B. POLITIQUE FAMILIALE ET TAUX D'ACTIVITÉ DES FEMMES
Au cours de la table ronde du 5 février 2015, Anne-Claire Mialot, secrétaire générale du Laboratoire de l'Égalité, a insisté sur l'influence des politiques familiales sur les choix des femmes de poursuivre ou non une activité.
1. Un lien évident avec le taux d'activité des femmes
Les études statistiques montrent que les politiques publiques, en fonction de leur orientation, peuvent avoir un impact positif ou négatif fort, sur le taux d'activité des femmes.
Selon une étude menée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) sur l'activité féminine depuis 1975 20 ( * ) , le taux d'activité des femmes vivant avec deux enfants, dont le plus jeune a moins de trois ans, a fortement progressé entre 1975 et 1994 (+ 25 points), avant de baisser brutalement de 15 points entre 1994 et 1997. D'après la DARES, cette chute est liée à l'extension de l'allocation parentale d'éducation (APE) aux parents de deux enfants en juillet 1994. Cette mesure a alors entraîné un retrait massif des mères concernées du marché du travail.
A contrario , la prestation d'accueil du jeune enfant en 2004 (PAJE) et le crédit d'impôt pour frais de garde en 2005 et 2006 ont eu une influence positive sur le taux d'emploi des femmes 21 ( * ) .
Au travers d'incitations financières plus ou moins fortes, en faveur des modes de garde formels, les réformes ainsi menées ont pu conduire à une baisse de neuf points depuis 2002 du recours à la garde des enfants par les parents à titre principal, au profit du recours aux services d'une assistante maternelle ou d'un établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE) 22 ( * ) .
Ces diverses mesures accompagnent par conséquent l'accès des femmes à l'emploi : le taux d'emploi des mères d'au moins un enfant de moins de trois ans est passé de 55,4 % à 58,9% entre 2003 et 2013 d'après les enquêtes Emploi de l'INSEE.
Par ailleurs, d'après les résultats 2013 de l'Observatoire national de la petite enfance (publiés sur le site de la CNAF en décembre 2014), au-delà de la volonté de prendre soin de leurs enfants, les raisons du recours au complément de libre choix d'activité (CLCA) mentionnées par les femmes interrogées sont les suivantes :
- le coût des modes de garde, pour 33 % des femmes consultées ;
- l'absence de modes de garde à proximité, pour 17 % de ces femmes ;
- l'incompatibilité entre les horaires de travail et ceux du service d'accueil, pour 17 % d'entre elles.
Ces proportions rejoignent celles que l'on constate pour justifier le congé parental des mères : selon Stéphanie Govillot (INSEE première, n° 1454, juin 2013) 23 ( * ) , le recours au congé parental s'explique à raison de 33 % par des raisons de coût, à raison de 17 % par l'incompatibilité des horaires de travail avec ceux du service d'accueil et de 17 % par l'absence d'autres solutions à proximité.
Le congé parental des mères : avant tout pour le bien de l'enfant
Source : Insee, enquête Emploi et module complémentaire sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle - 2010
Note : les raisons ayant conduit à prendre un congé parental sont présentées telles qu'elles étaient proposées aux personnes interrogées lors de l'enquête. Plusieurs réponses étaient autorisées, d'où des totaux supérieurs à 100 %.
Champ : mères d'enfants de moins de huit ans ayant pris un congé parental à temps plein, ayant travaillé après la naissance du plus jeune enfant ou ayant cessé leur activité professionnelle moins d'un an avant sa naissance, hors mères en congé de maternité post-natal, en France.
La question du mode d'accueil des enfants joue donc un rôle important dans le choix des femmes de recourir au CLCA.
2. Un lien confirmé par le panorama européen des politiques familiales.
Mathilde Guergoat-Larivière 24 ( * ) a dressé, au cours de la table ronde du 5 février 2015, une typologie des modèles d'emploi des femmes dans les pays européens, associés aux modes d'accueil ou de garde des jeunes enfants, que nous avons répertoriée dans le tableau ci-après.
Structure professionnelle dominante des couples |
Modes d'accueil ou de gardes dominants |
Incitation à prendre des congés parentaux |
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Pays Nordiques (Norvège, Finlande) |
Couple biactif travaillant à temps plein |
Intervention de l'État en faveur des structures de garde formelle, notamment collective |
Les congés longs après une naissance sont peu favorisés |
Pays d'Europe centrale et orientale |
Taux intermédiaires d'emploi des femmes et temps partiel très peu développés |
Les structures de garde des enfants sont assez peu développées |
Longs congés accordés aux femmes après une naissance : les femmes se retirent du marché du travail pour une période pouvant aller jusqu'à trois ans |
Pays continentaux et anglo-saxons |
Modèle traditionnel de « monsieur gagne-pain » amendé par le travail à temps partiel des femmes |
Diversité 25 ( * ) (garde formelle et informelle) en lien avec des formes diversifiées d'emploi des femmes |
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Pays méditerranéens (avec des disparités. Ex : le Portugal tient une place à part) |
Modèle traditionnel de « Monsieur gagne-pain » où les femmes ne travaillent pas et les hommes travaillent à temps plein |
Enfant gardé par la mère et recours à la garde informelle (par la famille/amis/voisins...) |
Congés maternité/parentaux limités |
Ces typologies confirment un lien fort entre les modes d'accueil et de garde disponibles et les modalités de l'activité professionnelle des femmes mères de jeunes enfants .
Ainsi, selon les travaux d'Hyppolite d'Albis 26 ( * ) , la combinaison d'un congé parental court et bien rémunéré et d'une offre appropriée de garde pour les jeunes enfants a fait preuve de son efficacité, non seulement car elle encourage la natalité, mais aussi car elle permet de réduire les inégalités en favorisant le retour à l'emploi des jeunes mères.
À l'inverse, les allocations et réductions d'impôts, notamment via les quotients conjugaux et familiaux, contribuent dans une certaine mesure à réduire la participation des femmes au marché du travail.
Il est clair que les dépenses engagées par un ménage pour faire garder les enfants et les effets du quotient familial contribuent à rendre peu avantageux le travail de la femme, surtout si son salaire est peu élevé, dans une logique de « salaire d'appoint ».
Cet effet a d'ailleurs été souligné au niveau européen par Mathilde Guergoat-Larivière.
À l'inverse, investir dans les modes d'accueil qui permettent une meilleure conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle des femmes et des hommes renforce clairement le taux d'activité des femmes . On peut toutefois considérer comme paradoxal le « double message » ainsi porté par la politique familiale : « d'un côté les dispositifs aident les parents - notamment les femmes - à articuler travail et famille et de l'autre côté, ces aides enferment les femmes dans un modèle à la fois familial et d'emploi en termes de secteurs d'activité, de métiers et de temps de travail » 27 ( * ) .
Lors de la table-ronde du 5 février, le président du Haut Conseil de la Famille (HCF) a rappelé que la France était clairement engagée dans cette voie, puisqu'historiquement, une politique dynamique et continue menée par les différents gouvernements français a essayé de faciliter la vie professionnelle des parents, notamment des mères de famille, en développant les modes d'accueil.
Laurence Rossignol 28 ( * ) a confirmé lors de son audition, le 19 février 2015, que les écarts de salaires entre hommes et femmes participaient au « décrochage » des mères du marché du travail du fait de l'arrivée des enfants, et justifiaient que le Gouvernement s'engage pour une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.
3. Des retombées économiques non négligeables
Une étude 29 ( * ) conduite par Eric Maurin 30 ( * ) et Delphine Roy 31 ( * ) à Grenoble, à partir d'une enquête menée en 2007 auprès de l'ensemble des familles grenobloises inscrivant un enfant en maternelle, montre que les mères qui obtiennent une place en crèche se maintiennent plus facilement dans le monde du travail.
Cette étude estime que les dépenses imputables pour la collectivité à la création de cent nouvelles places de crèche sont équilibrées du fait des avantages qui en résultent.
Ce résultat, que nous produisons sous toute réserve, s'appuie sur la comparaison de l'emploi des mères dont la demande de places d'accueil a été satisfaite avec celui des mères dont la demande n'a pas été satisfaite.
Selon cette enquête, la création de cent nouvelles places de crèche aurait pour conséquences de diminuer d'environ soixante-dix le nombre d'enfants placés chez un assistant maternel et de trente le nombre d'enfants gardés par un parent. Dans la mesure où une place en crèche coûte à la collectivité en moyenne environ 15 000 euros, une place chez une assistante maternelle 10 000 euros et une garde parentale 6 000 euros, les auteurs évaluent le coût net annuel pour la collectivité de la création de cent nouvelles places de crèche à environ 620 000 euros.
Les bénéfices immédiats liés à la création de ces places de crèche seraient liés à la sauvegarde de quinze emplois en équivalent temps plein (selon l'estimation des auteurs) qui rapporterait à la collectivité 600 000 euros (en prenant pour valeur des nouveaux emplois le coût salarial total annuel moyen d'un emploi en France). Ce constat équilibrerait à lui seul, selon cette étude, le coût net pour la collectivité des nouvelles places en crèche.
À ces avantages s'ajoute le gain lié, pour la collectivité, à l'absence d'interruption de carrière, calculé sur le long terme. Les auteurs ne tirent cependant pas les conséquences de la perte de revenus subie par les assistants maternels affectés par la création de ces places de crèche. Leur analyse est toutefois éclairante des interactions positives, sur les moyen et long termes, liées à la création de places d'accueil de jeunes enfants.
Selon Anne-Claire Mialot, à coût constant, si on basculait un point d'allocation individuelle à la famille vers la création de places d'accueil, nous serions en mesure de favoriser le travail des femmes ce qui, d'après certains économistes, générerait 0,5 point de croissance pour notre pays. C'est pourquoi le Laboratoire de l'Égalité préconise de basculer un point d'allocation individuelle à la famille vers la création de places d'accueil.
En tout état de cause, la délégation estime que les politiques publiques doivent mettre l'accent sur les modes de garde formels, pour encourager l'intégration des femmes sur le marché du travail.
* 20 « Activité féminine et composition familiale depuis 1975 », analyses de la DARES, mai 2010, n° 027.
* 21 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants en 2013, n° 896, octobre 2014.
* 22 Cf . l'enquête de la DREES précitée.
* 23 « Après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux » .
* 24 Maîtresse de conférences en sciences économiques au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et chercheure associée au Centre d'études de l'emploi.
* 25 Le coût de la garde est nettement plus élevé dans les pays anglo-saxons que dans les pays continentaux.
* 26 Économiste de l'École d'économie de Paris (Paris school of economics), cité lors de la table ronde du 5 février 2015 par la secrétaire générale du Laboratoire de l'Égalité.
* 27 « L'accès à l'emploi des femmes : une question de politiques... », r apport d'une mission sur l'emploi des femmes pilotée par Séverine Lemière, p. 113.
* 28 Secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé.
* 29 « L'effet de l'obtention d'une place en crèche sur le retour à l'emploi des mères et leur perception du développement de leurs enfant » (CEPREMAP, mai 2008).
* 30 Directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales.
* 31 Doctorante à l'École d'économie de Paris.