EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 25 octobre 2007, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution .
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est félicité de ce que le débat sur les prélèvements obligatoires permette de mettre cette notion en perspective et de procéder à un examen général des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale avant l'examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.
Après avoir rappelé que le taux de prélèvements obligatoires était passé de 30,6 % du PIB en 1960 à 44,2 % du PIB en 2006, il a remarqué que cette évolution s'était traduite par une forte augmentation dans la première moitié des années 1980, puis, depuis le début des années 2000, par une croissance plus faible que la tendance de long terme. Il a fait observer que les allégements de prélèvements obligatoires avaient été contenus sous la précédente législature et que leur augmentation de ces prélèvements en proportion du PIB sur la même période était due au dynamisme spontané des recettes.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite relevé que la répartition des prélèvements obligatoires avait changé, la quasi-totalité de leur augmentation provenant de celle des prélèvements sociaux. Il a précisé que cette augmentation s'était faite presque exclusivement par le recours à l'impôt affecté, évolution traduisant la fiscalisation progressive du financement de la protection sociale.
Puis il a indiqué que la France se situait au quatrième rang des pays de l'OCDE pour le taux de prélèvements obligatoires, les seuls grands pays ayant un taux supérieur à celui de la France étant la Suède, le Danemark et la Belgique. Il a, par ailleurs, relevé que les évolutions des taux de prélèvements des différents pays étaient extrêmement disparates.
M. Aymeri de Montesquiou a considéré que les comparaisons étaient pertinentes entre pays similaires, tels que la France et l'Allemagne. Il s'est également interrogé sur l'opportunité de corréler le taux de prélèvements obligatoires de chaque pays à son niveau d'endettement.
M. Philippe Marini, rapporteur général, après avoir brièvement décrit les liens existants entre l'évolution du taux de prélèvements obligatoires et les différents scénarios de retour à l'équilibre des comptes publics, a abordé la question de la TVA sociale. Il est revenu sur les contributions récentes au débat apportées par le rapport de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, et de l'inspection générale des finances, pour considérer que les analyses qu'elles développaient étaient globalement favorables à une TVA sociale recentrée sur les bas salaires.
Il a jugé que ces contributions posaient clairement les termes du débat en dessinant deux conceptions de la TVA sociale : concentrée sur les bas salaires pour créer de l'emploi, ou visant au renforcement de la compétitivité de l'économie, par une forme de dévaluation compétitive. Sur cette question, il a enfin évoqué les travaux de M. Jérôme Chartier, député, pour souligner qu'ils synthétisaient des approches très diverses.
Il par ailleurs jugé que des travaux devaient être menés sur l'évolution des prix à la consommation, des comportements de consommation et de leurs conséquences sur le solde extérieur. En particulier, il a estimé que l'usage d'outils économétriques anciens pour évaluer ces phénomènes n'avait guère de sens, dans le contexte d'une économie désormais mondialisée, caractérisée par la baisse des prix des produits manufacturés.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé le thème de l'écofiscalité. Il a en premier lieu rappelé que cette fiscalité se composait en réalité essentiellement, en France, d'impôts de rendement et de taxes diverses, ainsi que de redevances ayant pour objet de financer le fonctionnement de services publics via la rémunération d'une prestation. Il a observé que la seule réelle écotaxe française, ayant vocation à orienter les comportements des agents économiques, était la taxe générale sur les activités polluantes.
Puis il a fait valoir que la part de la fiscalité écologique dans l'ensemble des recettes fiscales françaises était revenue de 6,2 % à 4,9 % entre 1999 et 2004. La France est le pays d'Europe où la part de la fiscalité environnementale est la plus réduite, à la fois en proportion du PIB et au sein de l'ensemble des recettes fiscales. Il a expliqué ces phénomènes par le ralentissement de la croissance des recettes tirées de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), lié à la diésélisation du parc automobile français et au différentiel de taxation entre gazole et essence, par la suppression de la vignette automobile en 2000 pour les véhicules des particuliers et par l'absence d'actualisation des taux nominaux d'imposition.
Indiquant que l'écofiscalité avait vocation à orienter les comportements des agents économiques, il a souligné le paradoxe selon lequel cette fiscalité avait, en dernier ressort, vocation à détruire son assiette et ne pouvait, en conséquence, constituer une variable d'ajustement budgétaire. Il y a vu, reprenant une formule proposée par M. Jean-Jacques Jegou, une forme de « fiscalité biodégradable ».
Mme Marie-France Beaufils a rappelé que certaines écotaxes ne visaient pas principalement la modification des comportements, mais la rémunération d'un service rendu, citant à l'appui de son propos les prélèvements opérés en matière d'ordures ménagères.
Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, a soumis à l'appréciation de la commission dix « principes » ayant vocation à guider le développement d'une écofiscalité. Posant comme préalable la nécessaire compatibilité de cette fiscalité avec la compétitivité économique, il a jugé indispensable de déployer de nouvelles écotaxes à pression fiscale constante, de combiner de façon équilibrée écotaxes de rendement et écotaxes d'incitation, ainsi que de substituer des impôts environnementaux à des prélèvements plus dommageables à la croissance et l'emploi. Il a également recommandé l'affectation du produit de la fiscalité écologique au budget général de l'Etat et souligné qu'il conviendrait d'imposer aux produits importés le même tarif environnemental qu'aux produits nationaux.
Il a, dans un second temps, estimé que l'écofiscalité devait poursuivre une finalité plus incitative que punitive, et suggéré de promouvoir les mécanismes de contributions volontaires assorties d'une taxe « sanction », à l'instar des mécanismes existant dans le domaine de la distribution d'imprimés. Il a également jugé acceptable l'encouragement des comportements écologiquement vertueux par un nombre limité de dépenses fiscales régulièrement évaluées et d'application limitée dans le temps. Il s'est enfin prononcé en faveur d'une introduction progressive des nouvelles écotaxes, afin de laisser aux agents économiques le temps d'ajuster leurs pratiques, et de l'introduction de mécanismes d'accompagnement pour les secteurs économiques exposés et les ménages modestes.
M. Jean Arthuis, président, a souligné l'importance de raisonner à l'échelon européen en matière d'écofiscalité, et s'est interrogé sur les motifs qui conduisaient actuellement à exonérer de taxation les carburants utilisés par les navires et les avions.
M. Michel Charasse a considéré que la recherche de recettes liées à l'écologie devait commencer par l'application de contraventions aux individus irrespectueux de l'environnement.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite fait état de la prolifération des « niches fiscales ». Il a noté que 48 nouvelles niches avaient fait leur apparition en 2006, contre 38 en 2005. Il a regretté l'absence d'évaluation sérieuse du coût et de l'impact de ces dépenses fiscales. Il a ainsi relevé que le coût réel du « bouclier fiscal » était très inférieur aux évaluations initiales et a estimé qu'il pourrait en être de même s'agissant du coût de la défiscalisation des heures supplémentaires, compte tenu de la complexité de ce dispositif. Il a, par ailleurs, observé que de nombreuses dépenses fiscales ne faisaient pas l'objet d'une évaluation chiffrée lors de la présentation du projet de loi de finances, ce qui était anormal.
M. Jean Arthuis, président , ayant relevé la très grande complexité du dispositif d'exonération d'impôt sur le revenu et de charges sociales des rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires, a approuvé l'analyse du rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a ensuite énoncé quatre principes qui devraient guider l'analyse de la commission en la matière, à savoir :
1) progresser dans l'évaluation des niches fiscales ;
2) inclure les dépenses fiscales dans la norme de dépense ;
3) renforcer la fongibilité entre dispositifs de dépense budgétaire et de dépense fiscale ;
4) rendre temporaires, et donc incitatifs, tous les dispositifs de dépense fiscale.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué que l'utilité de chaque dépense fiscale devrait faire l'objet d'un débat lors de l'examen des crédits des différentes missions. En effet, le montant des dépenses fiscales est parfois supérieur à celui des crédits budgétaires. Il a, par ailleurs, indiqué que ces principes de bonne gouvernance devraient également s'appliquer aux « niches sociales », qui représentaient un enjeu de 35,5 milliards d'euros pour le régime général de la sécurité sociale, selon les estimations de la Cour des comptes.
Il a ensuite fait le point sur les dispositifs de lutte contre la fraude, rappelant que le montant global des irrégularités et de la fraude serait compris entre 29 et 40 milliards d'euros, selon les estimations du Conseil des prélèvements obligatoires. Il a jugé nécessaire de prendre des mesures visant à assurer un recouvrement plus efficace des créances de contrôle fiscal, recouvrées seulement à hauteur de 40 %. Il s'est interrogé sur l'opportunité de « moins redresser pour mieux recouvrer ». Il a estimé qu'il fallait, d'une part, mieux distinguer les irrégularités de la fraude afin de développer des instruments propres à chaque phénomène et, d'autre part, simplifier les procédures fiscales et sociales.
M. Jean Arthuis, président , a estimé que tous les dispositifs de niches constituaient une incitation à la fraude. Il a remercié le rapporteur général pour les orientations qu'il avait dessinées, estimant qu'elles permettaient à la commission de se doter d'un corps de doctrine en la matière.
M. Michel Charasse a fait part de la volonté exprimée par le président de la République de mettre en place une délégation nationale à la lutte contre la fraude et a jugé que cette initiative devait être soutenue.
M. Alain Lambert a remercié le rapporteur général pour la qualité de son intervention, puis a noté que le taux de prélèvements obligatoires présentait, en tant qu'indicateur, certaines faiblesses. Il a précisé que les prélèvements obligatoires étaient liés à la conjoncture et que le taux de ces prélèvements ne pouvait donc pas être piloté comme un solde budgétaire. Il a estimé que d'autres notions devaient être explorées, comme celle de recettes publiques, sur laquelle le rapporteur général avait déjà travaillé.
Il a ensuite observé que la fiscalité écologique était effectivement « biodégradable » et a souligné l'importance de ce point, alors que certaines collectivités territoriales souhaiteraient s'en voir attribuer une fraction, tout en recherchant des recettes stables et dynamiques, ce qui lui a semblé contradictoire.
Enfin, afin d'en faciliter la compréhension, il a souhaité que les sommes en jeu soient exprimées en euros plutôt qu'en points de PIB.
Mme Nicole Bricq a jugé que l'appellation de « fiscalité écologique » était préférable à celle de « fiscalité verte ». Elle a rappelé que la protection de l'environnement pouvait passer par différents outils, comme l'édiction de normes ou la fiscalité. Elle a estimé que la fiscalité, plus souple que la norme, avait pour objectif essentiel d'internaliser les coûts. A cet égard, elle a contesté l'inclusion de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) au sein de la fiscalité écologique. Elle a ensuite insisté sur trois des principes proposés en ce domaine par le rapporteur général, visant à combiner de façon équilibrée écotaxes de rendement et écotaxes d'incitation, à substituer des impôts environnementaux à des prélèvements plus dommageables à la croissance et l'emploi, enfin, à prévoir des mécanismes d'accompagnement pour les secteurs économiques exposés et les ménages modestes.
Elle a fait valoir que l'impôt ne devait poursuivre qu'un seul objectif et qu'il ne fallait pas mélanger « fiscalité écologique » et politiques de solidarité, la théorie du double dividende ne lui semblant pas opérante, à la lumière des expériences passées. De même, elle a jugé impossible de combiner efficacement incitation et rendement.
Mme Marie-France Beaufils a relevé que le taux de prélèvements obligatoires était l'expression de choix politiques et sociaux et qu'il était donc difficile d'effectuer des comparaisons entre différents pays sans en tenir compte. Comme Mme Nicole Bricq, elle a jugé l'appellation « fiscalité écologique » préférable à celle de « fiscalité verte ». Elle a émis des réserves sur le périmètre de la fiscalité écologique, observant que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères avait été créée afin de rémunérer un service, et non pour être incitative.
Après avoir évoqué l'enquête sur la gestion et l'efficacité des remboursements et dégrèvements d'impôts remise à la commission par la Cour des comptes, elle a indiqué que les mesures tendant à inciter à l'acquisition de véhicules GPL avait essentiellement bénéficié aux personnes les plus aisées. Elle s'est interrogée sur l'efficacité de ces dispositifs et a souhaité pouvoir disposer, à l'avenir, d'outils permettant d'évaluer le caractère incitatif de ces mesures. Elle a observé que la mission « Remboursements et dégrèvements » ne permettait pas de porter un jugement sur l'efficacité des dépenses fiscales, les indicateurs de performance de cette mission ne portant pas sur cet aspect.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué qu'il se référerait dans son rapport écrit à la notion de recettes publiques. Il a observé que la notion de prélèvements obligatoires était à la fois usuelle et artificielle. Il a noté que l'analyse de ces données devait prendre en compte les modalités de financement et de structuration des services publics. S'agissant du cas des Etats-Unis, il a précisé que, si l'on prenait en compte les dépenses de protection sociale, leur taux de prélèvements obligatoires resterait inférieur de 5 à 10 points de PIB à celui de la France. Il a souligné le lien entre l'évolution des prélèvements obligatoires et la croissance. Puis il a mis en évidence la nécessité de faire preuve pour l'avenir d'une certaine prudence dans l'analyse de leur évolution et de leurs déterminants, en considérant qu'il convenait de bien mesurer l'impact des mesures exogènes, c'est-à-dire des modifications législatives concernant les prélèvements obligatoires.
Il a fait part de son accord avec les remarques de Mmes Nicole Bricq et Marie-France Beaufils, jugeant également préférable de parler de fiscalité écologique ou « d'écofiscalité ». Il a relevé avec intérêt les propos de Mme Nicole Bricq relatifs à l'objectif unique de la fiscalité et évoqué le risque de vouloir traiter, en même temps, des problèmes de nature différente par le biais de mesures fiscales. Il a enfin confirmé que l'écofiscalité devait bien être « biodégradable ».
La commission a ensuite donné acte, à l'unanimité, à M. Philippe Marini, rapporteur général, de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.