B. LA SECURITÉ EUROPÉENNE ET LE MOYEN-ORIENT
La cinquante-sixième session avait été l'occasion pour Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC), rapporteur au nom de la commission politique, d'effectuer une présentation orale de son rapport d'information sur les incidences de la situation au Moyen-Orient sur la sécurité européenne. L'absence d'évolution significative de la situation à Gaza avait conduit la commission politique à reporter l'examen de ce document et autoriser sa rapporteuse à poursuivre ses entretiens en Jordanie, au Liban et en Israël.
Le rapport dresse un état des lieux de la situation au Proche-Orient mais également en Irak et en Iran. Comme l'a souligné Mme Durrieu, le règlement du conflit israélo-palestinien est un préalable essentiel à l'instauration d'une paix durable au Moyen-Orient :
«Il y a quelques mois, à l'occasion de notre dernière session, j'évoquais la sécurité et le Moyen-Orient, considérant que l'on pouvait retenir, au-delà de l'Afghanistan, trois problèmes essentiels : l'Irak, l'Iran et le conflit israélo-palestinien. Je poserai les mêmes questions aujourd'hui :
L'Irak. La pacification est-elle réelle ? La stabilisation démocratique est-elle vraiment engagée ? La reconstruction a-t-elle démarré ? Dans l'immédiat, la réponse est négative.
L'Iran. Le nucléaire : menace ou risque ? Menace, c'est certain ; et également un risque. Nous devons toutefois considérer que le plus grand des risques réside dans le déséquilibre des forces - dans le domaine nucléaire plus qu'ailleurs. Or, dans cette région, nous constatons un déséquilibre des forces. Nous pouvons donc affirmer qu'il y a risque.
Le conflit israélo-palestinien. Il est central. Le Président Bush affirmait qu'il était régional au contraire du Président Obama, mais ce dernier connaît des difficultés à l'aborder, plus encore à le régler. Trois mois après notre dernière session, la situation n'ayant guère évolué - ou ayant évolué défavorablement -, je me pose deux questions majeures : premièrement, comment assurer la paix et la sécurité des Israéliens et des Palestiniens ? Deuxièmement : peut-on éviter la nucléarisation de l'ensemble du Moyen-Orient tant il est vrai qu'il faut considérer les potentialités iraniennes, les volontés et les ambitions ? La maîtrise par certains pays du fait nucléaire engendre un risque sur l'ensemble de cette région. C'est pourquoi nous pourrons demander la mise en perspective de la dénucléarisation.
Pour dresser l'état des lieux, je procéderai par lieux communs. La situation est bloquée et nous nous enlisons.
Le Président Obama n'a pas fait évoluer la situation comme nous l'espérions, mais notre attente était immense alors que ses possibilités ne le sont pas. Nous sommes probablement déçus par la volte-face des Américains. Le Président Obama avait sagement envoyé un émissaire, M. Mitchell, qu'il a remplacé par Mme Clinton, dont les propos n'ont pas fait progresser la situation. Pour le Président Obama, la centralité du conflit est une réalité. Il veut la paix au Moyen-Orient et doit définir une nouvelle stratégie dans l'immédiat.
Le statu quo bénéficie à Israël et au Hamas. Nous constatons l'obstination d'Israël, comme le faisait récemment remarquer l'ambassadeur Barnavi qui a également relevé la démarche autodestructrice, que nous ne savons pas empêcher. Rappelons de la façon la plus ferme notre engagement et notre volonté sur deux principes essentiels : droit sacré d'Israël à l'existence de son État, droit d'Israël à la sécurité, mais ensuite il conviendra de faire siens ces mots, car il faut introduire un peu de morale en politique : non à la colonisation, non au mur, non à l'enfermement de Jérusalem. Ceux qui ne s'y sont pas rendus ne peuvent dire « non » de la même façon, et je le comprends. « Arrêtez » signifie ne pas aller plus loin, alors que les frontières de 1967 n'ont pas été respectées. Non à la poursuite de la colonisation ! Nous pourrons ensuite discuter. M. Netanyahou a déclaré l'arrêt pendant dix mois. Si donc il le dit, nous pouvons le dire : non à l'occupation. Les check points : on en défait un, on en construit deux. Il y a occupation de la Cisjordanie et blocus de Gaza.
Au cours d'une mission que j'effectuais pour notre Assemblée, je me suis rendue avec mon collègue Turkes et notre collaborateur Floris De Gou à Gaza. Je veux vous livrer mes impressions. M. Turkes a réussi à passer, car il avait son passeport diplomatique, ce qui n'était pas mon cas. Pendant deux à trois heures, j'ai subi une situation insupportable, mais elle est certainement plus insupportable pour d'autres que pour moi. Cela m'a permis de voir et de vivre la situation, de passer par les fameux tunnels, car il en existe un du côté israélien. Je ne veux pas faire de la provocation, mais quand je suis sortie de ce tunnel, de la zone israélienne pour entrer dans Gaza, en me retournant et en voyant le mur et le mirador, j'avais le sentiment d'être entrée ailleurs. Je dirai que je n'ai pu voir que Gaza City, dans la mesure où, ayant perdu trois heures, je n'ai pu me rendre dans la périphérie. Il n'y a rien de comparable entre Gaza et ce que l'on a pu voir au Kosovo, en Tchétchénie et même à Beyrouth. Gaza est amplement détruite, Gaza City beaucoup moins, ce que je n'avais pas lu dans les journaux. La situation à Gaza est dramatique.
Dans le rapport, des trafics d'armes sont évoqués alors qu'il faut parler d'une multitude de trafics ; sachez qu'il existe mille tunnels entre Gaza et l'Égypte, et que, dans trois d'entre eux, il est possible de passer avec des camions. Ces faits ne sont pas souvent écrits et c'est pourquoi je vous apporte mon témoignage. Le blocus de Gaza est insupportable. Il bénéficie au Hamas.
Que reste-t-il du peuple palestinien divisé ? Je n'insisterai pas sur notre responsabilité, mais elle est réelle. En 2006, au vu des résultats des élections, ma consternation n'avait d'égale que la vôtre : le Hamas avait gagné et le Fatah avait perdu. Mais quand nous refusons le résultat, nous avons tort, car il faut assumer les conséquences de la démocratie, même si la surprise est insupportable. Et elle m'était insupportable autant qu'à vous.
Avons-nous eu raison de ne pas reconnaître les résultats ? Vu la situation actuelle, peut-être aurions-nous pu gérer autrement. La guerre découle de là. Aujourd'hui, qu'advient-il du peuple palestinien ? Il est divisé, il n'a plus de gouvernement. Il n'y a plus d'autorité palestinienne. Abou Mazen dit qu'il ne continuera pas alors que, lui aussi, a droit à un État avec des frontières. Il lui reste le droit à la résistance. Il est curieux que l'on ne puisse introduire ce mot dans nos rapports. Hier, je l'ai accepté ; je n'ai pas eu le choix, nous avons voté. On ne fait donc pas référence au droit à la résistance - Article 2 de la Déclaration française des droits de l'homme de 1789 - ni à la condamnation du terrorisme. Reconnaissance du droit à la résistance ? Oui, il faudra bien y arriver. Condamnation du terrorisme ? C'est un droit. Nous avons des principes, mais nous avons aussi une morale.
Le principe du droit de retour des réfugiés ? Il ne se découpe pas, c'est un principe ; il n'en reste pas moins que des modalités interviendront, car il est impensable, invraisemblable, irréaliste, de penser que les réfugiés reviendront et qu'ils pourraient être intégrés. Pour réconcilier le peuple palestinien, il n'y a plus qu'une seule démarche : les élections, ces élections, que l'on ne finit pas de repousser. Je ne pense pas d'ailleurs que la perspective du 24 janvier soit réaliste - c'est dommage. Il n'y aura de réconciliation du peuple palestinien que par les élections. Il faudra savoir qui du Fatah et du Hamas a la légitimité. Si nous n'avons pas le courage de dire que des élections sont indispensables, le peuple palestinien restera en l'état, et si cet état nous arrange, cela peut durer très longtemps ; ce sera le statu quo.
Quels sont les acteurs de ce drame ? Outre l'Égypte, qui est un médiateur, je souhaite saluer la Turquie qui parle à tout le monde, aussi bien à Israël qu'à la Syrie.
En ce qui concerne les États arabes, il y a le fameux programme de paix du roi Fahd d'Arabie - Beyrouth en 2002 - adopté par la Ligue arabe. On a presque envie de dire qu'ils ont fait le maximum, que tous les éléments sont sur la table. Pourtant, s'ils sont tous musulmans, ils ne sont pas unis ; il y a des sunnites, des chiites et les Frères musulmans.
Je voudrais également parler de la Syrie qui peut être un acteur. J'ai rencontré le Président Assad la semaine dernière, qui souhaite normaliser ses relations avec l'Europe et les États-Unis. Il est solidaire des Palestiniens, du Hezbollah comme du Hamas, qu'il considère comme des résistants, et m'a très justement dit que les résistants français ont bien obtenu, eux, le soutien de l'Angleterre entre 1939 et 1945.
La faiblesse politique de l'Union européenne est évidente et son engagement financier énorme. Je vous conseille, mes chers collègues, de lire un article du journal Le Monde du 18 novembre dernier, dans lequel il est indiqué que la coopération internationale représente plus de 7 milliards d'euros, 42 États et 30 agences. Nous finançons un État fantôme et des opérations surprenantes.
Nous finançons des projets pilotes dans le monde, en termes de technicité, concernant le contrôle des frontières, le système judiciaire, la police et la formation, l'enregistrement foncier au niveau de la Palestine. Cet État palestinien n'existe pas, mais le jour où il existera, il pourra fonctionner.
Si les protagonistes ne sont pas capables de trouver une solution, mettons-en une sur la table ! C'est une boutade, de la provocation, mais comment sortir de cette crise sinon par une décision qui devra être prise par la communauté internationale, à savoir par l'ONU ?
Il faut sauver Israël malgré lui, son devenir passe par la création d'un État palestinien. »
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - Nouveau Centre), Président de l'Assemblée parlementaire pour la Méditerranée a été invité à participer à ce débat :
« Je rappelle que nous sommes une jeune assemblée interparlementaire, dont la création remonte à 2006, à Amman, notre siège étant à Malte. Elle regroupe l'ensemble des pays méditerranéens, à l'exception notable, - et nous le regrettons tous -, de l'Espagne qui avait pourtant participé à tous nos travaux. En effet, comme vous l'avez dit, et comme nous l'avons d'ailleurs évoqué précédemment, l'Espagne observe un retrait sur la diplomatie parlementaire tout à fait regrettable, et nous espérons bien que le parlement espagnol reviendra sur cette politique de la chaise vide internationale, qui me paraît extrêmement préjudiciable pour l'Espagne elle-même mais aussi pour le débat interparlementaire que nous devons nourrir ensemble.
Je tiens aussi à féliciter Josette Durrieu pour son rapport. Il est extrêmement difficile d'élaborer des rapports sur le Proche-Orient : c'est un sujet immense, très compliqué, sur lequel on a toujours tort et raison à la fois, sur lequel on doit essayer de faire preuve de l'imagination la plus échevelée parfois, pour trouver des solutions que malheureusement nous ne trouvons pas.
Pour autant, nous ne devons pas désespérer. Nous devons continuer les uns et les autres à y croire, et à dire aux uns et aux autres, aux Israéliens comme aux Palestiniens, que la paix est le seul objectif que l'on puisse poursuivre, que la guerre est peut-être un moyen mais qu'elle ne peut pas être une fin et que, de toute façon, les uns et les autres seront condamnés un jour à faire la paix, car les uns et les autres resteront là où ils sont, de sorte qu'il faudra bien trouver des solutions pour leur permettre de vivre ensemble.
Après tout, en Europe nous avons bien connu des guerres fratricides : pour notre génération, la guerre entre la France et l'Allemagne est quelque chose d'inimaginable et pourtant bien des générations en ont souffert avant nous. Ce qui a été possible en Europe doit un jour pouvoir, non pas se transposer au Proche-Orient car l'expérience n'est pas transposable, mais en tout cas inspirer celles et ceux qui sont à la recherche de la paix.
La situation au Moyen-Orient est évidemment au coeur de nos préoccupations et il y a quelques mois nous avons fait une mission au Proche-Orient. Nous sommes allés en particulier à Gaza, mais aussi en Égypte, en Israël, en Jordanie, et je salue Elissavet Papadimitriou qui était membre de cette délégation au sein de l'Assemblée parlementaire pour la Méditerranée à ce moment-là. C'est dans cet esprit également qu'à la demande des Nations unies, nous organiserons les 11 et 12 février prochains, au siège de notre assemblée, une réunion qui se penchera sur les cinq principaux problèmes qui doivent être résolus pour espérer qu'une solution pacifique finale soit trouvée : la question des frontières, le statut de Jérusalem, les colonies, la question des réfugiés et la problématique de l'eau.
Je suis d'ailleurs honoré aujourd'hui d'inviter votre assemblée à participer à cette conférence afin que vous puissiez, à l'aide de votre riche expérience, contribuer au débat et être associés à la recherche d'une solution à ces cinq problèmes clés. Nous espérons qu'Israël pourra également y participer.
Nous avons également sollicité les Américains pour être associés à cette réunion, car, s'ils ne sont pas eux-mêmes Méditerranéens, nous savons bien évidemment qu'ils jouent en Méditerranée comme dans le monde un rôle extrêmement important. Il est donc utile que ce débat leur soit également ouvert.
C'est donc dans un esprit de dialogue que nos parlementaires de la Méditerranée discutent des solutions à apporter entre eux, mais également avec leurs gouvernements et tous les acteurs clés de la région sur des problèmes communs tels que le terrorisme, l'énergie, le changement climatique ou les migrations. A cet égard, je voudrais redire que, sur le terrorisme, nous avons adopté un rapport à l'unanimité : c'est dire que c'était un sujet sur lequel nous étions parvenus à trouver des lignes de force.
Voilà ce que je voulais vous dire, Madame la présidente, pour rester dans le temps qui m'est imparti, en ajoutant une dernière question à l'adresse de Mme Durrieu : dans le rapport, il n'est pas fait état de la Jordanie. Or, nous constatons que la Jordanie joue un rôle important dans la région pour la recherche du processus de paix, en particulier au sein de l'Assemblée interparlementaire pour la Méditerranée. J'aimerais donc connaître les raisons de cette absence. »
Dans sa réponse à l'hémicycle, Mme Durrieu a naturellement tenu à rappeler le rôle de la Jordanie mais également a souligner l'évolution du texte présenté devant l'Assemblée en vue de répondre aux objections de certains parlementaires quant à l'absence de référence à la colonisation des territoires palestiniens :
« M. Salles, je vous remercie pour votre propos et sachez que nous n'avons pas oublié la Jordanie. Nous n'avons pas insisté sur son rôle, tout simplement parce qu'aucune action immédiate et visible n'est d'actualité. Mais, bien entendu, elle est un acteur à part entière.
Je souhaiterais également remercier Mme Papadimitriou pour son intervention, hier, en commission, que j'ai trouvée déterminante. Ce type de témoignage, fort et qui parle de la réalité, aide à rétablir un certain équilibre.
M. Fassino a, quant à lui, raccroché les éléments nouveaux les uns aux autres, éléments qui peuvent nous aider à retrouver cette confiance indispensable. Cependant, la confiance, ça se gagne, ça ne se décrète pas ; or c'est bien de confiance qu'il manque dans cette situation que je ne qualifierai pas de désespérée, mais qui est si lourde à gérer.
Notre collègue, M. Vrettos, a beaucoup parlé des Palestiniens et, il a raison, il est important de le répéter : la réconciliation ne pourra avoir lieu qu'après de nouvelles élections. Et il nous appartient, nous, anciennes démocraties responsables, d'en accepter les résultats quels qu'ils soient. Ce que nous n'avons pas fait la dernière fois.
M. Haupert, vous avez eu raison d'insister sur le rôle tout à fait mineur de l'Europe à l'heure actuelle. Mais dépassons nos divisions et faisons confiance à Mme Ashton, que personne ne connaît - hier c'était Tony Blair -, mais sur qui je vais fonder des espoirs, étant entendu qu'il faut absolument y croire.
M. Austin, sachez que si le rapport m'appartient, les recommandations et les résolutions sont celles de la commission. Quand je n'étais pas d'accord, je l'ai dit et il y a eu un vote. Je m'y soumets donc. Je n'ai pas eu la majorité ; les recommandations sont celles qui sont sorties de nos travaux. Pour ma part, dans le rapport, j'avais écrit clairement sur la colonisation, le blocus et l'occupation - car je ne supporte plus cette situation politique. Ainsi, le premier jet était tout simplement le suivant : « considérant qu'Israël doit procéder à l'arrêt de la colonisation, compris à Jérusalem-Est ». La rédaction soumise à notre approbation est différente, mais il serait assez drôle que le rapport final apparaisse trop favorable à Israël...
J'ai trouvé, je pense, une position d'équilibre dans mon esprit et dans ma démarche politique. Encore une fois, il y a quinze ans que je vais dans ce pays et que je vois que les choses non pas évoluer mais se refermer.
S'agissant de l'Iran, M. Clappison, il y a effectivement un risque et une menace. La menace est d'autant plus forte que le président actuel est quelqu'un dont on ne maîtrise apparemment ni le discours ni peut-être l'action politique. Sur ce point, vous avez parfaitement raison. Il reste que le peuple iranien est un grand peuple, avec un passé et, pour y être allée, je puis vous dire qu'il se pose beaucoup de questions. Osons dire que la paix ne sortira que d'un équilibre des forces, et surtout de la dénucléarisation de cette zone. Si vous le pensez, dites-le : il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes qui parlent.
Je voudrais terminer mon intervention en faisant écho aux propos de Rudy Salles : il n'y aura d'issue que par la paix, ce n'est pas par la force qu'Israël survivra ! »
La recommandation, adoptée à l'unanimité, préconise le maintien d'une pression par le Quartet (Nations unies, États-Unis, Union européenne, Russie) sur Israël et les Palestiniens afin que cesse toute forme de violence. Elle invite l'Égypte et la Turquie à poursuivre leur entreprise de médiation dans la région. Elle souligne également le rôle capital que peut exercer la Syrie dans cette région. Elle appelle à un règlement pacifique et diplomatique de la question du nucléaire iranien.