2. Le contrôle de la validité des actes de l'état civil étrangers

Le contrôle de la validité des actes de l'état civil étrangers occupe une part croissante de l'activité du tribunal de grande instance de Nantes, qu'il s'agisse du service civil du parquet ou de la première chambre civile.

Comme vos rapporteurs l'ont indiqué en introduction, les décisions étrangères rendues en matières d'état des personnes sont applicables de plein droit en France, sans exequatur , c'est-à-dire sans l'autorisation préalable d'un tribunal de grande instance, sauf lorsqu'elles doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes. Elles ne peuvent cependant être mentionnées en marge des actes de l'état civil français ou être transcrites sur les registres français qu'avec l'accord du procureur de la République .

Selon les principes dégagés par la Cour de cassation à propos de l' exequatur , le contrôle de la régularité de la décision étrangère qui est alors opéré porte sur plusieurs points : la compétence internationale de l'autorité étrangère doit être reconnue ; la décision étrangère doit être conforme à la conception française de l'ordre public international de fond et de procédure ; la décision ne doit pas résulter de la fraude ; elle doit revêtir un caractère exécutoire ; elle doit être conforme au système français de conflit de lois et ne pas entrer en contradiction avec une décision déjà efficace en France ou avec une procédure pendante en France.

En cas de refus du parquet , les demandeurs ont la possibilité de saisir le tribunal de grande instance ou son président , selon le type d'affaires, en rectification judiciaire d'un acte de l'état civil, en transcription d'un acte de l'état civil ou en opposabilité d'une décision étrangère.

Toutefois, en vertu du règlement dit de « Bruxelles II » (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, les décisions rendues en matière de divorce, de séparation de corps ou d'annulation du mariage dans des Etats de l'Union européenne doivent être mentionnées en marge des actes de l'état civil français sans contrôle préalable du parquet.

Enfin, il revient également au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes de prendre l'initiative de faire annuler par le tribunal de grande instance un acte ayant été dressé ou transcrit à tort sur les registres français .

Son contrôle porte tout particulièrement sur la validité des mariages, des divorces et des adoptions survenus à l'étranger.

• Le contrôle de la validité des mariages de Français célébrés à l'étranger devant une autorité étrangère

Environ 45.000 mariages de Français sont célébrés à l'étranger chaque année. Si nos compatriotes peuvent se marier devant un officier de l'état civil étranger, ils doivent toutefois respecter les conditions de fond prévues par la loi française.

La loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France a instauré un mécanisme de contrôle a posteriori de la validité des mariages contractés par des Français à l'étranger devant une autorité étrangère, lors de la demande de transcription du mariage sur les registres de l'état civil français ( article 170-1 du code civil ). Ce mécanisme, qui a été profondément modifié en 2006, reste applicable aux mariages célébrés avant le 1 er mars 2007 .

En cas d'indices sérieux de nullité du mariage, l'agent diplomatique ou consulaire doit surseoir à la transcription et en informer le ministère public. Depuis la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, il doit avoir procédé à l'audition préalable des époux. Depuis la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, l'audition peut être déléguée à un fonctionnaire titulaire et, lorsque l'un au moins des futurs époux ne réside pas dans le pays de célébration du mariage, être confiée à l'officier de l'état civil territorialement compétent.

Les conditions de fond posées par la loi française pour la validité du mariage ont été progressivement renforcées. Dans le but de lutter contre l'immigration clandestine, la loi du 24 août 1993 a exigé la comparution personnelle de l'époux français alors que plusieurs pays autorisent les mariages par procuration. La loi du 4 avril 2006 a quant à elle créé un dispositif spécifique de lutte contre les mariages forcés : en relevant, à l'initiative du Sénat, l'âge nubile des femmes de 15 à 18 ans ; en rappelant plus explicitement que les dispositifs de lutte contre les mariages simulés (audition des époux et futurs époux, sursis à la célébration ou à la transcription du mariage) ne visent pas uniquement les mariages de complaisance, mais aussi les mariages forcés ; en autorisant le ministère public à demander la nullité d'un mariage contracté sans le consentement libre des époux ; en considérant que l'exercice d'une contrainte sur les époux, y compris lorsqu'elle se traduit par une simple crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage ; en étendant les délais de recevabilité des demandes en nullité des mariages célébrés sans le consentement libre des époux.

Les causes susceptibles d'entraîner l'annulation du mariage sont énoncées dans le tableau ci-après.

Causes de nullité du mariage

Article du code civil

Motif de la nullité du mariage

Article 144

Âge inférieur à l'âge minimum (18 ans)

Article 146

Absence de consentement au mariage

Article 146-1

Absence lors de la célébration

Article 147

Absence de dissolution d'un premier mariage

Article 161

Mariage entre ascendants et descendants et alliés dans la même ligne

Article 162

Mariage entre frère et soeur

Article 163

Mariage entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu

Article 180

Vice du consentement

Article 191

Incompétence de l'officier public ou absence de publicité du mariage

Le parquet peut faire opposition au mariage dans un délai de six mois à compter de sa saisine. A l'issue de ce délai et à défaut de réponse, la transcription de l'acte est automatique.

Afin de renforcer l'efficacité de ce contrôle, le contentieux a été concentré sur le tribunal de grande instance de Nantes 16 ( * ) . Cette centralisation, effective depuis le 1 er mars 2005, garantit une jurisprudence unifiée dans un domaine éminemment technique.

Concrètement, l'officier de l'état civil consulaire transmet le dossier au parquet de Nantes par l'intermédiaire du service central d'état civil. Le service civil du parquet en fait une analyse juridique et, le cas échéant, envoie le dossier pour enquête dans le ressort du domicile du conjoint français. Il dispose de six mois, à compter de la réception du dossier transmis par le ministère des affaires étrangères, pour décider soit d'autoriser la transcription, qui constitue un préalable à la délivrance du livret de famille et à l'instruction de la demande de visa pour le conjoint étranger, soit d'assigner les époux en annulation du mariage devant la première chambre civile du tribunal de grande instance.

Cette activité a connu une forte progression au cours des dernières années, comme en atteste le graphique ci-après. Des statistiques plus détaillées figurent en annexe du rapport.

La progression du nombre des assignations entraîne corrélativement une augmentation sensible de l'activité de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Nantes.

Activité de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Nantes

Total des entrées

Total des sorties

Solde

Entrées hors annulation de mariages

Sorties hors annulation de mariages

Solde

Entrées annulation de mariages

Sorties annulation de mariages

Solde

2005

809

710

- 99

714

687

- 27

95

23

- 72

2006

1.488 (+ 84 %)

781

- 707

664

700

+ 36

824

81

- 743

Source : Première chambre civile du tribunal de grande instance de Nantes.

Malgré cet accroissement, le parquet parvient à prendre une décision dans le délai légal de six mois, au détriment toutefois du traitement d'autres dossiers.

S'il est aisé de démontrer l'absence de comparution du conjoint français au mariage ou l'existence d'un précédent mariage non dissous, il s'avère en revanche beaucoup plus difficile d'établir qu'un mariage a été célébré dans le seul but de favoriser l'immigration du conjoint étranger. Or, la liberté du mariage étant garantie par la Constitution, les assignations fondées sur l'absence d'intention matrimoniale des époux doivent être motivées avec soin.

Le parquet demande l'annulation de ces mariages en se fondant, ainsi que l'a indiqué M. Louis-Denis Hubert, procureur adjoint, « sur un faisceau d'indices révélés par le parcours personnel de chacun des époux, les circonstances de leur mise en relation, leur méconnaissance respective, l'historique de leur relation ou leur absence de projet de vie commune, toutes notions éminemment « subjectives » que les défendeurs peuvent facilement contrer par des « preuves » apportées au cours de la procédure (témoignages, photos ou courriers) démontrant la réalité de sentiments partagés . »

Par ailleurs, malgré le renforcement des instruments de lutte contre les mariages forcés opéré par la loi du 4 avril 2006, il s'avère difficile d'obtenir les confidences du conjoint qui en est victime : lors de l'audition au consulat, celui-ci se trouve dans un pays étranger, dont il a peut-être la nationalité, et peut y subir la pression de son environnement familial ; une fois la parole recueillie, sa protection doit être assurée, éventuellement en organisant son rapatriement s'il est binational et réside habituellement en France, en l'orientant le cas échéant vers des structures susceptibles de lui apporter aide matérielle et sociale ; enfin, il faut obtenir confirmation de ses déclarations au cours de la procédure judiciaire.

Les modalités du contrôle de la validité des mariages célébrés après le 1 er mars 2007 ont été profondément réformées par la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 et son décret d'application n° 2007-773 du 10 mai 2007.

Elles privilégient la vérification de la réalité de l'intention matrimoniale avant la célébration du mariage , plutôt qu'au moment de l'examen d'une demande de transcription dans les registres de l'état civil français.

Ainsi, un Français désirant se marier devant une autorité étrangère doit désormais obtenir au préalable, de l'autorité diplomatique ou consulaire française, un certificat de capacité à mariage attestant qu'il a rempli les formalités requises, notamment l'audition conjointe ou séparée des futurs époux ( article 171-2 du code civil ).

En cas de doute sur la validité du mariage, le ministère public, saisi par l'autorité diplomatique ou consulaire, peut s'y opposer par une décision motivée rendue dans le délai de deux mois à compter de sa saisine ( article 171-4 du code civil ). Si cette opposition ne peut empêcher l'autorité étrangère de célébrer le mariage, elle fait obstacle à sa transcription sur les registres de l'état civil français. Or cette transcription conditionne l'opposabilité du mariage aux tiers ; à défaut, il ne produit d'effets qu'entre les époux et à l'égard de leurs enfants ( article 171-5 du code civil ). Il revient désormais aux époux de saisir, sans condition de délai, le tribunal de grande instance pour obtenir la mainlevée de l'opposition du parquet ( article 171-6 du code civil ).

La transcription d'un mariage célébré sans délivrance préalable d'un certificat de capacité à mariage par l'autorité diplomatique ou consulaire reste possible -nombreux seront en effet les Français, notamment binationaux, à ignorer de bonne foi cette nouvelle exigence. Elle est subordonnée à l'audition des époux par l'officier de l'état civil diplomatique ou consulaire, qui peut s'en dispenser par décision motivée si la réalité de l'intention matrimoniale lui semble avérée. Dans le cas contraire et si ses doutes se confirment après l'audition, il doit saisir le parquet. A défaut de réponse ou en cas d'opposition de celui-ci dans un délai de six mois, les époux doivent saisir le tribunal de grande instance afin qu'il statue sur la transcription du mariage dans un délai d'un mois. En cas d'appel, la cour doit statuer dans le même délai ( article 171-7 du code civil ).

En revanche, si le mariage a été célébré après présentation du certificat de capacité à mariage, la transcription est en principe acquise, à défaut d'éléments nouveaux. Dans ce dernier cas, les époux doivent être auditionnés ; le ministère public dispose de six mois à compter de sa saisine par l'autorité diplomatique ou consulaire pour statuer et l'absence de décision de sa part entraîne la transcription du mariage ( article 171-8 du code civil ).

Ces nouvelles modalités de contrôle accroissent la responsabilité des officiers de l'état civil diplomatiques ou consulaires. Le délai de deux mois imparti au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes pour faire opposition à un mariage avant sa célébration par une autorité étrangère le prive désormais, en pratique, de toute possibilité de se forger une conviction par d'autres moyens que le dossier établi par le ministère des affaires étrangères. L'allonger ou prévoir sa suspension constituerait probablement une atteinte à la liberté du mariage, dont le Conseil constitutionnel a encore veillé, dans sa décision du 9 novembre 2006, à ce qu'elle reste garantie 17 ( * ) .

Plusieurs interlocuteurs du tribunal de grande instance de Nantes rencontrés par vos rapporteurs ont par ailleurs souhaité attiré leur attention sur la difficulté d'assurer , dans le cadre de la procédure judiciaire de contrôle de la validité des mariages, le respect du principe du contradictoire . Ils ont en effet souligné non seulement qu'il n'était pas aisé de faire parvenir aux intéressés leur assignation mais aussi que ces derniers, quand bien même ils l'avaient reçue, ne pouvaient bien souvent pas se rendre en France, faute de temps et de visa, pour défendre leur cause devant le tribunal.

• Le contrôle de la validité des divorces

Chaque année, le parquet de Nantes est saisi d'un grand nombre de demandes de mention, en marge des registres de l'état civil français tenus par le ministère des affaires étrangères, de divorces prononcés à l'étranger.

Evolution du nombre des demandes de mention de divorces étrangers
sur les registres de l'état civil français

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Divorces étrangers

3.389

3.583

3.413

3.872

3.748

3.687

4.194

Source : service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes.

Il lui faut alors, tout à la fois, appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation, qui dénie tout effet à la répudiation unilatérale de l'un des deux époux en raison de sa contrariété non seulement avec les dispositions d'ordre public françaises mais également avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 18 ( * ) , respecter les conventions bilatérales qui lient la France à d'autres Etats et prendre en compte la difficulté pour des époux de divorcer lorsque le pays de leur domicile ne connaît que la répudiation. Aussi s'attache-t-il à prendre l'avis des femmes répudiées.

En 2006, près de 4.200 divorces étrangers ont été examinés , dont 1.521 prononcés par des autorités religieuses de pays appliquant la charia (Algérie, Maroc, Comores, Syrie, Egypte notamment). Le parquet a refusé d'en valider 90 . Chaque année, il est assigné une quinzaine de fois devant le tribunal de grande instance de Nantes après refus de validation d'une répudiation .

• Le contrôle de la validité des adoptions

Près de 80 % des enfants adoptés chaque année par des Français sont nés à l'étranger . Le nombre de ces adoptions a fortement progressé, passant de 935 (dans 10 pays) en 1980 à 4.136 (dans 67 pays) en 2005. Il s'est élevé à 3.977 en 2006 : 65 % des enfants avaient moins de trois ans, 31 % moins d'un an et 22 % entre un et deux ans .

Selon la loi française, l'adoption permet la création d'un lien de filiation entre l'adopté et une ou plusieurs personnes qui ne sont pas ses parents par le sang. Elle peut revêtir deux formes :

- l' adoption plénière, qui ne peut en principe concerner qu'un mineur de quinze ans ( article 345 du code civil ), rompt tous les liens de filiation avec la famille d'origine et donne lieu à établissement d'un nouvel acte de naissance après annulation de l'acte initial. L'adopté prend le nom que lui donnent ses parents adoptifs et peut également changer de prénom. S'il est étranger, il acquiert de plein droit la nationalité française ;

- l' adoption simple, permise quel que soit l'âge de l'adopté, crée un lien avec le ou les adoptants tout en laissant subsister ceux qui existent entre l'adopté et sa famille d'origine -l'adopté peut ainsi hériter dans les deux familles et ajoute à son nom celui de l'adoptant 19 ( * ) . Elle ne confère pas de plein droit la nationalité française à l'adopté étranger mais lui permet de l'acquérir par simple déclaration devant le juge d'instance durant sa minorité.

Selon une jurisprudence bien établie, les décisions d'adoption prises à l'étranger sont reconnues de plein droit en France et opposables sans exequatur préalable 20 ( * ) , sauf en cas de souscription d'une déclaration de nationalité pour un enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalité française 21 ( * ) . Elles se concrétisent généralement par l'établissement dans le pays d'origine d'un nouvel acte de naissance de l'enfant portant mention de sa nouvelle filiation.

Toutefois, les parents adoptifs souhaitent généralement faire procéder à la transcription de la décision étrangère d'adoption sur les registres de l'état civil français, ce qui facilitera leurs démarches ultérieures . Cette transcription est même obligatoire pour que l'enfant puisse acquérir la nationalité française.

Un contrôle est alors opéré par le parquet du tribunal de grande instance de Nantes : il vérifie que l'adoption est régulière au regard de la loi locale, n'est pas contraire aux conditions fondamentales prévues par la loi française et si elle s'apparente à une adoption plénière ou à une adoption simple.

Si elle s'apparente à une adoption plénière, c'est-à-dire si elle produit une rupture totale et irrévocable des liens de filiation avec la famille d'origine, le procureur de la République fait transcrire cette décision sur les registres du service central d'état civil ( article 354 du code civil ). Cette transcription vaut acte de naissance de l'adopté.

Dans le cas contraire, les adoptants peuvent soit demander l' exequatur de la décision étrangère au tribunal de grande instance de Nantes ou à celui de leur domicile, soit présenter une requête en adoption plénière auprès du tribunal de grande instance de leur domicile. Le juge doit vérifier que les consentements des représentants légaux de l'adopté ont été donnés expressément et en connaissance de cause ( article 370-5 du code civil ). Il prend aussi en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. S'il fait droit à la requête en adoption plénière, il ordonne la transcription de la décision sur les registres du service central d'état civil à Nantes.

Le contrôle du parquet du tribunal de grande instance de Nantes est allégé lorsque la décision a été prise dans un Etat partie à la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

La convention de La Haye du 29 mai 1993
sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale

Entrée en vigueur en France le 1 er octobre 1998, cette convention a été signée pour garantir que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants. Elle met en place un système de coopération entre des autorités centrales désignées dans chaque Etat adhérent, chargées de suivre elles-mêmes les différentes étapes de la procédure d'adoption.

Dans ces pays, les candidats à l'adoption ne sont plus admis à rechercher directement un enfant à adopter auprès d'orphelinats, d'organismes sociaux, voire de familles. Leur demande est traitée par leur autorité centrale qui noue les contacts nécessaires avec l'autorité étrangère :

- l'autorité du pays d'origine doit vérifier que l'enfant est bien adoptable, que les consentements de ses parents biologiques, de son représentant légal et de l'enfant lui-même, s'il est en âge de le donner, ont été régulièrement obtenus et qu'il a été tenu compte des souhaits éventuels de l'enfant. Au terme de cet examen, un certificat de conformité est délivré, attestant que l'adoption a été conduite selon les règles prévues par la convention ;

- l'autorité du pays d'accueil doit s'assurer que les adoptants remplissent les conditions requises, qu'ils ont été entourés des conseils nécessaires et que l'enfant est autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente sur le sol français. La demande peut aussi être adressée à un organisme français pour l'adoption dans le pays d'origine, contrôlé par l'autorité centrale.

L'autorité centrale française est une structure réunissant notamment des représentants du ministère des affaires étrangères, du ministère de la justice, du ministère chargé de la famille, des présidents de conseils généraux ainsi que des représentants des fédérations des organismes autorisés pour l'adoption et des associations de parents adoptants ( article R. 148-4 du code de l'action sociale et des familles ). La mission de l'adoption internationale, qui dépend du ministère des affaires étrangères, assure son secrétariat.

La convention de La Haye assure aux adoptants que l'enfant est juridiquement adoptable, facilite la délivrance du visa de long séjour ainsi que la reconnaissance, en tant qu'adoption plénière en France, des adoptions prononcées dans le pays d'origine qui entraînent la rupture du lien préexistant de filiation.

Le parquet du tribunal de grande instance de Nantes examine ainsi chaque année environ 2.000 jugements étrangers d'adoption ; il refuse leur transcription dans environ 15 % des cas.

Cette activité a tendance à décroître , comme le montre le tableau ci-dessous.

Activité du parquet de Nantes en matière d'adoption internationale

2004

2005

2006

Nombre total d'enfants adoptés par des Français à l'étranger

3.769

3.847

3.977

Nombre et pourcentage de dossiers « Adoption Internationale » soumis au service dans l'année

2.121
(56 %)

2.048
(53 %)

1.841 (46,3 %)

Nombre et pourcentage des refus de transcription opposés par le service aux dossiers reçus au cours de l'année considérée

300
(14,9 %)

286
(14,5 %)

197
(11,2 %)

- nombre et pourcentage des refus au motif qu'il s'agit d'une adoption simple

193
(9,6 %)

193
(9,8 %)

155
(8,8 %)

- nombre et pourcentage des refus motivés par le caractère irrégulier de l'adoption

107
(5,3 %)

93
(4,7 %)

42
(2,4 %)

Source : service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes. Les chiffres des dossiers de 2006, arrêtés au 25 avril 2007, étaient provisoires : seuls 1.350 dossiers (sur 1.841) avaient été traités à cette date. Il restait encore 125 dossiers d'adoption internationale en attente de traitement (6,8 % des dossiers d'adoption internationale reçus en 2006) et 366 dossiers en cours de traitement pour lesquels la décision finale n'avait pas encore été prise.

A leur retour en France, les adoptants saisissent en effet de plus en plus souvent le tribunal de grande instance de leur domicile afin qu'il prononce une nouvelle adoption en faisant abstraction de la décision étrangère.

L'explication est double : certains veulent éviter le contrôle, jugé plus rigoureux, du parquet de Nantes ; d'autres, ignorant tout simplement si la décision étrangère produit les effets d'une adoption plénière et peut être transcrite directement sur les registres du service central d'état civil, préfèrent saisir directement le tribunal de grande instance le plus proche 22 ( * ) .

La plupart des refus de transcription opposés par le parquet du tribunal de grande instance de Nantes sont fondés sur le constat que la décision étrangère d'adoption n'entraîne pas rupture complète et irrévocable du lien de filiation d'origine .

Dans certains pays, notamment ceux de droit musulman comme le Maroc et l'Algérie, la création d'un lien de filiation étant proscrite, l'adoption simple elle même n'est pas possible. Le recueil légal de droit musulman dit « kafala » ne peut être assimilé tout au plus qu'à une tutelle ou à une délégation d'autorité parentale qui cesse à la majorité de l'enfant.

Le droit international privé français, respectueux des législations étrangères et soucieux d'éviter que des décisions françaises puissent conférer à des étrangers un statut non susceptible d'être reconnu dans leur pays d'origine, s'oppose à l'adoption en France d'enfants dont la loi nationale interdit l'adoption 23 ( * ) . Une seule exception est prévue si le mineur étranger est né et réside habituellement en France ( article 370-3 du code civil ).

Les motifs de l'irrégularité d'une adoption sont multiples :

- violation de la loi locale ;

- absence de consentement libre et éclairé des parents biologiques ;

- adoption « déguisée » consistant, dans les pays où cette institution est prohibée (Maroc et Algérie surtout), à faire établir un acte de naissance sur lequel figure une filiation à l'égard des adoptants comme s'ils étaient les parents biologiques. Le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est alors conduit à confirmer le refus de transcription opposé par le poste consulaire ou à saisir la première chambre civile pour faire annuler la transcription obtenue frauduleusement ;

- adoption ayant pour seul but de permettre à l'adopté d'entrer en France ou d'obtenir la nationalité française. Plusieurs cas ont été signalés au parquet du tribunal de grande instance de Nantes d'adoptions « plénières » prononcées à Pondichéry en application de l'ancien code civil français au profit d'une adoptante française âgée de plus de 80 ans qui avait adopté l'un de ses petits-enfants âgé de moins de 10 ans alors que celui-ci vivait et était élevé par ses propres parents biologiques de nationalité indienne, souvent au domicile de l'adoptante. Le parquet s'est également opposé à des requêtes en adoption simple formulées par un Français demeurant en France, d'un majeur étranger rencontré lors d'un voyage touristique et dont le visa d'entrée en France avait été refusé à plusieurs reprises ;

- adoption précédée d'un contrat de mère porteuse. Des Français souscrivent un tel contrat dans les pays où il est autorisé, notamment aux Etats Unis, s'occupent de l'enfant dès sa naissance et obtiennent très rapidement un jugement d'adoption américain. Le parquet du tribunal de grande instance de Nantes s'oppose alors à la transcription de ce jugement en invoquant la convention internationale des droits de l'enfant, la convention de La Haye relative à l'adoption internationale, le principe constitutionnel de l'indisponibilité du corps humain, la prohibition des contrats de mère porteuse prévue à l' article 16-7 du code civil , ainsi que la prohibition pénalement sanctionnée de la provocation à l'abandon d'enfant et le délit d'atteinte à l'état civil. Il s'agit de cas particulièrement douloureux dans la mesure où, d'une part, les parents adoptifs peuvent être les parents biologiques de l'enfant 24 ( * ) , d'autre part, ce dernier se trouve alors privé de toute filiation maternelle.

Les recours contre les décisions du parquet sont très peu nombreux : de l'ordre de 5 par an . Selon les explications fournies à vos rapporteurs, les adoptants préfèrent saisir le tribunal de grande instance de leur domicile pour faire prononcer une nouvelle adoption en France plutôt que d'assigner le parquet devant le tribunal de grande instance de Nantes, en espérant que le tribunal de leur domicile prononcera l'adoption dans l'intérêt de l'enfant sans remarquer l'irrégularité dont elle est entachée.

Le contrôle des décisions étrangères d'adoption constitue une véritable source de préoccupation pour le parquet du tribunal de grande instance de Nantes .

Tout d'abord, le fondement juridique de cette activité lui semble mal assuré.

Ensuite, il lui faut non seulement connaître la législation en matière d'adoption de plus de cent pays mais aussi vérifier qu'elle est respectée. Or cette vérification est pour le moins difficile. La réalité et le caractère libre et éclairé du consentement à l'adoption des parents biologiques ne sont parfois guère évidents. Le manque de fiabilité de l'état civil de certains pays autorise les tentatives de fraude, qui se traduisent par la présentation d'un faux acte de décès des parents ou d'un acte de naissance de l'enfant ne permettant pas de les identifier. Certains Etats parties à la convention de La Haye relative à l'adoption internationale ne respectent pas ses stipulations. Le parquet de Nantes est alors contraint d'accepter des adoptions étrangères irrégulières, en raison de la production du certificat de conformité prévu par cette convention, sauf à invoquer à titre exceptionnel « la violation manifeste de l'ordre public, compte tenu de l'intérêt de l'enfant ».

Enfin, les refus de transcription sont bien évidemment très mal vécus par les familles, d'autant que ces refus interviennent au terme d'un long processus et alors que l'enfant vit parfois déjà sur le territoire national. Le parquet se trouve ainsi soumis à de fortes pressions émanant aussi bien des adoptants eux-mêmes que des associations de défense de leurs intérêts : il lui est ainsi demandé de valider une adoption étrangère aux seuls motifs que « l'enfant vit déjà en France avec ses parents adoptifs et que c'est son intérêt de rester avec eux quel que soit le processus qui a conduit à l'adoption, compte tenu de la misère dans laquelle il vivait dans son pays d'origine . » Ces pressions s'exercent d'ailleurs aussi sur les consulats et la mission d'adoption internationale chargée de délivrer les visas d'entrée en France aux enfants adoptés. Certains visas seraient ainsi délivrés en précisant aux adoptants « qu'ils risquent d'être confrontés à des difficultés lorsqu'ils présenteront l'adoption étrangère au parquet de Nantes aux fins de transcription »...

• Le contrôle de la validité des actes de l'état civil étrangers

Enfin, le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est saisi par les consulats pour valider ou invalider leurs décisions de refus de transcription fondées sur l'irrégularité d'actes de l'état civil étrangers, leur caractère apocryphe, ou l'inexactitude des événements d'état civil qu'ils relatent . Il a ainsi reçu environ 1.500 dossiers de ce type en 2006 , qui concernaient pour la plupart des actes de naissance . Ces dossiers sont complexes.

En effet, en cas de confirmation par le parquet du refus de transcription d'un acte de naissance sur le fondement de l' article 47 du code civil , la nationalité d'une personne française par filiation est remise en cause. Le bureau de la nationalité du ministère de la justice est alors saisi afin d'engager une action en contestation de nationalité devant le tribunal de grande instance territorialement compétent.

Dans la plupart des cas, un certificat de nationalité française a été délivré sur production de l'acte étranger jugé non conforme à l' article 47 du code civil . Durant le temps, souvent très long, que met le bureau de la nationalité pour prendre une décision, l'intéressé est censé être français du fait de son certificat de nationalité mais n'a aucun état civil français faute de transcription.

Dans une trentaine de dossiers chaque année, le parquet se trouve assigné devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins d'obtenir la transcription consulaire qui a été refusée . Si un contentieux relatif à la nationalité de l'intéressé est en cours, le parquet demande un sursis à statuer, en posant une question préjudicielle de nationalité. Si tel n'est pas le cas, il se trouve en grande difficulté pour soutenir que l'acte étranger ne doit pas être transcrit sur le fondement de l' article 47 du code civil alors qu'il a été jugé valable pour la délivrance d'un certificat de nationalité française...

Lorsque l'irrégularité d'un acte de l'état civil étranger n'apparaît qu'après sa transcription , il appartient au parquet d'assigner l'intéressé devant le tribunal de grande instance de Nantes pour obtenir l'annulation de son acte français indûment transcrit. Une vingtaine d'affaires sont recensées chaque année . En cas d'annulation de l'acte par le tribunal de grande instance, le jugement est communiqué au bureau de la nationalité du ministère de la justice afin qu'il conteste la nationalité de l'intéressé.

Parfois, plusieurs personnes revendiquent la délivrance d'un même acte de naissance détenu par le service central d'état civil et le parquet ne parvient pas toujours, malgré plusieurs enquêtes, à déterminer celle qui correspond réellement à l'identité énoncée dans l'acte. Dans ces cas d'usurpation d'identité , il ordonne qu'il soit sursis à l'exploitation de l'acte litigieux et invite les personnes concernées à agir contre lui devant le tribunal de grande instance de Nantes en mettant en cause toutes les autres personnes revendiquant la même identité. Une vingtaine d'affaires sont enregistrées chaque année . Leur solution est délicate car chacun des protagonistes produit généralement des documents administratifs français parfaitement réguliers établis après vol ou perte des originaux ainsi que des témoignages provenant parfois de ses parents qui ont pu être eux-mêmes à l'origine de l'usurpation (vente de l'acte de naissance de leur enfant à un tiers).

Le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est également saisi par des postes consulaires qui soupçonnent qu'une reconnaissance souscrite à l'étranger par un Français au profit d'un enfant étranger est destinée à lui permettre d'obtenir un titre de séjour ou la nationalité française .

La contestation judiciaire de cette reconnaissance n'est toutefois possible que « si des indices tirés des actes eux-mêmes rendent la reconnaissance invraisemblable ou en cas de fraude à la loi » ( article 336 du code civil ). La démonstration que le but exclusif d'une reconnaissance est de permettre l'obtention d'un titre de séjour ou la nationalité française est extrêmement difficile, même en présence de reconnaissances multiples. Lors même qu'il l'estimerait possible, le parquet du tribunal de grande instance de Nantes ne peut juridiquement s'opposer ni à la transcription ni à l'exploitation de l'acte de reconnaissance transcrit. Il lui faut saisir le procureur de la République territorialement compétent en raison du domicile en France de l'auteur de la reconnaissance ( article 42 du nouveau code de procédure civile ) pour qu'il la fasse annuler. Or celui-ci peut ne pas partager son opinion ou renoncer à exercer l'action en annulation.

* 16 Décret n° 2005-170 du 23 février 2005 pour l'application des articles 47 et 170-1 du code civil.

* 17 Dans sa décision n° 2006-542 DC du 9 novembre 2006, le Conseil constitutionnel s'est assuré que le législateur avait « pris en compte la diversité des situations au regard du respect de la liberté du mariage », « prévu des délais adaptés aux caractéristiques de chacune de ces situations » et « garanti des recours juridictionnels effectifs contre les décisions, explicites ou implicites . »

* 18 Première chambre civile de la Cour de cassation, 5 janvier 1999.

* 19 Le tribunal peut décider, sur demande de l'adoptant, que l'adopté ne portera que le nom de l'adoptant.

* 20 Chambre civile de la Cour de cassation 3 mars 1930. Première chambre civile de la Cour de cassation, 29 mars 1989.

* 21 Article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993.

* 22 Une liste des pays connaissant une adoption « plénière » au sens de droit français avait été annexée à la circulaire relative à l'adoption internationale parue en 1999. Toutefois, cette liste n'a jamais été mise à jour depuis la loi du 6 février 2001.

* 23 La Cour de cassation l'a encore rappelé à propos de la kafala dans un arrêt de sa première chambre civile du 10 octobre 2006.

* 24 C'est généralement le cas du père, qui a fait un don de sperme, et ce peut être le cas de la mère qui, n'étant pas stérile mais ne pouvant assumer la grossesse pour des raisons de santé par exemple, a fait un don d'ovules.

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