III. CETTE « NOUVELLE DONNE COMMUNAUTAIRE », DONT TOUTE LA PORTÉE N'A PAS ENCORE ÉTÉ DÉTERMINÉE, OUVRE NÉANMOINS DE RÉELLES PERSPECTIVES À LA MUTUALISATION
Lors du déplacement à Bruxelles, il a clairement été confirmé que les « critères Teckal » ne constituaient plus le seul élément de référence pour apprécier si une entreprise de mutualisation est conforme au droit communautaire.
Les récentes évolutions permettent donc bien d'aborder désormais la dialectique mutualisation/droit communautaire au regard des activités concernées .
Ce point n'étant pas contesté, la question se pose donc de savoir quelles activités, et le cas échéant sous quelles conditions, peuvent ainsi donner lieu à des mutualisations purement conventionnelles sans porter atteinte au droit communautaire. La jurisprudence en la matière n'étant pas encore fixée de manière ferme, la porte reste ouverte à des interprétations divergentes. C'est ainsi que les personnes rencontrées lors du déplacement à Bruxelles se sont montrés plus ou moins larges -ou plus ou moins stricts- sur la portée effective de ce que votre rapporteur a appelé « la nouvelle donne communautaire ».
Il résulte de ces entretiens :
- d'une part, que les SNEIG peuvent donner lieu à mutualisation sans condition, mais que la portée de cette notion reste à déterminer ;
- d'autre part, que d'autres activités peuvent donner lieu à mutualisation, à condition de respecter certaines conditions encore mal définies.
Nonobstant certaines incertitudes, sur lesquelles votre rapporteur reviendra, ces deux conclusions constituent autant de pistes qu'il appartient aux responsables politiques d'explorer s'ils veulent, comme ils en ont le devoir, développer la mutualisation.
A. 1ÈRE PISTE : APPLIQUÉE À DES SNEIG, LA MUTUALISATION DES MOYENS PEUT ÊTRE RÉALISÉE SANS CONDITIONS PARTICULIÈRES
Il a été confirmé aux sénateurs participants au déplacement à Bruxelles que les activités entrant dans la catégorie des services non économiques d'intérêt général (SNEIG) peuvent, à coup sûr et sans conditions particulières, donner lieu à mutualisation pour la bonne et simple raison qu'elles sont en dehors du champ d'application du droit communautaire.
En revanche, il n'y avait pas de consensus sur ce qu'il convenait d'entendre par SNEIG.
Selon la conception la plus restrictive (et minoritaire), ne serait concernés que les services participant à l'exercice d'un droit régalien.
Votre rapporteur ne partage pas une interprétation aussi restrictive. Il observe que le TFUE consacre, dans son article 51, la notion d'« activités participant, dans un État membre, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique » 4 ( * ) . Telle qu'interprétée par le juge communautaire, cette notion de participation à l'exercice de l'autorité publique implique la faculté d'user « de droits exclusifs, de privilèges de puissance publique ou de pouvoirs de coercition »... autrement dit une participation à l'exercice de pouvoirs régaliens.
Ainsi, si l'interprétation stricte était la bonne, la notion de SNEIG serait en quelque sorte synonyme de celle de « participation à l'exercice de l'autorité publique ». Sauf à considérer qu'il aurait délibérément cherché à brouiller davantage l'analyse juridique déjà complexe des traités, on ne voit vraiment pas pourquoi le « constituant » communautaire aurait recouru à deux expressions différentes pour désigner la même réalité.
La notion de SNEIG recouvre donc, selon votre rapporteur, un champ forcément plus large que celui des seuls services régaliens. 5 ( * )
Cette conclusion a d'ailleurs été partagée par la majorité des personnes rencontrées à Bruxelles pour qui la notion de SNEIG serait relative : selon les circonstances (notamment selon son objet, ses modalités d'organisation ou de fonctionnement et ses modalités de financement), une même activité pourrait être qualifiée ici de service non économique et ailleurs de service économique.
Cette conception des SNEIG n'est pas sans rappeler la distinction effectuée par le droit français entre services publics administratifs (SPA) et services publics industriels et commerciaux (SPIC). Notre droit administratif, lui aussi, fait de ces catégories des concepts relatifs, puisque la distinction entre SPA et SPIC s'effectue en fonctions de paramètres parmi lesquels figurent, outre l'objet du service, ses modalités d'organisation et ses modalités de fonctionnement. Il en résulte que, selon les circonstances, une même activité peut entrer tantôt dans la catégorie des SPA, tantôt dans celle des SPIC.
Ces points communs, pour le moins frappant, entre l'approche communautaire et l'approche nationale donnent à penser que les deux se rejoignent dans une très large mesure, si bien que la distinction européenne entre SNEIG et SEIG recouvrirait peu ou prou la distinction de notre droit administratif entre SPA et SPIC.
On en vient donc, sur ce point, à la conclusion selon laquelle il appartient au pouvoir politique national d'explorer la piste d'une autorisation des mutualisations portant sur des services publics administratifs (ou, par analogie avec le droit communautaire qui raisonne par négation, portant sur des services publics non industriels ou commerciaux).
* 4 Notion qui exclut lesdites activités des dispositions de droit primaire relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.
* 5 Dans ses conclusions sur l'arrêt « Coditel Brabant », l'avocat général a d'ailleurs tenu ce propos, que votre rapporteur invite à méditer : « devrait entre autres compter au nombre des missions plus ou moins traditionnelles des communes et des collectivités territoriales la garantie des prestations dites « de base », comme l'organisation et/ou l'exploitation de l'approvisionnement en énergie et en eau, du transport public, de l'élimination des déchets, des infrastructures éducatives et culturelles ainsi que des hôpitaux ».