membres du G90 à une conclusion du cycle de Doha. Or, aujourd'hui, comme le souligne Jean-Marie Paugam, les pays développés « sous-investissent la principale voie empirique pouvant contribuer à surmonter cette dimension de la crise de confiance » (102 ( * )) qui met en cause l'automaticité du lien entre libéralisation commerciale et développement. Ils se privent dès lors d'un levier essentiel pour convaincre les pays en développement que le cycle de Doha peut déboucher sur des résultats plus équilibrés que celui d'Uruguay et favoriser ainsi, de manière pragmatique, une décrispation propice à la conclusion d'un nouvel accord.
c) ...à faire jouer tout en promouvant la nécessaire différenciation entre les PED
Rendre opérationnelles les mesures de TSD se heurte souvent à la résistance des pays développés qui soulèvent le dysfonctionnement systémique imputable à la non-discrimination actuelle des mesures de TSD par rapport à la situation réelle et la diversité économique des PED (103 ( * )).
Lors de son accession à l'OMC, un pays peut en effet choisir d'adopter le statut de PED par simple autodéclaration. Ce statut lui donne accès à l'ensemble des mesures de TSD. S'il répond aux critères de l'ONU définissant la catégorie de pays moins avancé (PMA), il bénéficie également des mesures spécifiques applicables à cette catégorie.
La question d'une meilleure différenciation juridique des PED au regard de leur situation économique réelle se situe au coeur des oppositions et du blocage des négociations constaté sur les enjeux du Programme de développement de Doha : les PED tendent à considérer que l'échec constaté dans la mise en oeuvre des mesures de TSD depuis la fin de l'Uruguay Round provient de l'insuffisance des concessions faites par les pays développés par rapport au droit commun des accords de l'OMC ; mais les pays développés ne sont prêts à accepter au titre du TSD que des concessions proportionnées au niveau de revenu réel des PED. Or la plupart des pays en développement s'opposent à l'évocation d'une différenciation entre eux (104 ( * )).
Il importe de promouvoir concrètement l'assistance technique en direction des pays qui en ont le plus besoin : les pays développés, en déployant un effort consistant dans cette direction, pourront ensuite demander en contrepartie, plus valablement, un approfondissement plus réaliste de la différenciation entre PED. Mais faire de cet approfondissement un préalable à tout renforcement de l'assistance technique priverait les pays développés d'un levier essentiel pour faire adhérer les PED à l'objectif d'une conclusion du cycle de Doha.
Le rapport Sutherland ne dit pas autre chose : « Les pays les moins avancés devraient avoir le droit contractuel de bénéficier d'un renforcement de leurs capacités pour pouvoir mettre en oeuvre de nouveaux engagements dans le cadre de l'OMC. Il ne suffit pas que les pays Membres avancés fassent part de leur volonté politique d'accorder un soutien : celui-ci devrait faire partie intégrante des nouveaux accords . »
2. Mieux associer les acteurs non gouvernementaux
L'OMC est une enceinte de négociation interétatique. Toutefois, elle ne saurait ignorer la volonté d'autres acteurs de tenir un rôle dans les négociations. En associant toujours plus la société civile, l'OMC gagnerait en légitimité et, par ricochet, en efficacité, dans la mesure où son fonctionnement ne serait pas perturbé par la contestation. En effet, la légitimité ne s'accroît pas au détriment de l'efficacité mais la renforce au contraire.
Il est courant, comme l'observe le rapport Sutherland, de faire le procès de l'opacité de l'OMC, soupçonnée d'être une organisation puissante, complexe et secrète. L'activisme de la société civile et sa volonté de participer à la gouvernance mondiale ne sont pas des phénomènes récents : en 1946 déjà, lors de la conférence de Londres préparatoire à la conclusion du GATT, des plaintes s'étaient élevées pour regretter l'absence de consultations avec les organisations non gouvernementales. Mais, aujourd'hui, la recherche d'une plus grande transparence dans les activités des institutions internationales est généralement admise et la question n'est plus de savoir s'il faut un partenariat mais comment le rendre efficace.
a) Une transparence déjà grande
D'ores et déjà, l'OMC, tout en soulignant, à raison, que le développement des relations avec la société civile incombe prioritairement aux Etats membres, a cherché à nouer le dialogue, malgré son faible budget de communication. Elle l'a fait sur le fondement de l'article V :2 de l'accord de Marrakech, qui autorise le Conseil général à « conclure des arrangements appropriés aux fins de consultation et de coopération avec les organisations non gouvernementales s'occupant de questions en rapport avec celles dont l'OMC traite » . L'OMC est en effet l'une des rares organisations intergouvernementales faisant mention expresse, dans ses textes fondateurs, des relations avec la société civile. Il s'agit à la fois de promouvoir l'image de l'OMC en tant qu'organisation et de faire comprendre les principes sur lesquels reposent ses règles mais aussi, réciproquement, de faire bénéficier l'OMC des connaissances et du savoir-faire de la société civile, des entreprises et autres parties prenantes.
Ainsi, la transparence des négociations s'est considérablement améliorée, d'une part, avec la décision, prise par l'OMC en 2002, d'accélérer la mise en distribution générale des documents permettant le suivi direct des négociations, d'autre part, avec l'enrichissement documentaire du site Internet de l'OMC. En outre, le secrétariat et le Directeur général de l'OMC rencontrent régulièrement des représentants de la société civile, organisent pour eux des réunions d'information et leur permettent d'assister aux sessions plénières des conférences ministérielles. Comme les auteurs du rapport Sutherland, votre rapporteur ne considère pas certain qu'il soit possible d'aller beaucoup plus loin dans la transparence des négociations sans nuire à leur déroulement .
Il est vrai que les négociations commerciales requièrent une certaine confidentialité. Comme le reconnaît le rapport Sutherland, les gouvernements ont le droit, et même le devoir, de ne pas divulguer les intérêts commerciaux en jeu dans ces négociations. La société civile aura donc toujours tendance à se sentir exclue. En outre, un excès de transparence ouvrirait de nouveaux fronts sur lesquels devraient s'engager des négociateurs déjà surchargés, surtout ceux des PED. L'ajout de filières parallèles, dans le cadre desquelles il faudrait aussi nouer le dialogue avec des ONG disposant d'énormes moyens, pourrait être plus contraignant que constructif.
b) Accroître la participation parlementaire
Votre rapporteur estime que le contrôle démocratique de l'OMC relève d'abord des parlements nationaux . Il a déjà plaidé, dans ses précédents rapports (105 ( * )), pour une meilleure participation du parlement.
Il s'était d'ailleurs fait l'écho, à la suite de sa participation à la XI ème CNUCED tenue au Brésil en juin 2004, du souhait exprimé par les parlements représentés à São Paulo d'être plus proches des gouvernements et des institutions internationales au sein desquelles les exécutifs prennent des engagements, certains élus présents ayant même imaginé une saisine systématique du Parlement pour procéder à une étude d'impact social et économique avant chaque accord commercial : ce souhait traduit le besoin, communément répandu sur la planète, de débats de proximité sur les orientations internationales retenues par les gouvernements et d'une réappropriation nationale, par ce biais, de la mondialisation.
Comme il l'a déclaré à la session de Hong Kong de la Conférence parlementaire sur l'OMC dans le cadre d'une communication portant sur les instances parlementaires en charge du commerce international et des questions relatives à l'OMC (106 ( * )), « compte tenu de l'impact direct sur les populations des décisions prises au niveau international dans le cadre des négociations gouvernementales sur le commerce, l'implication des parlements in fine , c'est-à-dire au niveau de l'autorisation de ratification et de l'adoption du cadre légal ou, a posteriori , par l'exercice de la fonction de contrôle, ne saurait suffire. Il faut que les parlements soient pleinement informés de l'avancement des négociations, des enjeux et des impacts et qu'ils puissent, le cas échéant -et en plein respect du principe de séparation des pouvoirs - adopter des résolutions faisant connaître à leurs gouvernements leur avis ».
Depuis Doha, à l'occasion de la rencontre parlementaire préparée par l'UIP et le Parlement européen, une réflexion s'est engagée sur les moyens d'instituer un véritable suivi parlementaire des négociations. Deux propositions avaient été faites. La première consistait à établir un forum permanent de parlementaires chargés d'assurer le suivi des négociations, qui soit lié formellement à l'OMC ou existe comme institution indépendante. Mais cette proposition se heurtait à l'opposition des pays en développement comme des Etats-Unis, dont le Congrès joue déjà un rôle important en matière commerciale. Votre rapporteur penchait pour la seconde solution, visant à faire de l'UIP l'instance de suivi parlementaire international des activités de l'OMC . Celle-ci présente le double avantage d'être déjà constituée et d'avoir obtenu le statut d'observateur auprès de l'OMC en octobre 2001.
Votre rapporteur se félicite de l'habitude, désormais ancrée, d'organiser une réunion interparlementaire parallèlement à chaque conférence ministérielle de l'OMC. Il se réjouit aussi qu'au plan national, le Sénat ait créé un groupe de travail, qu'il a l'honneur de présider, chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales à l'OMC, et organisé des débats en séance publique sur ces négociations, comme le 15 octobre 2003 au Sénat. L'on pourrait toutefois imaginer d'aller encore plus loin en associant les parlements à l'adoption des positions de négociations des gouvernements (107 ( * )), comme c'est le cas au Danemark dont le Parlement, en amont des conférences ministérielles, propose des résolutions sur l'OMC qui ont pour objet de mandater le Gouvernement et qui sont sans valeur juridique impérative mais dont la valeur politique est évidente.
Les parlements nationaux ont un rôle à jouer pour conférer à l'OMC une plus grande légitimité, en favorisant une meilleure compréhension et un meilleur appui du public au système multilatéral : eux seuls peuvent établir un lien entre les négociations intergouvernementales et les personnes que les décisions prises à l'OMC affectent in fine . Eux seuls peuvent faire prendre conscience des « bénéfices, pour le plus grand nombre, de l'intégration commerciale mondiale, laquelle pénalise un nombre de gens plus restreint mais de façon spectaculaire » , selon les récents propos du Directeur général de l'OMC (108 ( * )).
c) Repenser la place et le rôle des ONG
S'agissant des ONG, votre rapporteur suggère aussi quelques possibles améliorations de leurs liens avec l'OMC. Sans s'attarder sur la proposition, faite par les ONG d'elles-mêmes, d'être accréditées officiellement auprès de l'OMC, ce qui créerait une lourde charge administrative pour l'organisation sans améliorer substantiellement l'information des ONG, il écarte aussi toute idée de leur participation directe au processus décisionnel , leur légitimité n'étant pas assise sur l'élection, quand bien même certaines d'entre elles conseillent activement certains gouvernements des pays les plus démunis, ce qui s'explique par les lacunes de l'assistance technique déjà évoquées.
En revanche, il lui paraît envisageable de réfléchir aux moyens de mieux ouvrir l'OMC aux ONG . Une telle ouverture ne pourrait être que bénéfique, à double sens : pour l'OMC, dont les débats pourraient être enrichis par les apports des ONG les plus au fait du sujet ; mais aussi pour les ONG, notamment les plus critiques d'entre elles, qui pourraient ainsi appréhender plus directement la réalité concrète de l'organisation et la complexité des enjeux qu'elle a à traiter. Du reste, il a pu observer, à Hong Kong, un assez net changement d'attitude de la part de nombreuses ONG par rapport celle qui avait été la leur au cours des précédentes Conférences : signe, sans aucun doute, que la confrontation à la pratique peut conduire à une appréhension plus constructive des problèmes.
Dans ce contexte, une meilleure prise en compte des apports des ONG lors de la procédure de règlement des différends soumis à l'ORD mériterait d'être étudiée. D'ores et déjà, l'Organe d'appel a ouvert la procédure, en admettant (109 ( * )) le principe des amici curiae (110 ( * )) - contributions écrites que les tiers, non parties à l'affaire, peuvent fournir au juge - et en facilitant l'accès au statut de tierce partie. Toutefois, comme le relève Hélène Ruiz Fabri, dans son article déjà cité précédemment, si le principe d'ouverture est acquis, la pratique s'avère un peu contournée : le juge balaye souvent d'un revers de main, sans motivation, ces amici curiae . Il y a donc là une source de progrès possible vers une meilleure prise en considération de ces contributions , même si la brièveté des délais impartis au juge n'y aide pas.
La publicité des débats a également progressé, comme le consacre l'ouverture au public des audiences de la deuxième affaire Hormones à l'automne dernier. Votre rapporteur encourage cette publicité dans la mesure où elle reste limitée par des procédures spéciales de confidentialité pour les renseignements commerciaux qui le nécessitent. Là encore, il existe une marge de progression : comme le propose l'Union européenne (111 ( * )), certaines auditions d'experts devant les panels pourraient opportunément être ouvertes au public, et l'accès aux documents des panélistes pour les parties tierces mais aussi pour le grand public pourrait être facilité, sans pour autant aller jusqu'à permettre aux ONG de saisir l'ORD, possibilité qui aurait pour effet d'affaiblir le caractère intergouvernemental de la procédure.
Des pistes restent donc à explorer pour mieux associer aux processus de l'OMC les acteurs non gouvernementaux, à commencer par les parlements.
3. Encourager la cohérence de l'action de l'OMC avec celle des autres organisations internationales
L'une des voies susceptibles de renforcer la légitimité de l'OMC, et donc de promouvoir son efficacité, consiste à confirmer sa spécialisation commerciale tout en insistant sur les synergies entre son action et celle des autres organisations internationales au service de la gouvernance mondiale. Dernière née des structures multilatérales et n'appartenant pas au système onusien, l'OMC doit en effet trouver sa place au sein du système international existant.
a) La spécialisation commerciale de l'OMC au service de sa légitimité
La gouvernance internationale s'est, dès l'origine, construite sur un principe de spécialisation. Chaque organisation gère, sur le fondement d'accords internationaux spécifiques, un domaine délimité - le commerce pour l'OMC (112 ( * )) - et dispose, à cet effet, d'instruments juridiques et financiers spécifiques. Les relations entre ces institutions sont le plus souvent informelles et ne sont, en tout état de cause, subordonnées à aucune procédure d'arbitrage politique, du type de l'arbitrage interministériel qui existe en France. Enfin, aucune de ces institutions ne rend compte devant aucun parlement.
Dans ce contexte, la spécialisation apparaît comme le socle de la légitimité . Selon le Conseil d'analyse économique (113 ( * )), « c'est précisément parce qu'elles ont reçu, par traité, mandat d'exercer une fonction donnée dans un domaine délimité, que les institutions internationales peuvent être considérées comme légitimes » .
La spécialisation n'ignore pas les exigences démocratiques : au contraire, elle est une condition pour y répondre en l'absence de gouvernement mondial. Etendre le champ d'action de l'OMC, en créant de la confusion, susciterait de la méfiance. Ceci n'interdit pas pour autant d'adapter ce champ d'action lorsque des évolutions apparaissent nécessaires. Mais la responsabilité politique de ces adaptations doit revenir sans conteste aux Etats membres.
b) La coopération entre institutions : un instrument de cohérence à approfondir
Il est évident que la contrepartie de la spécialisation doit être trouvée dans l'organisation de coopérations entre institutions et, à terme, dans un rééquilibrage institutionnel afin d'assurer une « cohérence » mondiale. Notamment, aucune nécessité ne justifie que seule l'OMC ait intégré une fonction juridictionnelle, ce qui crée un déséquilibre qui concourt à délégitimer la gouvernance actuelle de la mondialisation .
Cette coopération entre institutions est plus ou moins formalisée, en fonction des obstacles politiques, sociologiques et quasiment culturels qu'elle rencontre : le commerce, le développement et la finance sont des mondes très différents.
L'OMC, qui n'est pas une institution spécialisée de l' ONU , est néanmoins liée juridiquement avec celle-ci puisque l'article XXI du GATT de 1994 permet à un Etat membres de prendre toute sanction commerciale en application de ses engagements au titre de la charte des Nations Unies. Pour le reste, la coopération avec l'ONU passe principalement par les liens que l'OMC entretient avec la CNUCED , qui a le statut d'observateur auprès de la quasi-totalité des organes de l'OMC.
La coopération est plus consistante lorsqu'il y a une reconnaissance juridique mutuelle de la pertinence d'une « coordination horizontale » , comme entre l'OMC et le FMI dans le cas où un déséquilibre de la balance des paiements conduit à prendre des mesures commerciales restrictives. Le commerce, les taux de change et les conditions financières sont évidemment liés, ce que traduisent l'obligation générale de se consulter s'imposant à l'OMC, au FMI et à la Banque mondiale , et l'octroi réciproque du statut d'observateur entre ces trois institutions. Il ne fait nul doute qu'au regard de l'objectif du développement, la réduction des déséquilibres des règles commerciales défavorables aux pays en développement ne suffit pas : il faut aussi mettre en place des processus pour transformer l'ouverture des échanges en bénéfices réels, ce qui ressort notamment de la Banque mondiale et du FMI.
C'est pour ces raisons qu'a été lancé, en 1997, un « cadre intégré », exemple de coordination horizontale entre la Banque mondiale, la CNUCED, le FMI, le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) et l'OMC visant à apporter une réponse coordonnée aux besoins en matière d'assistance et de renforcement des capacités liés au commerce et identifiés par les pays les moins avancés. Cette initiative louable mais complexe a obtenu de maigres résultats puisqu'elle n'est intégralement mise en oeuvre que dans un nombre restreint de pays.
La coopération est en revanche beaucoup plus lâche lorsque les limites entre les organisations ont été clairement posées, comme avec l'Organisation internationale du travail (OIT), reconnue par la Déclaration ministérielle de Singapour comme l'organe compétent pour établir les normes du travail. En dépit des efforts européens, la déclaration de Doha ne fait qu'inviter l'OMC à dialoguer avec l'OIT et à développer sa coopération avec le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) et les secrétariats des accords multilatéraux pour l'environnement (AME).
c) L'ORD à impliquer pour une gouvernance plus cohérente
La coopération pourrait toutefois ne pas suffire pour dépasser les inévitables conflits d'objectifs entre institutions . Sur ce point, votre rapporteur souscrit aux propositions formulées par Marie-Anne Frison-Roche (114 ( * )) : d'une part, il pourrait être envisagé d'élaborer des règles de doctrine commune quant aux relations entre les principes fondateurs relevant des différents domaines, tels le libre-échange et le développement durable, et la considération réciproque entre institutions. Outre ces principes généraux communs aux institutions, seraient construits, d'autre part, des liens procéduraux entre les différents domaines afin que chaque institution requière et prenne en considération l'avis de l'institution spécialisée compétente.
C'est précisément dans cet esprit qu'il faut lire la suggestion faite par le Conseil d'analyse économique d'instituer une procédure de consultation technique : lorsqu'il est amené à dire le droit sur un cas d'entrave aux échanges motivé par des considérations par exemple environnementales, obligation serait faite à l'ORD de saisir pour avis l'institution internationale compétente. Celle-ci devrait alors se prononcer non pas tant sur l'application d'un accord multilatéral sur l'environnement (qui relèverait de sa compétence juridique) mais sur l'ampleur des dommages causés à l'environnement par la mesure commerciale soumise à examen, sur les moyens de les limiter et sur le coût de ces alternatives. L'organisation environnementale serait en quelque sorte instituée comme expert légitime, l'ORD prenant ensuite sa décision en la motivant au regard de l'avis reçu.
Une autre solution, préconisée par Madame Béatrice Marre, alors députée (115 ( * )), consisterait à ouvrir à toute organisation du système onusien le droit de transmettre à l'ORD son point de vue sur un dossier à l'examen la concernant, selon la procédure, déjà évoquée plus haut pour les ONG, de l'amicus curiae .
C'est donc l'ORD précisément qui détient la clef d'une meilleure cohérence entre les institutions concourant à la gouvernance mondiale . En assurant cette mission dans le respect de l'égale valeur des normes internationales, cet organe peut contribuer à asseoir sa légitimité et, plus largement, celle de l'OMC.
* (100) Concept juridiquement traduit en 1965 par l'adoption de la quatrième partie du GATT, intitulée « commerce et développement ».
* (101) Incarnées dans le système de préférences généralisé (SPG).
* (102) « Après Cancun : la double crise de l'OMC » , par J.M. Paugam, in Revue du marché commun et de l'Union européenne n°477 - Avril 2004.
* (103) Ainsi, les pays développés ont réservé un accueil extrêmement défavorable à la proposition présentée début 2005 par l'Inde, le Brésil et l'Argentine, qui visait à exempter ces pays de libéraliser leur marché des biens manufacturés au prétexte qu'ils sont en voie de développement.
* (104) Voir « Why and how differentiate developing countries in the WTO ? Theoretical options and negotiating solutions » - Paugam et Novel - IFRI - 2005.
* (105) Notamment, « Cancùn : un nouveau départ pour l'OMC ? » , op. cité, et « XIe Cnuced : entre commerce sud / sud et négociations transatlantiques » , rapport d'information n° 390 (2003-2004) de M. Jean Bizet, Mme Odette Terrade, MM. Christian Gaudin et Daniel Raoul fait, au nom de la commission des affaires économiques, à la suite d'une mission d'information au Brésil à l'occasion des réunions de la CNUCED et de l'Union Interparlementaire du 10 au 16 juin 2004, qui peut être consulté sur le site Internet du Sénat : http://www.senat.fr/rap/r03-390/r03-390.html .
* (106) Voir infra , annexe I, page 95.
* (107) Sur ce point, on peut citer les propos tenus par Pascal Lamy, alors commissaire européen au commerce : « La politique commerciale est la seule politique commune pour laquelle le Traité n'attribue aucun rôle au Parlement européen (...) à l'inverse de ce qui se fait aux Etats-Unis (...). Certes, la Commission peut consulter le Parlement en vertu d'un accord politique (...) mais d'un point de vue constitutionnel, c'est insuffisant » . Le traité établissant une Constitution pour l'Europe, rejeté par la France lors du référendum du 29 mai 2005, prévoyait de revoir ce point. Par ailleurs, un rapport d'une commission d'étude ad hoc du Bundestag allemand de juin 2002 ( La mondialisation de l'économie - Défis et réponses ) proposait d'accorder au Parlement européen un droit de codécision sur les questions touchant au commerce extérieur de l'Union européenne.
* (108) Propos de Pascal Lamy recueillis lors du sommet de Munich 2006 et rapportés dans L'Expansion n° 709 - Juin 2006.
* (109) En 2000, depuis le rapport de l'Organe d'appel dans l'affaire Etats-Unis - Crevettes.
* (110) Sur lesquels le Mémorandum d'accord était muet.
* (111) Olivier Blin - article cité.
* (112) Même si le premier considérant de l'accord sur l'OMC dispose que « le commerce doit être entrepris en vue d'assurer le plein emploi et une hausse des revenus tout en veillant à la protection de l'environnement et conformément aux exigences du développement durable » .
* (113) Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry et Laurence Tubiana, in « Gouvernance mondiale » - 2002.
* (114) Dans sa contribution de 2002 citée dans le rapport déjà évoqué du Conseil d'analyse économique.
* (115) Rapport d'information n° 2477 (1999-2000) sur « La réforme de l'OMC et son lien avec l'architecture des Nations Unies » , présenté par Mme Béatrice Marre au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne - 15 juin 2000. Ce rapport peut être consulté sur le site de l'Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/europe/rap-info/i2477.pdf .