2. La fraude sociale, entre 30 et 35 % de la fraude aux prélèvements obligatoires
Le montant global d'irrégularités et de fraude aux cotisations sociales est estimé entre 8,4 milliards d'euros et 14,6 milliards d'euros , soit environ 30 % du montant global estimé de la fraude fiscale et sociale.
La fraude aux cotisations sociales peut prendre plusieurs formes, retracées dans l'encadré suivant. Elle doit être distinguée de la fraude aux prestations sociales, axe majeur de la lettre de mission du 11 octobre 2007 adressée par le Président de la République à M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Votre rapporteur général n'abordera cependant pas cette question dans le cadre du présent rapport consacré aux prélèvements obligatoires.
Les mécanismes de fraude aux cotisations sociales A titre non exhaustif, quatre grandes catégories de fraude peuvent être distinguées : - L'optimisation des mesures dérogatoires en faveur de l'emploi Les employeurs en cause cherchent à contourner les conditions nécessaires à remplir pour bénéficier abusivement de certaines exonérations. Ces mécanismes de fraude pèsent, pour l'essentiel, sur les finances de l'Etat et non sur celles de la protection sociale, dans la mesure où les exonérations correspondantes font l'objet d'une compensation par l'Etat. - Le recours abusif à certains statuts particuliers A titre d'exemple peuvent être cités : l'emploi de « faux travailleurs indépendants », le recours frauduleux au régime des droits d'auteur et des royalties, le recours abusif aux stagiaires. - Les exclusions d'assiette Il s'agit pour l'employeur d'exclure, de l'assiette des cotisations, certains éléments qui devraient pourtant y figurer, soit en sous-déclarant les revenus du salarié ou en versant la rémunération de ce dernier, non pas sous forme de salaire imposable, mais à travers des compléments spécifiques de rémunération : frais professionnels, frais d'entreprise, épargne salariale et intéressement, indemnités de licenciement. - Les montages juridiques Ces montages peuvent être nationaux ou transnationaux. Ils reposent sur l'éclatement artificiel de la rémunération du salarié afin de faire échapper une partie de la rémunération au paiement des prélèvements sociaux. Source : d'après les données du Conseil des prélèvements obligatoires, rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, mars 2007 |
Dans le montant global estimé de la fraude sociale, le travail dissimulé représente une part importante , environ 74 % dans la fourchette basse et 84 % dans la fourchette haute. Selon le conseil des prélèvements obligatoires 47 ( * ) , la pratique croissante du travail dissimulé serait en partie la conséquence du développement de l'économie de services et de l'universalisation de la protection sociale : « à partir du moment où la nécessité d'avoir un emploi pour bénéficier de prestations sociales s'atténue, on peut penser qu'un salarié va être plus enclin à accepter de travailler sans être déclaré ».
a) Des redressements compris entre 6,3 % et 11 % du montant global estimé de la fraude sociale
Face à la fraude fiscale et sociale, deux types de stratégies peuvent être adoptées : d'une part, renforcer les contrôles dans une logique budgétaire de récupération des cotisations dues ; d'autre part, développer les actions de prévention et améliorer la qualité de service, afin de faciliter la réalisation par le contribuable de ses obligations.
De manière générale, les administrations en charge du recouvrement semblent avoir privilégié, jusqu'à une période récente, la finalité budgétaire en renforçant les contrôles et en améliorant la couverture des risques .
Le renforcement des contrôles dans la sphère sociale s'est traduit par une réduction du nombre de contrôles et une amélioration de leur ciblage . Ainsi selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le nombre de contrôles comptables d'assiette a diminué de 25 % entre 1999 et 2005. Cette diminution du nombre de contrôles n'a cependant pas eu d'impact sur les redressements puisque les montants redressés 48 ( * ) ont progressé de 40 % entre 1999 et 2004 , pour atteindre 809 millions d'euros en 2006 49 ( * ) , comme l'indique le graphique suivant.
Evolution des redressements débiteurs et créditeurs
(en millions d'euros)
Source : ACOSS, Présentation des faits marquants de l'année 2006, et des orientations de l'Acoss et du réseau des Urssaf, dans les domaines du contrôle et de la lutte contre le travail illégal, 4 avril 2007
La baisse du nombre de contrôles comptables d'assiette n'a pas non plus entraîné de diminution de la présence des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) auprès des cotisants puisque le taux de couverture du fichier des URSSAF est passé de 7,95 % à 8,12 % entre 2004 et 2005 , selon les données du Conseil des prélèvements obligatoires.
Le graphique suivant rappelle les principaux motifs de redressement en 2006. Ils concernent à 75 % les rémunérations non soumises à cotisations, les frais professionnels et les cotisations, contributions et versements annexes.
Source : ACOSS, bilan du contrôle des cotisants 2006
En dépit de la croissance des montants redressés, les irrégularités détectées en matière de cotisations sociales ne représentent cependant en 2005 qu'entre 6,3 % et 11 % du montant global estimé de la fraude sociale et 6 % de l'ensemble des irrégularités et de la fraude détectées (sphères sociale et fiscale confondues), alors que les prélèvements sociaux atteignent près de 37 % du total des prélèvements obligatoires 50 ( * ) .
Certes, les modalités de recouvrement des cotisations sociales, ainsi que la surveillance indirecte exercée sur les employeurs par leurs salariés , - ces derniers sont en effet intéressés au paiement des cotisations sociales pour bénéficier des prestations sociales-, expliquent, pour partie, cet écart entre le poids des prélèvements sociaux dans les prélèvements obligatoires, d'une part, et leur faible part dans l'ensemble des irrégularités détectées, d'autre part.
Cependant, cet écart peut également résulter d'un certain nombre de faiblesses du contrôle de la fraude aux cotisations sociales , qui sont autant de voies d'amélioration possibles :
- les difficultés de recouvrement : d'après des données recueillies par votre rapporteur général auprès de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) 51 ( * ) , entre 10 % et 20 % des redressements sont effectivement recouvrés . Les difficultés identifiées en la matière dans la sphère fiscale se retrouvent dans le domaine social ;
- l'absence de contrôle de certains prélèvements sociaux, à savoir les cotisations d'assurance-chômage et de retraite complémentaire , les régimes correspondant ne disposant pas de corps d'inspection. La loi de financement pour la sécurité sociale pour 2007 52 ( * ) devrait mettre fin à cette situation puisqu'elle prévoit à l'article 30 que les services de contrôle des URSSAF sont habilités à vérifier l'assiette, le taux et le calcul des cotisations de retraite complémentaire ainsi que d'assurance-chômage, sous réserve que les conventions prévues soient signées entre l'ACOSS, l'Union interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et l'Association générale des instituts de retraite des cadres (AGIRC) ;
- les difficultés rencontrées en matière de lutte contre le travail dissimulé en dépit de certains progrès : le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport précité, note en effet que seul 1 % des cotisations éludées sont effectivement redressées par les URSSAF. Comme le souligne le Président de la République dans sa lettre de mission adressée à M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes public et de la fonction publique, « des gains considérables d'efficacité doivent être accomplis » en la matière. A cet égard, votre rapporteur général note que, conformément aux souhaits exprimés par le Président de la République, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoit un certain nombre de mesures visant, d'une part, à assurer une meilleure synergie des services de contrôle et, d'autre part, à sanctionner plus durement les fraudes par l'instauration d'une peine plancher forfaitaire ;
- l'insuffisante coopération entre les différents organismes de protection sociale et les URSSAF, d'une part, et entre l'administration fiscale et sociale, d'autre part . Or la mutualisation des informations disponibles permettrait d'améliorer l'efficacité des interventions de chaque administration ;
- le caractère enfin peu diversifié et peu dissuasif des sanctions en matière sociale : en particulier, comme le souligne le conseil des prélèvements obligatoires, il n'existe pas de délit général de fraude des cotisations sociales.
b) Les voies d'amélioration : le renforcement des actions de prévention
Eu égard aux sommes en jeu rappelées ci-dessus, votre rapporteur général estime que les voies d'amélioration en matière de lutte contre la fraude doivent être recherchées avant tout dans le domaine social .
A cet égard, une action volontariste forte à l'encontre des contrevenants qui cherchent à éluder le paiement de leurs cotisations sociales paraît nécessaire , à la fois dans une logique budgétaire de récupération des sommes dues, mais aussi dans une logique de dissuasion des autres contribuables tentés par la fraude.
Cependant, la multiplication des contrôles , compte tenu notamment de leurs faiblesses actuelles, ne saurait être la seule voie à suivre . L'approche budgétaire ne doit pas conduire en effet à oublier qu'une large partie des motifs de redressement correspondent à de simples irrégularités dues notamment à la complexité de la législation.
C'est pourquoi, selon votre rapporteur général, les réponses à la fraude sociale ne doivent pas seulement être recherchées dans la sanction et la répression, mais également dans des mesures de prévention visant à rendre le comportement du contribuable plus vertueux et le conduire à s'acquitter spontanément de l'ensemble de ses obligations . C'est dans cette logique que s'inscrivent d'ailleurs déjà un certain nombre de mesures mises en place dans la période récente :
- la simplification des procédures et des démarches des contribuables : la création du chèque emploi-service, par exemple, a simplifié les démarches de versement des cotisations sociales pour les employeurs particuliers et a, sans doute, contribué à réduire le travail dissimulé ;
- la mise en place, dans certains domaines, du rescrit social 53 ( * ) , qui sur le modèle du rescrit fiscal, permet au contribuable de demander, en amont, à l'administration de se prononcer sur la validité d'une opération ou d'un montage. Cette décision engage l'administration en cas de contrôle ;
- le développement d'actions de prévention , comme les « visites conseil » ou l'examen a priori des accords d'intéressement et d'épargne salariale par les URSSAF.
Ces dispositifs présentent de nombreux avantages et doivent être développés : non seulement ils permettent d'éviter que les contribuables ne commettent certaines irrégularités , mais en plus ils offrent la possibilité aux services des URSSAF de se concentrer sur la fraude intentionnelle en améliorant leur taux de couverture des redevables et en développant leur présence sur le terrain. Par ailleurs, ces actions de prévention doivent également permettre de détecter, plus en amont, des comportements à risque et donc mieux orienter le ciblage des contrôles.
* 47 Conseil des prélèvements obligatoires, rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, mars 2007.
* 48 Il s'agit ici des redressements au débit de l'employeur.
* 49 ACOSS, « Bilan du contrôle des cotisants 2006 » : le montant global en valeur absolue des redressements est évalué à 1 milliard d'euros, il intègre à la fois les redressements au débit de l'employeur (809 millions d'euros) et les redressements au crédit de l'employeur (151,1 millions d'euros).
* 50 Source : Conseil des prélèvements obligatoires, rapport précité ; est pris en compte dans ce calcul, le montant total redressé, c'est-à-dire comprenant à la fois les montants redressés au débit de l'employeur et les montants redressés au crédit de l'employeur.
* 51 Les systèmes d'information de l'ACOSS et des URSSAF ne permettent pas de disposer de données détaillées sur le taux de recouvrement suite à un contrôle ; néanmoins une étude menée par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) auprès de six URSSAF a mesuré un taux moyen de recouvrement compris entre 10 et 20 %.
* 52 Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale pour 2007.
* 53 Le champ d'application du rescrit social ne s'étend aujourd'hui qu'à trois domaines : les contributions dues par les employeurs en cas de mise en place de régime de retraite supplémentaire ou de prévoyance, les avantages en nature et les frais professionnels, certaines exonérations de cotisations de sécurité sociales liées à une zone géographique déterminée.