TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 23 juin 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission entend Nicolas About présenter les conclusions du groupe de travail sur la fin de vie.
Nicolas About, rapporteur . - Le rapport que notre groupe de travail sur la fin de vie a adopté la semaine dernière n'a pas la prétention de dresser un tableau exhaustif de ce sujet difficile, ni d'en tirer des conclusions définitives. Il a plus simplement pour ambition d'en faire une analyse et il comporte deux propositions qui me paraissent pragmatiques.
L'analyse découle de la vingtaine d'auditions que nous avons conduites dans le souci d'entendre l'expression de toutes les familles de pensée, sans exclusive.
Deux points me semblent essentiels. Tout d'abord, et je pense relayer notre sentiment unanime, nous souhaitons rompre avec une vision purement technicienne de la fin de la vie qui peut aboutir à l'acharnement thérapeutique. Les droits reconnus au patient, sa volonté d'autonomie par rapport à la décision médicale, le fait qu'il puisse décider lui-même de la poursuite ou de l'arrêt des traitements, font l'objet d'un consensus social. La loi Leonetti du 22 avril 2005, venant elle-même à la suite de la loi Kouchner, s'inscrit dans cette logique. Ainsi, la mort n'est plus nécessairement masquée, niée, par la médecine, même si, comme l'a indiqué François Autain, elle l'est encore parfois. Ceux qui le souhaitent peuvent choisir d'y faire face en pleine conscience.
Notre consensus va encore plus loin sur la manière d'aborder la fin de vie. En effet, tant les partisans des soins palliatifs que ceux de l'euthanasie cherchent d'abord à lutter contre la douleur. Plus personne aujourd'hui n'entend lui attribuer une valeur morale ou spirituelle qui ferait obstacle à sa prise en charge ou empêcherait de chercher à la soulager. Que ce soit en diffusant les pratiques palliatives ou en choisissant une « mort douce » provoquée, nous nous préoccupons tous de trouver le meilleur moyen pour que la fin de vie soit, au moins physiquement, apaisée.
La différence entre les conceptions possibles réside ailleurs, dans l'attitude face à la mort elle même. Pour certains, il faut l'accepter et attendre l'échéance en vivant pleinement tous les instants qui nous en séparent. Pour d'autres, il faut pouvoir maîtriser la mort, non pas prétendre la surmonter, mais pouvoir la choisir et par là conserver jusqu'à la fin la conduite de son existence et l'évolution de son corps.
Face à ces deux attitudes, que permet l'état du droit ? D'abord, si le suicide n'est plus pénalement réprimé en France depuis le code pénal de 1810, le cas du suicide assisté est plus complexe : on ne peut réprimer une action destinée à accomplir un acte qui n'est pas lui même répréhensible mais le risque d'incrimination sur la base de l'assassinat, de l'empoisonnement ou même de la non-assistance à personne en danger est réel.
La question centrale, comme l'a souligné Gilbert Barbier, est celle du rôle du médecin. La loi Leonetti admet, on le sait, le « double effet » des soins palliatifs : un soin destiné à apaiser la douleur peut avoir aussi pour effet de réduire l'espérance de vie. Ce soin pourra être prodigué si le patient ou son entourage sont informés de ses conséquences potentielles. C'est donc l'intention du médecin qui marque la frontière entre un acte destiné à soulager la douleur, et celui qui abrège la vie.
Plusieurs des personnes auditionnées nous ont affirmé que cette distinction est confuse, voire hypocrite, et qu'elle ne permet pas une bonne application de la loi. Pourtant, la détermination de la valeur d'un acte en fonction de l'intention qui le sous-tend est l'un des fondements de notre droit pénal. Ceux qui sont partisans de l'euthanasie devraient donc compléter la loi Leonetti plutôt que la changer, car elle est cohérente du point de vue des soins palliatifs. Par ailleurs, même si l'euthanasie venait à être autorisée, il est évident, comme le montre l'exemple belge, que les soins palliatifs continueraient à jouer un rôle prédominant dans la fin de vie.
Incontestablement, la loi Leonetti a apporté une solution acceptable pour de nombreux cas en affirmant le droit des malades de refuser le traitement et en demandant la mise en place de soins palliatifs une fois que les soins curatifs ne sont plus envisageables. Bien sûr, il faut que cette loi soit mieux connue et que des moyens supplémentaires soient alloués aux soins palliatifs. Ceux-ci ne doivent d'ailleurs plus être cantonnés aux unités spécialisées mais être intégrés aux pratiques de l'ensemble des services hospitaliers confrontés à la fin de vie et étendus, autant qu'il est possible, aux soins dispensés à domicile.
J'estime cependant, à titre personnel et cette considération ne figure pas en tant que telle dans le rapport, que la loi Leonetti ne règle pas un cas particulier : celui des personnes qui ne sont pas nécessairement en fin de vie mais qui se trouvent dans l'incapacité physique de mettre elles-mêmes fin à leurs jours, si tel devait être leur souhait face aux difficultés insurmontables de leur existence quotidienne. A la suite de la question que m'avait posée Marie-Thérèse Hermange, je précise que j'exclus de cette interrogation les personnes atteintes de troubles mentaux ou d'un handicap mental dont le consentement me semble ne pouvoir être valablement recueilli.
Je suis parfaitement conscient du message que sont venues nous porter plusieurs des personnes auditionnés sur le risque que certaines de ces personnes puissent voir, dans un débat sur l'euthanasie qui leur serait particulièrement consacré, une remise en cause du combat qu'elles mènent à chaque instant pour vivre. Mais mon optique est précisément inverse. Offrir à ceux qui se sont tant battus la possibilité de s'arrêter, quand ils l'auront voulu, sans être une fois encore dominés par le corps contre lequel ils ont dû combattre, c'est leur donner une perspective apaisante. Je ne plaide évidemment pas pour qu'ils aient recours à l'euthanasie mais je conçois que si la possibilité leur en était offerte, cela en aiderait certains à mieux vivre sans jamais, peut-être, y avoir recours.
Concernant l'évolution éventuelle de notre droit, notre rapport ne peut qu'exposer les différents arguments pour et contre une légalisation de l'euthanasie. Bien évidemment, il ne tranche pas en faveur de l'une ou l'autre de ces thèses. Il appartiendra à chacun de prendre, le moment venu, ses responsabilités en fonction de ses convictions les plus profondes. Nous en aurons probablement l'occasion lors de l'examen de la proposition de loi, dont nos collègues François Autain et Guy Fischer ont annoncé le dépôt et dont il nous a été dit que l'inscription à l'ordre du jour serait demandée.
Le groupe de travail a adopté, tout en notant les réserves de Gilbert Barbier, deux propositions :
- la première concerne les procès pour euthanasie. L'audition du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, a été, sur ce point, particulièrement éclairante. Les juges ont eu à connaître d'une vingtaine de cas d'euthanasie sur les dix dernières années, ce qui est faible. Seule la moitié d'entre eux a abouti devant les tribunaux. Mais ces cas, particulièrement douloureux, ont-ils réellement leur place en cour d'assises ? Je ne le crois pas et nous devons empêcher que d'autres familles n'aient à supporter un tel drame judiciaire, qui s'ajoute au drame humain qu'elles ont déjà vécu. Le groupe de travail demande donc que le Garde des Sceaux adresse aux parquets une instruction tendant, après qu'ils se seront assurés que l'euthanasie était uniquement motivée par la volonté de mourir de la personne, au classement sans suite de ces affaires. Comme le suggérait le président Louvel, la base juridique de ce classement pourrait être celle de l'article 122-2 du code pénal.
Cet article, qui prévoit les cas d'irresponsabilité pénale, a déjà été appliqué par un juge d'instruction au cas d'une mère ayant fait l'injection d'un produit létal à son fils devenu tétraplégique et qui lui demandait de mourir. Le juge a estimé que la volonté du fils s'était substituée à celle de la mère et que cette dernière n'était donc pas responsable de ces actes. Cette interprétation et l'instruction qui, sur cette base, pourrait être donnée aux parquets, me paraissent d'autant plus intéressantes qu'elles sont susceptibles de répondre à la situation des personnes qui, sans être nécessairement en fin de vie, désirent mettre fin au combat quotidien qu'elles mènent pour survivre mais qui ne peuvent techniquement se donner la mort, comme je l'exposais précédemment ;
- la deuxième proposition répond au besoin de connaissances sur les pratiques liées à la fin de vie en France, et précisément sur les euthanasies, dont on sait qu'elles sont, dans les faits, pratiquées en dehors du cadre de la loi. Il existe plusieurs rapports sur la mort à l'hôpital et l'on dispose d'études partielles qui montrent que des décisions d'euthanasie sont prises dans des services médicaux. Mais aucune étude systématique n'a été menée à ce jour sur ce sujet sensible.
L'observatoire de la fin de vie, créé le 10 février dernier à la suite du rapport Leonetti et que préside Régis Aubry, ancien président du comité de suivi du développement des soins palliatifs, pourrait valablement conduire cette étude.
J'insiste, toutefois, sur le fait qu'il est essentiel qu'elle repose sur des méthodes internationalement reconnues et qui permettent la comparaison entre la situation de la France et celle d'autres pays concernant la fin de vie et l'euthanasie.
Le professeur Luc Deliens, de l'université libre flamande de Bruxelles, que nous avons entendu, est un spécialiste reconnu en ce domaine et son approche pragmatique a grandement servi à la réflexion engagée par le législateur belge. Le groupe de travail pourrait donc demander qu'une étude sur les circonstances de la fin de vie en France soit menée selon les principes que ce professeur a élaborés. Il peut sembler paradoxal, voire impossible, de mener une étude et de publier un rapport sur des pratiques illégales, mais le professeur Deliens a déjà conduit un travail de ce type pour d'autre pays, en entourant ses recherches d'un certain nombre de garanties pour les professionnels de santé qui décrivent leurs pratiques, notamment en matière d'anonymat et d'absence de poursuites.
Si l'observatoire de la fin de vie était dans l'incapacité de répondre à cette demande, ne pourrait-on imaginer que la commission des affaires sociales, qui dispose de crédits d'études, demande au professeur Deliens de la conduire pour elle, ce qu'il serait disposé à faire ?
Telles sont les conclusions du groupe de travail. Si vous autorisez la publication de ce rapport d'information, les contributions personnelles des membres du groupe qui souhaiteront préciser leur point de vue, y figureront en annexe.
Gilbert Barbier . - Je félicite Nicolas About d'avoir mené à son terme les travaux du groupe de travail sur la fin de vie. Son rapport, qui porte sur un sujet délicat, tente de parvenir à un consensus, difficile à trouver du fait des approches fondamentalement différentes des uns et des autres.
Je rappelle ensuite qu'il est important de bien faire la distinction, comme le propose Marie de Hennezel, entre : la limitation ou l'arrêt des thérapeutiques actives ; le soulagement de la douleur et de l'angoisse ; l'acte de donner intentionnellement la mort, c'est à-dire l'euthanasie au sens propre.
C'est sur ce dernier point que les opinions sont les plus partagées.
L'une des propositions du président About consiste à confier à l'observatoire de la fin de vie une étude sur les pratiques liées à la fin de vie dans notre pays. Ce travail, bien qu'intéressant en soi, risque d'être difficile à mener, dans la mesure où ces pratiques se rencontrent aussi bien dans les services d'urgence, de réanimation, de gériatrie que dans les blocs opératoires ou les services à domicile. En outre, je m'interroge sur la finalité de cette enquête. Servira-t-elle à cautionner l'idée selon laquelle l'existence d'actes illégaux prouve qu'il est désormais temps de les légaliser ? Ou permettra-t-elle de lutter contre ces pratiques clandestines en les sanctionnant ?
Sur la proposition relative aux procès pour euthanasie, je m'oppose - comme je l'ai dit devant le groupe de travail -, à ce que l'on confie au seul juge l'appréciation de l'acte d'euthanasie. Lui laisser la décision de classer l'affaire sous prétexte d'« une euthanasie fondée sur un sentiment d'humanité » me paraît être la porte ouverte à toutes les interprétations. Je note toutefois que cette expression, qui figurait dans l'intervention du président Nicolas About de la semaine dernière devant le groupe de travail, n'a pas été reprise dans celle qu'il vient de prononcer.
En tout état de cause, il ne revient pas au juge de dire si l'acte de donner intentionnellement la mort relève de la cour d'assises ou pas. C'est au législateur de prendre ses responsabilités et de décider de légaliser ou non cette pratique.
En définitive, laissons les médecins et les soignants face à leur conscience, sachant que c'est toujours « l'intention qui préside à l'acte ».
Marie-Thérèse Hermange . - Je trouve particulièrement intéressant de débattre de ce sujet juste après les échanges que nous avons eus sur le handicap et je remercie le président Nicolas About pour le travail qu'il a accompli.
La question sous-jacente au rapport du groupe de travail sur la fin de vie est celle de l'aide à la mort volontaire. En effet, c'est bien de la volonté d'une personne de mettre fin à ses jours dont il s'agit, et non pas de la mort « bonne » ou « douce » en soi, comme le laisse supposer le terme d'euthanasie. La mort volontaire n'est pas non plus la mort digne. Cette assimilation, comme l'a souligné le professeur Axel Kahn lors de son audition, reviendrait à considérer qu'il existe des formes de vie indignes. Or, tant la Déclaration universelle des droits de l'homme que la Convention européenne des droits de l'homme récusent cette idée.
Ce n'est donc pas d'un débat sur l'organisation de la mort volontaire dont notre société a besoin mais d'une réflexion sur les moyens permettant de mieux accueillir les plus faibles d'entre nous. Lancer une discussion sur l'euthanasie, avant d'avoir répondu aux besoins de prise en charge des personnes fragiles, c'est risquer de leur signifier qu'elles sont de trop.
A supposer que l'on accepte l'idée que l'Etat organise une aide à la mort volontaire, deux questions ne peuvent être éludées : qui sera chargé de donner la mort et qui pourra la demander ?
A la première question, les partisans de l'aide à la mort répondent que la France pourrait prendre exemple sur les législations belge et hollandaise, qui imposent que l'injection létale soit faite par un médecin. Comme le montre le débat actuel en Suisse, l'aide au suicide par des volontaires non médecins pose en effet de nombreuses difficultés d'ordre éthique. Cependant, demander à des médecins de donner la mort est lourd de conséquence pour la médecine elle-même. Cela consacrerait un changement dans la conception que notre société se fait de la mission de la médecine qui, tournée jusqu'à présent vers la vie, serait dès lors contrainte d'envisager les moyens d'y mettre fin.
Pour ce qui est de la seconde question, aucune loi sur l'aide à la mort volontaire ne pourra jamais prétendre répondre à l'intégralité des demandes individuelles. Ainsi, à la question prétendument délimitée des personnes en fin de vie s'ajoute aussitôt celle des personnes handicapées, sans que soit clairement déterminé de quel type de handicap il est question. Il est clair que les demandes, tendant à inclure de nouveaux cas où l'aide à la mort sera possible, ne seront pas satisfaites par une loi consacrée aux personnes en fin de vie.
S'agissant des recommandations du groupe de travail, deux remarques s'imposent :
- l'étude relative aux pratiques liées à la fin de vie en France permettra non seulement de mesurer l'ampleur du phénomène mais aussi de lutter contre les pratiques illégales ;
- la proposition consistant à confier l'appréciation de la volonté de mourir de la personne au juge est difficilement acceptable, sauf à être reconnue comme une démission du législateur.
Jean-Pierre Godefroy . - Je félicite à mon tour le président About pour ce rapport qui a le mérite de poser une question de fond : la loi Leonetti du 22 avril 2005 est-elle suffisante ? A mon sens, elle ne l'est pas.
Il me semble particulièrement dangereux de vouloir opposer développement des soins palliatifs et possibilité de donner la mort. Il s'agit là de deux pratiques non antinomiques mais bien complémentaires. C'est à l'individu en fin de vie, et à lui seul, de décider de continuer ou non à vivre dans des conditions éprouvantes. Il doit être libre d'organiser son départ comme il l'entend. Aujourd'hui, cette possibilité n'existant pas, certaines personnes en sont réduites au suicide, autrement dit à une mort violente et solitaire. Sans compter que leurs proches sont susceptibles d'être accusés de non-assistance à personne en danger.
Comme j'ai pu personnellement le constater, la loi Leonetti organise une euthanasie à petit feu. Il est temps, désormais, de laisser à chaque individu le libre choix de s'exprimer.
J'apprécie que le président About ait posé le problème des personnes qui, sans être en fin de vie, ne peuvent physiquement pas se donner la mort. Pourquoi ces dernières, à qui la société apporte une aide dans les tâches de la vie quotidienne, ne pourraient-elles pas également bénéficier d'une assistance lorsqu'elles ont décidé de mourir ?
En ce qui concerne les propositions du groupe de travail, la seconde me paraît être une très bonne idée car elle permettra de sortir de l'hypocrisie actuelle et de mettre à plat un certain nombre de choses. La première est, certes, une piste intéressante, mais je crains que l'instruction adressée aux parquets puisse être contestée à tout moment. Par ailleurs, je suis d'accord avec Gilbert Barbier et Marie-Thérèse Hermange lorsqu'ils affirment que l'appréciation de l'acte d'euthanasie est de la responsabilité du législateur.
La France pourrait utilement s'inspirer des législations hollandaise et belge qui autorisent les médecins à donner la mort. Ainsi que l'a montré le professeur Luc Deliens lors de son audition, le simple fait que les individus en fin de vie aient la possibilité de demander la mort peut les inciter à vouloir poursuivre leur existence.
Paul Blanc . - Ce rapport m'interpelle car j'estime que la loi Leonetti est suffisante. En tant que médecin, j'ai été confronté à ces questions et, en tant que législateur, je ne conçois pas voter un texte qui reviendrait à demander aux médecins de renier le serment d'Hippocrate. Je m'oppose donc à toute loi qui consisterait à légaliser l'euthanasie. Par ailleurs, la proposition du rapport sur l'instruction adressée par le Garde des Sceaux aux parquets ne me semble pas reposer sur un fondement juridique rigoureux.
François Autain . - Je partage pleinement la position de Jean-Pierre Godefroy et tiens à saluer l'esprit d'ouverture ayant présidé à la préparation de ce rapport qui s'attache à respecter tous les points de vue.
Le groupe CRC-SPG déposera prochainement une proposition de loi sur l'aide active à mourir et demandera son inscription à l'ordre du jour, à l'occasion d'une niche accordée au groupe au mois de novembre.
Je ne suis évidemment pas de l'avis de ceux qui combattent l'euthanasie, mais je comprends parfaitement que l'on puisse y être opposé. En revanche, j'estime que ces personnes doivent, inversement, respecter la position de ceux qui plaident pour l'euthanasie.
Dans un pays comme la France, la loi doit donner la possibilité à ceux qui demandent de mourir d'être aidés dans leur geste. Actuellement, et j'y ai été confronté autrefois en tant que médecin, beaucoup d'euthanasies sont pratiquées par sédation par des membres du corps médical. L'acte consistant à aider un patient en fin de vie à mourir n'est pas contraire au serment d'Hippocrate : au contraire, il s'inscrit dans la continuité des soins prodigués par le médecin.
Comme l'a expliqué le professeur Luc Deliens, l'autorisation de recourir à l'euthanasie n'enraye pas le développement des soins palliatifs ; elle a plutôt tendance à l'encourager. Dans les pays qui ont légalisé l'euthanasie, le recours à cette pratique demeure d'ailleurs marginal.
La première proposition du rapport ne peut être qu'une mesure transitoire : la seule vraie réforme consiste à modifier la loi pour autoriser l'euthanasie. A ce sujet, je rappelle que ce n'est pas la loi Leonetti qui donne le droit aux malades de décider eux-mêmes de la poursuite ou de l'arrêt des traitements, mais la loi Kouchner de 2002. Celle-ci a constitué un premier pas en consacrant une forme d'euthanasie passive.
La seconde proposition me semble très pertinente et, en définitive, je voterai pour la publication de ce rapport.
Françoise Henneron . - Je ne partage pas le point de vue exprimé par Jean-Pierre Godefroy sur l'euthanasie et je m'oppose à sa légalisation. Il peut en effet arriver que des personnes en fin de vie demandent à mourir, en raison de l'état de grande détresse physique et/ou morale dans laquelle elles se trouvent, mais reviennent, un peu plus tard, sur leur position notamment lorsqu'on est parvenu à apaiser leurs douleurs.
Jean-Louis Lorrain . - Je crains que ce débat sur la fin de vie, certes nécessaire, ne soit l'occasion d'ouvrir de nouvelles brèches dans la législation. Le législateur doit-il s'approprier quelque chose, en l'occurrence le corps humain, qui ne lui appartient pas ? Il me semble que ni le législateur, ni le juge, ni le médecin, n'ont à s'emparer de cette question.
Le concept de « liberté de choix », entendu à maintes reprises, me semble particulièrement flou et évolutif.
Par ailleurs, j'insiste sur le fait que la mort n'est pas seulement l'affaire d'un individu, c'est aussi une épreuve pour l'entourage.
Il faudrait que les défenseurs de l'euthanasie nous disent qu'elles sont les valeurs qui les animent.
Enfin, pourquoi ne citer que l'école belge lorsqu'on parle d'euthanasie et ne pas s'intéresser aux travaux de l'école de Lausanne, par exemple ?
Janine Rozier . - Ce rapport, très pédagogique, est en quelque sorte une grille de lecture particulièrement précieuse pour comprendre le sujet, fort complexe, de l'euthanasie.
Je considère que finalement, tout dépend des convictions de chacun : soit l'on croit que notre vie nous appartient, soit l'on croit qu'elle est entre les mains de Dieu.
Nicolas About, rapporteur . - Janine Rozier vient de parfaitement résumer le sujet que nous devrons approfondir à l'occasion du futur débat parlementaire sur la proposition de loi que déposera prochainement le groupe CRC-SPG. Ce n'est, en revanche, pas le thème que nous avons à traiter aujourd'hui. Le rapport du groupe de travail sur la fin de vie n'a en effet pas pour objectif de se prononcer pour ou contre l'euthanasie.
J'insiste sur le fait que seule l'intervention liminaire que j'ai prononcée devant vous tout à l'heure fait foi. Plusieurs collègues ont réutilisé des mots, que j'ai pu employer lors de la réunion du groupe de travail de la semaine dernière mais que je n'ai volontairement pas repris dans mon propos d'aujourd'hui. C'est en effet tout l'intérêt d'un groupe de travail que de faire évoluer la pensée.
J'aimerais répondre à Gilbert Barbier que toute enquête, quelle qu'elle soit, ne peut présager des conclusions qu'elle est censée apporter. On ne mène pas une étude pour accréditer une thèse en particulier mais, au contraire, pour rendre compte de manière objective d'une situation et, éventuellement, en tirer les leçons qui s'imposent.
S'il s'avère que des euthanasies sont pratiquées en dehors du cadre de la loi en France, ces pratiques doivent être sanctionnées. On ne peut accepter que des personnes en fin de vie soient tuées sous prétexte que le tiers à l'origine de l'acte soit épris d'un « sentiment d'humanité ». L'étude proposée permettra donc, dans un premier temps, de mettre au clair la situation et d'envisager des sanctions pour ceux qui ne respectent pas la loi actuelle. Elle sera, dans un second temps, l'occasion pour tout un chacun de se forger sa propre opinion sur l'euthanasie.
Sur la deuxième proposition du groupe de travail, je précise qu'il est question d'une instruction adressée par le Garde des sceaux aux parquets, ainsi que l'article 30 du code de la procédure pénale en prévoit la possibilité. Cette instruction, délivrée à titre collectif et non pas individuel, autoriserait le juge, après qu'il se sera assuré qu'il n'y a pas d'incrimination prévue par les textes dans le dossier qui lui est soumis, de classer sans suites l'affaire. La base juridique de ce classement pourrait être celle de l'article 122-2 du code pénal qui prévoit les cas d'irresponsabilité pénale. Cette procédure permettrait que les affaires les plus douloureuses ne soient pas renvoyées en cour d'assises.
Concernant le serment d'Hippocrate évoqué par plusieurs collègues, il faut rappeler que celui-ci énonce une obligation à soigner, à prendre soin et à rester humain.
Par ailleurs, je ne cèderai pas à la pression de la théorie de la « pente fatale », selon laquelle toute brèche dans la législation est la porte ouverte aux dérives en tout genre. La loi est là pour interdire certains comportements, pour poser des limites, pour fixer des bornes, qui certes peuvent bouger, mais seulement si le législateur en décide ainsi.
Je voudrais, en réponse à Marie-Thérèse Hermange, citer les propos tenus par le professeur Axel Kahn qui venaient compléter ceux qu'elle a elle-même rapportés : « Je veux rester responsable même si un jour je devais moi-même me réserver la liberté de faire éventuellement ce que me dicte ma conscience ». Cette déclaration est remarquable car son auteur, pourtant grande figure de l'éthique médicale, ne rejette pas l'idée qu'il pourrait, un jour, éventuellement, être amené à faire un acte auquel il s'oppose aujourd'hui. Il déclare simplement qu'il en assumera la responsabilité.
Je précise que je n'ai, dans mon propos introductif, volontairement pas parlé de personnes handicapées, mais de personnes qui ne sont pas obligatoirement en fin de vie et qui ne peuvent physiquement pas mettre elles-mêmes fin à leurs jours, si tel devait être leur souhait. La question est de savoir si ces personnes doivent pouvoir bénéficier d'une aide pour passer à l'acte. Il serait, en revanche, très dangereux que ce débat conduise certains à demander une loi sur l'euthanasie qui concernerait spécifiquement les personnes handicapées.
Comme l'a fait remarquer Françoise Henneron, il est indispensable que la volonté de mourir soit réitérée et non pas exprimée à la va-vite dans la clandestinité.
Enfin, je rappelle à Jean-Louis Lorrain que le débat sur l'euthanasie a été relancé non pas par ce rapport mais dès l'année dernière, à l'occasion d'une question orale avec débat posée au Sénat par le groupe socialiste. J'indique enfin que l'argument suivant lequel le législateur ne doit pas traiter du corps est déjà largement démenti par le droit : la loi a déjà abordé tous les sujets, celui des cellules, de l'embryon, du sang de cordon ombilical. Il a également affirmé, et réaffirmé, l'indisponibilité du corps humain.
Muguette Dini, présidente . - Conformément à l'usage, je vais solliciter l'autorisation de la commission pour la publication du rapport du groupe de travail. Je rappelle que celui-ci sera accompagné des contributions des sénateurs de la commission qui le souhaitent, à charge pour eux de faire parvenir ces documents au secrétariat d'ici à la fin du mois.
Marie-Thérèse Hermange . - Je ne vais pas m'opposer à la publication de ce rapport, mais je tiens à souligner que la pratique consistant à faire approuver le principe de la publication d'un rapport avec le contenu duquel on peut être en désaccord me paraît pour le moins surprenante.
Muguette Dini, présidente . - A l'inverse, s'opposer à la publication d'un rapport d'information reviendrait en quelque sorte à nier la réalité du travail effectué alors qu'il est susceptible d'apporter une contribution utile à la réflexion.
Gilbert Barbier . - Je demande que soit mentionné le fait que je vote contre.
Françoise Henneron . - Je m'abstiens.
La commission autorise la publication de ce rapport d'information.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
- M. Jean Leonetti , député des Alpes-Maritimes ;
- M. Jean-Christophe Mino , médecin-chercheur auteurs des Mots des derniers soins ;
- Mme Anne Fagot-Largeau , philosophe, professeur au Collège de France ;
- M. Bertrand Vergely, philosophe ;
- M. Axel Kahn , généticien, président de l'université Paris-Descartes ;
- M. André Comte-Sponville, philosophe ;
- M. Régis Aubry , président du comité de suivi du développement des soins palliatifs ;
- M. Michel Onfray, philosophe ;
- M. Olivier Joël , directeur général des OEuvres et institutions des Diaconesses de Reuilly et du Dr Georges Dugleux , président de la Fédération de l'entraide protestante ;
- Dr Gérard Payen, ancien président de l'ADMD ;
- M. Bertrand Vergely , philosophe ;
- M. Sadek Beloucif , anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Avicenne de Bobigny ;
- M. Denis Labayle , auteur de « Pitié pour les hommes ; l'euthanasie, le droit ultime » ;
- M. Xavier Mirabel , coordonnateur de SOS fin de vie et président de l'Alliance pour les droits de la vie ;
- Dr Raymond Mathys , chef du service d'oncologie de l'hôpital Middelmeim d'Anvers ;
- M. Bertrand Louvel , président de la chambre criminelle de la Cour de cassation ;
- Pr Luc Deliens , sociologue médical à l'université libre flamande de Bruxelles ;
- Pr Samia Hurst , membre de la commission centrale d'éthique de l'Académie suisse des sciences médicales.