b) Le français, un élément identitaire fort, constitutif de la culture d'entreprise
En dépit de tous les phénomènes objectifs de globalisation et de la banalisation, dans le langage courant comme dans certains vocabulaires spécialisés, des expressions et terminologies d'origine anglo-saxonne, la langue, pour tout pays, reste bien sûr une composante capitale de l'identité nationale. C'est peut-être plus particulièrement encore le cas pour la France , dont de nombreuses incarnations symboliques (l'Académie française, notre patrimoine littéraire, le baccalauréat...) apparaissent comme puissamment liées à l'emploi et à la défense du français.
En l'occurrence, ce qui est vrai pour la société dans son ensemble l'est également au sein des entreprises. Plusieurs décideurs auditionnés par la mission commune d'information ont souligné leur attachement au maintien du français en tant que langue « officielle », voire langue de travail, de l'entreprise qu'ils dirigent. Ainsi, M. Jean-Cyril Spinetta, président-directeur général d'Air France-KLM 373 ( * ) , a rapporté comment il avait imposé le français comme langue du groupe, contre le souhait du président de KLM, qui préconisait que l'anglais soit retenu : « Je lui ai répondu par la négative, et j'ai indiqué que la langue de l'entreprise serait le français. L'anglais est notre langue de travail, tandis que le français est la langue officielle . Les conseils d'administration se tiennent en français, même si chacun parle sa propre langue. Les documents qui font foi juridiquement sont ceux en français. En revanche, les réunions de travail se font en anglais, qui est par ailleurs la langue de travail du secteur aérien depuis 1946. » De même, M. Jean-François Dehecq, président du conseil d'administration de Sanofi-Aventis 374 ( * ) , a expliqué qu'il avait « rétabli le français » dans son groupe : « On fait nos comités européens en 14 langues, avec traduction simultanée, et cela fonctionne très bien. Cela coûte cher mais chacun parle sa langue » ! Ce témoignage recoupe l'analyse que présentait la DGLFLF en 2004 375 ( * ) : « l'usage du français prédomine en France dans les relations de travail internes ; les conseils d'administration et les comités centraux d'entreprise se tiennent dans notre langue ».
M. Jean-François Dehecq a fortement relié la politique linguistique de Sanofi-Aventis à une culture d'entreprise « bâtie sur le respect des autres ». De fait, la langue apparaît bien comme faisant partie intégrante de l'identité des entreprises . « C'est probablement un élément essentiel », a déclaré M. Jean-Cyril Spinetta, précisant toutefois qu'il ne s'agissait pas du seul élément constitutif de la culture d'entreprise.
Pour M. Christian Streiff, président-directeur général du groupe PSA Peugeot-Citroën 376 ( * ) , la langue utilisée dans l'entreprise représente, en la matière, « un facteur absolument capital ». Dès lors que cette langue n'est pas l'anglais, en effet, il n'est guère douteux qu'elle revête une importance identitaire toute particulière. Dans ce cas, d'ailleurs, elle contribue à éclairer la nationalité réelle de l'entreprise, au-delà du statut juridique de cette dernière 377 ( * ) : elle est le signe d'un ancrage national plus marqué que dans les entreprises qui, bien que dépourvues de racines anglo-saxonnes, ont néanmoins fait de l'anglais la règle de leurs échanges. Partant, compte tenu de l'attachement d'ordre culturel qu'elle entretient, on peut penser qu'elle constitue un vecteur non marginal de comportements « économiquement patriotes », même si les opinions restent partagées sur ce point 378 ( * ) .
* 373 Audition du 14 février 2007.
* 374 Audition du 15 mars 2007.
* 375 Rapport au Parlement précité.
* 376 Audition du 8 février 2007.
* 377 Cf. supra , 1 ère partie.
* 378 Par exemple, pour M. Ernest-Antoine Seillière, président du conseil de surveillance de Wendel Investissement, auditionné par la mission commune d'information le 17 janvier 2007 : « Les caractéristiques propres à une nationalité s'observent dans la vie quotidienne : sa langue, ses habitudes ou la nature des contacts établis. Toutefois, ces éléments n'influent guère sur les décisions stratégiques de l'entreprise. Celles-ci sont commandées par l'obligation de l'entreprise de maximiser la rentabilité de ses investissements ».