2. La nature ambivalente du régime de Vladimir Poutine et les incertitudes sur le fonctionnement du tandem avec Dmitri Medvedev
S'agissant du déroulement de ces deux scrutins , on peut relever que, en dépit des affirmations du président de la commission électorale centrale, que les membres de la délégation ont rencontré, elles ont été entachées d'irrégularités manifestes, notamment dans certaines régions, comme la Tchétchénie, où les résultats officiels des élections législatives font état d'un taux de participation et d'un score de « Russie unie » de 99 %. Face à la volonté de Moscou de limiter de manière drastique le nombre d'observateurs étrangers, pour contrôler 95 000 bureaux de votes répartis sur le territoire, le bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE avait d'ailleurs renoncé à envoyer des observateurs pour superviser ces élections.
De plus, l'égalité des chances entre les différentes formations n'était pas pleinement assurée . Les difficultés rencontrées par certains candidats, le recours à la « ressource administrative », euphémisme désignant les pressions de diverse nature exercées par les autorités, mais surtout le traitement non équitable des différents partis et candidats dans les médias contrôlés par l'Etat semblent avoir contribué à réduire la concurrence et à amplifier la victoire de l'exécutif sortant.
Plus généralement, le lien étroit entre la télévision d'Etat et l'exécutif, comme le ton de moins en moins critique de la presse nationale, au demeurant peu diffusée hors des grandes métropoles, renforcent l'impression d'un affaiblissement du débat démocratique , accentué par l'absence de parti politique susceptible de défendre une alternative crédible, à l'exception du parti communiste.
Ce dernier est d'ailleurs le seul parti politique à disposer d'une véritable base électorale, les autres partis politiques n'étant que faiblement structurés, y compris le parti pro Poutine « Russie unie », dont la délégation a rencontré l'un des principaux dirigeants, qui, en dépit de ses succès électoraux, demeure un parti faiblement structuré composé surtout de cadres de l'administration.
Tous ces éléments dénotent, sur nombre de points, des écarts sensibles avec les standards de la démocratie pluraliste , tels qu'ils sont conçus dans les pays occidentaux, lesquels, il est vrai, n'ont guère eu l'occasion d'être pleinement mis en oeuvre en Russie.
Pour autant, il est évident que le résultat des élections législatives et présidentielles traduit un réel soutien populaire à Vladimir Poutine , confirmé d'ailleurs par toutes les enquêtes d'opinion.
Il est vrai que son image tranche évidemment avec celle, très dégradée, de son prédécesseur.
Les dernières années de la présidence de Boris Eltsine avaient, en effet, été marquées par l'instabilité politique, avec cinq changements de premier ministre en un an et demi, les scandales affectant la famille et les proches du président et les effets de la crise financière de l'été 1998.
À l'inverse, Vladimir Poutine peut incarner, aux yeux de la population, la restauration de l'autorité de l'Etat, y compris au travers des manifestations d'autorité dont il a fait preuve. Il a bénéficié d'une amélioration de la conjoncture économique qui a, par exemple, permis d'assurer le paiement régulier des traitements et pensions, mettant fin à l'un des dysfonctionnements les plus flagrants des pouvoirs publics.
Vladimir Poutine semble représenter aujourd'hui aux yeux des Russes, volontairement ou malgré lui, la figure d'un « leader national », ayant permis à la Russie de redresser son économie et de retrouver son rang sur la scène internationale. Force est de constater que la personnalité de Vladimir Poutine continue d'alimenter les interrogations sur l'évolution de la Russie vers les valeurs démocratiques occidentales, ou à l'inverse, vers la restauration de pratiques autoritaires.
Dans ce contexte, l'accession de Dmitri Medvedev à la présidence de la Fédération et le fonctionnement du tandem avec Vladimir Poutine doivent être examinés avec attention. D'autant plus que la Constitution russe reconnaît une prééminence au Président de la Fédération, qui s'est d'ailleurs fortement accentuée dans la pratique sous les deux mandats de Vladimir Poutine.
A cet égard, la décision de Vladimir Poutine de prendre la tête du parti « Russie unie » et de regrouper autour de lui la plupart des structures de l'administration présidentielle peut s'interpréter comme le signe d'un renforcement dans la pratique des pouvoirs du Premier ministre au détriment de ceux du Président de la Fédération. Ainsi, les « super préfets » à la tête des sept districts fédéraux, mis en place par Vladimir Poutine pour contrôler l'action des gouverneurs des sujets de la fédération, ne seront plus dépendants directement du Président de la Fédération, mais du Premier ministre.
Des tensions seront sans doute inévitables entre les deux hommes et la manière dont ils parviendront à les gérer aura certainement une grande influence sur l'avenir de la Russie et de son régime.