M. Bernard Spitz, Président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA)
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La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Bernard Spitz, président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA).
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a précisé que son organisation représente 90 % du marché français des assurances. Les assurances mutualistes qui ne sont pas membres de la FFSA appartiennent au groupement des entreprises mutuelles d'assurances (GEMA). Il a cependant indiqué qu'il présidait l'association française des assurances (AFA), entité qui regroupe ces deux fédérations.
Il a ensuite souligné l'expérience croissante des assureurs face aux catastrophes naturelles, à l'image de la gestion de la tempête Klaus de janvier 2009. Les inondations ou les phénomènes de sécheresse doivent conduire à s'interroger sur les outils existants ainsi que sur la façon de les améliorer. S'agissant de Xynthia, plusieurs remarques doivent être formulées :
- il s'agit d'un évènement inédit qui résulte de la conjonction de plusieurs facteurs particuliers ;
- les réponses des pouvoirs publics ainsi que des assureurs sont pertinentes à l'image du régime « catastrophes naturelles » (« catnat ») ;
- les expropriations et les indemnisations seront financées par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds « Barnier », qui en raison de son mode financement (12 % des primes d'assurances) ne peut pas être défini comme un « fonds public » ;
- les améliorations à apporter, s'il en existe, restent à définir et concernent plutôt le volet préventif.
M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur l'utilisation du FPRNM pour indemniser les sinistrés dont les maisons sont classées en zone d'extrême danger dites zones noires, où les risques mortels ne peuvent permettre de laisser les habitants se réinstaller. Rappelant que, lors de son audition par la mission, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, avait estimé le coût total entre 300 et 400 millions d'euros, il a souhaité connaître le montant qui serait pris en charge par les assurances privées et son mode de calcul.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a relevé la différence entre les dommages causés par la tempête et ceux résultant des inondations. Seules ces dernières ouvrent en effet au bénéfice du régime « catnat ». Les assurances privées ne devraient prendre en charge que les dommages aux biens : l'interdiction de reconstruire par l'Etat constitue un fait juridique nouveau qui ne saurait être indemnisé en totalité. Ainsi, dans le cas où les dommages s'élèvent à la moitié de la valeur de l'habitation, l'assureur couvrirait ce montant, à charge pour le fonds « Barnier » de combler l'écart. Les dispositions relatives à ce fonds, introduit par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, ayant été conçues pour indemniser les propriétaires en cas de menaces graves de survenance d'un risque naturel, il s'agit d'un outil pertinent pour les sinistrés dont les habitations sont classées en zones noires. Les sommes disponibles représenteraient 140 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter 80 millions de trésorerie. L'évaluation par les Domaines devra conduire à l'indemnisation des sinistrés mais il est aujourd'hui difficile d'estimer avec précision le coût total pour les maisons concernées. Sans aucune certitude, sur la base d'une estimation de 250 000 euros par maison, un coût d'environ 260 millions d'euros peut être avancé. Le fonds « Barnier », intervenant en complément des dédommagements des assureurs, possède donc la capacité de mener à bien cette opération, surtout que l'étalement du paiement des indemnisations sur deux ou trois années la facilitera.
M. Bruno Retailleau, président, a demandé des précisions sur la répartition de la charge entre le fonds et les assureurs privés.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a estimé que le mode de financement du FPRNM revient indirectement à une prise en charge totale par les assurances privées. Ce fonds est en effet financé par une taxe sur les primes d'assurances : 12 % des primes d'assurances sur les biens alimentent le régime « catnat » et 12 % de cette fraction sont destinées ensuite au fonds « Barnier ».
M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a précisé qu'en l'absence de cartographie détaillée, l'évaluation fine des dommages et des indemnisations reste difficile.
M. Bruno Retailleau, président, a indiqué que les dommages devraient s'élever à 30 000 euros en moyenne par habitation et être plus élevés dans les zones noires. Il s'est interrogé sur l'indemnisation du foncier et sur l'existence de franchises.
M. Frédéric Gudin du Pavillon a rappelé que seul le bâti fait l'objet d'indemnisations. La prise en charge par les assurances privées dans les zones noires sera donc relativement plus réduite.
M. Philippe Poiget, directeur des affaires juridiques à la FFSA, a précisé que s'agissant du cas précis des zones noires, la vétusté ne sera pas utilisée comme critère et ne devrait donc pas conduire à réduire le montant des indemnisations.
Pour ce qui concerne les autres zones, M. Frédéric Gudin du Pavillon a insisté sur le coefficient de vétusté utilisé pour calculer les indemnisations en cas de reconstruction sur place. Le code des assurances limite toutefois cette possibilité aux habitations situées dans des zones ne disposant pas de plans de prévention du risque inondation (PPRI). En présence d'un PPRI, ce coefficient ne sera pas utilisé.
M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé si l'expérience britannique de modulation des primes d'assurances en fonction du degré de risque constitue une piste à explorer en France.
M. Frédéric Gudin du Pavillon a souligné que le Royaume Uni utilise une dissuasion financière par la variation des cotisations en fonction des risques naturels de la zone considérée. Il a fait valoir que cette dissuasion s'accompagne toutefois d'une politique volontariste d'incitation à la limitation des risques.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a jugé un tel dispositif peu utile en France, en raison de la faiblesse des primes d'assurances. La cotisation moyenne des contrats d'habitation s'élevant en effet à 220 euros par an, une modulation de l'ordre de 50 ou 100 % aurait peu de conséquences sur les capacités financières des assurances.
M. Bruno Retailleau, président, a mis en exergue les délais d'indemnisation pour les sinistrés dont les biens sont classés en zone noire.
M. Bernard Spitz a préalablement rappelé le délai supplémentaire accordé aux victimes pour la remise de leurs dossiers d'indemnisation : le délai de cinq jours a ainsi été exceptionnellement rallongé du 5 au 31 mars 2010 et les demandes formulées hors délai continuent d'être acceptées et traitées. Il a ensuite fait part de l'engagement des assureurs à traiter rapidement et de manière prioritaire les dossiers des habitations classés en zone noire. Il a ainsi souligné que les visites d'experts ont déjà eu lieu au moins une fois dans 80 % des zones sinistrées. Enfin, il a fait valoir que des avances sur indemnisation seront versées et particulièrement à ces sinistrés.
M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si les assureurs participeront à la cellule d'appui transversale aux assurés mise en place par le Gouvernement, réunissant les représentants des différents ministères concernés et des collectivités territoriales.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a fait valoir que chaque assuré possède son propre assureur et qu'il incombe d'abord à celui-ci d'accompagner ses clients. Sous cette réserve, les assureurs continueront évidemment à apporter leur assistance aux pouvoirs publics pour ce qui concerne les relations avec l'ensemble des victimes de Xynthia.
M. Jean-Claude Merceron a jugé possible de déterminer le montant des remboursements et le délai d'indemnisation pour les sinistrés relevant des 80 % des zones déjà visitées par un expert.
M. Bernard Spitz a rappelé que les dossiers seront traités le plus rapidement possible, surtout lorsque les expertises sont concluantes : certains dossiers ont ainsi d'ores et déjà donné lieu au versement d'indemnités. Cependant, il a fait observer qu'au moins deux visites d'experts doivent avoir lieu pour chaque sinistre et que l'existence de discussions entre le Gouvernement et les Domaines pourrait rallonger le délai d'indemnisation sans que les assureurs privés ne puissent donc être tenus pour responsables d'une telle situation.
M. Alain Anziani, rapporteur, a constaté les délais d'indemnisation souvent longs qui suivent la survenance de catastrophes naturelles. Il s'est ensuite étonné des écarts d'évaluation des dommages entre la FFSA et la Caisse centrale de réassurance (CCR), respectivement estimés à 1,5 milliard d'euros et 500 millions d'euros. Enfin, il s'est interrogé sur l'opportunité d'une réforme du régime « catnat » ainsi que sur le grand nombre de régimes d'indemnisation. Cette dernière caractéristique peut faire craindre une tendance au rallongement des délais de paiement des indemnités.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a insisté sur la rapidité avec laquelle les assurances ont dédommagé les victimes de la tempête Klaus en 2009. La mobilisation qui a suivi la tempête Xynthia devrait également se traduire par une accélération du versement des indemnisations. S'agissant des écarts d'évaluation, il a précisé que le montant annoncé par la FFSA, porté de 1,2 à 1,5 milliard d'euros, comprend la totalité des dommages alors que celui de la CCR ne considère que ceux relevant du régime « catnat ». En ne prenant en compte que ceux-ci, un écart de 200 millions demeure toutefois. Il s'expliquerait par une différence dans le calcul du coût des dégâts : alors que la CCR aurait utilisé les précédents de dégâts engendrés par des inondations à l'eau douce, la FFSA a procédé à une évaluation plus élevée en raison de la nature des dommages provoqués par l'eau salée.
M. Philippe Poiget, directeur des affaires juridiques à la FFSA, a ajouté que les conditions de déclenchement du régime « catnat » sont totalement remplies et qu'il est donc légitime de recourir à cet instrument de couverture des risques. Selon l'article L. 125-1 du code des assurances, il doit ainsi s'agir de « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ».
Dans le cas de survenance de catastrophes naturelles, M. Bernard Spitz est convenu de l'existence d'un emboitement de différents régimes assurantiels dont il a souligné la pertinence en vue de ne laisser aucune victime en dehors du système d'indemnisation.
Mme Gisèle Gautier a souligné les difficultés spécifiques auxquelles étaient confrontés les sinistrés des secteurs agricoles, piscicoles, ostréicoles et conchylicoles.
M. Bruno Retailleau, président, a insisté sur l'indemnisation particulière de ces catégories professionnelles, qui outre leurs garanties contractuelles, bénéficient d'un régime spécifique : le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA).
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a rappelé que les habitations classées en zone noire doivent constituer la priorité de l'action des assureurs. S'agissant du secteur agricole, l'existence de deux régimes assurantiels combinés doit permettre de couvrir la plupart des dommages.
M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a ainsi précisé que, pour les agriculteurs et aquaculteurs victimes d'inondations, le bâti et l'ensemble de son contenu rentreraient dans le régime « catnat ». En revanche, le cheptel hors bâtiment et les récoltes non engrangées devraient être quant à eux indemnisés par le FNGCA.
M. Michel Boutant a fait observer que des dégâts importants avaient été constatés hors de la zone littorale. Il a ainsi donné l'exemple des effets de la tempête Xynthia sur les stations de sports d'hiver des Pyrénées.
M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, a rappelé qu'en dehors du régime « catnat » les sinistrés sont soumis au droit commun des assurances. Les dommages résultant de l'effet du vent seront ainsi indemnisés par l'assurance-tempête, avec les franchises et les plafonds prévus contractuellement.
M. Bruno Retailleau, président, a fait valoir que plusieurs rapports plaident pour une révision du régime « catnat ». La lenteur des indemnisations et l'interprétation juridique de certaines notions peuvent ainsi faire l'objet de critiques.
M. Frédéric Gudin du Pavillon, responsable « assurances des biens » à la FFSA, est convenu que des demandes d'aménagement de ce régime avaient été formulées, en particulier après la sécheresse de 2003. Cependant, il a souligné que les assureurs privés comme la CCR disposaient de provisions conséquentes. Ces provisions devraient permettre de faire face à un sinistre d'un coût élevé.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a invité à se concentrer sur des réformes relatives à la prévention plutôt que sur le régime « catnat », dont les qualités l'emportent sur les défauts. Pour renforcer les politiques de prévention, les normes de construction doivent être nettement plus exigeantes. Alors qu'elles comportent déjà des objectifs antisismiques, ces normes doivent évoluer pour répondre aux enjeux particuliers des risques d'inondation et de sécheresse. Celle-ci pose notamment la question spécifique de ses effets destructeurs indirects, visibles seulement à moyen terme : une habitation peut en effet s'écrouler deux ou trois ans après la survenance d'un évènement de sécheresse.
M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur les défaillances des différents plans de prévention ainsi que sur la cartographie des risques naturels.
M. Bernard Spitz a fait valoir que la tempête Xynthia a mis en évidence plusieurs difficultés :
- l'absence de PPRI dans de nombreuses zones ;
- le caractère obsolète ou inadapté de certains d'entre eux ;
- ou, encore, leur manque d'effectivité, voire leur inapplication.
Il a donc plaidé pour un renforcement du dialogue entre les structures disposant d'informations sur les risques naturels. Regroupant les ministères concernés, les assureurs et la CCR, un observatoire de la prévention des risques naturels pourrait être utilement mis en place.
M. Bruno Retailleau, président, est revenu sur la possibilité de lier le niveau de risque au montant des primes d'assurances, à l'instar du système britannique des contrats d'assurance des biens.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a jugé ce modèle peu transposable en France. Il a rappelé la distance de notre culture nationale de l'assurance, en donnant l'exemple du rôle du bureau central de tarification (BCT). Celui-ci peut en effet décider à quelles conditions un assureur choisi par un assuré et qui lui a opposé un refus peut être tout de même contraint à le garantir.
M. Bruno Retailleau, président, a souhaité savoir si la nomination par le Gouvernement d'un médiateur, M. Yann Boaretto, chargé du suivi des indemnisations suite à la tempête Xynthia ne révèle pas l'existence de tensions dans les relations entre les assureurs et les assurés.
M. Bernard Spitz a fait valoir que ce médiateur, mis en place également après le passage de la tempête Klaus en 2009, a principalement une mission de coordination. L'usage du terme « médiateur » paraît donc impropre puisqu'il s'agit de mettre à disposition des assurés, des assurances et des pouvoirs publics un porte-parole et un interlocuteur unique.
M. Bruno Retailleau, président, s'est demandé comment caractériser la culture du risque en France. Il s'est ensuite interrogé sur son niveau de développement par rapport aux autres Etats occidentaux.
M. Bernard Spitz, président de la FFSA, a relevé que la première question dépasse la problématique des catastrophes naturelles. Puis il a déclaré que dans la mesure où la société française devrait faire face à des risques croissants et de plus en plus fréquents, la qualité des réponses qui seront apportées constitue un élément clé de la cohésion sociale et de la confiance dans les institutions. Le bilan dressé par la FFSSA en 2009 dans une étude relative à l'impact du changement climatique sur la survenance d'événements naturels en France souligne en effet la fréquence croissante des catastrophes naturelles et la hausse de leurs coûts pour la collectivité. Ils ont ainsi conduit à verser trente milliards d'euros d'indemnisations en vingt ans et ce montant devrait doubler dans les vingt prochaines années. Cette hausse devrait résulter d'un accroissement des risques et de la prise de valeur des biens. La réponse la plus adaptée aux catastrophes naturelles réside donc dans des politiques de prévention. Bien que la mission des risques naturels (MRN) fasse un travail utile, notamment en termes de cartographie, la création d'une structure plus ambitieuse dédiée à la prévention apporterait une réponse essentielle à ces questions.
M. Bernard Spitz a souligné l'écart entre la culture du risque en France et dans d'autres pays où elle est beaucoup plus affirmée, en particulier aux Etats-Unis. Des normes plus exigeantes et des formations adaptées auprès des populations doivent permettre d'être mieux préparé à vivre dans un monde où les risques seront de plus en plus présents et, surtout, de plus en plus grands.