N° 598
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation (1),
Par Mme Frédérique ESPAGNAC et M. Aymeri de MONTESQUIOU,
Sénateurs.
Tome 1 : Rapport général
(1) Cette mission commune d'information est composée de : Mme Frédérique Espagnac, présidente ; M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur ; Mmes Marie-Hélène des Esgaulx, Leila Aïchi, MM. François Fortassin et Éric Bocquet, vice-présidents ; MM. Marc Daunis et Dominique de Legge, secrétaires ; MM. Michel Berson, Jean Bizet, Jean-Pierre Caffet, Robert del Picchia, Mme Christiane Demontès, MM. Éric Doligé, Philippe Esnol, Christian Favier, Jean-Claude Frécon, Pierre Hérisson, Roger Karoutchi, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. François Marc, Jean Louis Masson, Christian Namy et Charles Revet. |
Agences de notation :
pour une profession règlementée
Rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation
Frédérique Espagnac, présidente
Aymeri de Montesquiou, rapporteur
19 juin 2012
INTRODUCTION
Constituée le 22 février 2012, la mission commune d'information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation, composée de 27 membres issus de tous les groupes politiques du Sénat, a été créée à la demande du groupe de l'Union centriste et républicaine, sur l'autorisation de la Conférence des Présidents en date du 7 février 2012.
Conformément au règlement du Sénat, elle est présidée par un membre de la majorité sénatoriale et son rapporteur est issu de l'opposition. Celui-ci est membre du groupe politique à l'origine de la demande de création de la mission. Une mission commune d'information dispose des mêmes pouvoirs d'information, de contrôle et d'évaluation que les commissions permanentes.
L'initiative du Sénat est intervenue à un moment où se manifestent des interrogations sur la capacité des agences de notation à évaluer les risques de manière satisfaisante, en particulier en ce qui concerne la dette souveraine, et des inquiétudes sur les conséquences de ces notes pour le financement des États, des collectivités territoriales et des acteurs économiques.
Les agences de notation, quoique intervenant puissamment depuis le XIX e siècle, demeuraient ignorées du grand public. Le séisme financier puis économique qui a frappé le monde en 2008 les a mises en lumière lors des scandales financiers, entre autres celui des subprimes, et les a fait connaître de façon très négative.
Comment le travail des analystes des agences est-il mené ? Selon quelles méthodes ? Dans quelles conditions leur est-il est possible de formuler un avis réellement qualifié sur une entreprise, un État, une collectivité territoriale ? Quelles sont les raisons pour lesquelles ce qui se présente comme une simple opinion a acquis aujourd'hui une telle importance pour les marchés financiers ? Quel a été l'impact des règlementations européennes et américaines mises en place récemment ? Comment apporter de nouvelles réponses aux dysfonctionnements rencontrés ?
Telles sont notamment les questions que se posait le Sénat.
La mission commune d'information a pu, dès le début de ses travaux, bénéficier des conclusions de la commission des affaires européennes du Sénat, saisie au titre de l'article 88-4 de la Constitution d'une proposition de modification du règlement européen du 16 septembre 2009, en cours d'examen au premier semestre 2012 1 ( * ) .
Elle a mené ses travaux de façon collégiale en conjuguant plusieurs approches : travail d'auditions publiques et ouvertes à la presse, missions à l'étranger, comparaisons internationales, investigations sur pièces dans les données confidentielles des agences de notation, consultation directe des analystes, des émetteurs et des investisseurs.
Premièrement, la mission commune d'information a conduit 21 auditions, dont 7 sous forme de tables rondes, avec des administrations, des entreprises du secteur financier et non financier, des collectivités locales, des économistes. Les comptes rendus de ces auditions sont en ligne sur le site internet du Sénat.
Elle s'est rendue deuxièmement à Washington et New-York, pour 13 entretiens avec, notamment, des représentants du Congrès, de la Securities and Exchange Commission (SEC) , des dirigeants de Standard and Poor's, Moody's et Fitch, à Londres, pour 6 entretiens à la City , à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords, et à Bruxelles, pour 5 entretiens à la Commission, au Parlement européen et à la représentation française.
Troisièmement, une commande a été passée au réseau international de la direction générale du Trésor pour une étude comparative 2 ( * ) sur le marché et la règlementation des agences de notation dans des pays émergents ou de l'OCDE (Australie, Brésil, Canada, Chine, Hong Kong, Inde, Japon, Mexique et Singapour) qui offrent sur ce sujet une vision complémentaire.
Quatrièmement, le Sénat a souhaité avoir accès aux 30 000 pages que les trois agences de notation Standard and Poor's, Moody's et Fitch ont communiquées en 2010 et 2011 aux autorités européennes pour obtenir leur enregistrement en Europe. Il s'agissait de pouvoir porter un jugement sur les exigences de cette nouvelle procédure d'enregistrement et d'étudier certains aspects peu connus du fonctionnement des agences.
Cinquièmement, il a souhaité pouvoir consulter directement les analystes des agences, les émetteurs et les investisseurs. Les témoignages adressés par les analystes lui ont permis de mieux mesurer leurs contraintes de travail. Pour ce qui concerne les investisseurs, qui sont les « utilisateurs » des notations, le Sénat a fait appel, par le biais d'un marché à procédure adaptée, à un institut spécialisé (IFOP), pour les consulter sur la confiance qu'ils portent aux agences de notation et leurs éventuels souhaits de changement 3 ( * ) .
La mission commune d'information a rencontré peu d'obstacles pour mener à bien son travail.
Du côté des administrations, elle a ainsi pu bénéficier de l'appui du réseau international de la direction générale du Trésor, de celui de l'Agence France Trésor, de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Autorité européenne des marchés financiers. L'AMF lui a ainsi grandement facilité l'accès aux dossiers d'enregistrement des agences de notation. Tout au plus peut-on regretter que les administrations financières, si elles répondent volontiers aux questionnaires du Sénat, rechignent encore à communiquer des documents, des pièces qui permettraient une analyse plus poussée sur certains points.
Pour ce qui concerne les entreprises, la mission commune d'information a constaté à regret les réticences de certaines à venir s'exprimer publiquement sur les agences de notation. Il y a là une appréhension qui souligne le pouvoir acquis par les agences sur les marchés.
Enfin, les trois grandes agences de notation, Standard and Poor's, Moody's et Fitch ont ouvert leurs portes à la mission commune, à haut niveau, que ce soit à New York, à Londres ou à Paris. Marc Ladreit de Lacharrière, président de FIMALAC et de Fitch, s'est rendu à l'invitation du Sénat.
Le dialogue avec les agences a été parfois vif, mais fructueux. La transparence des agences de notation a malheureusement souvent trouvé ses limites dans un renvoi trop systématique à leur site internet.
Leurs « rapports de transparence » imposés par la règlementation européenne restent malheureusement bien pauvres. Ils n'offrent que peu de réponses aux questions légitimes que se posent désormais les citoyens sur les moyens effectivement mis en oeuvre pour « bien noter » des États, des collectivités locales et des entreprises, alors que leur avenir en dépend de plus en plus souvent.
* 1 Communication de notre collègue Eric Bocquet le 1 er mars 2012 devant la commission des affaires européennes du Sénat.
* 2 Cette étude figure en annexe du présent rapport.
* 3 Échantillon de 352 investisseurs professionnels, utilisant les agences de notation dans le cadre de leur activité, représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance concernés par les notes des agences. Méthode des quotas.