Travaux de la commission :
examen par la mission commune d'information
Débat d'orientation du 16 mai 2007
Réunie le mercredi 16 mai 2007 sous la présidence de M. Philippe Marini, président , la mission commune d'information a procédé à un débat sur les orientations générales du rapport .
En préambule, M. Philippe Marini, président , a fait le point sur les travaux de la mission, en rendant compte des 23 auditions en formation plénière, dont près de la moitié concerne des présidents-directeurs généraux d'entreprises cotées au CAC 40 , ainsi que des 24 auditions intervenues en comité restreint, néanmoins ouvertes à tous les membres de la mission. Il s'est félicité, à cette occasion, d'une part, de la grande diversité des catégories des personnes auditionnées ainsi que, d'autre part, de la participation des membres du bureau de la mission, et plus particulièrement de Mme Nicole Bricq, à l'élaboration du programme des auditions.
M. Philippe Marini, président , a ensuite mentionné les voyages d'information à l'étranger, qui ont permis notamment de percevoir la problématique de la question des centres de décision économique en Finlande, en Suède, au Danemark et aux Pays-Bas. Il a poursuivi ce bilan en soulignant l'apport des déplacements en régions, qui ont notamment enrichi la réflexion de la mission par la visite, à Marseille, de la troisième compagnie mondiale de transports par containers, ainsi que d'entreprises de hautes technologies au centre de Crolles, à Grenoble et à Strasbourg.
Evoquant les deux études commandées à la société Ernst & Young, portant respectivement, d'une part, sur l'actionnariat des sociétés cotées au SBF 120 et, d'autre part, sur l'analyse des principaux pôles de décision mondiaux des 2.000 premières entreprises mondiales, M. Philippe Marini, président , a conclu cette présentation par une proposition de calendrier : adoption du rapport par la mission, le mercredi 20 juin 2007 et présentation du rapport à la presse, le mercredi 27 juin 2007.
Souhaitant faire réagir les membres de la mission aussi bien sur le constat que sur les axes d'analyse et les sphères d'intervention possibles, M. Christian Gaudin, rapporteur , a d'abord évoqué les deux concepts structurants ayant guidé les réflexions de la mission, celui de « guerre économique » et celui de l'entreprise comme « être biologique », avec ses centres nerveux.
S'agissant du premier concept, M. Christian Gaudin, rapporteur , a souligné la pertinence de la notion de « guerre économique », dès lors qu'elle ne conduit pas à un repli protectionniste. Evoquant la formule du maréchal de Lattre, « ne pas subir », il a indiqué qu'il était essentiel de chercher des moyens de nature à garantir la préservation de centres de décision à racines nationales, plutôt que de s'efforcer de maintenir, à toute force, des outils de production.
En ce qui concerne le second concept, de nature biologique, M. Christian Gaudin, rapporteur , a relevé l'idée que, d'une part, l'économie, tel un être vivant, devait s'adapter à son milieu ambiant. D'autre part, évoquant les propos de MM. Peyrelevade et Roverato, sur l'existence de cerveaux, primaires et secondaires, d'une entreprise, il en a déduit que la localisation de tels « cerveaux » déterminait, in fine , la décision stratégique de l'entreprise et, à long terme, l'emploi.
Abordant, ensuite, les premières orientations du rapport, M. Christian Gaudin, rapporteur , a rappelé les trois points qui avaient guidé la réflexion de la mission :
1°) l'enjeu stratégique de la localisation des centres de décision économique et de la nationalité des organes dirigeants des entreprises dans la nouvelle division internationale du travail ;
2°) le diagnostic des forces et faiblesses de la France face aux nouvelles règles du jeu économique ;
3°) les différents niveaux d'intervention aux fins de préserver et développer les centres de décision à racines françaises.
S'agissant en premier lieu du caractère stratégique de la notion de centres de décision économique et de son rôle dans le potentiel de développement des territoires, M. Christian Gaudin, rapporteur , a mis l'accent sur deux points majeurs. Tout d'abord, il a confirmé l'existence d'une nouvelle logique globale, à l'échelle mondiale, caractérisée par la rationalisation de l'organisation de la production, la standardisation des méthodes de management et la financiarisation de l'économie. Il a néanmoins remarqué que, paradoxalement, une telle évolution ne faisait pas obstacle au poids des préférences individuelles et à la place grandissante de la culture d'entreprise. Il a ensuite montré que le concept de nationalité d'entreprise devait être défini à partir d'un faisceau d'indices.
Puis M. Christian Gaudin, rapporteur , a insisté sur les dynamiques vertueuses que révèlent tant les réussites d'entreprises comme Sanofi-Aventis que les succès nationaux des pays nordiques qui, après une crise profonde, ont su trouver l'énergie de rebondir pour conserver leur modèle. Compte tenu du caractère stratégique des centres de décision, il a estimé que les zones périphériques éloignées du centre décisionnel de l'entreprise constituaient naturellement des variables d'ajustement des plans de restructuration, mais que la perte d'autonomie, voire la disparition d'un centre de décision, comportait un risque de paupérisation des territoires.
Quant au diagnostic de la situation de la France en matière de maintien et de développement des centres de décision, M. Christian Gaudin, rapporteur , a regretté la persistance d'obstacles, bien connus, à l'attractivité du territoire ainsi que celle de déficiences structurelles, telles que le mauvais fonctionnement du marché du travail, le manque de moyens des universités ainsi que le manque de lisibilité du droit. Evaluant, néanmoins, de telles faiblesses à l'aune d'atouts réels, il s'est félicité du nombre important d'entreprises globales basées en France, comme en témoigne le ratio de 0,7 entreprise du top 1000 par million d'habitants en France, contre 0,4 seulement pour l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Cependant, M. Christian Gaudin, rapporteur , a immédiatement nuancé son propos en déplorant l'absence de « jeunes pousses » susceptibles de prendre la relève.
S'agissant des pistes d'action tendant au maintien des centres de décision économique, M. Christian Gaudin, rapporteur , a mis l'accent sur la nécessité de ne pas céder à la tentation protectionniste, mais au contraire de favoriser la rentabilité des entreprises et la compétitivité des territoires.
Abordant les trois niveaux d'intervention que constituent les mesures juridiques de préservation des centres de décision existants, les pistes de renforcement des structures économiques, ainsi que les mesures de compétitivité ciblées, M. Christian Gaudin, rapporteur , a exposé, tout d'abord, les mesures relatives, d'une part, au droit des sociétés telles que l'extension de l'usage des actions à droit de vote multiple ou la consécration juridique de la notion de groupes de sociétés et, d'autre part, les mesures correspondant au droit du travail, telles que l'augmentation de la place de l'actionnariat salarié en tant que stabilisateur, le contrôle ainsi que le renforcement des droits des salariés selon le modèle hollandais. Il a également invité les membres de la mission à prendre position sur la réglementation issue du décret n° 2005-1739 du 30 décembre 2005 sur les secteurs sensibles, ainsi que sur l'intérêt éventuel d'une législation « Exon-Florio » au niveau européen tendant à prévoir une autorisation gouvernementale pour les acquisitions de sociétés préservant un caractère stratégique. Au titre de ce volet juridique, M. Christian Gaudin, rapporteur , a enfin évoqué la réglementation anti-corruption de l'OCDE pour estimer qu'il fallait en obtenir une application homogène afin de ne pas handicaper les industries françaises par une application plus stricte que celle de nos concurrents.
S'agissant des mesures de consolidation des structures économiques, M. Christian Gaudin, rapporteur , a développé quatre pistes d'intervention. Concernant l'épargne à long terme, il a jugé que le suivi plus étroit des directives financières et notamment de « Solvency II » était nécessaire pour éviter qu'elles ne défavorisent l'épargne retraite. Estimant que la poursuite de l'allègement des charges pesant sur les entreprises constituait le deuxième champ d'action nécessaire au maintien des centres de décision, il a proposé d'abaisser le taux facial de l'impôt sur les sociétés et d'en harmoniser l'assiette, d'étendre la diffusion du régime du bénéfice mondial consolidé, de renforcer l'attractivité du régime d'intégration fiscale, ainsi que de mettre en oeuvre la TVA sociale.
M. Christian Gaudin, rapporteur , a également considéré qu'il convenait de renforcer la « résilience » du tissu économique national dans une triple direction : développement de la culture d'entreprise, promotion d'écosystèmes susceptibles de s'auto-renforcer et, enfin, encouragement de l'actionnariat de type familial, comme moyen de stabiliser le capital.
Evoquant, en dernier lieu parmi les mesures de consolidation, la constitution de champions européens ayant une taille critique au niveau mondial, il a souhaité que s'opèrent, à ce titre, des rapprochements au niveau européen afin de diminuer les risques « d'opéabilité » et que soit corrélativement modifiée la politique de la concurrence de la Commission européenne. Il a ensuite fait observer que la lutte, au niveau européen, contre la fragmentation des marchés, par priorité dans le domaine de la défense, ainsi que l'adoption de standards techniques communs en matière de télécommunication, devaient constituer des objectifs essentiels d'une politique tendant à préserver, développer et multiplier les centres de décision économique.
Puis M. Christian Gaudin, rapporteur , a présenté le dernier et troisième axe d'intervention, qui tend à prendre de manière ciblée des mesures favorables aux centres de décision secondaires et à l'accroissement de la productivité.
S'agissant des mesures en faveur des centres de décision secondaires, M. Christian Gaudin, rapporteur , a proposé d'attirer les quartiers généraux ainsi que les talents de niveau mondial par la mise en place d'un régime de résidents fiscaux temporaires sur le modèle britannique. Il s'est également déclaré favorable à une réorientation plus nette de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) vers un travail de « bench-marking » spécifique en matière de centres de décision au sens large.
Quant à l'augmentation de la productivité, M. Christian Gaudin, rapporteur , a déclaré que les mesures nécessaires impliquaient soit la reconfiguration des processus de production, la rationalisation des sites, ou le rapprochement avec les clients, soit la concentration sur des activités à plus forte valeur ajoutée. A ce titre, il a abordé le développement des synergies autour des pôles de compétitivité et de l'université, l'aménagement du droit des brevets et l'encouragement de l'investissement dans les jeunes entreprises.
Pour conclure, M. Christian Gaudin, rapporteur , a estimé que la version finale du rapport devrait comporter près d'une trentaine de propositions.
A l'issue de cette intervention, M. Philippe Marini, président , rappelant les faits saillants exposés par M. Christian Gaudin, rapporteur , a invité les membres de la mission à débattre des orientations ainsi proposées.
En réponse aux interrogations de Mme Nicole Bricq et de M. Aymeri de Montesquiou , M. Philippe Marini, président , a tenu à les rassurer sur le fait que le rapport serait aussi concret que possible.
Félicitant M. Christian Gaudin, rapporteur, pour le travail accompli, Mme Nicole Bricq a souhaité revenir sur les trois axes majeurs d'orientation du rapport, tout en soulignant l'importance du cadre européen dans la résolution des problèmes ainsi soulevés. Convenant que la première partie du rapport répondait à la question sur la nature stratégique des centres de décision, elle a souhaité que soit mise en exergue la nature particulièrement complexe du concept de nationalité d'entreprise et la nécessité de raisonner à partir d'un faisceau d'indices. S'agissant de la création de « champions nationaux », elle a ensuite déploré que les synergies entre compétences et capital ne soient pas suffisamment favorisées en France.
Abordant le troisième point relatif à l'intervention de la puissance publique, Mme Nicole Bricq a jugé qu'une attention particulière devait être portée à l'« Etat-stratège ». Elle a complété son propos en évoquant le patriotisme économique, relevant à cet égard les diverses opinions, tant favorables que réservées, des personnes auditionnées. Elle a également critiqué le recours au concept de rentabilité comme moyen de défense des centres de décision, lui préférant celui de performance.
En réponse à l'interrogation de Mme Nicole Bricq sur le patriotisme économique, M. Philippe Marini, président , a défini celui-ci comme une politique d'attractivité du territoire tendant à préserver, multiplier et développer les centres de décision. Il en a conclu que ces trois dimensions ne participaient aucunement à une démarche protectionniste. Attirant l'attention, à ce titre, sur la notion de réciprocité, il a complété son propos par la nécessaire prise en compte du cadre communautaire. Il a alors défendu l'idée, d'une part, de faire progresser certains concepts tels que le marché pertinent et, d'autre part, de résoudre certaines questions juridiques et fiscales telles que le nécessaire assouplissement du principe « une action, une voix ».
Rejoignant à cet égard l'analyse de Mme Nicole Bricq sur la question des « champions nationaux » ainsi que sur la nécessité d'optimisation des structures en vigueur , Mme Marie-Thérèse Hermange a considéré que la politique de recherche était un vecteur efficace de la croissance économique. S'agissant des secteurs sensibles, elle a ajouté qu'il importait de se positionner sur les domaines d'avant-garde, tels que l'écologie.
Puis M. Aymeri de Montesquiou se déclarant favorable aux propositions de M. Christian Gaudin, rapporteur, a néanmoins insisté sur le nécessaire aspect empirique et concret du rapport, tant dans son volet « diagnostic », en affinant l'étude d'Ernst & Young en fonction des différents secteurs, que dans son volet « préconisations ». Il s'est également interrogé sur la pertinence du cadre que constitue l'Organisation mondiale du commerce, en vue de relever les distorsions de concurrence qui existent au sein de l'OCDE. Enfin, il n'a pas caché ses appréhensions, d'une part, face à l'attractivité de la Grande-Bretagne en matière des sièges sociaux et, d'autre part, face à la multiplication des offres publiques d'achat non sollicitées.
M. François Marc prend appui sur les concepts de Providence, de résistance et de résilience utilisés par le rapporteur dans son exposé et souligne la complexité des sujets abordés. S'agissant de Providence, il évoque la nécessité de veiller à offrir aux entreprises un ensemble de facteurs favorables à leur épanouissement et se réfère à la théorie de Michael Porter sur « la compétitivité des nations ». Concernant la résistance, il a fait valoir toute l'importance de s'opposer efficacement aux offres publiques d'achat sur la base d'une gouvernance d'entreprise mieux équilibrée et davantage ouverte aux salariés. S'agissant de la résilience, M. François Marc s'est également interrogé sur les « effets cliquet » qu'il faut savoir créer afin d'aider nos entreprises à préserver les avancées qu'elles ont concrétisées sur notre territoire, pour évoquer, notamment, les protections juridiques sur les brevets ou sur les savoir-faire où la France a, ces dernières années, connues des pillages regrettables.
En réponse à ces différentes interventions, M. Christian Gaudin, rapporteur , a insisté sur le caractère provisoire de l'architecture proposée et a réaffirmé que toute proposition serait examinée en vue de sa prise en compte dans la version finale. Il s'est déclaré satisfait de la formation d'un certain consensus sur un grand nombre de points.
Dans une perspective de synthèse , M. Philippe Marini, président , a réaffirmé sa volonté d'éviter que le rapport n'ait un caractère trop abstrait et fait le point sur le contenu des définitions, du diagnostic et des préconisations ayant alimenté la réflexion des membres de la mission.
Répondant ensuite à l'inquiétude de Mme Nicole Bricq sur le poids du marché dans les considérations d'implantation des centres de décision, ainsi que sur les fragilités structurelles de la France, M. Philippe Marini, président , a procédé à une analyse comparative de la situation de notre pays.
Puis M. Philippe Marini, président, a développé, à la demande de Mme Nicole Bricq, certains aspects des mesures d'action relatives notamment au droit de l'actionnariat, à la réglementation « Solvency II » ou bien encore au régime des étrangers travaillant dans les quartiers généraux. En réponse aux craintes émises par M. François Marc, au regard de l'application parfois plus laxiste de la réglementation anti-corruption, il a considéré que la réglementation française, jugée plus vertueuse que d'autres, ne devait pas conduire à une auto-pénalisation.
Se félicitant de la participation des intervenants au débat d'orientation générale, M. Philippe Marini, président, s'est déclaré confiant dans la possibilité de dégager un consensus sur les éléments de la problématique, invitant chaque membre à faire connaître ses observations sur les différentes préconisations du rapport.