LE VOLET SOCIAL : CHARGES SOCIALES ET DROIT DU TRAVAIL
Sous cette rubrique sociale, il est proposé d'évoquer, indépendamment de la question de la TVA sociale, deux types de mesures différentes mais relevant du droit social :
- d'une part, dans le prolongement de la mesure sur les résidents non domiciliés, il convient d'examiner les pistes pour alléger les charges sociales pesant sur les hauts salaires et qui, nonobstant leur caractère de contributions sociales, sont perçues comme un impôt par de nombreux cadres de haut niveau. Ceux-ci ne voient pas, surtout lorsqu'ils sont étrangers et ne résident en France que pour un relativement bref laps de temps, l'avantage de type mutualiste, qui est la contrepartie de leurs « cotisations » ;
- d'autre part, il faut continuer à promouvoir l'actionnariat salarié comme force de dissuasion et stabilisateur à long terme de l'actionnariat des groupes cotés.
1. Des pistes pour alléger les cotisations sur les hauts revenus sans mettre en cause l'économie sociale de marché
Les modalités du prélèvement social peuvent avoir des effets plus ou moins incitatifs ou dissuasifs sur la localisation en France des centres de décision économique. On examinera de ce point de vue la problématique générale du prélèvement et un cas particulier intéressant spécifiquement l'encadrement employé dans les centres de décision.
a) Le mode de financement de la sécurité sociale
Le rapport sur les prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances pour 2007 relève, parmi les défis que doit affronter aujourd'hui le financement de la protection sociale, la mondialisation, « qui exerce une pression à la baisse des prélèvements, particulièrement sur les facteurs de production les plus mobiles - capital et travail qualifié [...] ». Il est de fait que le régime social du travail qualifié, qui n'est pas sans incidence sur l'attractivité du territoire français pour les centres de décision économique, connaît en France depuis quelques décennies un certain durcissement.
Le financement de la sécurité sociale, construit à l'origine selon des modalités qui assuraient la dégressivité des cotisations par rapport aux salaires - le système combinait des cotisations plafonnées, des prestations plafonnées et la possibilité pour les cadres de souscrire à des régimes complémentaires- a profondément évolué depuis vingt-cinq ans dans un sens différent.
Le premier facteur d'évolution a été la substitution progressive d'une logique de prélèvement proportionnel au modèle initial de prélèvement dégressif. La pression du besoin de financement de la sécurité sociale et l'argument du caractère anti-redistributif du système ont justifié cette évolution lancée à partir de 1967 par le déplafonnement des cotisations et poursuivie en 1991 par la création d'une contribution sociale généralisée (CSG) assise sur les revenus d'activité, de remplacement, du patrimoine et sur les produits de placements.
Réduire le coût du travail par la TVA sociale L'instauration d'une « TVA sociale » permettrait de réduire les cotisations sociales pesant sur les salaires , de manière à réduire l'écart entre le salaire brut total payé par les entreprises et le salaire net perçu par les salariés. Cette mesure serait financée par une augmentation à due concurrence de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Diagramme simplifié du mécanisme de la TVA sociale |
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Le choix de la TVA, payée par les entreprises étrangères vendant en France et pas par les entreprises françaises qui exportent, aurait pour avantage de contribuer à rendre l'économie française plus compétitive, en taxant les produits plutôt que la production. D'autres Etats européens, comme le Danemark et, tout récemment, l'Allemagne, ont suivi cette démarche. Cette fiscalisation pourrait en particulier concerner les dépenses d'assurance maladie et de la branche famille. Le financement des régimes de retraite obligatoires doit en revanche rester à la charge de l'employeur et du futur retraité car il s'agit d'un salaire différé. De même, le risque d'accident du travail ne saurait être transféré à la collectivité nationale, la vigilance et la responsabilité devant incomber à l'entreprise et à ses collaborateurs. Pour des raisons identiques, le risque chômage doit lui aussi rester à la charge des employeurs et des salariés et être géré par les partenaires sociaux. Cette réforme est depuis longtemps préconisée par le président de votre commission des finances, notre collègue Jean Arthuis, et par le président de la mission commune d'information. A leur initiative, la commission des finances a d'ailleurs organisé, le 14 mars 2007, deux tables rondes ouvertes à l'ensemble des sénateurs, à la presse et au public, rassemblant, à dessein, des intervenants d'horizons très divers. La première table ronde a porté sur la « TVA sociale » comme alternative au mode de financement de la sécurité sociale. La seconde a traité de l'impact de la TVA sociale sur l'économie et l'emploi en France. Les débats tenus à cette occasion sont reproduits dans un rapport d'information récemment publié 419 ( * ) . Idéalement, il s'agirait de fiscaliser l'ensemble des branches famille et maladie, dans le cas des salariés du secteur privé. Une telle réforme impliquerait d'augmenter de 5 points le taux normal et le taux réduit de TVA et de compléter ces recettes grâce à, notamment, la suppression de « niches » fiscales et sociales. |
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La seconde cause d'évolution a été la création d'allègements de cotisations sur les bas salaires. Cette politique a été inspirée par le souci de ne pas pénaliser l'emploi et la croissance, un système de prélèvements sociaux assis principalement sur le facteur travail étant jugé défavorable à l'emploi des personnes les moins qualifiées. On ne peut que constater son caractère désormais permanent et massif. Rappelons que les premières mesures d'exonérations ont été, à la fin des années 1970, centrées sur les jeunes, puis sur les chômeurs créateurs d'entreprises, les chômeurs de longue durée, les salariés à temps partiel. Ces exonérations ciblées représentaient 5,9 milliards d'euros en 2006. A partir de 1993, une politique plus générale d'exonérations de cotisations sur les bas salaires s'est imposée comme outil essentiel de la politique de l'emploi. C'est ainsi que la loi du 17 juillet 1993 a instauré un allègement de cotisations patronales pour l'ensemble des salariés proches du SMIC. A partir de 1998, la politique d'exonération a accompagné la réduction du temps de travail. Enfin, la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et à l'emploi a instauré une réduction générale des cotisations patronales de sécurité sociale dont le taux maximum (26 % de la rémunération) est atteint au niveau du SMIC horaire, le niveau de la réduction diminuant ensuite jusqu'à 1,6 SMIC horaire. En 2006, le coût de ces exonérations générales a été estimé à 19,1 milliards d'euros.
Peut-on parler dans ce domaine d'un arbitrage en faveur de la politique de l'emploi au détriment de l'attractivité du territoire français pour les centres de décision ? Se tenir à cette alternative serait ignorer une autre dimension essentielle du dossier : si les études empiriques on démontré l'impact positif de la diminution du coût relatif du travail peu qualifié sur l'emploi, les conséquences des exonérations sur la compétitivité de l'économie française restent contestées.
Auditionné récemment au Sénat, M. André Gauron, conseiller à la Cour des comptes, mentionnant un rapport sur les exonérations de charges sociales remis par la Cour à la Commission des finances de l'Assemblée nationale, s'est appuyé sur l'exemple du secteur textile pour mettre en perspective la pertinence stratégique des exonérations : « ce secteur s'est battu pendant des années pour obtenir des exonérations de charges afin d'essayer de résister aux délocalisations. Parallèlement, les Allemands ont fait le choix de développer un secteur du textile dit technique. Ils ont su changer de métier. Les textiles techniques connaissent un véritable développement de leur marché, en particulier dans l'habillement sportif. Les Français ont compris tardivement que leur industrie textile était détruite par la concurrence européenne et non asiatique.
« Les industries textiles françaises ont décidé d'opérer une mutation technologique en formant les salariés à de nouveaux métiers, à de nouvelles compétences. Des accords signés à l'automne dernier actent le fait qu'au lieu de réclamer des exonérations de charges vaines pour tenter de concurrencer les bas salaires des pays d'Europe de l'Est, du sud de la Méditerranée et du sud est asiatique, les aides accordées portent sur le financement de la formation technologique.
« Dans une société de la connaissance, nous devons fixer comme objectif la valorisation des compétences en qualifiant les salariés, tout en gérant la transition des salariés peu qualifiés vers ce nouveau marché du travail. Ce choix est fondamentalement différent d'une politique de défense des emplois peu qualifiés. Or la France a pendant des années englouti des sommes considérables pour maintenir des emplois non qualifiés, avec la complicité d'économistes qui continuent à vanter les mérites de l'exonération de charges sociales comme étant le summum de la politique de l'emploi. »
La politique d'appui aux secteurs en déclin est ainsi assez vigoureusement contestée tant dans son principe que dans ses modalités, en particulier les exonérations de cotisations sociales.
Or cette politique a introduit dans le mode de financement de la sécurité sociale de notables éléments de progressivité, a priori peu favorables au travail très qualifié et donc à l'attractivité du territoire français pour les centres de décision économique.
Si les incidences de cette évolution sur l'emploi des cadres dirigeants ne sont pas nécessairement décisives, elles s'en présentent pas moins comme un signal défavorable adressé aux états-majors des grandes entreprises mondialisées.
Aussi conviendrait-il d'envisager sérieusement la possibilité de revenir en matière de prélèvements sociaux à une proportionnalité propice à l'installation des centres de décision tout en étant respectueuse de notre modèle social, dans la mesure où la progressivité ne peut pas être considérée comme un principe fondateur de la sécurité sociale.
Quelle pourrait être l'économie d'un système ainsi rééquilibré ? Dans son rapport présenté le 21 juin 2006 pour le débat d'orientation sur les finances publiques, le président de la mission commune d'information en sa qualité de rapporteur général de la commission des finances du Sénat, estimait, dans cet ordre d'idées, nécessaire de réfléchir à une modulation des prestations selon le revenu et la situation de fortune de l'assuré social : « il n'est pas certain que le remboursement des médicaments et des soins doive demeurer identique quels que soient les moyens du bénéficiaire », notait-il en estimant inéluctable une remise en cause de ce principe. « Il reste , précisait-il, à définir des seuils raisonnables et à garantir aux classes moyennes et supérieures un système de financement des régimes sociaux qui ne les pénalise pas une nouvelle fois. » C'est pourquoi il se déclarait « attaché au maintien de la proportionnalité (et à la déductibilité) de la contribution sociale généralisée, laquelle a vocation à fusionner avec l'actuel impôt sur le revenu, appelé à devenir la part progressive d'un nouvel impôt, plus large et plus simple, sur la personne et le foyer fiscal » . « Sur le plan technique , concluait-il, c'est sans doute par une modulation des tickets modérateurs (ou du reste à charge), selon les catégories de revenus, que cette évolution sera la plus acceptable. »
La problématique n'a guère évolué mais l'idée poursuit son chemin. En réponse à une question du président de la mission d'information sur l'intérêt de mettre en place un système de financement des régimes sociaux « par des prélèvements proportionnels, avec comme contrepartie une variation des prestations des dépenses sociales en fonction des variations de revenus et de patrimoine des bénéficiaires », M. Jean-Philippe Cotis, économiste en chef du département des affaires économiques de l'OCDE, a effectué le constat suivant : « les prélèvements sociaux sont effectivement très progressifs et le risque de maladie est déconnecté du paiement. La dépense pourrait être plus redistributive. Cela ferait sens en interne, ainsi qu'en termes d'attractivité des territoires. »
Une difficulté d'application de la
législation sociale :
M. Christophe de Margerie, directeur général du Groupe TOTAL a signalé, lors de son audition du 25 avril 2007, une difficulté liée à l'application de la législation sociale, que la mission n'a pas pu expertiser sur le fond mais pour laquelle elle souhaite qu'un arrangement acceptable soit trouvé rapidement : « Nous recrutons 4.000 salariés par an dans le domaine pétrolier. 27°% de ces 4.000 nouveaux collaborateurs sont des citoyens français. A ce propos, je souhaite dire un mot des difficultés que nous avons rencontrées avec la Sécurité sociale française s'agissant du statut des salariés étrangers en mobilité internationale « impatriés » en France. « Vous le savez, depuis près de vingt ans, ils ont la possibilité de ne pas cotiser au régime français, mais de disposer de contrats de droit suisse, au travers de la filiale de Total qui y assure leur couverture sociale et leur régime de retraite par capitalisation. Il nous a récemment été notifié, par les organismes de sécurité sociale, la remise en cause de ce dispositif qui vise, pourtant, plus de mille salariés et leurs ayants-droit, dont certains sont demeurés dans leur pays d'origine, parmi lesquels 400 travaillent en France, alors que, dans le même temps, environ 23400 expatriés français du groupe continuent de cotiser auprès des organismes français de Sécurité sociale. » |
* 419 Jean Arthuis, « TVA sociale : comment redonner de la compétitivité à l'économie française », rapport n° 238 (2006-2007).