ANNEXES - CONTRIBUTION DU SÉNATEUR GILBERT BARBIER
Je félicite Nicolas About d'avoir mené à son terme les travaux du groupe de travail sur la fin de vie. Dans ce débat délicat, son rapport cherche un consensus qui me paraît néanmoins difficile à trouver entre les approches fondamentalement différentes des unes et des autres.
Il importe tout d'abord de rappeler les propositions de Marie de Hennezel et de bien faire la distinction entre :
- la limitation ou l'arrêt des thérapeutiques actives ;
- le soulagement de la douleur et de l'angoisse, même lorsqu'il engage le risque vital ;
- l'acte de donner intentionnellement la mort, l'euthanasie au sens propre.
Les lois successives, de 1999 sur les soins palliatifs, de 2002 sur les droits des malades et la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie, permettent aujourd'hui au personnel soignant d'agir en toute légalité.
Bien sûr, la prise en charge d'une manière satisfaisante des personnes en fin de vie n'est pas encore généralisée dans tous les établissements, faute peut être de moyens, faute de formation spécialisée, faute aussi de méconnaissance des ressources des soins palliatifs et de l'accompagnement. Mais d'importants progrès ont été accomplis et la généralisation des soins palliatifs me paraît être la bonne réponse à l'angoisse de tout un chacun.
Les sondages réalisés sont souvent orientés et tendancieux et révèlent une parfaite méconnaissance du grand public des pratiques et des lois. En effet, personne ne souhaite finir sa vie dans d'atroces souffrances physiques, dans la déchéance morale ou intellectuelle, dans l'isolement. Ce sont les biens portants qui répondent favorablement à l'euthanasie mais leur attitude est bien différente lorsqu'ils se trouvent personnellement confrontés à ce dilemme.
Je reconnais que les lois ne sont pas toujours bien appliquées ; cela ne justifie pas cependant une loi autorisant l'euthanasie en tant que telle, c'est-à-dire l'acte de provoquer délibérément la mort.
J'ai assisté, il y a quelque temps, à une assemblée départementale d'une association réclamant une telle loi. J'ai entendu les propos du président national, auteur du livre « les voleurs de liberté », visant les parlementaires et notamment ces médecins qui obèreraient le débat. Les arguments sont, je le dis, lamentables et consternants et ne me font pas changer d'avis malgré les menaces proférées.
Le rapport du président Nicolas About préconise une étude sur les pratiques liées à la fin de vie afin de répondre aux besoins de connaissance sur le sujet. Cette tâche sera confiée à l'observatoire national de la fin de vie, récemment créé.
J'acquiesce évidemment à cette proposition malgré les difficultés d'une telle étude. La pratique de quarante années de médecine hospitalière et la rencontre de la mort dans les services d'urgences, en réanimation, au bloc opératoire, en gériatrie avec tous les aspects que cela représente, me rendent toutefois interrogatif quant aux conclusions que l'on pourrait en tirer. S'agit-il de constater des pratiques d'euthanasie pour mieux justifier leur légalisation ? Ou s'agit-il d'améliorer la prise en charge de la fin de vie et de lutter contre certaines pratiques clandestines, parfois fondées sur des critères manifestement inadmissibles, dans quelques établissements ? Dans ce dernier cas, cette enquête aurait une grande utilité. Quoi qu'il en soit, elle sera difficile à conduire et surtout à interpréter en fonction des différentes situations.
Le rapport propose également de laisser au juge le soin d'apprécier l'acte d'euthanasie, en prenant en compte les raisons qui l'ont motivé, et de décider le classement sans suite des affaires sous le prétexte d'une « euthanasie fondée sur un sentiment d'humanité ». Le groupe de travail a souhaité qu'une instruction en ce sens soit adressée par le Garde des Sceaux aux parquets.
Cette proposition me paraît, en revanche, trop ambiguë pour être acceptée. Elle est une porte ouverte à toutes les interprétations et revient en fait à transférer au juge une décision qui est du strict ressort du législateur. La jurisprudence ne saurait se substituer au débat d'éthique que nous avons le devoir d'aborder.
Comment interpréter ce sentiment d'humanité ? A qui sera-t-il reconnu ? Aux médecins, aux soignants, à un parent, à un proche ? Y aura-t-il une procédure d'appel ?
Le sentiment d'humanité comporte tellement de subjectivité que le personnel soignant va se trouver dans une situation impossible. Il existe bien d'autres raisons de donner la mort à autrui, mais dans la situation de fin de vie qui nous préoccupe, y aurait-il d'autres raisons à envisager que le sentiment d'humanité ? Le rapporteur évoque le cas particulier des grands handicapés dont le pronostic vital n'est pas en jeu ; dans ce cas comme dans ceux particulièrement délicats que j'ai eu à connaître en chirurgie pédiatrique et en néonatologie, où se situera le sentiment d'humanité ? Je pense très sincèrement que cette proposition n'est pas acceptable, sinon à être reconnue comme une démission du législateur.
Nous avons à ce jour une législation qui permet de prendre en charge d'une manière satisfaisante le problème de la fin de vie. Il nous faut l'appliquer de la meilleure façon. Même si certains traitent la loi Leonetti d' « hypocrite », les situations limites en fin de vie peuvent trouver une réponse dans ce cadre légal actuel.
Laissons aussi les médecins et les soignants face à leur conscience, sachant que c'est toujours « l'intention qui préside à l'acte ».