EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 8 octobre 2009 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :

M. Denis Badré :

Ce rapport vient à son heure. A une époque pas si lointaine, nous avions l'impression de déranger en parlant d'Europe. Aujourd'hui, ce n'est plus vrai, et le traité de Lisbonne reconnaît un rôle aux parlements nationaux. Plus généralement, il y a une avancée de fond vers un fonctionnement plus démocratique de l'Union. Nous devons apporter notre pierre et faire vivre le nouveau dispositif.

En France, le dialogue direct entre la Commission européenne et les assemblées est apparu comme une nouveauté exorbitante ; dans les autres pays, il a été plus facilement admis. Ce dialogue doit vraiment entrer dans les moeurs et le Gouvernement doit l'accepter.

La subsidiarité va être au coeur des débats européens, qu'il s'agisse du budget ou de l'exercice des compétences. Nous devons aller vers des partages de responsabilité plus précis et mieux compris. Le dialogue sur la subsidiarité est en soi quelque chose de très sain : il doit aider à sortir de la confusion.

Je voudrais par ailleurs souligner trois points.

Tout d'abord, nous avons besoin de relations plus structurées entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Aujourd'hui, il y a la COSAC, au sein de laquelle le Parlement européen ne pèse pas très lourd, et les réunions interparlementaires organisées à Bruxelles, où ce sont les parlements nationaux qui pèsent trop peu. Il faudrait parvenir à un dialogue équilibré, ce qui suppose qu'il soit mieux structuré, mieux encadré.

Deuxième point : quand on dit qu'il faut impliquer les parlements nationaux dans les questions européennes, cela signifie qu'il faut que tous les parlementaires nationaux s'impliquent. L'Europe doit devenir l'affaire de tous, et, pour cela, il faut notamment multiplier les travaux communs entre notre commission et les autres commissions du Sénat.

Troisième point : qui contrôle quoi ? Quelle est la part des parlements nationaux dans le contrôle de l'Exécutif européen ? J'ai été frappé, en découvrant comment travaille le Riksdag suédois, du contrôle très étroit qu'exercent les députés suédois sur leur gouvernement. Je ne dis pas que nous devons les imiter, mais je crois qu'il faut réfléchir à un meilleur contrôle.

M. Simon Sutour :

Effectivement, ce rapport intervient à un moment important. Les questions européennes ne vont plus être traitées de la même façon. Le traité de Lisbonne va entrer en application ; il y a eu la révision constitutionnelle, puis la réforme du Règlement.

Notre commission n'a plus grand-chose à voir avec la délégation à laquelle elle a succédé. Je ne sais pas combien de temps nous pourrons conserver la règle selon laquelle les membres de notre commission doivent être également membres d'une autre commission. En pratique, il va falloir choisir. Je comprends les réticences, mais je ne vois pas comment, les uns et les autres, nous arriverons à tout faire.

Je crois, moi aussi, que le dialogue avec le Parlement européen n'est pas assez développé, et qu'il sera désormais plus nécessaire. Quand j'étais rapporteur de la réforme de l'OCM viti-vinicole, on m'avait dit : inutile de rencontrer les parlementaires européens, dans ce domaine ils donnent simplement un avis ; avec le traité de Lisbonne, ce sera désormais la procédure de codécision qui s'appliquera. En même temps, les parlementaires européens souhaitent que les parlementaires nationaux relaient leurs préoccupations auprès des gouvernements. Il faut donc sortir de l'indifférence réciproque. Je souhaite qu'il y ait davantage d'auditions de parlementaires européens. L'audition d'Alain Lamassoure, la semaine dernière, n'était pas un bon exemple, car elle a eu lieu pendant les journées parlementaires socialistes, ce qui nous a empêchés d'y assister, mais, sur le principe, je crois qu'il faut multiplier les auditions de ce type. Je souscris globalement aux propositions figurant dans le rapport, sauf en ce qui concerne la procédure d'appel pour les avis motivés. La Conférence des présidents ne me paraît pas une instance adéquate car elle amplifie les majorités...

M. Hubert Haenel :

Désormais, la Conférence des présidents vote selon une pondération : les voix de chaque président de groupe dépendent des effectifs de son groupe.

M. Christian Cointat :

La Conférence des présidents est devenue un organe représentatif.

M. Simon Sutour :

Malgré tout, je préfèrerais que, en cas d'appel, il y ait une décision en séance publique, ou alors que ce soit éventuellement la commission compétente au fond qui soit l'instance d'appel.

Mme Monique Papon :

Ce rapport est intéressant et utile ; je dirais qu'il est fondateur pour notre commission. Je suis d'accord pour dire qu'il faut essayer d'impliquer tous les parlementaires dans les questions européennes, mais il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de chemin à faire ! Si nous voulons que les sénateurs soient présents en séance plénière pour les débats européens, il faut donner de meilleurs créneaux horaires pour ces débats. Il faut que nous soyons vigilants sur ce point.

Je comprends la nécessité d'une plus grande concertation entre parlements ; le rôle de la COSAC a été évoqué, mais je note qu'avec 27 parlements, il y a déjà 40 assemblées : ce ne sera pas simple de mettre en place un réseau qui fonctionne !

Mme Annie David :

Il était bon de lancer la réflexion, alors que le traité de Lisbonne va changer les choses. Je suis d'accord pour une meilleure implication des parlements nationaux, et pour reconnaître qu'il y a beaucoup à faire pour cela dans notre pays. Mais cela concerne aussi le Gouvernement : j'observe qu'à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi sur le Grenelle de l'Environnement, le Gouvernement a obtenu une habilitation à transposer par ordonnances certaines directives européennes. Pour que les parlementaires puissent s'impliquer, il faut aussi que le Gouvernement accepte de jouer le jeu !

M. Pierre Fauchon :

Je voudrais revenir sur deux points.

Le premier est la spécialisation de notre commission. Je reconnais que l'appartenance à deux commissions pose à chacun de nous des problèmes compliqués. Mais on ne peut pas mettre à part les questions européennes : elles sont indissociables des affaires nationales. Nous le voyons pour les résolutions de l'article 88-4 : notre commission doit ouvrir la voie, mais pour les textes importants, il faut que la commission saisie au fond intervienne, car il y a toujours un lien entre affaires européennes et nationales.

Deuxième point : il ne faut pas se faire d'illusions sur ce que peuvent faire aujourd'hui collectivement les parlements nationaux. Avec quarante assemblées, cela devient très lourd. Il faut associer étroitement les parlements nationaux, les informer, leur donner un rôle en matière de subsidiarité, mais si nous devons aller vers une vraie structure fédérale en Europe, il faudra poser le problème autrement. Dans une structure fédérale, il faut une seconde Chambre représentant les États membres : il y a une première Chambre représentant les citoyens et une seconde Chambre représentant les États. Et ces représentants des États, dans le cas de l'Europe, devraient être élus par les parlements nationaux. Je crois qu'il faudra un jour en arriver là et je souligne que cela ne réduirait pas le rôle de chaque parlement à l'échelon national. On nous dit que le Conseil des ministres est déjà une seconde Chambre : ce n'est pas tenable. Le Conseil est une instance intergouvernementale, ce n'est pas une assemblée parlementaire.

Mme Bernadette Bourzai :

J'ai également été intéressée par le rapport ; mes observations rejoignent celles de Simon Sutour : appartenir à deux commissions devient de plus en plus difficile, il faudra trouver une solution. Je crois que nous avons intérêt à nous rapprocher des autres parlements nationaux et à développer les auditions de présidents de commissions du Parlement européen : en effet, même si le budget européen demeure relativement modeste, les prochaines perspectives financières auront une importance capitale pour l'avenir de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Nous devrons nous faire entendre.

M. Jean Bizet :

Je partage la plupart des observations qui ont été faites, d'où qu'elles viennent ; c'est un signe de maturité de notre commission, à mon avis, qu'il n'y ait pas entre nous d'opposition systématique sur tous les sujets, même si ce climat nous est parfois reproché. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire partager nos préoccupations à tous nos collègues. On entend moins les slogans simplistes sur le thème : « C'est la faute à l'Europe » , mais il y a encore une grande méconnaissance de la construction européenne. Je crois qu'il faut améliorer les rapports avec le Gouvernement en amont et en aval des réunions du Conseil. Le débat avant les réunions du Conseil européen est parfois artificiel. Dans les pays d'Europe du Nord, c'est presque un mandat que les parlements donnent au Gouvernement ...

M. Pierre Fauchon :

Au Danemark, c'est un mandat !

M. Jean Bizet :

Il faut en tout cas un dialogue plus serré et un suivi des positions qui sont prises. Ce n'est pas seulement un problème à l'échelon national. À l'échelon européen, le commissaire Mandelson avait un mandat du Conseil pour négocier le cycle de Doha, et, quand on regarde attentivement le « pré-accord » agricole accepté par l'Europe en juillet 2008, on voit que ce mandat a été transgressé.

M. Christian Cointat :

J'approuve le rapport et je me reconnais dans la plupart des observations des autres intervenants. Je dirais volontiers qu'il faut trouver un juste milieu entre l'Europe du Nord et notre situation. Si nous avions vingt-sept mandats impératifs autour de la table du Conseil, tout serait bloqué ; pour autant, on ne peut accepter que le Gouvernement se borne à nous informer et à nous écouter poliment : il faut un réel dialogue, qui nous permette d'avoir une influence.

M. Simon Sutour :

Je partage ce point de vue. Lors des débats qui précèdent le Conseil européen, les orateurs sont souvent loin du sujet, car ils ne croient pas pouvoir influencer le Gouvernement. Et je ne parle pas de la dévalorisation qu'entraîne, le cas échéant, le recours au « petit hémicycle ».

M. Hubert Haenel :

Je voudrais tout d'abord indiquer que notre collègue Robert Badinter m'a fait savoir qu'il approuvait le rapport.

Je suis d'accord avec Denis Badré pour constater que le nouveau rôle des parlements nationaux heurte des habitudes bien ancrées du côté gouvernemental. Nous rencontrons des résistances ; malheureusement, il faut encore exiger pour exister. Pour les relations avec le Parlement européen, nous venons de loin : il n'y avait pas d'habitude de travail en commun ; maintenant les choses vont en s'améliorant. Les réunions organisées conjointement par le Parlement européen et le Parlement du pays exerçant la présidence sont un bon moyen d'arriver à un équilibre dans les droits d'expression. Il est difficile de définir l'Exécutif européen, le contrôle doit prendre diverses voies ; en tout cas, il est sûr que nous devons contrôler notre propre Exécutif : c'est un des aspects de la question.

Je reconnais que Simon Sutour pose un vrai problème en soulignant la difficulté de participer à la fois à nos travaux et à ceux d'une autre commission. Il faut d'abord chercher des solutions sur le plan pratique. Pour ce qui est de la procédure d'appel pour les avis motivés, on peut certainement améliorer mes propositions, par exemple prévoir un passage en séance publique et un recours à la Conférence des présidents seulement si ce n'est pas possible. Je ne prétends pas avoir fourni tout de suite la solution idéale. En revanche, je ne partage pas les critiques concernant le « petit hémicycle » : la parole y est plus libre et davantage de collègues peuvent intervenir.

Comme Monique Papon, je crois que nous devrons faire vivre de notre mieux les procédures introduites par le traité de Lisbonne, et qu'il faut pour cela renforcer la concertation interparlementaire. La présidence espagnole a été chargée par la COSAC de s'emparer du sujet. Déjà, le 12 décembre prochain, les présidents de Parlement vont aborder ce sujet essentiel.

Je répondrai à Annie David que le problème des transpositions de directives par ordonnances revient régulièrement : c'est effectivement inacceptable dès lors qu'il ne s'agit pas de textes de nature technique. Nous avons de la peine à nous faire entendre en amont de l'adoption des textes, si nous sommes écartés aussi de la transposition, le Parlement est squeezé .

Je crois que Pierre Fauchon a raison de vouloir que notre commission ne devienne pas une commission spécialisée, et qu'elle travaille avec les autres commissions. Pour ce qui est de la seconde Chambre, nous avons essayé de lancer le débat durant la Convention : ce fut une levée de boucliers. Mais je crois que les esprits évolueront. Je reste attaché à l'idée d'un « Congrès » qui se réunirait une fois par an pour un grand débat, une reddition des comptes, et qui pourrait jouer un rôle dans la révision simplifiée des traités ; cette instance permettait d'associer régulièrement des délégués des parlements nationaux à la vie de l'Union. Au stade actuel de la construction européenne, ce serait à mon avis une formule bien adaptée.

Je suis d'accord avec Bernadette Bourzai pour renforcer les contacts avec le Parlement européen, notamment dans la perspective de la révision des perspectives financières et des enjeux de celle-ci pour la PAC.

Comme Jean Bizet, je me réjouis que la « politique politicienne » n'ait pas une trop grande place dans nos travaux. Je voudrais souligner que, désormais, avec le traité de Lisbonne, les parlementaires ne pourront plus se défausser sur l'Europe : comme ils auront désormais des instruments d'intervention, ils auront à rendre compte de leur utilisation. S'ils critiquent un texte européen, on pourra leur répondre : « Pourquoi n'avez-vous rien fait ? ».

Pour nos rapports avec le Gouvernement, je ne rêve pas d'un mandat impératif, qui serait d'ailleurs contraire à la Constitution, mais je constate que nous sommes loin du « juste milieu » que Christian Cointat propose à bon droit.

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