C. UN SECOND FACTEUR DE DOUTE : L'HYPOTHÈSE DE CROISSANCE DU PIB

Le Gouvernement retient une hypothèse de croissance du PIB de 2,5 % de 2011 à 2013. Un tel scénario, s'il n'est pas invraisemblable, est manifestement  « volontariste », comme l'a reconnu dès mars 2010 Eric Woerth, alors ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

1. Des aléas particulièrement importants

Les perspectives de croissance au cours des prochaines années dépendent très largement de deux facteurs :

- l'évolution du taux de change de l'euro ;

- les politiques budgétaires.

a) L'impact de la dépréciation de l'euro

Le graphique ci-après montre l'évolution du taux de change de l'euro par rapport au dollar. Depuis le début de l'année, l'euro s'est déprécié de plus de 10 % contre le dollar, de même que contre l'ensemble des monnaies. Le taux de change moyen du mois de mai a été de 1,26 euro pour un dollar, et le taux de change moyen des cinq premiers mois de l'année a été de 1,35 euro pour un dollar.

Le taux de change de l'euro par rapport au dollar

(valeur d'un dollar, en euros)

Source : Banque centrale européenne

Ce graphique suggère que le potentiel de dépréciation de l'euro est encore important. En juin 2001, l'euro est descendu jusqu'à 0,85 dollar. Selon l'économiste Patrick Artus, « la taille relative des portefeuilles des non-résidents est nettement plus importante aujourd'hui que lors du dernier point bas de l'euro (2000-2002) pour les actions et les obligations. Le recul potentiel de l'euro se situe donc au-delà de celui observé à cette époque (0,84) ».

La prise en compte de l'impact de la politique budgétaire et du taux de change est d'autant moins aisée qu'il n'existe pas de consensus sur son ampleur, pour une évolution donnée.

Les estimations de l'impact sur la croissance d'une dépréciation de 10 % de l'euro sont de l'ordre de 0,5 point pendant deux ans, mais elles peuvent varier du simple au double.

Les estimations de l'impact sur la croissance d'une dépréciation de 10 % de l'euro vis-à-vis de l'ensemble des monnaies sont variables :

- 0,3 à 0,4 point pendant deux années de suite (pour la zone euro) selon Patrick Artus (Natixis) ;

- 0,4 point la première année (pour la zone euro) selon BNP Paribas ;

- 0,7 point pendant une année (pour la France) selon le Gouvernement ;

- 0,7 point la première année puis 0,6 point la deuxième année et 0,4 point la troisième année (pour la zone euro) selon l'OCDE, ce qui correspond à un gain d'au total 1,7 point de PIB au bout de trois ans ;

- 0,8 point la première année et - 0,3 point et - 0,5 point les troisième et quatrième années (pour la zone euro) selon Laurence Boone (Barclays Capital).

Comme on peut le comprendre, tout dépend de l'effet relatif de la parité sur les importations et les exportations, mais aussi de la capacité des entreprises à incorporer dans leurs exportations une proportion plus importante de produits fabriqués en zone euro. Encore faut-il aussi que les couvertures de change des entreprises ne neutralisent pas l'effet de parité.

Interrogée à ce sujet par votre rapporteur général le 22 juin 2010 dans le cadre des questions crible thématiques, Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, auprès de la ministre de l'Economie, de l'industrie et de l'emploi, a reconnu que le Gouvernement avait « du mal à (...) faire une évaluation chiffrée » de l'impact de la dépréciation de l'euro.

L'impact de la dépréciation du taux de change de l'euro, selon Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur, auprès de la ministre de l'Economie, de l'industrie et de l'emploi

« M. Philippe Marini . Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons évoqué, voilà quelques instants, les incertitudes qui pèsent sur le taux de croissance de notre pays puis la gouvernance de la zone euro.

« Ma question, qui s'adresse particulièrement à vous, madame la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, porte sur une donnée tout à fait essentielle pour déterminer quelle sera la conjoncture lors des mois et des années à venir. Elle concerne, en effet, la parité monétaire, plus particulièrement le taux de change de l'euro par rapport au dollar.

« Pour nombre de macro-économistes, le lien entre une baisse durable de cette parité et un regain de croissance est établi par l'analyse économétrique, par les modèles, lesquels nous donnent des résultats très variables.

« Madame la secrétaire d'État, pensez-vous que les conséquences du repli de l'euro seront plus importantes sur les exportations que sur les importations ? De quels éléments disposez-vous sur ce sujet ?

« Plus précisément, la sortie des mécanismes de couverture souscrits par les entreprises pour se protéger des aléas de la parité va-t-elle leur permettre de dégager des bénéfices supplémentaires ?

« Quelle appréciation portez-vous sur les effets du maintien du taux de change à la parité actuelle sur notre croissance ?

« M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

« Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État . Monsieur le sénateur, j'évoquerai, en guise d'introduction, trois points.

« Premièrement, l'évolution de l'euro doit être appréciée sur une longue période. En cet après-midi, le taux de change de l'euro par rapport au dollar se situe autour de 1,23 ; il est donc supérieur non seulement au niveau le plus bas atteint le 7 juin dernier, mais également à son niveau initial - 1,17 - en vigueur au moment de la création de la monnaie unique.

« Deuxièmement, la comparaison doit être étendue au-delà du dollar à l'ensemble des devises. Le repli de l'euro a été également sensible vis-à-vis du yen, par exemple.

« Troisièmement, l'impact sur les marchés extérieurs du taux de change effectif de la France est atténué par le fait que la plupart de nos concurrents, notamment l'Allemagne et l'Italie, appartiennent eux aussi à la zone euro.

« J'en viens au coeur de votre question, monsieur Marini. Il est clair que la baisse de l'euro au cours des sept derniers mois est positive pour nos exportateurs qui produisent dans la zone euro et qui vendent leur production en dollars. Je pense, par exemple, aux secteurs de l'aéronautique, notamment à EADS, ou de la pharmacie. D'aucuns estiment par ailleurs que si la parité était proche de 1,20, la situation serait beaucoup plus équilibrée.

« Le gain de compétitivité dont bénéficient les exportateurs français du fait de la baisse de l'euro dope donc l'activité, mais nous avons du mal à en faire une évaluation chiffrée. Pour 2010, il est de l'ordre de quelques dixièmes de points. Sans doute ira-t-il encore au-delà puisque certaines grandes entreprises sortiront des mécanismes de couverture, que vous avez évoqués.

« Par ailleurs, le repli de l'euro est en bonne partie dû à des tensions sur les marchés financiers qui pèsent, en outre, sur l'activité, tandis que le coût des importations se renchérit.

« Quoi qu'il en soit, sur le plan commercial, la baisse de la monnaie européenne est une bonne nouvelle, même si nous ne sommes pas capables d'en évaluer l'impact exact. Permettez-moi de rappeler que le commerce extérieur a contribué positivement à la croissance française dès le premier trimestre de cette année.

« M. le président . La parole est à M. Philippe Marini, pour la réplique.

« M. Philippe Marini . Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, de ces éléments de réponse. Je suggère que l'évolution de l'euro fasse l'objet d'un suivi extrêmement précis, mois après mois, et que les commissions approfondissent cette question. Certes, il existe des références historiques, mais il faut aussi prendre en compte la manière dont sont construits les modèles macroéconomiques et qui peut permettre d'expliquer les résultats variables que j'évoquais précédemment.

« Enfin, s'agissant des biens d'équipement, selon M. Gallois, pour Airbus, la bonne parité se situerait à 1,20. Nous y sommes. Je souhaite que ce chiffre soit annonciateur de succès en termes d'exportations pour une industrie aussi stratégique. »

Source : compte-rendu intégral des débats, séance du 22 juin 2010 (question crible thématique n° 0099C de M. Philippe Marini, publiée dans le JO Sénat du 23/06/2010)

b) L'effet multiplicateur de la politique budgétaire

Il n'y a pas non plus de consensus sur l'impact sur la croissance d'une réduction discrétionnaire du déficit public de 1 point de PIB. Selon l'OCDE, au niveau de la zone euro une réduction des dépenses de 1 point de PIB réduit le PIB de 0,8 point la première année, cet effet se maintenant l'année suivante, se réduisant à 0,5 point de PIB la troisième année et disparaissant ensuite progressivement. Cependant, cette estimation se situe dans le bas de l'intervalle. Ainsi, Laurence Boone (Barclays Capital) considère qu'au niveau d'un Etat de la zone euro une telle diminution des dépenses réduit le PIB de 1 point la première année, cet effet se maintenant l'effet suivante, et devant être augmenté d'un tiers si tous les Etats de la zone euro mènent la même politique en même temps. En forçant quelque peu le trait, Pierre-Alain Muet, alors conseiller auprès du Premier Ministre, estimait, dans un rapport publié en 1998 par le Conseil d'analyse économique, qu'en raison d'un multiplicateur budgétaire de l'ordre de 2 au niveau de l'Union européenne les efforts de consolidation budgétaire réalisés par les Etats européens au début des années 1980 n'avaient quasiment pas permis de réduire le déficit.

L'échec de la consolidation budgétaire européenne du début des années 1980, selon Pierre-Alain Muet

« Les États-Unis pratiquent une relance budgétaire massive en 1982-1983 qui leur permettra de retrouver rapidement le plein-emploi. Les pays européens s'engagent au contraire, de 1981 à 1985, dans une longue période restrictive dont l'impact contribuera, avec la montée des taux d'intérêt, à la faible croissance de la demande intérieure. La réduction délibérée du solde budgétaire s'éleva à 3,3 points de PIB de 1979 à 1984. Compte tenu de la valeur élevée du multiplicateur applicable à l'ensemble de la Communauté (2,2 par exemple dans le modèle MIMOSA), l'effet dépressif a représenté une réduction du PIB de 7 points, soit une réduction de la croissance de près d'un point et demi par an.

« En raison de l'effet dépressif sur l'activité économique, les réductions effectives des déficits résultant des réductions délibérées furent modestes, voire inexistantes. Quand un pays de la taille de la France applique seul une politique de réduction des dépenses publiques, l'effet dépressif est deux fois plus faible (le multiplicateur est proche de l'unité). Avec un taux marginal de prélèvement fiscal et parafiscal proche de 0,4, une réduction ex ante du déficit public égale à 1 % du PIB réduit le PIB de 1 % et diminue le déficit ex post de 0,6 %. Mais à l'échelle de la Communauté où le taux d'ouverture de l'économie est beaucoup plus faible, l'effet dépressif est supérieur à 2 % et la réduction des recettes fiscales dépasse 0,8 %. En d'autres termes l'effet dépressif annule presque entièrement la réduction ex ante du déficit.

« C'est l'importance de cet effet dépressif qui explique la persistance des déficits publics, dans la première moitié des années quatre-vingt. Par rapport à la croissance potentielle évaluée par l'OCDE, l'effet de la conjoncture (c'est-à-dire l'effet de l'écart entre la croissance effective et la croissance potentielle) contribua pour 2,8 points à l'aggravation des déficits et la hausse des charges d'intérêt pour 1,7 point (...). Au total ces deux effets effacèrent largement la réduction délibérée du déficit dont le principal impact fut de prolonger le ralentissement de la croissance économique. »

Source : Pierre-Alain Muet, « Déficit de croissance européen et défaut de coordination : une analyse rétrospective », in « Coordination européenne des politiques économiques », rapport du Conseil d'analyse économique, 1998

Le point important de cette analyse porte sur les effets d'une consolidation menée simultanément par les différents Etats de la zone euro, réduisant le potentiel des échanges interne à la zone.

Par ailleurs, selon les estimations usuelles, une augmentation des recettes a un impact environ deux fois moindre qu'une diminution des dépenses.

c) Des scénarios optimistes et pessimistes s'affrontent, sans qu'il soit possible de les départager

Ainsi, les points de vue sur les perspectives de croissance de la zone euro sont radicalement différents selon les hypothèses retenues en matière de sensibilité du PIB au taux de change de l'euro et à la politique budgétaire.

(1) Les incertitudes sur l'impact de la politique budgétaire

Si les gouvernements réduisaient leur déficit structurel conformément à leurs programmations, le déficit structurel de la zone euro s'en trouverait diminué d'environ 1 point de PIB par an d'ici 2013. Selon que l'on retient un multiplicateur budgétaire de 0,6 ou de 1,5 au niveau de la zone euro, la croissance annuelle s'en trouverait réduite de 0,6 point ou 1,5 point les deux premières années.

(2) Le principal facteur d'incertitude : l'impact de la dépréciation de l'euro

Une dépréciation de l'euro permettrait de limiter cet impact, avec une ampleur qui ne peut toutefois être précisément évaluée.

Si l'on considère qu'une dépréciation de l'euro de 10 % une année donnée soutient la croissance de 0,5 point par an pendant trois ans (ce qui correspond en gros à l'estimation de l'OCDE), l'impact sur la croissance d'une dépréciation de 10 % par an serait de 0,5 point la première année, 1 point la deuxième et 1,5 point la troisième, ce qui compenserait l'effet récessif de la politique budgétaire. Ceci explique le point de vue selon lequel l'ajustement budgétaire et la dépréciation de l'euro « se compensent mutuellement ». Bien que les gouvernements de la zone euro ne prévoient généralement pas de dépréciation de l'euro, mais retiennent une hypothèse conventionnelle de stabilité du taux de change, leurs hypothèses de croissance - légèrement supérieures à 2 % en moyenne - ne seraient pas irréalistes en cas de forte réaction de l'économie à la dépréciation de l'euro.

Si l'on suppose en revanche qu'une dépréciation de l'euro de 10 % une année donnée soutient la croissance de seulement 0,3 point par an pendant deux ans, la dépréciation de l'euro constatée jusqu'à présent n'augmenterait la croissance que de 0,3 point pendant deux ans, et serait donc loin de compenser l'effet récessif de la politique budgétaire. Tel est notamment le point de vue de Patrick Artus, pour qui « l'effet net sur la croissance d'une dépréciation de 10 % de l'euro serait donc de l'ordre de 0,3 à 0,4 point pendant deux années de suite, ce qui est visible mais pas énorme », et qui considère qu'il résulte de la volonté désormais confirmée par les Etats de la zone euro de respecter leurs engagements une « perte de croissance par rapport au consensus antérieur » de « 1 point en 2011 et en 2012 ».

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