III. PERSPECTIVES

A. DÉFINIR UNE STRATÉGIE ET LUI DONNER DES MOYENS

1. Définir une stratégie

« Définir une stratégie ? » Mais c'est fait, pourrait répondre le ministère. Telle fut la mission confiée par le ministre à France Agrimer qui, en juin 2014, publie un document supposé devenir un document de référence intitulé : « Stratégies de filières pour une agriculture compétitive au service des hommes ». La stratégie pour la filière laitière est ainsi exposée :

La stratégie française pour la filière laitière

« Le premier enjeu identifié par la filière est le maintien des exploitations et de laiteries viables sur l'ensemble des zones laitières, ce qui suppose notamment d'assurer le renouvellement des générations. Pour y parvenir, il est nécessaire d'améliorer les marges dégagées à la production afin de préserver le revenu des producteurs, par la productivité du travail et la maîtrise des coûts de production. Par ailleurs, il est indispensable de combiner performance économique et performance écologique des producteurs (autonomie alimentaire, réduction des intrants), et transformer les contraintes environnementales en leviers de compétitivité, notamment dans les zones les plus fragiles. Enfin, il faut améliorer la valorisation des produits, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation pour redonner des marges aux entreprises afin qu'elles puissent innover et investir.

Pour le secteur du lait de vache, l'enjeu majeur est d'accompagner les évolutions du secteur liées à la fin des quotas, qui induiront des évolutions structurelles de la production laitière et une évolution des relations contractuelles entre les producteurs et leurs acheteurs. Pour cela, la filière préconise d'organiser, au moyen de dispositions communautaires, les possibilités de s'adapter à la volatilité des prix et des charges sur le marché intérieur, et de prévenir et gérer les crises sur le marché européen, notamment en cas de perte de débouchés à l'exportation.

Il convient également d'accompagner le développement de la production et de la transformation attendu dans les zones les plus performantes, pour profiter de la croissance des marchés émergents à l'international, en cherchant à exporter des produits ayant le plus possible de valeur ajoutée pour se protéger autant que possible de la volatilité des marchés internationaux ».

France Agrimer - Stratégies de filière - La filière laitière - Juin 2014

France Agrimer est un remarquable outil d'information et d'analyse. L'audition de quelques-uns des membres de son équipe fut parmi les plus riches de toute la série d'auditions conduites dans le cadre de cette mission. Mais sa capacité à définir une stratégie reste à démontrer. Une stratégie suppose un cap, un objectif clair. Mais force est de reconnaître que cette liste tient plus du catalogue que de la stratégie .

On touche là un problème de fond. Il y a des pays qui ont une stratégie. L'Allemagne, de toute évidence, a une stratégie : être compétitive dans la compétition mondiale. Tout est orienté vers ce but unique. Le cap est fixé. Face à cela, la France présente un catalogue où rien ne manque : l'aménagement de territoires, le maintien des exploitations et des laiteries partout en France, les marges des entreprises, les revenus des producteurs, la performance économique, la performance écologique, le calendrier des produits, l'exportation, l'innovation, les relations contractuelles, la volatilité des prix et du marché... Il ne manque plus que le paysage et la lutte contre le changement climatique pour que le catalogue soit complet, consensuel, et, en réalité... vain. Il y a tout. Autrement dit, il n'y a rien.

Une stratégie impose des choix. C'est une responsabilité sans doute écrasante, mais c'est, dans les circonstances du moment, un devoir. Comme on l'a vu, les pouvoirs publics n'ont jamais fait preuve d'une grande audace lorsqu'il s'est agi d'aborder les réformes de la filière laitière. Ils continuent d'entretenir un certain flou, voire une certaine illusion.

Il y a des dynamiques laitières différenciées. Il est tout à fait certain qu'il y aura des restructurations, interrégionales, intrarégionales, c'est-à-dire, pour être clair, des disparitions d'exploitations. Il faut accompagner le mouvement et non pas nier la réalité.

La démographie s'impose lentement. Même devant les perspectives du marché mondial, des éleveurs envisagent d'arrêter leur exploitation et près de la moitié des producteurs partent à la retraite dans les deux ans. Aujourd'hui un départ sur quatre est remplacé. Et pour ceux qui ne partiront pas à la retraite, un autre problème se pose : celui du départ des parents, qui, bien souvent, accompagnent encore les éleveurs. Les vieux parents restent, en fait, en demi-activité et représentent une main-d'oeuvre presque gratuite. Que se passera-t-il quand ils disparaîtront ? Par qui seront-ils remplacés ? Par des travailleurs détachés ? Pour éviter de répondre, on ne pose pas la question ! La fragilité de certaines exploitations sera alors criante et beaucoup d'entre elles n'y survivront pas.

Ce que la démographie ne fera pas, lentement, la concurrence l'imposera, brutalement.

Il paraît nécessaire de bien séparer les deux notions : la stratégie économique et l'objectif politique d'aménagement du territoire. À l'État de définir un cap, une stratégie de compétitivité pour la filière, élaborée avec la profession laitière, orientée vers les marchés. Aux régions, aidées par l'Union européenne, d'avoir un objectif de localisation, d'équilibre, pour aider les zones dites défavorisées (ex. zones à handicaps naturels, régions ultrapériphériques...).

Ce travail stratégique reste à mener.

2. Accompagner la stratégie
a) Avoir confiance

Ce qui frappe le plus dans ces quelques mois d'investigation, c'est cette impression de pessimisme ambiant, le regret d'une situation révolue, la crainte des concurrences, l'impression d'une inadaptation, l'absence de perspective claire et, plus que tout, le sentiment diffus de ne pas savoir où aller. Une situation simplement invraisemblable aux yeux de nos principaux compétiteurs qui mettent en avant les formidables atouts français.

Les atouts objectifs sont bien connus : la France a tous les climats, elle a de l'eau - à supposer qu'elle puisse organiser sa collecte par des retenues -, le prix des terres est parmi les plus faibles de l'Union européenne, etc. Mais surtout la France a un atout considérable dans la compétition moderne des produits laitiers : elle a une notoriété mondiale, une réputation fondée sur des productions d'excellence. La France, grâce à ses chefs et son histoire culinaire, a réussi à fabriquer des icônes alimentaires. Il y a un lien entre production, alimentation et gastronomie. La réputation de l'un rejaillit sur les autres.

C'est sur cette réputation qu'il faut veiller. Certains pays savent parfaitement entretenir la leur. « C'est une allemande » reprend une fameuse publicité. Cela suffit, tout est dit. Les Français le font-ils ? La cuisine française fait encore rêver le monde entier mais pour combien de temps ? La cuisine française est un savoir-faire qui demande un effort. Cette réputation pourrait vite être anéantie si nous n'y prenons garde ! Le flux des touristes du monde entier savent reconnaître les talents. Un héritage se cultive, s'entretient. Sinon, il perd de sa valeur.

La France a encore ces atouts et ce sont ces atouts qu'elle doit valoriser. Les perspectives du marché mondial sont sur la poudre de lait et les fromages ingrédients. Soit. Il y a, on le sait, des rouleaux compresseurs et d'autres qui ont des ambitions mondiales. La France a les capacités de répondre si on laisse les dynamiques laitières s'exprimer. Mais, sur ce terrain, la France sera en concurrence avec le monde entier .

Et puis, il y a aussi des créneaux de qualité, d'excellence, de typicité, qui certes, n'intéressent sans doute qu'une fraction de la population la plus fortunée des pays émergents 69 ( * ) mais sur ce terrain, la France reste encore la meilleure. Mais attention, comme pour le vin, d'autres en fabriquent déjà et peuvent apprendre à faire mieux .

La politique française des signes de qualité, des appellations d'origine protégées (AOP), a fait la réputation des produits français. La famille des AOP laitières en Europe compte 175 fromages beurres et crèmes dont 50 françaises, dont 45 fromages, dont 28 de fromages de lait de vaches dont quelques-uns comptent parmi les plus connus au monde. C'est un atout considérable. À condition de savoir le valoriser. Il y a une agriculture qui produit du lait que nous pouvons appeler mondialisée et qui cherche des prix et des volumes, et une agriculture qui crée de l'image et de la valeur ajoutée. Les deux sont utiles à l'économie du pays car nous avons aussi besoin en France, en Europe et dans le monde de ce lait basique qui n'est pas à mépriser.

La France a même une chance que les autres n'ont pas. Les Appellations d'origine dans le secteur laitier peuvent parfaitement être associées à d'autres produits français de renommée mondiale, à commencer par le vin, bien sûr. Cela paraît tellement évident à la DG Agri : « le fromage est associé au vin. L'un porte l'autre. La France a cette chance d'être forte dans les deux ». C'est même un art de vivre. Les organisations de producteurs pourraient utilement se rapprocher des viticulteurs pour mener des opérations combinées de promotion.

L'innovation et les Appellations d'Origine sont les atouts maîtres de la France. Dans la guerre commerciale dans le secteur laitier, les AOP sont les forces spéciales de l'industrie laitière française.

Raison de plus pour veiller à les protéger et à les faire aimer dans les pays qui en consomment encore peu.

b) Préserver les intérêts de la filière française dans la négociation du traité commercial transatlantique

Le manque d'anticipation fut l'une des critiques les plus fréquentes entendues au cours de ces auditions. Le plus extravagant est que ce défaut apparaît même lorsque l'échéance est donnée, au jour près ! Une autre échéance va être cruciale pour le secteur laitier : celle de la négociation du traité commercial transatlantique ( Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TTIP).

Le TTIP intéresse très directement la filière laitière française. D'une part, il y a une négociation tarifaire sur les droits de douane et en particulier sur les pics tarifaires appliqués sur certains produits laitiers : 39 % sur les fromages à pâte persillée, 112 % sur le lactosérum, par exemple.

D'autre part, les indications géographiques et les signes de qualité constituent un enjeu considérable pour la France et pour quelques autres pays de l'Union européenne. C'est un poids économique, un enjeu majeur de développement local et, même, comme on vient de le voir, un atout décisif dans la compétition mondiale.

Le sujet est connu : les Européens cherchent à protéger leur système et éviter des usurpations de noms et qualités. Les Américains protègent leurs produits par le droit des marques. Ils considèrent que le régime des indications et des appellations d'origine est un système protectionniste.

Ce qui est moins connu est que cette confrontation porte principalement sur les produits laitiers et sur les fromages en particulier. L'Union européenne a présenté une liste de 42 IG dont 32 fromages. Aux États-Unis, c'est l'industrie laitière qui est la plus hostile aux IG européennes. Car s'il existe aussi quelques labels d'origine géographique aux États-Unis tels que le vin de la Napa Valley, les oranges de Floride, les pommes de terre Idaho, l'industrie laitière américaine produit de nombreux fromages « européens » créés sans usurpation mais simplement à partir du savoir-faire des immigrants européens au cours des siècles passés, et estime que les termes sont devenus génériques : feta, gouda, emmenthal, gruyère. L'industrie laitière américaine représente un lobby très important. Elle refuse d'être freinée par un système d'indications géographiques qui l'empêcherait de fabriquer du Munster (74 000 tonnes fabriquées aux États-Unis contre 20 tonnes exportées de France vers les États-Unis) ou de la Fourme.

Ainsi, les difficultés rencontrées par nos IG aux États-Unis sont de trois ordres :

- des conflits avec des marques enregistrées telles que Morbier, Reblochon, Fourme d'Ambert par exemple.

- un usage antérieur du nom tel que Chaource,

- des conflits avec des noms considérés comme génériques qui ne peuvent être protégés. L'affaire est entendue pour le camembert ou le brie par exemple (d'ailleurs ce ne sont pas ces appellations qui sont protégées mais le camembert de Normandie, le brie de Meaux ou le brie de Melun sont des AOP) ; en revanche, les discussions s'annoncent plus serrées concernant Neufchâtel, Munster ou Gruyère.

C'est un sujet extrêmement sensible pour les Français. Selon la DG Trésor qui suit ces négociations commerciales, la Commission européenne est très mobilisée et défend très loyalement - et c'est la moindre des choses - les intérêts des IG nationales. Elle reconnait toutefois qu'il peut y avoir des divergences entre États membres. La position de l'Allemagne est encore ambigüe sur ce point. En janvier 2015, les déclarations du ministre allemand de l'agriculture, M. Christian Schmidt, au journal Der Spiegel et au Bundestag, avaient été comprises comme le signe d'un possible lâchage: « Si nous voulons profiter des avantages du libre-échange avec le gigantesque marché américain, nous ne pourrons plus protéger chaque type de saucisse et de fromage comme une spécialité ». Une polémique avait suivi en Allemagne mais une prudence élémentaire oblige à considérer que rien n'est joué.

On peut aussi imaginer que même au sein du secteur laitier français, il peut y avoir des tensions, entre fabricants de poudre de lactosérum (très intéressés par supprimer des droits de douane américains de 112 %) et les fabricants de Munster et autres IG... Il y a, derrière ces querelles, des enjeux industriels et des enjeux régionaux. L'affaire pourrait s'avérer politiquement délicate.

La France et l'Union européenne passent par des phases d'optimisme et des phases de pessimisme. Presque tous les accords commerciaux conclus par l'Union européenne ont contenu une clause de reconnaissance des indications géographiques. La négociation sera un tout. Il y aura un équilibre entre concessions réciproques.

La France n'est pas seule à défendre ses indications géographiques. Une initiative politique franco-italienne - du Sénat français et du Sénat italien - pourrait avoir du sens pour appeler les gouvernements et la Commission, mandatée par le Conseil, pour mener ces négociations avec une grande vigilance.

c) Se former

La fin des QL fait entrer les éleveurs dans un monde de turbulences. Ce ne sont ni les seuls ni les premiers ! D'autres agriculteurs ont connu cette transition. Voilà bien longtemps que les céréaliers sont connectés tous les jours au prix mondial de la bourse de Chicago. Voilà longtemps que les producteurs de porcs sont confrontés aux fluctuations du prix des intrants et savent moduler l'engraissement. C'est aujourd'hui le tour des éleveurs laitiers.

« La formation à la gestion est une priorité. Cela doit être une priorité de l'enseignement professionnel et une priorité de la formation permanente. Il faudra une gestion plus fine, adaptée à gérer les aléas. Hier, les éleveurs qui faisaient une bonne année en profitaient pour changer de tracteur. Il n'y avait pas d'anticipation. La difficulté est de combiner une gestion du quotidien avec un cycle long (matériel/durée de vie d'une vache...). Il manque un outil de gestion des risques ». disent les Jeunes Agriculteurs 70 ( * ) . Tôt ou tard, la technique des marchés à terme sera expérimentée par les producteurs laitiers. Il faudra évidemment une formation en ce sens.

Ce type de formation intéresse tous les agriculteurs. Cela serait certainement bien plus judicieux que les formations aux conversions bio qui sont également très utiles mais qui n'intéressent qu'une minorité d'exploitants et resteront vraisemblablement une niche.

Il y a un besoin criant de formation. À qui incombe cette formation ? L'Union européenne a seulement prévu un observatoire européen. C'est très insuffisant. « Il faut gérer sa trésorerie pour supporter la volatilité, jouer sur les distributeurs, la fiscalité... C'est aux pouvoirs publics de donner les moyens légaux de se préparer à cette compétition » estime la FNIL. Les pouvoirs publics ont leur rôle mais c'est surtout la mission des structures professionnelles, syndicats et chambres d'agriculture. Les agricultures comptent parmi les professions les mieux organisées, les plus structurées. Mais ces structures qui vivent parfois sur un passé révolu manqueraient à leur mission si elles ne préparaient pas les agriculteurs, en l'espèce les éleveurs laitiers, à anticiper les évolutions, si elles n'investissaient pas dans la formation.

Combien de fois a-t-on entendu les observateurs faire le constat navrant du manque d'anticipation. « Les producteurs laitiers ont découvert la fin des quotas laitiers il y a deux semaines. Ils croyaient toujours que les quotas allaient être maintenus. On est à cinq semaines d'une révolution et les éleveurs sont en train de se demander comment marchent les organisations de producteurs et s'il n'est pas temps de se regrouper », déplore l'un d'eux.

Les organisations agricoles n'ont pas été non plus très réactives et sont restées dans une position de suivisme, d'observation. Ceux qui ont suivi la préparation de la dernière réforme de la PAC ont pu constater le décalage entre le discours des agriculteurs français, certes plein de bon sens et d'humanité, et les aspects pratiques de la négociation. Il faut passer des débats politiques de principe dont les Français sont coutumiers, aux réponses pratiques et aux formations techniques.

d) Innover

Le marché national reste le premier débouché de la filière laitière. Un affaissement de ce marché comme certains le prévoient, aurait des conséquences désastreuses. La filière doit se mobiliser. Il n'y aura pas de succès sans innovation. L'innovation concerne l'amont, la production, et surtout l'aval, c'est-à-dire la transformation et la distribution.

- L'innovation dans les techniques

« Il faut accepter la modernité. Une partie de la société a toujours une vision misérabiliste de l'éleveur ! Non, il faut des robots de traite, des caméras de surveillance, des outils d'analyse des troupeaux. « On peut aimer élever des animaux sans être obligé d'être derrière le cul des vaches 24 heures sur 24 ». Une évolution comparable a touché le secteur céréalier : plus un tracteur sans son GPS ! C'est aussi la réduction des contraintes et les nouvelles technologies qui attirent les jeunes » commente Thierry Roquefeuil, président de la FNIL.

- L'innovation dans les productions

Le lait est un produit basique. Pas si sûr. Comme en témoigne cette petite histoire du lactosérum.


L e lactosérum, histoire d'un déchet devenu minerai

Le lactosérum est la partie issue de la coagulation du lait, un liquide jaune verdâtre, formé de 94 % d'eau ( petit lait) et de lactose, glucide, dit aussi « sucre de lait ». Le lactosérum est un produit généré en grande quantité par l'industrie fromagère.

Il y a 30 ans, le petit lait allait dans les rivières ou était donné aux cochons. Des porcheries ont même été développées pour consommer le lactoserum. L'élevage porcin s'adossait à l'élevage laitier. Les deux élevages étaient en synergie.

Le progrès dans la connaissance scientifique et le progrès technique ont transformé l'usage du lactosérum. Ses bienfaits ont été mis en évidence: le lactosérum a une très haute valeur nutritionnelle. Il est très riche en protéines et très pauvre en matières grasses. Il améliorer la digestibilité.

Le lactosérum a un gros potentiel alimentaire. Il est utilisé en biscuiterie, glaces, chocolaterie, diététique - en remplacement du lait - et pour certains publics : aliments pour sportifs. Un nouveau créneau s'est ouvert, à partir des années 2000, avec le marché du lait infantile.

La progression a été fulgurante avec l'ouverture du marché asiatique et chinois, très demandeur depuis la crise de la mélamine 71 ( * ) .

Ce sont les coopératives qui ont opéré ce tournant technologique et commercial. Eurosérum est le numéro 1 mondial sur le marché des poudres de lactosérum déminéralisé, un ingrédient utilisé pour la fabrication du lait infantile. L'entreprise a été créée en 1973 en Haute-Saône. Entremont devient l'actionnaire majoritaire en 2000. La société rejoint la coopérative Sodiaal. Le siège et la principale unité de transformation se trouvent à Port-sur-Saône en Haute-Saône.

Le progrès technique va apporter une nouvelle impulsion. Chaque fabrication fromagère génère un type de lactosérum. Il existe un lactosérum dense, issu des pâtes pressées - emmental - et un lactosérum acide, issu des pâtes molles. Les techniques récentes portent sur la séparation des protéines. Chacune peut être valorisée et a son marché. La filière est à la veille d'un immense chantier.

La France s'est montrée innovante et est au tout premier rang mondial. C'est un atout considérable dans la compétition mondiale.

- L'innovation dans les marchés

Le lait est un produit standardisé. Mais tout peut changer si les producteurs parviennent à sortir de cet anonymat pour créer des productions dédiées, des productions de niche qui répondent aux besoins et aux envies du client consommateur.

Dans ce registre, il faut évidemment mentionner la production du lait bio qui est un marché de niche prometteur mais ce positionnement sur des segments à forte valeur ajoutée va bien au-delà. Il peut être d'ailleurs noté qu'un producteur de lait bio, à exploitation comparable, ne dispose pas de revenus supérieurs à celui d'un producteur de lait traditionnel.

Les éleveurs peuvent s'engager dans la production. Ce type d'initiative est considéré avec ironie voire un peu de dédain par les industriels. « À chacun son métier », semble dire la FNIL. Cette attitude n'a pas lieu d'être. Que craignent les géants de l'industrie laitière à voir se développer quelques filières de production locale ? Ils devraient plutôt les encourager et s'y associer !

La carte de la proximité reste à jouer. « Pour l'agriculture, nombre de personnes dans l'entourage de l'écologie se demandent pourquoi les agriculteurs français ne développent pas des filières locales et de qualité plutôt que d'essayer de concurrencer les Néo-Zélandais sans aucune chance d'y arriver. Développer une agriculture différente, bonne pour le climat et pour la santé, permettrait de remettre des prairies à foin dans les zones d'alimentation de captages... et réduirait les transports. Il semble y avoir de la demande non satisfaite pour ce genre de produits », estime Claire Tutenuit, co-fondatrice de l'association Bon pour le climat . Bien sûr, ce n'est qu'un avis.

De même, puisque le lien entre lait et cuisine a été évoqué, l'interprofession pourrait multiplier les initiatives avec la grande distribution pour réaliser des campagnes publicitaires visant à encourager les préparations de desserts extrêmement simples à réaliser mais qui ont presque complètement disparu des tables familiales - crêpes, crèmes caramel, crèmes brulées, clafoutis, flognardes... 72 ( * ) Une préparation mensuelle par ménage représenterait plusieurs dizaines de millions de litres ! Des propositions anecdotiques voire dérisoires sans doute mais qui ont pour seul objet d'appeler à la mobilisation des producteurs.


* 69 Mais une petite fraction d'une telle base : rappelons que un millième de la population chinoise représente pratiquement autant que les villes de Marseille et Lyon réunies !

* 70 Audition du 9 décembre 2014

* 71 Voir France-Agrimer : le marché mondial du lactosérum, septembre 2013.

* 72 Toutes ces préparations supposent également de la vanille, laissant entrevoir des coopérations fructueuses entre les régions laitières et les Antilles.

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