IV. UNE POLITIQUE MONÉTAIRE RÉELLEMENT ACCOMMODANTE ?
Le renchérissement du crédit est d'autant plus préoccupant que la Banque Centrale Européenne est particulièrement attentive à tout risque de hausse de l'inflation comme en témoigne l'extrait du dernier bulletin mensuel 16 ( * ) .
« S'agissant de l'évolution des prix, l'estimation rapide d'Eurostat fait apparaître que la hausse annuelle de l'IPCH s'est établie à 1,6 % en octobre 2006, après être revenue de 2,3 % en août à 1,7 % en septembre. Le récent recul de l'inflation résulte à la fois d'effets de base favorables, compte tenu notamment de la forte hausse des cours du pétrole survenue il y a un an, et de leur baisse significative ces derniers temps. Si les perspectives relatives aux prix de l'énergie demeurent incertaines, les taux d'inflation devraient, sur la base des prix actuels et des cotations plus élevées sur les marchés à terme, augmenter de nouveau dans les prochains mois et début 2007. En conséquence, le Conseil des gouverneurs s'attend à une forte volatilité à court terme de l'IPCH en rythme annuel. Toutefois, au-delà de cette volatilité, la hausse de l'IPCH restera élevée, à un niveau supérieur à 2 % en moyenne en 2006, et probablement aussi en 2007 .
Les risques pesant sur les perspectives en matière de stabilité des prix demeurent clairement orientés à la hausse. Ces risques continuent d'être liés à des répercussions des précédents renchérissements du pétrole sur les prix à la consommation plus fortes qu'envisagé actuellement et à de nouveaux relèvements, au-delà de ceux annoncés jusqu'à présent, des prix administrés et de la fiscalité indirecte. Par ailleurs, de nouvelles augmentations du cours du pétrole ne peuvent être exclues . Plus fondamentalement, compte tenu du dynamisme de la croissance du PIB en volume observé au cours des derniers trimestres et de la poursuite de l'amélioration sur les marchés du travail, une progression des salaires plus importante que prévu constitue un risque substantiel à la hausse pour la stabilité des prix. [...]
L'analyse monétaire continue de faire ressortir des risques à la hausse pesant sur la stabilité des prix à moyen et long termes. La progression annuelle de M3 s'est encore renforcée , s'établissant à 8,5 % en septembre, contre 8,2 % en août. [...] Plus généralement, le rythme d'expansion de la monnaie et du crédit demeure soutenu, reflétant le niveau toujours bas des taux d'intérêt dans la zone euro et le renforcement de l'activité économique. En particulier, les prêts au secteur privé continuent d'augmenter à un rythme annuel supérieur à 10 %, leur croissance concernant à la fois les ménages et les entreprises. [...] La persistance de la forte croissance de la monnaie et du crédit, dans un environnement de liquidité abondante, est porteuse de risques à la hausse pour la stabilité des prix à moyen et long terme. [...]
En résumé, les taux annuels d'inflation devraient rester élevés en 2006 et 2007, les risques pesant sur ces perspectives demeurant nettement orientés à la hausse. Compte tenu de la vigueur actuelle soutenue de la croissance de la monnaie dans un environnement caractérisé par une liquidité abondante, le recoupement des conclusions de l'analyse économique avec celles de l'analyse monétaire corrobore le diagnostic de l'existence de risques à la hausse pesant sur la stabilité des prix à moyen et long termes. Il est essentiel que les anticipations demeurent solidement ancrées à des niveaux compatibles avec la stabilité des prix. Si les hypothèses et le scénario de référence du Conseil des gouverneurs continuent de se confirmer, la poursuite de l'ajustement de l'orientation accommodante de la politique monétaire sera justifiée . »
Quelques commentaires s'imposent.
Tout en reconnaissant l'importance de la contribution des prix du pétrole dans l'évolution de l'inflation globale, la Banque Centrale Européenne procède par allusion s'agissant de l'inflation sous-jacente dans les pays de la zone euro. Celle-ci, qui a pourtant enregistré un fort ralentissement en 2005 par rapport à 2004, témoignant ainsi des pressions anti-inflationnistes en oeuvre en Europe est jugée vulnérable à des hausses de salaires « plus importants que prévus » . Aussi, les anticipations d'inflation , qui se maintiennent à un niveau conforme à la définition de stabilité arrêtée par la Banque Centrale Européenne, seraient erronées aux yeux de la BCE .
L'appréciation de la BCE conduit à s'interroger sur la pertinence du taux de croissance potentielle des pays de la zone euro qu'elle retient pour analyser la croissance actuelle . Jusqu'à présent, le PIB potentiel des pays de la zone euro retenu par les analystes s'élevait à 2 % 17 ( * ) . Par conséquent, la Banque Centrale Européenne peut légitimement s'interroger sur d'éventuelles tensions inflationnistes si la croissance des pays de la zone euro atteint, voire dépasse leur croissance potentielle (les prévisions pour 2007 et 2008 font Etat d'un taux de croissance respectivement de 2,1 % et 2,2 %). Pourtant, certaines révisions à la hausse concernant l'évolution de la population active en France, en Italie et en Espagne et la probable sous-évaluation de l'évolution de la productivité en Allemagne invitent à une réévaluation de la croissance potentielle des pays de la zone euro. Si cette hypothèse était confirmée, les craintes de tensions inflationnistes s'éloigneraient, remettant un peu plus en cause « la poursuite de l'ajustement de l'orientation accommodante de la politique monétaire » avancée par la Banque Centrale Européenne.
Enfin, la Banque Centrale Européenne juge la hausse de l'IPCH élevée parce qu'il s'élèvera pour 2006 et 2007 à un niveau « supérieur » à 2 % . D'une part, il faut relativiser le dépassement de la cible. Pour 2006, l'IPCH annuel s'élève en octobre 2006 à 1,6% et il n'est donc pas du tout évident que d'ici la fin de l'année, il accélère de telle manière qu'il soit supérieur à 2 %. En ce qui concerne 2007, les prévisions tablent sur un IPCH à 2,1 %, ce qui ne constitue qu'un dépassement mineur. D'autre part, l'opportunité même d'une cible si rigoureusement intangible peut être abondamment discutée. Ni la Banque d'Angleterre ni la FED américaine ne procèdent ainsi.
Enfin, l'argument de la croissance de la masse monétaire doit être considérablement relativisé . Sa forte évolution n'a dans le passé entraîné aucun dérapage des prix. De fait, elle traduit non pas un emballement de la demande générale mais, pour l'essentiel, un appétit des ménages en Europe pour le logement. Hors crédits à l'habitat, la croissance de M3 apparaît modérée. Sur le plan juridique il n'appartient pas à la BCE de surveiller les prix des actifs, en particulier ceux des logements. Sur un plan plus économique, on peut rappeler que la situation actuelle du marché de l'immobilier est consécutive au « credit crunch » et à l'éclatement d'une bulle immobilière au début des années 1990. Elle témoigne ainsi largement d'un phénomène de rattrapage. Surtout, la perspective crédible d' un atterrissage en douceur devrait freiner la progression de M3 sans qu'une intervention de la BCE ne s'impose .
* 16 Banque Centrale Européenne : Bulletin mensuel, novembre 2006, page 6
* 17 Ce chiffre est notamment avancé dans les études sur les pays de la zone euro de l'OCDE