CHAPITRE DEUX - L'IMPOSITION DU SECTEUR FINANCIER, UNE OPACITÉ À SURMONTER
Le taux d'imposition des bénéfices des entreprises du secteur financier a suscité un débat que votre commission d'enquête a souhaité envisager.
Il est important en soi et offre un aperçu sur les questions fiscales du moment : l'effet de l'internationalisation des groupes sur leur taux de cotribution dans un monde fiscalement fractionné, la répartition des droits d'imposer entre les Etats, l'impact de l'emploi de « leviers » financiers pour gérer la charge fiscale des entreprises.
Surplombant ces problèmes, il ressort qu'un considérable besoin de clarification reste à satisfaire.
I. LA MESURE DE L'ACTIVITÉ ET DES RÉSULTATS DES BANQUES, UNE OPÉRATION DE HAUTE VOLTIGE - LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES (PO) ACQUITTÉS PAR LES ENTREPRISES DU SECTEUR FINANCIER
La mesure de l'activité des banques présente des difficultés particulières qu'illustrent la diversité des approches suivies et les arbitrages comptables à très forts enjeux dont elle dépend.
Par ailleurs, un problème particulier doit être envisagé, qui tient à la combinaison des difficultés mentionnées avec l'internationalisation des grandes banques qui offre un élément d'opacité supplémentaire.
Une discussion a surgi à l'occasion de la publication du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur la fiscalité du secteur financier concernant le niveau réel du taux d'imposition du secteur.
Votre commission d'enquête en a été le témoin direct puisqu'elle a été saisie d'une demande visant à améliorer la transparence des informations diffusées par les entreprises du secteur et à rendre accessibles aux chercheurs les données détenues par les régulateurs.
Cette demande rejoint les préoccupations du Sénat qui a voté un dispositif destiné à mieux connaître l'activité des banques dans les différents pays où elles se déploient.
Ce besoin de transparence répond à des intérêts publics divers, dont celui de mieux appréhender les risques financiers posés par les banques offshore et leur contribution fiscale.
À ce propos, il faut inviter à titre préliminaire à quelques considérations de bon sens.
Le syndrome du « too big to fail » est un problème pour la stabilité financière en raison des probabilités d'aléa moral qu'il comporte et qui peuvent inclure des incertitudes sur la qualité de la supervision. Il peut s'appliquer à certains aspects du contrôle fiscal pour des raisons diverses.
Il existe d'abord un problème structurel de gestion de l'impôt des entités en question. Avec un total de bilan supérieur au PIB de la France, il n'est pas déraisonnable d'envisager que le résultat fiscal de BNP Paribas qui est tributaire d'un actif net découlant d'un nombre incalculable d'opérations, qui plus est réalisées sous des statuts fiscaux différenciés, puisse être influencé par des arbitrages qui conduisent à l'envisager comme plus ou moins le produit d'une négociation.
Si la considération des implications des règles fiscales compte évidemment, se référer à une forme de « gestion politique » de l'impôt, évoquée par l'un des témoins auditionnés par votre commission, offre sans doute une image qui n'est pas totalement irréaliste pour traduire le problème fiscal posé par les établissements sous revue.
Cette approche n'exclut pas l'application rigoureuse de la loi fiscale, ni que d'inévitables conflits surgissent qui puissent admettre une certaine âpreté.
Il faut donc envisager si le système de contrôle de la sincérité des opérations fiscales fonctionne correctement ou a contrario comporte des défaillances plus ou moins manifestes. Mais, force est de reconnaitre que le résultat fiscal d'aussi vastes ensembles ne saurait répondre mécaniquement à une arithmétique légale sans flexibilité.
C'est dans ces conditions qu'il faut revenir sur le débat sur le taux d'imposition réellement supporté par les établissements bancaires français. Celui-ci paraît avoir été refermé aussitôt qu'ouvert à l'occasion de la publication du rapport du Conseil des prélèvements obligatoirement. Il a moins prospérer que celui qu'un autre rapport du même CPO avait suscité sur le taux d'imposition implicite des grandes entreprises comparé avec le taux théorique et celui appliqué aux entreprises de dimension plus réduite.
Pourtant, à sa manière, il engage les mêmes questions.
Le rapport entre la capacité contributive des banques et leur contribution fiscale effective est très difficile à apprécier dans un contexte où les règles fiscales s'ajoutent à une communication opaque pour entretenir une certaine confusion.
A. LES DIFFICULTÉS DE MESURE ÉCONOMIQUE DES SERVICES FINANCIERS, LE SECTEUR FINANCIER ET LA COMPTABILITÉ NATIONALE, UN MÉNAGE DIFFICILE
La comptabilité nationale, qui a pour ambition de mesurer la production des entités économiques résidentes et les opérations de répartition des revenus correspondants entre les facteurs de production et les autres parties prenantes (en particulier, les administrations publiques et les prélèvements opérés sur les revenus des autres agents) applique au secteur financier des méthodes particulières afin de s'adapter aux spécificités des activités financières.
Il existe deux difficultés principales : l'absence de facturation d'une partie importante de l'activité commerciale des entreprises du secteur ; la part prise dans cette activité et dans ses résultats par des opérations financières, que, pour les autres secteurs, la comptabilité nationale a choisi de ne pas recenser au titre des activités de production courante.
Ce dernier choix est maintenu par les comptables nationaux qui, toutefois, conscients de la perte d'information qui en résulte pour le secteur financier, publient aussi un indicateur, hors comptabilité nationale, permettant de passer de la valeur ajoutée à un indice plus proche de la réalité des activités bancaires, le produit net bancaire (voir infra ). En toute hypothèse les données publiées au format de la comptabilité nationale excluent les résultats des activités de marché pour compte propre des banques (les activités pour compte des clients donnant lieu à la perception de commissions intégrées à la production du secteur pour le montant de ces commissions).
Quant au premier problème, qui se pose pour d'autres activités de service, il est résolu par l'adjonction aux recettes facturées par les banques (comme les commissions) de recettes calculées (les services d'intermédiation financière indirectement mesurés- SIFIM) pour calculer la production, et, de ce fait la valeur ajoutée du secteur.
Les SIFIM sont fondés sur les marges constatées sur les dépôts et sur les crédits des banques considérées comme représentatives du prix des services rendus par le secteur financier et ainsi, de la valeur de sa production. Il s'agit évidemment d'une approximation très peu satisfaisante puisque la mesure de la valeur ajoutée du secteur des services financiers en ressort dépendante de variables exogènes qui peuvent induire des évolutions soudaines sans vrai lien avec les services offerts par le secteur financier.
Par ailleurs, cette méthode repose sur des choix qui techniquement sont loin d'être indiscutables.
Ces observations ne sont pas seulement théoriques dans la mesure où il apparaît que de la valorisation des services financiers dépend celle du PIB.
Or, le PIB tend à devenir une référence pour l'application d'une série de politiques. Elle sert par exemple au calcul des contributions des Etats de l'Union européenne au budget européen et à l'application des systèmes de discipline économique et budgétaire qui peuvent jouer un rôle déterminant dans la définition des orientations de politique économique. Dans les pays où le secteur financier pèse d'un poids relativement élevé, comme c'est le cas dans plusieurs pays européens, la sensibilité du PIB à des conventions comptables discutables (en particulier parce qu'elles font jouer des variables essentiellement exogènes et difficile à manier) est forte. Elle peut déboucher sur des estimations de PIB qui ne sont que partiellement fiables avec des conséquences opérationnelles sur la contribution au budget européen et la définition des orientations de politique économique.