C. CE QU'IL FAUDRAIT FAIRE
Les différents interlocuteurs de la Mecss ne se sont pas montrés très favorables, on l'a vu, à l'instauration d'une cotisation sur la valeur ajoutée, ni même à la mise en place d'une TVA sociale. En revanche, comme la commission des affaires sociales, ils ont estimé que d'autres pistes, plus simples à mettre en oeuvre, devaient être envisagées.
1. Remettre en question les niches sociales
La Mecss considère que la dynamique particulière de la dépense sociale justifie que l'on étudie avec la plus grande rigueur la situation particulière des niches sociales, c'est-à-dire l'ensemble des exonérations et allégements d'assiette existant en matière de prélèvements sociaux.
En effet, ceux-ci sont nombreux et coûteux, comme l'a montré avec éclat le rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale 18 ( * ) , rendu public le 12 septembre dernier.
Ces dispositifs se répartissent entre des mesures en faveur de l'emploi, la plupart de ces mesures étant toutefois compensées à la sécurité sociale, les dispositifs associant les salariés aux résultats des entreprises (participation, intéressement, stock options, attribution d'actions gratuites), la protection sociale en entreprise (retraite supplémentaire, prévoyance complémentaire), les compléments de salaires affectés (titres-restaurant, frais de transport, chèques-vacances, participation employeur au Cesu), les indemnités de départ de l'entreprise, les dispositifs spécifiques à certaines professions, les revenus du patrimoine. La Cour y ajoute la question de l'alignement des cotisations de l'Etat employeur sur celles applicables dans le secteur marchand.
Le tableau ci-après fournit les ordres de grandeur calculés par la Cour des comptes en termes de manque à gagner pour le régime général de la sécurité sociale. Au total, c'est une somme de plus de 30 milliards d'euros qui est en jeu.
(en milliards d'euros) |
|
Dispositif |
Enjeu pour le régime général |
Mesures emploi |
2,1 |
Dispositifs d'entreprise : |
19,8/15,3 |
- association des salariés aux résultats |
8,3/6,0 |
- protection sociale en entreprise |
5,1/3,6 |
- indemnités de départ |
3,9/3,2 |
- salaires affectés |
2,5 |
Populations spécifiques |
0,9 |
Revenus de remplacement et de complément |
8,4 |
Revenus de capitaux mobiliers et fonciers |
0,8 |
Cotisations des employeurs publics |
4,6 |
Source : Cour des comptes. |
Dans son rapport, la Cour insiste particulièrement sur la niche « stock options » en raison du montant total en cause, soit plus de 3 milliards d'euros selon ses calculs, et surtout en raison de l'avantage que cette exonération représente par bénéficiaire, à savoir 30 000 euros.
La Cour pointe également les avantages de départ en retraite et de licenciement qui entraînent un manque à gagner pour la sécurité sociale de près de 4 milliards d'euros pour un avantage par bénéficiaire estimé à 6 000 euros pour les indemnités de mise en retraite et à 4 000 euros pour les indemnités de licenciement.
La commission des affaires sociales n'avait toutefois pas attendu ce rapport pour ouvrir le débat puisque, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, elle avait présenté un amendement visant précisément à remettre en cause l'exonération applicable aux stock options. Malheureusement, son initiative s'était heurtée à l'opposition du Gouvernement. Elle se réjouit donc que, grâce aux observations appuyées de la Cour des comptes, la situation puisse évoluer cette année.
Cependant, comme en matière fiscale, il manque une évaluation approfondie de l'efficacité de l'ensemble de ces dispositifs. Il conviendrait donc de compléter l'annexe 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale sur les mesures d'exonération et les modalités de leur compensation en ce sens. Il faudrait aussi que l'indicateur « niches sociales » du programme de qualité et d'efficience « financement » puisse apporter les informations les plus pertinentes et utiles à l'examen de la légitimité de ces mécanismes.
Aujourd'hui, pour que la sécurité sociale engrange de nouvelles recettes, deux pistes sont possibles :
- la remise en cause de certaines niches seulement, ce qui signifie la mise en place d'une taxation dans des conditions normales ou allégées des assiettes correspondantes actuellement exonérées ;
- l'application d'un taux faible à l'assiette totale représentée par ces niches (ou du moins la plus large possible), ce qui s'apparenterait à une sorte de cotisation patronale généralisée avec assiette large et taux réduit (flat tax).
La Mecss estime indispensable que l'on s'oriente dès à présent vers l'une ou l'autre, voire les deux directions. La situation actuelle des comptes sociaux ne permet pas qu'une part trop importante de l'assiette sociale échappe au prélèvement.
2. Exploiter la piste des prélèvements comportementaux
Les taxes comportementales sont celles qui sont applicables au tabac et à l'alcool, mais également aux boissons sucrées et aux produits alimentaires jugés néfastes pour la santé. Elles ont pour objet de freiner la consommation des produits concernés en raison de leur caractère nocif en termes de santé publique. Elles visent donc à infléchir des comportements.
Elles ont néanmoins aussi pour fonction d'apporter des ressources, particulièrement justifiées lorsqu'elles sont attribuées à la sécurité sociale. Il y a en effet une grande logique à affecter au financement des dépenses de santé la taxation des tabacs et alcools .
Parmi les pays de l'Union européenne, la France a un taux d'imposition du tabac très élevé et une des consommations de cigarettes les plus basses. En revanche, pour l'alcool, la France connaît un taux d'accises faible pour une consommation parmi les plus élevées.
Les droits applicables au tabac ont de fait considérablement augmenté dans notre pays au cours des dernières années. Aussi est-il difficile de prévoir qu'une nouvelle hausse soit appliquée, en dehors peut-être de celle qui concernerait les tabacs à rouler , relativement épargnés à ce stade.
Pour l'alcool, les marges de progression sont réelles . Aucun consensus ne permet certes d'envisager à court terme une augmentation des droits qui leur sont applicables. A moyen terme toutefois, il faudra réexaminer la question, en prenant en compte notamment les considérations de santé publique, auxquelles la commission des affaires sociales est très attachée.
En revanche, l'instauration d'une taxe nutritionnelle est une piste qui ne peut plus être éludée, ne serait-ce que pour aider à la prise de conscience de la rapide progression du phénomène de l'obésité dans notre pays, particulièrement chez les enfants.
Certes une telle taxe pourrait avoir un impact sur le pouvoir d'achat des ménages mais il conviendrait de la cibler sur les produits les plus mauvais sur un plan nutritionnel et ne rentrant pas dans la catégorie des aliments de première nécessité : boissons et sodas sucrés, barres chocolatées, etc.
C'était d'ailleurs l'une des conclusions de la mission confiée à Jean-François Chadelat sur le Ffipsa : créer une taxe sur les boissons sucrées au profit du régime de protection sociale agricole pour combler - partiellement - son déficit.
3. Instituer un fléchage de la nouvelle fiscalité écologique vers l'assurance maladie
Les groupes de travail du Grenelle de l'environnement ont proposé la mise en oeuvre de taxes écologiques, en particulier la création d'une taxe carbone .
Compte tenu des conséquences des pollutions sur la santé, il apparaîtrait tout à fait légitime qu'une partie au moins du produit de ces taxes soit affectée au financement de l'assurance maladie .
Ou bien, comme le propose le rapport Lagarde sur la TVA sociale, une taxe de lutte contre le changement climatique (taxe « climat-énergie ») pourrait servir à financer une baisse du coût du travail par une taxation plus forte des émissions de gaz à effet de serre et des pollutions. Cette option, alternative à la TVA sociale, devrait être précisée, à la demande du Président de la République, dans le cadre de la mission de revue générale des prélèvements obligatoires confiée à la ministre.
4. Préférer la CSG
Comme l'a dit un interlocuteur de la Mecss 19 ( * ) , la création de la CSG a été une « réforme fondatrice » au même titre, par exemple, que la généralisation de la TVA en 1966. A l'origine, la CSG était essentiellement assise sur les revenus du travail et se substituait largement à des cotisations maladie. Par la suite, elle a été étendue aux revenus du capital, ce qui permet à notre pays de disposer, à l'instar de ses partenaires européens, d' un outil de financement moderne et dynamique compensant les défauts de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, notamment son excessive personnalisation.
Les Français ont d'ailleurs admis la CSG dont ils acceptent la proportionnalité et l'assiette large.
L'objectif de Michel Rocard, alors Premier ministre, lors de la création de la CSG en 1991, était de faire participer les retraités au financement de l'assurance maladie. Cette même logique a été poursuivie par Alain Juppé, devenu à son tour Premier ministre, lorsqu'il a procédé à l'élargissement de l'assiette de la CSG et à l'institution de la CRDS.
Aujourd'hui, le débat sur la nature d'impôt ou de cotisation sociale de la CSG n'a que peu d'intérêt au regard de son degré élevé d'efficacité. En effet, la concurrence fiscale très vive entre les pays de l'Union européenne exerce une pression à la baisse sur les coûts salariaux. Les Etats membres se trouvent dès lors incités à réduire les cotisations sociales et à recourir à la TVA ou à des recettes nouvelles, comme la CSG.
Une hausse de la CSG ne conduirait pas aux mêmes problèmes économiques que l'augmentation de la TVA . En effet, elle pèserait sur le revenu des ménages, mais n'aurait pas d'impact macroéconomique sur les salaires. La problématique serait plus proche de celle que l'on analyse en matière d'impôt sur le revenu.
La CSG a en outre l'avantage d'être prélevée immédiatement à la source et de présenter une assiette touchant directement les principaux intéressés par les dépenses.
De toute façon, sur longue période, la TVA et la CSG évoluent au même rythme que le Pib.
A ce stade de l'analyse, il est important d'évoquer le caractère dangereux d'une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG , parfois proposée. Malgré son côté séduisant, cette fusion risquerait de voir la « mauvaise » assiette chasser la « bonne ». Il convient en effet de préserver la simplicité de la CSG face à un impôt sur le revenu mité par les « niches fiscales ».
La Mecss souhaite enfin attirer l'attention sur le fait qu'en matière de CSG, quelques éléments d'assiette peuvent encore être taxés . Elle relève aussi que l'existence de quatre barèmes différents applicables respectivement aux revenus de remplacement, aux revenus d'activité et aux revenus de placement est parfois source d'inéquité. Enfin, les règles applicables à la CSG sont plus hétéroclites qu'un rapide examen ne pourrait le montrer à première vue, ce qui justifierait que quelques effets de seuil sur les revenus des retraités soient corrigés.
Néanmoins, en tenant compte du rendement important qu'elle produit, la CSG est certainement le moins mauvais impôt auquel on puisse avoir recours. Une augmentation de ses taux ne serait toutefois acceptable que pour compléter une action drastique et efficace de maîtrise des dépenses et assurer de manière durable, et si possible définitive, l'équilibre des comptes sociaux.
5. Anticiper une contribution supplémentaire pour le remboursement de la dette sociale
A la fin de 2007, les déficits accumulés par les différentes branches et organismes de la sécurité sociale pourraient approcher 30 milliards d'euros et, compte tenu des montants inscrits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, dépasser 40 milliards d'euros à la fin 2008.
Actuellement, ces déficits sont couverts par les emprunts de trésorerie contractés par l'Acoss et la caisse centrale de la mutualité sociale agricole dans le cadre des plafonds annuels votés en loi de financement. Les montants de ces plafonds ne cessent de croître au fil des ans. Ils atteignent des montants records dans le projet de loi de financement pour 2008, soit 36 milliards pour le régime général et 8,4 milliards pour le Ffipsa.
Une telle situation va rapidement devenir intenable compte tenu des montants en jeu, surtout si de nouvelles perturbations devaient apparaître sur les marchés financiers. Elle exige donc qu'une décision soit prise par le Gouvernement.
L'attitude la plus logique consisterait à organiser un transfert de cette dette à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
La Cades, créée par l'ordonnance du 24 janvier 1996 dans cet objectif, a en effet d'abord repris l'ensemble des dettes accumulées par les quatre branches du régime général jusqu'en 1998 inclus. Puis, en application de la loi relative à l'assurance maladie du 13 août 2004, elle a également repris les dettes de la seule branche Maladie, accumulées jusqu'en 2006 inclus.
Au total, le montant des déficits transformés en dette gérée par la Cades s'élève, depuis 1996, à 107,7 milliards d'euros . Au 30 juin 2007, le capital amorti atteignait 33,1 milliards d'euros et la dette qui demeurait à rembourser 74,6 milliards d'euros .
Selon les indications fournies par la Cades, l'horizon de remboursement médian espéré est actuellement de quatorze ans, soit à l'échéance 2021 : on considère donc qu'il existe une chance sur deux pour que la totalité des emprunts contractés par la caisse ait été remboursée à cette date. Par rapport aux précédentes simulations, on constate que la situation s'améliore, puisque l'horizon médian de remboursement final était, en 2006, fixé à 2023.
Cet amortissement est possible grâce à la bonne tenue de la recette affectée exclusivement à cet usage. En effet, la CRDS, instituée en 1996 au moment de la création de la Cades, affiche, depuis l'origine, une croissance régulière. Au cours des dernières années, son rendement est passé de 5,2 milliards d'euros en 2005 à 5,5 milliards en 2006 et son montant estimé pour 2007 est de 5,7 milliards, avec un produit attendu pour 2008 proche de 6 milliards.
Fixée au taux de 0,5 %, cette contribution s'applique principalement aux revenus d'activité, pour 65 % de son produit, mais également aux revenus de remplacement (21,5 % du total), aux revenus de placement et du patrimoine (11,5 %) et aux jeux et bijoux (2 %).
Or, l'article 20 de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, modifiant l'ordonnance fondatrice de 1996, dispose que « tout nouveau transfert de dette à la caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale ».
La valeur organique de ces dispositions a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 juillet 2005, qui a ainsi clairement souligné le souci du législateur de ne pas reporter les charges de la solidarité sociale sur les générations futures.
Aussi, en application de cette disposition, une reprise de dette de 15 milliards d'euros exigerait, selon les calculs effectués par la Cades, que le taux de la CRDS soit porté de 0,5 % à 0,6 %. Pour une reprise de 30 milliards d'euros, soit à peu près le montant de la dette qui devrait être accumulé à la fin de 2007 , le taux de la CRDS devrait être porté à 0,7 % .
* 18 Rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de septembre 2007 - pp. 137-166.
* 19 Lire l'audition de Robert Baconnier, président de l'association des sociétés par action, en annexe au présent rapport.