B. LES FACTEURS ANTHROPIQUES D'ÉVOLUTION DE LA DEMANDE
Il y a deux lectures du choc pétrolier que l'économie mondiale a enregistré en 2004 et 2005.
L'une, classique, consiste à estimer que ce phénomène est lié aux cycles de production du secteur.
La mécanique en est connue : après un choc pétrolier, la demande baisse et les prix diminuent, c'est ce que les spécialistes appellent un contre-choc pétrolier.
Ce contre-choc et les bas niveaux relatifs de prix conduisent les entreprises à diminuer leurs investissements en reconstitution de gisement, en matériel d'exploration et de transformation, et en formation des hommes 9 ( * ) .
En sens inverse, après quelques années la croissance de la demande, confrontée à une offre transitoirement insuffisante, aboutit à une tension sur les prix et donc à un choc pétrolier qui rend rentables de nouveaux investissements d'exploration et de transformation.
Cette lecture, vérifiée expérimentalement, est pertinente ponctuellement. Mais probablement pas pertinente à long terme.
Car la ressource se raréfie . Actuellement, chaque année on découvre deux fois moins de pétrole que l'on n'en consomme. Et même si les réserves ultimes se situent à un horizon de plusieurs générations, leur mobilisation deviendra de plus en plus difficile et répondra de moins en moins au schéma classique « choc/contre-choc pétrolier ».
De plus, les problèmes liés à la durabilité du développement sont à envisager sur plusieurs décennies et non sur l'horizon limité que représente une dizaine d'années . Car la prospective change les perspectives de l'actuelle crise pétrolière. On n'en donnera qu'un exemple : de 1990 à 2001, la croissance de la demande mondiale de brut a atteint 1,2 %, mais 2,4 % sur les trois dernières années.
Si on extrapole ces deux tendances :
- à 1,2 % de croissance, la demande est multipliée par 1,4 en 20 ans et 1,8 en 50 ans ,
- mais à 2,4 % de croissance, la demande double en trente ans et triple en 50 ans .
Or, lorsque l'on examine les principaux déterminants qui commandent la demande mondiale de sources d'énergie primaire, à savoir la démographie et l'essor de l'économie mondialisée de marché, on ne peut que constater que ces éléments poussent à une hausse de la demande d'énergie plus forte que celles enregistrées jusqu'ici.
1. La démographie brute
a) Une inflexion démographique
L'explosion démographique n'aura pas lieu. Les projections de l'ONU du début des années 90 tablaient sur une population mondiale de 11 à 15 milliards d'habitants en 2050.
Les dernières révisions effectuées par les Nations Unies tablent, en hypothèse moyenne, sur une population de 8,9 milliards d'hommes en 2050 (soit un milliard d'hommes de moins qu'envisagé en 1994) contre 6,3 milliards aujourd'hui.
Plusieurs raisons concourent à cette rectification démographique :
- la baisse, plus rapide que prévue, des taux de fécondité. Cet indice, qui était de 6 dans les pays en voie de développement en 1950, n'est plus que de 2,92 ;
- l'effet de la pandémie du SIDA qui se traduit, notamment en Afrique, par une perte de population potentielle de 500 millions d'habitants.
- le fait que toute une série de pays - y compris la Chine - entrent peu à peu dans une seconde transition démographique caractérisée par une évolution où l'on passe durablement sous le seuil de renouvellement de la population .
b) Une population mondiale en accroissement
Si les hypothèses évoquées ci-dessus se réalisent, la population mondiale va croître de 2,6 milliards d'ici 2050.
Ces 2,6 milliards d'habitants supplémentaires seront un premier facteur d'accroissement de la demande dans le demi-siècle à venir.
Si l'on analyse de façon plus détaillée certaines des composantes de cette croissance prévisionnelle, on constate :
- que la population des pays forts consommateurs de ressources naturelles ne baisse que très légèrement (l'Europe des 25 ne passerait que de 454 millions d'habitants en 2004 à 431 millions d'habitants) ou augmente assez fortement (la population américaine croîtrait dans la même période de 294 millions à 404 millions d'habitants, soit 37 % d'accroissement),
- que le quart de l'accroissement de population à venir (d'ici 2050) concerne deux pays dont l'accélération de croissance commence à peser sur les réserves planétaires. La population de la République indienne atteindrait 1,5 milliard d'habitants, et celle de la Chine populaire 1,4 milliard d'habitants.
Indépendamment des efforts qu'il reste à faire pour combler le fossé Nord-Sud, la croissance de la population mondiale s'effectuera donc dans des secteurs géographiques en forte progression économique .
c) Des interrogations
Deux autres facteurs méritent d'être soulignés, dont l'impact sur le développement durable est difficile à évaluer.
(1) L'urbanisation
La plus forte partie de la croissance mondiale à venir amplifiera les transferts d'une société rurale vers les villes. On estime que deux milliards d'habitants supplémentaires vont accroître la population urbaine .
Ce qui signifie, par exemple, que les pays en voie de développement devront construire l'équivalent d'une ville d'un million d'habitants par semaine d'ici 2050 .
Cette croissance urbaine aura en outre deux traits dominants : la poursuite de la constitution de mégalopoles et la croissance des implantations urbaines au bord de la mer. D'où autant de problèmes d'équilibre des territoires.
En toute première analyse, ce phénomène pourrait avoir plusieurs conséquences :
- la raréfaction des terres disponibles pour l'agriculture ou pour l'exploitation de la biomasse . L'homme urbain occupant actuellement 2 % des terres émergées, dont 10 à 15 % seulement sont cultivables, la croissance urbaine prévue d'ici 2050 porterait ce pourcentage à 4 % et réduirait donc les terres cultivables de 13 % à 20 % par rapport à leur surface actuelle ;
- la montée forte d'une demande de production d'électricité de masse plutôt qu'individuelle et décentralisée (par exemple, plutôt la centrale thermique ou nucléaire que le photovoltaïque ou l'éolienne) ;
- en fonction des schémas d'urbanisation qui seront choisis des modèles d'utilisation des transports favorisant (automobile) ou diminuant (transports en commun) les émissions de gaz à effet de serre ;
- en fonction du type d'urbanisation (mégalopoles concentrées sur de grands immeubles ou urbanisation pavillonnaire), le bilan énergétique global de cette urbanisation peut varier :
- pour la part de ce développement des villes s'effectuant dans des pays à croissance rapide, une interrogation sur la consommation d'énergie des immeubles résidentiels et de service qui y sont et y seront bâtis.
(2) Le vieillissement de la population
Le vieillissement de la population mondiale se poursuivra, et pas uniquement dans les pays développés. En 2050, les plus de soixante ans représenteront plus du tiers de la population du monde . On n'entrevoit pas clairement les conséquences de ce phénomène sur la demande d'énergie mondiale.
Ce vieillissement des populations affectera fortement l'Asie (Chine, Japon, Corée, sud-est asiatique). Comme beaucoup des pays concernés n'ont pas ou peu de systèmes de retraite, il pourrait avoir pour conséquence d'y accroître les populations actives et donc la demande d'énergie.
* 9 Par exemple, à la suite du contre-choc intervenu de 1985 à 2000, les sociétés spécialisées en exploration pétrolière en mer manquent à la fois de plates-formes et d'ingénieurs formés à ces techniques et ne peuvent répondre à toutes les demandes actuelles d'exploration.