2. La force de la culture d'entreprise comme actif valorisable et garantie d'identité
Un complément majeur aux mesures défensives des entreprises contre l'éventuelle agression de candidats à leur rachat, et donc un réel élément de protection, au-delà de leurs performances économiques, réside dans la force de leur culture d'entreprise .
En premier lieu, en effet, on observera que les actionnaires soucieux d'investissements à moyen terme privilégieront nécessairement, outre la qualité du management et une stratégie claire, une culture d'entreprise qui assure la cohésion du projet et la motivation des équipes .
En deuxième lieu, il convient de préciser que cet actif immatériel, richesse authentique de l'entreprise quoique restant jusqu'ici « hors bilan », est aujourd'hui, malgré tout, en partie valorisable, en termes comptables, dans la mesure où les nouvelles normes internationales en la matière permettent de tenir compte de certains de ses éléments constitutifs ( voir l'encadré ci-après ). Dans ce cadre, en ce qui concerne les entreprises cotées, elle participe de la valorisation du titre.
En troisième lieu, il semble que la solidité d'une culture d'entreprise fonctionne aussi comme sauvegarde de l'identité des entreprises en cas de succès d'une opération lancée de manière hostile . M. Franck Riboud a clairement fait valoir ce point de vue devant la mission commune d'information 295 ( * ) : afin de limiter les risques d'OPA non sollicitées, selon lui, « il convient également de se reposer sur la culture du groupe, sa spécificité, son unicité, etc. [...]. Il est important d'être conscient que, si la culture d'une entreprise est très forte, elle est rarement détruite, même si l'entreprise est rachetée. [...] Si une entreprise prédatrice constate qu'au sein d'une entreprise qu'elle acquiert, même hostilement, prédominent une force, une compétence, une capacité, etc., cette dernière sera respectée . » Et c'est pourquoi, en somme, « avant de chercher à savoir si la culture française est respectée par une entreprise, il convient de s'intéresser au respect de la culture d'entreprise ».
En effet, la mission commune d'information observe que le rachat d'une entreprise par voie d'OPA agressive peut ne pas être en soi désastreux, dès lors qu'il émane d'un opérateur qui porte une stratégie industrielle de long terme, et se montre capable de valoriser le savoir-faire acquis par l'entreprise . A condition de ne pas conduire immédiatement au départ à l'étranger des fonctions stratégiques...
La valorisation comptable des actifs immatériels « Pour la comptabilité d'entreprise traditionnelle, la valeur patrimoniale de l'entreprise est reflétée dans le bilan sous la forme d'un stock de richesses accumulées depuis sa création selon deux représentations : l'actif ou la manière dont l'entreprise fait usage de ce qu'elle possède et le passif ou la manière dont cette richesse est ventilée entre les différentes parties prenantes de l'entreprise. Dans cette représentation, la valeur de l'entreprise est faite de solides et de liquides qui constituent la valeur « visible » de l'entreprise tandis que la valeur « invisible » et pourtant stratégique que constitue le capital immatériel est laissée dans le hors bilan. « Aussi, [...] il nous faut évaluer les actifs immatériels, cette richesse « gazeuse », difficile à représenter dans le bilan (malgré l'évolution des normes comptables) afin de pouvoir les manager. On ne peut en rester à une évaluation sous forme de résidu (inexpliqué), le goodwill , différence de valeur entre le prix d'achat d'une entreprise et sa valeur nette comptable. Il nous faut envisager la contrepartie du goodwill , celle qui ne figure pas au bilan de l'entreprise mais qui constitue cependant aujourd'hui l'essentiel de ses actifs. « Pour mesurer globalement cette sur-valeur, les marchés financiers nous sont d'une grande aide. En effet, de manière intuitive on peut dire que les marchés financiers valorisent cette face cachée de l'entreprise, et estiment le capital immatériel. Le Price to Book Ratio (PBR), qui mesure le rapport entre la valeur de marché des capitaux propres (la capitalisation boursière) et leur valeur nette comptable, en donne une estimation. C'est la capacité d'une entreprise à dégager du cash flow dans le futur qui explique que les investisseurs sont prêts à acheter plus cher une entreprise que sa valeur comptable. [...] De fait, les analystes financiers sentent actuellement l'urgence de mieux saisir ces actifs immatériels (et pas uniquement dans le cadre de rachats). Mieux valoriser ces actifs immatériels peut avoir de nombreux avantages pour les différentes parties prenantes de l'entreprise, pour les investisseurs et créanciers (d'autant plus quand le capital risque ne fonctionne pas aussi bien que dans certains pays), pour les employés mais aussi dans le cadre d'alliances et autres partenariats. « La difficulté première de l'évaluation des actifs immatériels est qu'ils ne respectent pas tous les caractéristiques de ce que la comptabilité considère comme pouvant être une dépense activée (identification, contrôle et bénéfices économiques futurs), ce qui fait que par nature certains actifs immatériels (surtout ceux qui touchent à la connaissance et aux relations) ne peuvent pas être immobilisés . Toutefois, suite aux évolutions des normes comptables internationales (IAS 38 et IFRS 3), une part plus importante des actifs immatériels est aujourd'hui intégrée au bilan. La norme IAS 38 prescrit en effet la comptabilisation de certaines dépenses en immobilisations incorporelles telles les dépenses de publicité, de formation, de démarrage d'activité, de recherche et développement, etc . Elle permet de les immobiliser comme actifs incorporels à condition que leurs avantages économiques aillent bien à l'entité concernée et que les coûts puissent être évalués de manière fiable. La norme IFRS 3 indique pour sa part que le goodwill doit figurer comme fonds commercial dans les comptes individuels ou comme écart d'acquisition pour les comptes consolidés . On peut donc estimer que les différentes réformes comptables permettent une meilleure évaluation des actifs immatériels laissant une survaleur inexpliquée résiduelle plus modeste. » Source : Groupe de recherche en économie et gestion des organisations (GEMO), ESDES, « Quelle place accorder aux actifs immatériels pour valoriser son entreprise ? », compte-rendu du petit déjeuner organisé en partenariat avec PricewaterhouseCoopers le 11 janvier 2007 |
Au reste, la qualité de la performance de l'entreprise joue, là encore, un rôle clé. On peut citer à nouveau ici M. Franck Riboud 296 ( * ) , qui, exposant le caractère déterminant des résultats d'une entreprise dans le respect qu'elle inspire au monde économique, a précisé que « la manière d'obtenir ces résultats est une autre question et c'est à ce niveau que la culture joue un rôle essentiel. Nous [Danone] sommes perçus comme une entreprise dont la culture est unique et assez décalée par rapport à celle de nos concurrents anglo-saxons. Cette culture est souvent mal comprise mais ils nous respectent grâce à la qualité de nos résultats . »
Symétriquement, nos entreprises doivent savoir accepter et respecter « l'autre », leurs partenaires étrangers . Il ne s'agit pas d'un précepte moral, mais bien d'un axe stratégique dans la prévention à l'encontre des risques de prises de contrôle forcées. Le témoignage présenté à la mission commune d'information par M. Jean-François Roverato, président-directeur général d'Eiffage, à l'automne 2006 297 ( * ) , révèle que cette orientation, le cas échéant, est payante : « face aux attaques de Sacyr, le réflexe de défense a été adopté tant par nos salariés allemands qu'espagnols. En effet, si ces derniers ont choisi de travailler avec nous c'est parce qu'ils pensaient, à juste tire, que nous respecterions davantage leur identité. »
* 295 Audition précitée du 31 janvier 2007.
* 296 Ibid .
* 297 Audition du 21 septembre 2006.