3. Des éléments d'explication : insécurité juridique et complexité du droit, prégnance d'une mentalité peu favorable au marché
Votre rapporteur a auditionné M. Philippe Favre, président de l'AFII, le 9 mai 2007, afin d'obtenir des précisions quant à la hiérarchisation des critères de décision de localisation des quartiers généraux et la position de Paris et de la France au regard desdits critères.
Pour ce qui concerne les atouts de notre pays, M. Philippe Favre a rejoint nombre d'intervenants entendus par la mission commune d'information, à savoir la bonne profondeur du marché français, la qualité et la productivité de la main d'oeuvre, très importante pour ce qui concerne les quartiers généraux, ainsi que le très bon niveau des infrastructures.
En revanche, son expérience à la tête de l'AFII l'a conduit à distinguer 4 facteurs de handicap principaux pour ce qui concerne les centres de décision économique :
- en premier lieu, l'imprévisibilité des coûts de sortie des investissements , plus encore que leur lourdeur. La très grande latitude accordée au juge en la matière peut, selon M. Philippe Favre, faire varier le coût d'une sortie du simple au quadruple, ce qui est excessif, d'autant que les investisseurs détestent l'aléa ;
- ensuite, la lourdeur administrative, notamment en matière douanière et de visas ;
L'installation des dirigeants étrangers en France Rappel de la réglementation Les entreprises étrangères établies en France envoient fréquemment des collaborateurs, dans notre pays, à partir de leurs établissements existants à l'étranger. On qualifie cette immigration d'« économique ». Les démarches administratives des personnes concernées ont été fortement simplifiées ces dernières années ; la loi « Intégration et immigration » du 24 juillet 2006, dont les décrets d'application sont en cours de publication, est le dernier élément en date de cette tendance de fond. Cependant, la matière reste complexe, dans la mesure où la situation juridique des salariés étrangers est différente selon les caractéristiques de leur expatriation . En effet, en fonction de l'activité exercée en France (commerçant ou salarié), l'administration compétente pour l'instruction du dossier n'est pas la même. En outre, s'agissant du statut de salarié, l'administration compétente diffère selon l'employeur (filiale française ou société mère) et le niveau de rémunération (plus ou moins 5.000 euros bruts mensuels). Il est important de noter que l'instruction des dossiers n'est pas inscrite dans un délai , à l'exception de la procédure spécifique aux cadres dirigeants, qui permet une venue en France en quatre semaines (ce délai reste toutefois théorique, bien qu'un effort ait été fait par les administrations concernées). Portée pratique a) La pluralité des administrations compétentes entraîne un risque de confusion pour le dépôt du dossier. En pratique, les principales catégories de personnes concernées par l'immigration économique ont l'obligation d'effectuer leurs premières démarches : - à l' ambassade du lieu de leur résidence habituelle pour les futurs commerçants résidents français ; - à l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations ( ANAEM ) pour les futurs salariés étrangers d'entreprises françaises faisant l'objet d'une mobilité intra-groupe et ayant une rémunération supérieure à 5.000 euros bruts ; - à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ( DDTEFP ) compétente pour les autres salariés et les détachés. b) La communication du dossier entre administrations est source d'allongement du délai d'instruction et, potentiellement, de décision contradictoire. Pour chaque catégorie de procédures, des transmissions de dossiers sont nécessaires entre préfecture ou DDTEFP, l'ANAEM (qui sollicite l'avis des services du ministère de l'intérieur) et l'ambassade (dossier transmis par valise diplomatique). Chaque administration conserve bien entendu la responsabilité exclusive des dossiers relevant de sa compétence, et elle n'est pas liée par l'avis des autres services. De la sorte, par exemple, un visa commerçant peut être délivré par l'ambassade après deux mois d'instruction (ce qui constituerait un délai assez bref) tandis que la préfecture, une fois l'étranger en France, peut lui refuser la délivrance du titre de séjour commerçant correspondant . Il convient d'observer que la création du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement, qui regroupe les différentes administrations concernées, paraît de nature à faciliter, dans l'avenir, la création d'un guichet unique. La question des délais d'instruction, toutefois, reste posée. Source : AFII |
- en troisième position, le droit du travail et les 35 heures , plus d'ailleurs du fait de l'image qu'elles donnent de la France à l'étranger que de leur réalité. M. Philippe Favre a souligné que plusieurs entreprises lui avaient fait valoir que l'installation d'un quartier général ou d'un centre de recherche était difficilement compatible avec une durée légale du travail hebdomadaire de 35 heures ;
- enfin, le poids global de la fiscalité .
Parmi les facteurs annexes, M. Philippe Favre a également tenu à mettre en exergue la question de l'enseignement en langue étrangère , à laquelle sont sensibles de nombreux cadres internationaux, y voyant un facteur de handicap pour les villes françaises autres que Paris.
Enfin, il convient d'ajouter que plusieurs intervenants ont attiré l'attention de la mission commune d'information sur le problème que constituaient le « climat des affaires » et « l'état d'esprit » de notre pays à l'égard de la réussite financière, qui décourageraient les étrangers mais aussi certains Français. Ainsi, M. Henri de Castries, président du directoire d'AXA, a indiqué que « 35 % des promotions de grandes écoles partent à l'étranger, ce taux augmente tous les ans. [...] Une fois [que ces cadres] ont trois ou quatre ans d'expérience à l'étranger, ils ne veulent plus rentrer ; ils sont hostiles au retour dans un système dans lequel la réussite n'est pas valorisée et dans lequel la fiscalité est écrasante en comparaison de ce qu'ils ont constaté ailleurs, et où tout est beaucoup plus difficile, parce qu'il faut tout justifier, excuser. »
L'octroi des visas, une question aux enjeux multiples Evoqué par plusieurs des personnes auditionnées, le problème des visas est notamment apparu important aux yeux de M. Christophe de Margerie, directeur général du Groupe TOTAL, lors de son audition du 25 avril 2007 : « Il est donc, à ce sujet, un thème à propos duquel je souhaite vous entretenir : il concerne ce que nous appelons le « contexte local » : en France, l'on parle beaucoup des obligations vis-à-vis de notre nation, mais l'on oublie souvent le nécessaire respect que nous devons aux pays qui nous accueillent. Notre priorité n'est donc pas, à ce titre, d'installer à outrance des expatriés français dans les pays où nous sommes présents, d'autant plus que nous rencontrons de plus en plus de difficultés à les déplacer. De plus, il existe une réelle demande locale dont le groupe ne peut pas ne pas tenir compte. Cette demande locale vise à substituer à nos expatriés des citoyens des Etats où Total est implanté. Encore faut-il former ces personnes. De ce point de vue, le fait que nous puissions les former en France est une opportunité extraordinaire,. A ce propos, je ne puis que déplorer les grandes difficultés que nous avons, l'année dernière, rencontrées pour obtenir les visas pour des ingénieurs étrangers, notamment africains. Cela a créé un sentiment d'exaspération redoutable au sein de nos filiales. (...) Quoi qu'il en soit, ces problèmes ont scandalisé les autorités du pays concerné qui n'ont pas compris que la France pouvait, dans le même temps, imposer des expatriés et refuser à ses ressortissants le droit de se former en France, ce qui a donné une image absolument détestable |
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TROISIÈME PARTIE : POUR UNE FRANCE PLUS RÉACTIVE ET PLUS CONQUÉRANTE
La France est immergée dans l'économie de marché. Le temps de l'Etat omniprésent et omnipotent est révolu.
Pour autant, faut-il que l'Etat renonce à toute action autre que de fournisseur de services collectifs et d'amortisseur social ? Doit-il s'interdire, au nom de la toute puissance des marchés ou plutôt au vu de ses erreurs passées, de jouer un rôle actif ?
La mission commune d'information estime que l'Etat a non seulement le droit mais encore le devoir de prendre des initiatives . Bien que ses marges de manoeuvre soient réduites et largement indirectes, il conserve un rôle de régulateur tant juridique qu'économique, mais aussi d'investisseur institutionnel à long terme.