C. UTILISER LE POTENTIEL DES OUTILS EXISTANTS
1. Croire aux organisations de producteurs
a) Renforcer les OP : AOP et OP territoriales
On a vu, plus haut, le bilan encore mitigé des organisations de producteurs. Et pourtant, le potentiel existe, soutenu par la Commission européenne. Ce soutien ne s'imposait pas avec évidence, tant certaines directions de la Commission ont considéré les OP et surtout leur rôle dans la négociation des prix comme une dérogation tout à fait exceptionnelle - voire, dans l'esprit des anges-gardiens de la DG concurrence, carrément scandaleuse ! - au droit commun de la concurrence. Pourtant, les récentes publications de la Commission ne laissent planer aucun doute. La tonalité a totalement changé.
« La diversité relativement grande des exigences minimales montre la difficulté de trouver un équilibre entre la volonté de tendre vers de grandes OP qui ont un potentiel suffisant pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs et l'encouragement à la création d'OP en fixant des seuils réalistes. Néanmoins, il convient de se rappeler que, dans un deuxième temps, plusieurs organisations de producteurs peuvent se réunir dans une association d'OP qui a les mêmes possibilités de négociation collective qu'une OP, mais à une plus grande échelle.
Dans leur rapport « Analysis on the future developments in the dairy sector », les experts ont suggéré notamment de renforcer le rôle des OP, en particulier en veillant à ce qu'elles aient une taille adéquate pour avoir un pouvoir de négociation suffisant » 80 ( * ) .
Ce renforcement peut se faire dans deux directions : par les Associations d'Organisations de Producteurs et par les OP territoriales.
Les OP ont la faculté de se regrouper en Association d'Organisations de Producteurs (AOP). Les regroupements paraissent cependant difficiles. En Europe, il n'y a que trois AOP, en Allemagne. Il n'existe, en France, aucune AOP. Les projets dans ce domaine concernent une OP dédiée au lait bio et des OP regroupant des éleveurs sous signe de qualité (une AOP des éleveurs fournisseurs de camemberts de Normandie par exemple). Rien n'est exclu à l'avenir même si la compétence des AOP devra être tranchée. Pour le médiateur des contrats, les AOP n'auraient pas la compétence de négociation des contrats, qui relève des seules OP. La position de la Commission est différente: « Une AOP a la même possibilité de négociation collective qu'une OP, mais à une plus grande échelle » . Cette ambiguïté devra être levée.
L'OP territoriale. Mais une OP peut aussi rassembler des producteurs sur des bases diverses : une affinité, une proximité, un même collecteur, un label de qualité, une localité, voire un bassin laitier tout entier. La seule limite fixée par le règlement est le volume collecté : 3,5 % de la production européenne et 33 % de la production nationale de lait cru, soit 5,3 milliards de litres (3,5 % de 151 milliards dans l'Union européenne) et 8,6 milliards de litres (33 % de 26 milliards en France). On rappelle que la plus grande OP française - OP Val de Loire - regroupe 1 500 producteurs et 600 millions de litres, soit environ le dixième seulement de la limite autorisée.
L'OP territoriale semble avoir plus d'avenir que les AOP. Plusieurs éleveurs l'appellent même de leurs voeux, à la condition que les pouvoirs publics soient impliqués, estime le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF). « Les pouvoirs publics se sont désengagés. Ils ne redeviendront pas des acteurs directs, mais ils peuvent garder un rôle d'arbitre et de suivi stratégique. La gestion de l'offre repose sur un tryptique : l'éleveur, l'industriel, et l'arbitre (les pouvoirs publics) » 81 ( * ) . Sachant que l'intérêt d''une OP territoriale est non seulement d'avoir un effet taille mais aussi qu'elle peut négocier avec plusieurs acheteurs.
C'est donc cette idée d'OP territoriales qu'il faut analyser.
À quel niveau ? Au niveau du bassin laitier puisqu'il existe déjà des « conférences de bassin » 82 ( * ) .
b) Surmonter les réticences des industriels
Cette perspective rencontre les plus vives réticences des industriels qui voient dans les OP de bassin « une très mauvaise idée. (...). La grande OP est une façon de collectiviser la gestion - on sort de la gestion administrée, on ne va tout de même pas en recréer ! » .
On conçoit aisément que les industriels préfèrent contractualiser avec « leur » OP ou avec des OP de petite taille plus qu'avec de grandes OP régionales, voire nationales. France Milk Board , par exemple, créée à la suite d'ATLA, aurait l'ambition de créer une OP d'envergure nationale.
Mais derrière cette appréhension bien compréhensible, la FNIL avance un autre argument plus qualitatif. « L'éleveur a un choix simple : ou il reste dans une relation individuelle de fournisseur à client, ou il se regroupe avec d'autres éleveurs. Toutes les formes sont possibles. Il n'y a qu'une question qui vaille : est-ce qu'il y a du commerce ? (...) La règle de tout business est qu'il faut convaincre de faire des affaires ensemble. » Pour la FNIL, c'est là que les problèmes commencent. « L'OP doit être abordée comme un objet commercial, pas comme un objet administratif, encore moins comme un outil de combat. Ceux qui prônent l'idée d'OP de bassin se posent d'ores et déjà, avant même qu'elles existent, en position agressive. Se regrouper soit, mais pour commencer, on veut faire la guerre ! ? Il faut privilégier la relation de confiance avec l'entreprise . Une OP doit faire envie : elle doit assurer une qualité, une régularité, une capacité de répondre à un cahier des charges, qu'il soit imposé par une AOC (brie de Meaux) ou à des spécificités demandées par l'industriel, et pas être une menace. »
Ces craintes doivent être entendues mais ces obstacles ne semblent pas irrémédiables. L'OP territoriale a certainement un avenir dès lors qu'elle saura se montrer ouverte à la négociation et qu'elle sera dans une démarche positive avec les industriels. Pour la DG Agri de la Commission, l'enjeu dépasse les relations entre éleveurs et fabricants. Pour elle, « la contractualisation a été voulue par les Français mais ce n'est pas le pays où elle fonctionne le mieux ! La France est engluée dans un système construit sur la confrontation syndicale, « la lutte ». Si on arrivait à sortir de ce carcan, et si on pouvait faire vivre ce système de négociation, ce serait un pas considérable. Il faut trouver les moyens d'avancer ensemble. 83 ( * ) »
Avancer ensemble... c'est sans doute l'une des clefs de la réussite de la filière pour les prochaines années.
2. Préparer de nouveaux contrats
a) L'échéance 2016
La plupart des contrats de livraison ont été signés en 2011 pour une durée minimale de cinq ans. Mais il y a aussi des contrats de six, voire de sept ans. La première vague arrivera à échéance en 2016. Les premiers contrats ont engendré beaucoup de frustration. De part et d'autre, on espère une évolution. Les premiers échanges ont commencé entre OP et laiteries. Que demandent les éleveurs ? Des prix et la prise en compte de leurs charges... Que demandent les industriels ? Des formules de prix et, avant tout, la prise en compte de leurs contraintes de marché, c'est-à-dire les concurrences nationales et internationales et, surtout, le poids déterminant de la grande distribution.
Chacun demande un pas, l'un vers l'autre. Et nous pensons que ce pas est possible. En dépit d'un discours négatif, il y a, en réalité, beaucoup d'initiatives, de projets.
Les premiers à avoir innové sont les coopératives, ou plutôt la coopérative Sodiaal. La coopérative mise sur le double prix : un prix minimum sur un volume déterminé dit volume A que la coopérative s'engage à prendre à prix donné (310 €/tonne) sur une quantité donnée. Au-dessus, un prix fixé en fonction de la valorisation du moment et des conditions du marché. Pour l'éleveur, il y a donc une part de revenu garantie et une part de revenu aléatoire. Au producteur d'arbitrer, en fonction de son prix de revient.
Du côté du secteur non coopératif, les initiatives se multiplient. Danone serait en train de discuter un nouveau modèle contractuel qui inclurait la prise en compte des coûts de production. À la base, il y a une idée simple : « nous fabricants, nous demandons aux éleveurs d'intégrer nos préoccupations de valorisation et nos contraintes face à la GMS. En échange, nous sommes disposés à intégrer vos préoccupations légitimes sur vos coûts de production » . Si cette négociation avec Danone aboutit, cela aurait évidemment un très grand retentissement. Le prix du lait ferait référence au coût de production. Ainsi, ce qu' European Milk Board revendique depuis des années, est en train d'être discuté par le premier fabricant mondial !
Il est très difficile de calculer le prix de revient du lait, et a fortiori , des éleveurs d'une OP. Mais, au-delà des difficultés techniques, cette évolution fait entrer les éleveurs dans une discussion économique. Peu à peu, la transition se fait. Il faudra trouver des critères et des références au niveau national adoptés par région.
Le succès de la négociation de Danone aurait un très grand impact. Non seulement pour les éleveurs, mais même au-delà, y compris dans les relations entre industriels et distribution car une voie pourrait s'engager pour que les distributeurs tiennent compte des prix de revient des transformateurs.
Bongrain imagine lui aussi une évolution de son modèle contractuel qui permettrait de lisser les productions avec une sorte de système de bonus quand l'éleveur réduirait sa production quand il y a trop de lait et l'augmenterait quand le lait manque...
Selon le médiateur des contrats, « tous les industriels tentent de passer d'un modèle aveugle, rigide, à un système d'échange où le producteur va s'intéresser au coût de son collecteur » .
b) Le rôle de la distribution
Bien sûr, le rôle écrasant de la grande distribution - grandes et moyennes surfaces (GMS) - dans la fixation des prix a été évoqué par tous. Y compris à Bruxelles. « La France a exporté son modèle de distribution et les problèmes que connaissent les fabricants en France sont maintenant les problèmes de toute l'Europe, de l'Espagne à la Pologne » indique la DG agri. Partout où les grandes enseignes, jadis françaises, se sont implantées, ce sont elles qui ont fait la loi, leur loi, qui est la loi de la guerre des prix et de la seule comparaison des prix du concurrent !... et non une vraie loi du marché qui ne peut être complètement déconnectée des prix de revient.
Il y a néanmoins quelques raisons d'espérer. D'espérer une relation à trois - éleveurs, industriels-distribution.
L'expérience de la laiterie « Saint Denis de l'Hôtel » dans le Loiret est intéressante. Face aux concurrents de taille internationale, elle a réussi à développer un marché avec de nouveaux conditionnements (en sus d'opérations de croissance externe qui se sont traduites par l'acquisition de sociétés de jus de fruits et de légumes prêts à l'emploi). Sur la partie laitière, la laiterie a misé sur une « élaboration contractualisée », en travaillant à la fois en amont avec les éleveurs et en aval avec les GMS. C'était inimaginable en 2012.
De même, si Danone parvenait à contractualiser avec les éleveurs sur les bases évoquées, elle parviendrait à faire ce que les GMS n'ont jamais réussi à faire avec les transformateurs. Cela pourrait enclencher un mouvement. En Allemagne, la grande distribution, bien consciente de la demande sociale en faveur du bien-être animal, s'est engagée à financer les surcoûts en accordant une sorte de prime aux éleveurs (80 millions d'euros !)
Il reste néanmoins un problème à résoudre. Pour les GMS et leurs centrales d'achat, le prix du marché est celui du concurrent. Les grandes enseignes vendent pratiquement les mêmes produits. Seul le prix les différencie. L'ouverture aux producteurs locaux n'est qu'un artifice de marketing, une opération d'image. Il y a deux produits qui sont rigoureusement identiques partout, dans toutes les grandes surfaces : le lait et l'essence. Le lait et les produits laitiers sont des produits standards et des produits d'appel. En d'autres termes, une grande enseigne aura beaucoup de mal à accepter une hausse, jugée impérative par les éleveurs, si leur concurrent ne le fait pas.
Une majoration du prix du lait de quelques centimes ne peut, en réalité, être décidée que conjointement, collectivement. Au risque de tomber sous le coup des ententes, prohibées par le droit de la concurrence.
Il semble que ce cas de figure n'a jamais été envisagé. C'est évidemment le cas contraire qui est le plus logique (une entente entre acheteurs pour payer le moins possible à son fournisseur et vendre aussi cher que possible à sa clientèle). Mais il faut aussi envisager le cas où une entente se ferait pour accepter une augmentation du prix payé au producteur.
L'hypothèse n'est pas purement théorique. Face à la crise du porc, par exemple, on peut parfaitement imaginer que quelques grandes enseignes acceptent d'augmenter le prix d'achat de quelques centimes par kilo. Il serait navrant qu'une telle initiative soit condamnée par l'Autorité de la concurrence.
3. Utiliser pleinement les aides de la PAC
Il ne faut pas oublier que les QL et le paquet lait ne sont que des volets particuliers et ciblés d'une politique agricole commune (PAC) qui accompagne et soutient les éleveurs par d'autres relais. Trois dispositions budgétaires méritent une attention particulière : les aides couplées du 1 er pilier, la conditionnalité, et les aides régionalisées du 2 ème pilier.
a) Les aides couplées du 1er pilier
Le découplage est un choix politique, économique et budgétaire. Ce fut l'innovation majeure de la réforme de la PAC de 2003. L'idée était de disposer d'aides qui soient neutres sur le plan économique, afin que les agriculteurs produisent des biens agricoles en fonction des indicateurs de marché et non en fonction des soutiens budgétaires. Ainsi, ces aides ne soulèvent pas d'objection devant l'Organisation Mondiale du Commerce (« boîte verte »).
Les États avaient alors le choix entre un découplage total (choix de l'Allemagne) et un découplage partiel. La France a choisi cette dernière option en maintenant un couplage pour l'élevage bovin-viande notamment. L'aide à l'élevage laitier a été en revanche découplée. À partir de 2006, l'aide directe laitière a été intégrée au paiement unique par exploitation. En application du principe de découplage, l'aide est indépendante de l'évolution du troupeau et de la production. Elle est calculée sur une référence historique qui correspond à la référence laitière de la campagne 2005-2006 (c'est-à-dire avant l'augmentation des quotas de 2006-2008). En 2009, la part des aides découplées a été fixée à 10 % des aides directes du 1 er pilier.
Le découplage total, s'il répond à une exigence juridique et une logique économique, présente néanmoins un travers de nature politique : il conduit à attribuer une aide au revenu à un agriculteur, non parce qu'il produit des biens alimentaires, mais simplement parce qu'il est agriculteur. Qu'il produise ou non, l'agriculteur reçoit une aide directe au revenu. Le découplage a autant d'effets pervers que l'intervention en avait eus, en son temps. L'intervention générait des surproductions. Le découplage général pose la question, politique, de la légitimité de la PAC ! Certains ont pu penser que maintenir un lien entre l'aide et la production n'est pas absurde, notamment dans les régions défavorisées. La France a ainsi milité pour que les possibilités de recouplage soient étendues.
La dernière réforme de la PAC de 2013 élargit les possibilités de recouplage, tant en augmentant la part des paiements couplés qu'en étendant la liste des secteurs éligibles aux aides couplées. La filière est directement impactée par cette réforme puisqu'une aide laitière couplée aux vaches laitières est à nouveau possible. Elle sera mise en place en 2015.
C'est un signal très positif pour la filière.
Les aides couplées dans l'OCM unique de 2013 Une aide couplée consiste à aider spécifiquement une exploitation agricole lorsqu'elle génère un certain produit. Des aides couplées peuvent être accordées à tout secteur « en difficulté économique », à condition d'être dans la liste prévue par le texte communautaire. Ces aides couplées peuvent être octroyées dans la limite maximum de 15 % de l'enveloppe des aides directes (1 % représente 75 M€ accordées à la ferme France). La France utilisera les aides couplées au maximum des possibilités offertes par le texte communautaire, car c'est un outil déterminant pour l'orientation des productions. À partir de 2015, ces aides représenteront 15 % de l'enveloppe totale du 1 er pilier, contre 10 % précédemment. Les productions qui pourront bénéficier d'aides couplées sont très majoritairement dédiées à l'élevage (1 053 M€ par an consacrés à l'élevage sur un total d'aides couplées de 1 133 M€) : - vaches allaitantes (aide prenant la suite de l'actuelle PMTVA) ; - vaches laitières (aide nouvelle mise en place en 2015) . (...) Source : Ministère de l'agriculture |
b) La conditionnalité des aides : l'exemple du bien-être animal
• Le découplage ne fut pas la seule innovation de la réforme de 2003. L'autre grande innovation fut la conditionnalité : le versement des aides directes est subordonné - conditionné - au respect d'une liste de règlements européens et de bonnes pratiques agricoles et environnementales fixées par les États. La conditionnalité des aides est un ensemble de règles à respecter pour tout agriculteur qui bénéficie d'aides liées à la surface ou à la tête. Un manquement à une de ces exigences entraîne une réfaction des aides à taux progressif, en fonction de la gravité du manquement.
Parmi ces règles et règlements, figurent les règles d'identification des animaux et de bien-être animal. Ce dernier point, en particulier, suscite une vive irritation des éleveurs. Cette irritation est bien compréhensible. L'attente d'une simplification des normes est également pressante. Cependant, les éleveurs doivent admettre qu'il s'agit d'une contrepartie au maintien d'un budget de la PAC qui reste conséquent 84 ( * ) . Le budget agricole fut et reste décrié. Il demeure, au prix de quelques concessions, dont celle de la conditionnalité. C'est en quelque sorte « le prix à payer pour garder un budget »... Société de communication oblige !!
• Les éleveurs français doivent aussi savoir que leurs homologues d'autres pays n'ont pas les mêmes réticences et admettent plus facilement ces « contraintes sociétales » qu'ils comprennent et anticipent souvent mieux que les Français. Si les Allemands, par exemple, se plaignent des normes européennes, c'est moins parce qu'elles les gênent que parce qu'ils estiment qu'ils n'ont pas besoin d'une formalisation rigide car les Allemands répondent d'eux-mêmes aux signaux du marché et aux attentes sociales.
À aucun moment, les éleveurs et leurs représentants rencontrés en Allemagne ne se sont plaints de ces règles du bien-être animal. Ils ont simplement considéré qu'il s'agissait d'une nouvelle exigence du marché et que, par conséquent, le respect du bien-être animal serait un élément de leur compétitivité. Autrement dit, ils sont parvenus à faire d'une contrainte un élément de compétitivité. Mieux, la prise en compte du bien-être animal aurait été initiée par le syndicat agricole lui-même pour éviter des mesures obligatoires !
D'ailleurs, les Allemands savent tirer les conséquences de cette revendication sociétale. Puisqu'il s'agit d'une demande de la société, les industriels de la filière laitière sont parvenus à négocier avec la distribution le principe d'une prime aux éleveurs impliqués dans cette démarche. 80 millions d'euros auraient ainsi été payés par la distribution au profit des éleveurs impliqués dans une démarche de qualité. Une prime volontaire payée par la distribution qui s'ajoute aux primes publiques.
Cette expérience allemande est aussi une leçon. Il y a des pays qui savent anticiper et d'autres qui attendent d'être contraints pour réagir.
c) Le 2ème pilier
Voici un autre exemple d'un travers qui est rencontré parfois dans le monde agricole : garder des réflexes et des références historiques sans voir que le monde a changé ; déverser du lisier dans les sous-préfectures alors que toute la PAC est décidée à Bruxelles, faire pression sur les ministres alors que les eurodéputés sont tout aussi importants depuis que le Parlement européen est devenu colégislateur, à égalité avec le Conseil et... s'intéresser au 1 er pilier de la PAC en ignorant le 2 ème pilier.
La France compte parmi les pays qui utilisent le moins et le moins bien le 2 ème pilier.
C'est une très grave erreur car les aides cofinancées par l'Union européenne et l'État membre peuvent être très importantes pour l'élevage laitier. L'enveloppe globale représente environ 16,5 milliards d'euros sur sept ans, soit 11,5 milliards de l'UE et 5 milliards des financeurs nationaux. On rappellera que, pour la première fois, la France a fait le choix de régionaliser le 2 ème pilier de la PAC réformée en 2013. Ce sont les régions qui portent, gèrent et présentent des programmes de développement rural (PDR).
L'État encadre encore très strictement certaines aides du 2 ème pilier, notamment l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) et les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC). Mais les aides qui intéressent directement les éleveurs relèvent désormais des seules régions. C'est le cas de l'installation des aides aux regroupements, de la formation, du bio... Même dans le cas d'aides encadrées par l'État, comme le sont les MAEC, les régions ont une marge d'action concernant les indicateurs, le zonage... La MAEC, système polyculture-élevage par exemple, est très intéressante pour les éleveurs car elle favorise l'autonomie alimentaire des élevages.
Ces mesures présentent un très gros potentiel pour l'élevage laitier. Mais on en revient toujours aux mêmes constats : le potentiel existe, mais ne suffit pas toujours. Donc, il faut anticiper et saisir les opportunités.
Les régions ont préparé leur PDR à la fin 2014 et les ont présentés à la Commission au début 2015. Il n'a pas été possible de savoir si ces PDR s'étaient préoccupés de la fin des QL, car les aides du 2 ème pilier sont rarement classées par secteur (bovins, lait...), mais le sont par type d'action (bio, installation...). Si ce n'est pas le cas, cela aura été une occasion gâchée.
Les régions disposent aujourd'hui des outils juridiques et d'un potentiel budgétaire pour accompagner l'élevage laitier dans sa restructuration et la compétition mondiale. Ces mesures figurent vraisemblablement dans la plupart des PDR présentés à la Commission. Le ministère de l'agriculture ferait oeuvre utile en recensant les aides dédiées au secteur laitier.
* 80 Commission - COM (2014) 354 final - 13 juin 2014 - p. 6 et 7.
* 81 Audition du 15 avril 2015.
* 82 Les conférences de bassin laitier ont été créées par décret en 2011. Elles étaient alors chargées de rendre un avis sur la mise en oeuvre des QL, en particulier sur les critères de redistribution des quotas. Décret n° 2011-260 du 10 mars 2011.
* 83 Audition de M. Tens Shaps, direction des marchés agricoles à la DG Agri - Commission européenne - 28 avril 2015.
* 84 54 milliards d'euros dans le budget 2015.