ANNEXE III - Aménagements du code du travail susceptibles d'assurer une meilleure prise en compte de la situation des salariées engagées dans un processus de PMA
Insertion dans le code du travail, après l'article L. 1225-3, d'un nouvel article ainsi rédigé :
« Les articles L. 1225-1, L 1225-2 et L. 1225-3 sont applicables aux salariées bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation conformément à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique ».
Insertion dans l'article L. 1225-16 du même code, après le premier alinéa, d'un alinéa ainsi rédigé :
« La salariée bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation conformément à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique bénéficie d'une autorisation d'absence pour les actes médicaux nécessaires. »
ANNEXE IV - Comptes rendus
Comptes rendus des auditions de la délégation
Comptes rendus des auditions menées par Mmes Annick
Billon
et Françoise Laborde, co-rapporteures
Comptes rendus des auditions de la délégation67 ( * )
Thème :
Genre et cancers : la
situation en France
Audition de la professeure Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa)
(15 janvier 2015)
Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - J'ai l'honneur d'accueillir la professeure Agnès Buzyn, qui nous présentera ses réflexions sur les femmes et le cancer, dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la santé. Notre délégation vient de désigner ses rapporteures sur ce texte, nos collègues Annick Billon et Françoise Laborde. Ce projet de loi, dont notre délégation a été saisie par la commission des affaires sociales, nous offre l'occasion de travailler de manière générale sur la santé des femmes, sans nous limiter aux articles du texte qui concernent directement notre délégation.
Professeure Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa) . - Je vous remercie de m'avoir invitée sur un sujet qui m'a interpellée, car nous n'avions jamais abordé la question du cancer sous un angle genré. En termes d'épidémiologie, les hommes ont une incidence de cancer supérieure à celle des femmes, et la mortalité masculine est plus importante. Si, depuis trente ans, le nombre de cancers a doublé dans la population française, notamment à cause de son vieillissement, à partir de 2005, on constate que le taux d'incidence a diminué chez les hommes et qu'il s'est stabilisé chez les femmes. Ces tendances s'expliquent par le fait que les hommes ont réduit leur consommation de tabac et d'alcool, ce qui n'est pas le cas des femmes. Néanmoins, le taux de cancers du sein commence à baisser, grâce à la moindre utilisation du traitement hormonal substitutif de la ménopause.
Si l'on fait abstraction du tabagisme, les femmes sont plus sensibles aux messages de prévention et d'éducation à la santé. Elles sont plus soucieuses d'alimentation et de vie saines. Le taux de prévalence du tabagisme reste néanmoins très élevé, soit 33 % chez les femmes de 25 à 45 ans, notre pays se situant parmi les mauvais élèves dans ce domaine. Conséquence directe de ce phénomène, le nombre de cancers du poumon a augmenté de manière considérable chez les femmes : il a quadruplé en dix ans et devrait être l'an prochain plus mortel que le cancer du sein.
Concernant le dépistage, on constate que les femmes sont souvent plus raisonnables que les hommes. Il existe deux dépistages organisés dans la population, celui du cancer du sein et celui du cancer colorectal. Le taux de participation au dépistage du cancer du sein est de 52 %. Il est de 62 % si l'on prend en compte les femmes qui se font dépister en marge du programme, à titre individuel. C'est un bon chiffre, par rapport à l'objectif de 75 % fixé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le dépistage du cancer colorectal est recommandé tous les deux ans entre 50 et 74 ans. Il s'agit du troisième cancer chez les hommes, du deuxième chez les femmes. Le taux de participation au dépistage reste faible (32 %), alors que 18 000 personnes meurent chaque année d'un cancer colorectal. Les femmes se montrent toutefois plus raisonnables que les hommes, un écart de dix points séparant les deux courbes.
Nous avons prévu de mettre en place un troisième dépistage organisé, celui du cancer du col de l'utérus. Actuellement, 40 % des femmes se font dépister régulièrement, par un frottis effectué tous les trois ans, entre 25 et 70 ans. Cela reste insuffisant, d'autant que l'on doit prendre en compte des aspects socio-économiques, les franges les plus pauvres de la population n'ayant guère accès au dépistage. En revanche, le dépistage du cancer de la prostate ne relève pas de la même priorité : 50 % des cancers diagnostiqués le sont à tort, donnant lieu à des traitements inutiles avec des séquelles importantes en termes de qualité de vie. Autrement dit, sur le cancer, notre inquiétude concerne plus les hommes que les femmes.
Des études ont montré que les femmes allaient plus facilement chez le médecin. Il reste à étudier les stades de diagnostic pour voir s'ils sont plus précoces chez les femmes que chez les hommes. Cela permettrait de sensibiliser la population à la nécessité de consulter régulièrement un médecin, car un diagnostic précoce favorise les chances de survie. Enfin, le registre des essais cliniques montre que 10 % des patients y participent, sans différenciation de genre pour les recrutements des personnes qui y participent.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ce n'est pas le cas, semble-t-il, aux États-Unis, où l'on a constaté une sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. En ce qui concerne le cancer du poumon, pouvez-vous nous confirmer qu'il sera le plus mortel chez les femmes d'ici un an ?
Professeure Agnès Buzyn . - Il passera devant le cancer du sein, dont le dépistage devient de plus en plus précoce et le traitement plus efficace. Le cancer du poumon, lui, se caractérise par une absence de dépistage, un diagnostic souvent tardif et un tabagisme qui perdure chez les femmes. À cela s'ajoute l'absence de progrès dans le traitement.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Un rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2010 sur la santé des femmes fait état d'une augmentation du cancer du pancréas. Les femmes sont-elles plus touchées ? Doit-on lancer des recherches particulières pour identifier les causes de ce cancer ?
Professeure Agnès Buzyn . - La différence entre hommes et femmes n'est pas significative en ce qui concerne ce cancer, qui est essentiellement lié au tabagisme. S'agissant des autres types de cancer, le lymphome est l'un des seuls cancers qui trouve ses causes dans une dégradation de l'environnement, notamment l'utilisation des pesticides. Il fait de plus en plus de victimes, hommes et femmes. Le cancer des testicules est en augmentation, également, chez les hommes.
Mme Corinne Bouchoux . - Qu'en est-il de l'accompagnement aux soins ? Souvent, les femmes se rendent seules aux consultations, et l'on constate une moindre implication de leur conjoint. C'est moins vrai pour les hommes, davantage accompagnés pendant leur traitement, semble-t-il, par leur conjointe ou compagne. Par ailleurs, les femmes participeraient plus facilement aux groupes de parole que les hommes. Disposons-nous d'études sur ce sujet ? Enfin, que donne l'étude en cours sur « lymphome et sida » ?
Professeure Agnès Buzyn . - Nous n'avons pas d'étude objective sur l'implication des hommes dans l'accompagnement des femmes malades du cancer. Néanmoins, comme praticienne, j'ai effectivement pu constater que les femmes viennent plus souvent seules aux consultations que les hommes. Elles ont également davantage besoin du soutien des groupes de parole collectifs. Pour accompagner les patients, nous distribuons chaque année près de 300 000 guides sur le cancer, sans qu'aucune distinction ne soit faite entre femmes et hommes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Ce matin, à la radio, un sociologue établissait un lien entre le travail de nuit des femmes et le développement d'un cancer. Qu'en pensez-vous ?
Professeure Agnès Buzyn . - Ce lien est établi et connu. De même pour le travail posté.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - J'entends dire que la recherche a beaucoup progressé pour le dépistage du cancer du poumon, y compris avant que le cancer ne se déclare. Qu'en est-il ?
Mme Vivette Lopez . - Le cocktail « tabac, alcool, contraception » n'est-il pas un des premiers facteurs incriminés dans le développement des cancers ? Je travaille avec une association de handicapés. Les femmes handicapées n'ont souvent pas accès aux gynécologues pour des raisons de mobilité. Comment favoriser le dépistage chez ce type de population ?
Professeure Agnès Buzyn . - Le travail de nuit et le travail posté favorisent l'apparition de cancers chez les hommes et les femmes. Pour le cancer du sein, cela a été mis en évidence par les études depuis longtemps. On a beaucoup publié sur le dépistage du cancer du poumon. Ces études doivent faire l'objet d'une certaine prudence, notamment parce que les cellules circulantes ne sont pas forcément synonymes de cancer déclaré. Nous travaillons sur le dépistage du cancer du poumon par scanner chez les gros fumeurs. De plus, la consommation régulière d'alcool accroît le risque de cancer : un verre par jour suffit à augmenter les risques. On ignore en revanche l'incidence d'une consommation excessive occasionnelle d'alcool. Lorsque s'ajoute le tabac, ce risque est multiplié par 35. En revanche, la contraception n'a aucune incidence, à l'inverse du traitement hormonal de la ménopause dont le rôle dans le déclenchement du cancer du sein est établi. Certaines populations n'ont pas accès aux campagnes de dépistage, les handicapées physiques ou psychiques, par exemple, j'en suis consciente. Des mesures ont été prises à leur adresse dans le plan cancer.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure . - Pour diagnostiquer le cancer de la prostate, les laboratoires n'utilisent pas forcément les mêmes protocoles. Or les résultats peuvent être très différents en fonction des tests. Cela ne pose-t-il pas un certain nombre de problèmes ?
Dans les médias, on a beaucoup entendu parler d'une étude démontrant que l'hérédité avait moins d'influence dans le déclenchement d'un cancer que ce que l'on pensait. Est-ce vrai ? Les femmes sont particulièrement sensibles aux soins de support, nutrition, hygiène de vie et médecines douces. Ces soins sont-ils reconnus ? Sont-ils utiles ? Serait-il justifié de les faire valoir auprès des hommes ?
Mme Michelle Meunier . - Que vous inspirent notre sujet de réflexion et notre questionnaire, en tant que professionnelle de santé ? Avez-vous des recommandations particulières à nous faire ?
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Il y a sans doute une corrélation entre le fait que la majorité des femmes consultent un gynécologue et le diagnostic précoce des cancers du sein et de l'utérus. N'y aurait-il pas un travail à faire auprès des médecins traitants pour améliorer le dépistage du cancer chez les hommes ?
Professeure Agnès Buzyn . - Pour le dépistage du cancer de la prostate, les laboratoires font désormais l'objet d'une certification et se voient attribuer un critère qualité, ce qui est une garantie contre les erreurs de dosage. La détection est discutable : dans 50 % des cas diagnostiqués, le cancer ne fera pas parler de lui. Tous les hommes décédés à cent ans, s'ils étaient autopsiés, montreraient un cancer de la prostate.
L'étude publiée dans la revue Science le 2 janvier 2015, qui affirme que l'essentiel des cancers est dû au hasard, doit être prise avec précaution... et lue correctement, car elle traite uniquement des cancers dont l'origine n'est pas connue, soit les deux-tiers d'entre eux. Le facteur génétique dans le cancer du sein, par exemple, est bien connu. La plupart du temps, les cancers se logent dans des tissus où le renouvellement cellulaire est important. Les mutations surviennent au hasard, de sorte que l'étude a pu conclure que les cancers étaient plus liés au hasard qu'à l'hérédité. Les auteurs ne remettent pas en cause ce que l'on sait de certains cancers : ils s'intéressent au mode de déclenchement des cancers dont on ignore les facteurs.
En cancérologie, les soins de support sont la nutrition, la rééducation physique, l'accès aux soins psychologiques et les démarches sociales. Tout le reste, auriculothérapie, hypnose ou autre relève de la médecine complémentaire ou des médecines alternatives. Nous sommes très vigilants à l'égard des médecines non évaluées. Un gros travail d'évaluation est en cours sur l'hypnose et l'acupuncture.
Mme Michelle Meunier . - Considérez-vous l'acupuncture comme une médecine alternative ?
Professeure Agnès Buzyn . - Non, c'est une médecine complémentaire. Il est rare qu'un patient ne se traite que par l'acupuncture. En tant que praticien, j'ai constaté que ce type de médecine avait davantage de succès auprès des femmes, mais aucune étude ne le confirme - ces soins n'étant pas remboursés, les données manquent.
Si j'ai répondu à votre invitation, c'est que votre sujet m'a donné matière à réflexion, car jamais on n'a abordé la question du cancer sous cet aspect genré. J'ai ainsi été amenée, pour préparer cette réunion, à retravailler les données dont nous disposons à l'INCa. Ce sujet m'a également incitée à réfléchir à une personnalisation des messages de prévention adressés à la population. Des campagnes de communication différenciées seraient sans doute plus efficaces, notamment pour la prévention du cancer du côlon.
Les femmes n'ont accès au gynécologue que dans les grandes villes. Dans certaines zones rurales, il n'y en a pas. Du reste, les gynécologues médicaux sont appelés à disparaître. Seuls subsisteront les gynécologues obstétriciens, qui ont reçu une formation chirurgicale. Il reviendra aux médecins généralistes de faire les frottis, par exemple, alors qu'ils ne sont pas formés pour cela. Les sages-femmes pourront le faire également. Cependant, la disparition des gynécologues médicaux est inquiétante pour l'avenir.
Mme Marie-Pierre Monier . - Certaines professions prédisposent-elles davantage au déclenchement d'un cancer ? Je pense aux agriculteurs et viticulteurs, chez qui l'utilisation de pesticides favoriserait le développement du cancer du cerveau. Le voisinage d'une centrale nucléaire peut-il expliquer certains cancers ? Enfin, une polémique existe sur un lien entre mammographie et aggravation du cancer du sein. Qu'en pensez-vous ?
Mme Corinne Bouchoux . - Y a-t-il un lien entre le cancer du col de l'utérus et les pratiques sexuelles ? La recherche ne s'est pas beaucoup intéressée aux différences de développement du cancer de l'utérus chez les femmes selon qu'elles sont hétérosexuelles, homosexuelles ou bisexuelles.
Professeure Agnès Buzyn . - Certaines professions sont plus exposées que d'autres au risque du cancer. En ce qui concerne les agriculteurs, le seul risque supérieur avéré est celui du lymphome. Pour les autres cancers, ils ont un risque inférieur à la moyenne nationale ; et leur espérance de vie est de dix ans supérieure à la moyenne. Nous suivons les populations à risque en lien avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Les menuisiers, par exemple, sont particulièrement sensibles au cancer du laryngopharynx, car ils sont exposés aux poussières de bois. Aucune étude n'a pu établir un lien direct entre le voisinage d'une centrale nucléaire et le développement d'un cancer, sauf dans le cas de la leucémie chez l'enfant. Et encore l'étude a-t-elle montré que les victimes se trouvaient dans certaines zones très précises, à plus de cinq kilomètres, mais à moins de dix, de la centrale nucléaire. Ces résultats restent difficiles à interpréter. La leucémie chez l'enfant a tendance à se développer en « cluster », dans une même région. Les facteurs déclencheurs sont souvent davantage liés à l'exposition de la mère pendant la grossesse.
S'agissant du lien entre mammographie et cancer du sein...
Mme Marie-Pierre Monier . - ... je voulais parler de l'exposition aux rayons.
Professeure Agnès Buzyn . - En effet, plus on s'expose aux rayons ionisants, plus on augmente le risque de cancer du sein : il apparaît que 1 % des occurrences est lié à cette cause. Cela nous incite à ne recommander le dépistage qu'à partir de 50 ans car le bénéfice-risque devient, à partir de cet âge, intéressant. Nous ne sommes pas favorables, en revanche, à un dépistage systématique à 40 ans. Des études sont en cours sur le HIV et le cancer, en partenariat avec l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). Les pratiques sexuelles ont certainement un rôle dans le développement du cancer du col de l'utérus, qui s'explique dans 90 % des cas par la présence du virus HPV dans le col. Les femmes homosexuelles sont moins exposées que les hétérosexuelles. La meilleure protection reste le frottis tous les trois ans et la vaccination contre le HPV.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Le vaccin est-il recommandé ?
Professeure Agnès Buzyn . - Les vaccins sont toujours contestés en France. Avec l'aide de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), nous menons une étude comparative entre des cohortes de jeunes filles vaccinées ou non. Les résultats devraient être publiés à la fin du premier semestre de cette année. Si nous prouvons que le vaccin ne favorise pas le développement de maladies dégénératives, comme la sclérose en plaques, nous pourrons mettre fin à la polémique et recommander le vaccin. Un vaccin peut déclencher une maladie sans forcément en être la cause : il ne fait que l'accélérer. Plus on vaccine tôt, plus on réduit le risque de cancer du col de l'utérus. Le Haut Conseil de la santé publique recommande l'âge de 11 ans plutôt que 14 ans.
Mme Laurence Cohen . - Je travaille avec l'association E3M, très sérieuse, qui estime nécessaire de poser la question de la dangerosité des vaccins de manière scientifique. La présence de sels aluminiques dans certains vaccins est toxique pour le cerveau. Peut-on se contenter de peser les bénéfices et les risques, sans mener d'études plus approfondies ?
Professeure Agnès Buzyn . - Nous espérons que l'étude de l'ANSM démontrera que le vaccin ne favorise pas le développement de maladies dégénérescentes. C'est une étude très sérieuse qui travaille sur des cohortes de plusieurs millions de femmes. Effectivement, il arrive que les vaccins déclenchent certaines maladies. L'adolescence est une période particulièrement critique où peuvent apparaître des maladies dégénératives, la sclérose en plaque par exemple. C'est pourquoi il n'était pas judicieux de recommander le vaccin contre l'hépatite B à cet âge. Le lien entre vaccin et maladie est réel. Néanmoins, la maladie peut se déclencher même sans le vaccin. Le papillomavirus est la première cause de mortalité des femmes dans le monde entier, car il favorise le développement du cancer de l'utérus. Dans des pays comme l'Inde ou la Chine, où les femmes n'ont pas accès au gynécologue, le vaccin sauverait bien des vies. En France, on recense entre 3 000 et 4 000 cas de cancer du col de l'utérus, chaque année, dont 1 500 cas mortels. C'est le seul cancer dont la mortalité recommence à augmenter. Les facteurs socioéconomiques sont déterminants. Les victimes sont surtout des femmes qui n'ont pas la possibilité d'accéder au frottis et aux soins, c'est-à-dire les plus pauvres. Certaines femmes consultent à un stade très avancé, ce que l'on n'avait pas observé depuis trente ans - or le diagnostic tardif limite leurs chances de s'en sortir. Dans les DOM, le taux d'incidence est quatre à cinq fois plus élevé qu'en métropole. Peut-être faut-il vacciner certaines populations et pas d'autres ? En tout cas, nous devons être vigilants face à la recrudescence de mortalité liée à ce cancer.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - La prévention reste faible quant à l'exposition des femmes enceintes et du foetus à des facteurs cancérigènes. Travaillez-vous à la développer ?
Professeure Agnès Buzyn . - Nous n'avons aucune étude spécifique sur le sujet. En revanche, nous disposons de la cohorte E2N, financée par l'Inserm, le grand emprunt et EDF, qui est constituée d'une centaine de milliers de femmes. Elle a été prolongée par la cohorte E3N, composée des filles de ces femmes. L'étude de ces deux cohortes devrait être très fructueuse en termes de connaissances scientifiques, notamment sur les questions liées aux facteurs environnementaux et nutritionnels.
Mme Vivette Lopez . - Dans le sud, des enfants très jeunes s'exposent au soleil. Y a -t-il un risque cancérigène ?
Professeure Agnès Buzyn . - L'exposition aux UV naturels ou artificiels comporte toujours un risque très élevé de développement d'un mélanome. Dans le plan cancer, nous avions tenté de faire interdire les cabines de bronzage, comme en Australie. Nous avons échoué. Le décret prévu pour informer les clients est bloqué au Conseil d'État sous la pression du lobby des professionnels du bronzage. Il s'agit là d'un vrai enjeu de santé publique. Chaque année, au mois de juin, nous menons une campagne d'information, avec le soutien de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), en rappelant que les enfants sont les premiers à protéger.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions.
Table ronde - Interruption volontaire de grossesse et contraception
- Mmes
Véronique Séhier, co-présidente, et Caroline Rebhi,
responsable de la commission éducation à la
sexualité
du Mouvement français pour le Planning familial
(MFPF) ;
- Mmes
Marie-Josée Keller, présidente, Anne-Marie
Curat,
trésorière du Conseil national de l'ordre des
sages-femmes (CNOSF) ;
- Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception (CADAC) ;
- Docteur Philippe
Faucher, gynécologue-obstétricien à la
maternité
des Bluets-Trousseau, secrétaire
général du Réseau entre la ville
et l'hôpital
pour l'orthogénie (REVHO) ;
- Docteur Philippe
Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie
et du
pôle femme-mère-enfant du Centre hospitalier de
Roubaix ;
- Docteur Jean-Claude
Magnier, gynécologue,
membre du conseil d'administration de
l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de
contraception (ANCIC)
(15 janvier 2015)
Présidence de
Mme Chantal Jouanno,
présidente,
puis de
Mme Françoise Laborde,
vice-présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous tenons, aujourd'hui, notre seconde réunion sur le projet de loi relatif à la santé qui sera examiné par le Sénat. La délégation aux droits des femmes a été saisie par la commission des affaires sociales compétente sur deux articles du texte de loi : l'article 31 qui étend aux sages-femmes la compétence en matière d'IVG médicamenteuse et l'article 3 relatif à la contraception d'urgence.
Deux rapporteures viennent d'être nommées : Annick Billon et Françoise Laborde.
Nous accueillons, pour cette table ronde : Mmes Véronique Séhier et Caroline Rebhi, co-présidente et responsable de la commission éducation à la sexualité du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) ; Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC) ; Mmes Marie-Josée Keller et Anne-Marie Curat, présidente et trésorière du Conseil national de l'ordre des sages-femmes ; le docteur Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du réseau Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO) ; le docteur Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du Centre hospitalier de Roubaix, et le docteur Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC).
Un rapport du Haut Conseil à l'Égalité (HCE|fh), publié en 2013, porte sur la question de l'IVG et, notamment, sur les problèmes d'accès à l'IVG dans notre pays. Il formule plusieurs recommandations dont l'une, portant sur la revalorisation des forfaits relatifs aux soins et à l'hospitalisation afférents à l'IVG, est entrée en vigueur au 31 mars 2013.
Je propose que nous écoutions, dans un premier temps, les interventions du planning familial et de la CADAC. Puis, nous céderons la parole aux représentantes de l'Ordre des sages-femmes ; elles évoqueront les nouvelles responsabilités que le projet de loi induira pour leur corps de métier en matière d'IVG et de contraception. Les docteurs Faucher, Lefebvre et Magnier concluront ces échanges.
Mme Véronique Séhier, co-présidente du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) . - Avant d'aborder la contraception, il me semble important de saluer cette nouvelle loi relative à la santé qui permettra de décloisonner prévention, soins, sécurité sanitaire et soins de ville en favorisant une démarche de promotion de la santé globale, en matière de santé sexuelle, au sens de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'agit d'une évolution significative au regard de l'approche très morcelée qui prévaut à ce jour dans ce domaine.
On ne peut faire l'économie de s'interroger sur le lien qui s'établit de fait entre ce projet de loi et la réforme territoriale, puisqu'aujourd'hui les compétences sont réparties entre différents acteurs territoriaux : d'une part les questions relatives à la contraception pour les conseils généraux, et, d'autre part, la prise en charge des IST, de l'IVG et de la question des violences pour l'État. Or, pour nous, tout ceci doit relever d'une approche globale. Il apparaît essentiel de ne pas traiter les questions de contraception séparément de l'IVG, puisque ces deux thématiques relèvent d'un même droit des femmes. Au niveau législatif, nous devrons mener ensemble la réflexion sur ce point.
Je parlerai tout d'abord de l'identification de lieux de proximité par le projet de loi.
Le projet de loi précise les « lieux ressources » vers lesquels les femmes peuvent être orientées en matière de contraception et d'IVG. Il s'agit, avant tout, de lieux de proximité. Il conviendra de mener une réflexion approfondie sur cette question. En effet, si les Centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG), les Centres d'information de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (CIDDIST) et les Centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction (CAARUD) sont mentionnés, ni les centres de planification, ni les établissements d'information et de conseil conjugal et familial ne sont, en revanche, considérés dans le texte du projet de loi comme lieux de premier recours. Or, dans le cadre d'une approche globale, s'il est important d'impliquer les centres d'information et de dépistage des IST, on ne saurait exclure les centres de planification. J'ai le sentiment que les politiques en matière de santé sexuelle sont très liées à la bonne volonté des conseils généraux. La planification familiale n'est pas, aujourd'hui, une politique à part entière. Nous privilégions une politique de protection maternelle et infantile (PMI) qui concerne les femmes en âge de procréer. L'approche « femmes et santé » est trop peu prise en compte : or une femme n'est pas obligée d'être mère. Un important travail doit donc être réalisé afin de promouvoir une véritable politique de planification familiale qui ne dépende pas uniquement de la volonté des conseils généraux. Dans une même région, des conseils généraux peuvent conduire des politiques différentes et développent, pour certains, des centres de planification. S'il existe toujours, à l'échelon départemental, une politique de protection maternelle et infantile, l'existence des politiques de planification familiale sur ces mêmes territoires est très variable. La loi de 2001 se décline donc de manière très différente selon les départements. Cette disparité se retrouve dans l'inégalité d'accès à la contraception.
Le lien entre le projet de loi relatif à la santé et la réforme territoriale est donc réel. À l'heure actuelle, il est parfois complexe de déterminer quelles sont les compétences des différents acteurs territoriaux (conseil général et conseil régional). Certains conseils généraux s'investissent fortement sur l'éducation à la sexualité, contrairement à d'autres ; certains créent des centres de planification, d'autres ouvrent seulement des permanences de planification dans les PMI, à des horaires peu accessibles aux jeunes et aux femmes actives. Un travail doit donc être réalisé pour élaborer une vraie politique de santé sexuelle qui prenne en compte l'accès à la contraception, l'accès au dépistage et aux soins. Or, ces différents aspects n'apparaissent pas clairement dans le texte du projet de loi.
Venons-en maintenant à la contraception d'urgence.
Le projet de loi met particulièrement l'accent sur la contraception d'urgence en milieu scolaire afin de réduire les inégalités de santé : cela doit, à mon sens, être salué. Les infirmières scolaires rencontrent cependant de grandes difficultés à la dispenser. Et qu'en est-il des élèves non scolarisées ? La politique d'accès à la contraception en centres de planification concerne les mineures, mais pas les femmes de 18 à 25 ans qui renoncent pourtant bien souvent à une contraception car elles ont du mal à se la procurer. Toutes ces inégalités sociales, territoriales et économiques sont une réalité en ce qui concerne l'accès à la contraception. Il semble donc important d'élargir l'accès à celle-ci, au-delà de la seule contraception d'urgence.
Il convient également de réfléchir aux modalités d'accès en dehors du milieu scolaire, en impliquant des professionnels formés et bénévoles : centres de planification, sages-femmes mais aussi médecins en réseaux qui pourraient, comme dans certains départements, distribuer la contraception selon les mêmes modalités que les centres de planification. En tout état de cause, il faut s'appuyer sur des lieux, médicalisés ou non, qui peuvent être des lieux relais.
J'aborderai ensuite le rôle des sages-femmes dans la pratique de l'IVG.
Le projet de loi prévoit que les sages-femmes puissent pratiquer des IVG médicamenteuses. À nouveau, nous plaidons en faveur d'une approche globale : le choix entre IVG médicamenteuse et par voie chirurgicale doit être ouvert aux médecins comme aux sages-femmes. Il serait, selon moi, regrettable de limiter l'accès, pour les sages-femmes, à la seule IVG médicamenteuse. Les inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG sont connues, d'où l'intérêt de renforcer le rôle des lieux de proximité. En Belgique, l'IVG médicamenteuse et l'IVG par aspiration se font dans des centres de proximité, avec des médecins et des sages-femmes formés, en lien avec l'hôpital, ce qui facilite l'accès à l'IVG pour les femmes éloignées des structures hospitalières. En France, dans certains territoires, des centres de planification et des hôpitaux de premier recours pourraient tout à fait permettre cet accès à l'IVG dans la proximité.
Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception (CADAC) . - Je voudrais d'abord rappeler que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi hôpital, patients, santé et territoires » ou « HPST » et la tarification à l'activité (T2A) sont des obstacles majeurs, non seulement pour la santé en général, mais particulièrement pour l'accès à l'IVG. En effet, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, ce sont quelque 130 lieux où l'on pratiquait l'IVG qui ont disparu. De plus, parmi les lieux où l'on pratique des IVG, il y a les maternités. Or on n'en compte plus qu'environ 520 sur le territoire français. Les femmes se retrouvent donc confrontées, dans ce domaine, à des difficultés accrues.
La loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception prévoyait l'existence d'un centre pratiquant des IVG dans chaque hôpital, ce qui, aujourd'hui, n'est pas le cas. Pour autant, aucune sanction n'est prévue. Par ailleurs, la clause de conscience est spécifique à l'IVG et n'existe pour aucun autre acte médical. Ce faisant, on maintient une défiance par rapport à ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps, et ce 40 ans après la loi Veil. Ces diverses lois n'ont donc pas réglé tous les problèmes car les inégalités entre hommes et femmes subsistent. N'oublions pas que la différence de salaire entre les hommes et les femmes est encore de 27 %.
Le Planning familial, la CADAC et l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) ont publié ensemble un manifeste sur l'interruption volontaire de grossesse. Nous voulons, pour répondre aux besoins dans ce domaine, une véritable volonté politique en faveur du droit des femmes, avec du personnel dédié et la mobilisation de réels moyens. C'est pour défendre ces revendications que nous appelons à une manifestation, samedi prochain, à l'occasion du 40 ème anniversaire de la loi Veil.
Je tiens, par ailleurs, à saluer les mesures prévues par le projet de loi à l'égard des sages-femmes. Leur permettre de jouer un rôle plus important pour l'accès à l'IVG et à la contraception nous semble constituer une avancée considérable.
Des problèmes économiques et sociaux se posent en matière de contraception. La polémique autour de la pilule de 3 ème ou 4 ème génération a suscité des doutes, créant un climat d'incertitude. Certaines femmes ont renoncé à la pilule par peur des effets secondaires. Il paraît indispensable de maîtriser davantage les produits mis sur le marché, en contrôlant les problèmes de conflits d'intérêts avec les laboratoires. Cette problématique ne concerne évidemment pas que la contraception.
Nous tenons beaucoup à ce que l'ensemble des moyens de contraception sur ordonnance puissent être remboursés. Nous connaissons la situation économique et sociale du pays : la tendance est à la précarisation, notamment des femmes jeunes qui ne peuvent pas toutes payer les frais induits par la contraception. Une avancée est enregistrée avec la contraception gratuite pour les mineures, mais cette gratuité doit être élargie.
Nous tenons également à l'abrogation de la loi « HPST » et demandons la création d'un centre d'IVG par hôpital, avec, pour les femmes, le choix de la méthode.
Mme Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF) . - Pour rappel, les sages-femmes exercent une profession médicale et sont des acteurs fondamentaux pour la santé des femmes et des nouveau-nés. Cette profession est particulièrement concernée par les choix politiques relatifs aux questions de santé publique, surtout en ce qui concerne la prévention. Depuis la loi du 17 janvier 1975 qui a légalisé l'IVG, plusieurs réformes ont permis d'élargir l'accès à la contraception et de réduire les inégalités sociales quant au recours à l'IVG. Je mentionnerai notamment l'assouplissement de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse pour les mineures, en 2001. En mars 2013, la prise en charge a été améliorée avec la mise en place de la gratuité de l'acte pour toutes les femmes. La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes constitue une avancée majeure puisqu'elle supprime, dans le texte de loi sur l'IVG, la condition de détresse prévue par la loi Veil de 1975. Désormais, toute femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse » peut faire le choix d'une IVG. Quant à la méthode médicamenteuse, elle s'est diffusée au sein de la population à partir des années 1990 et a été rendue accessible dans les cabinets en ville. Cette méthode a connu un développement extrêmement important : en 2009, elle représentait plus d'une IVG sur deux.
Le projet de loi relatif à la santé affirme la place déterminante de la prévention et de l'éducation à la santé dans les politiques publiques.
Il comporte des dispositions qui visent à étendre les compétences en matière d'IVG médicamenteuse aux 22 000 sages-femmes en activité. En effet, l'article 31 du projet de loi comporte un certain nombre de dispositions intéressant directement l'exercice de la profession de sage-femme, et plus particulièrement l'extension des compétences des sages-femmes dans ce domaine. L'ensemble des instances ordinales a été consulté sur ces nouvelles dispositions. 85 % des élus se sont prononcés pour que les sages-femmes puissent pratiquer l'IVG médicamenteuse.
Le Conseil de l'Ordre considère que les sages-femmes accompagnent les femmes en matière de contraception et pendant leur grossesse, quel que soit leur choix. Reconnaître la compétence des sages-femmes en matière d'IVG médicamenteuse permet donc aux femmes d'accéder plus facilement à l'IVG. Cette innovation satisfait le Conseil de l'Ordre et converge avec une volonté de l'Ordre de promouvoir une meilleure reconnaissance du rôle des sages-femmes, en lien avec le médecin traitant, dans le suivi de la contraception et dans la réalisation des IVG.
Les sages-femmes sont d'ores et déjà prêtes à intervenir dans la prescription et le suivi des IVG médicamenteuses, d'autant que nombre d'entre elles travaillent déjà dans les centres d'orthogénie. Il convient également de souligner que cette nouvelle disposition devrait faciliter le fonctionnement de ces centres.
S'agissant de la contraception, il y a peu à dire puisque la loi « HPST » nous a déjà donné la possibilité de prescrire toutes les formes de contraception aux femmes en bonne santé.
Docteur Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO) . - Je commencerai par rappeler les recommandations du Haut Conseil à l'égalité (HCE|fh) sur l'accès à l'IVG.
Il y a deux ans, nous avons participé à la rédaction du rapport remis au HCE|fh qui comporte 34 recommandations. Je souhaite revenir sur quelques-unes d'entre-elles. J'ai fondé, il y a dix ans, avec plusieurs collègues, le Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO) en Ile-de-France. Il s'agit d'une association qui bénéficie de fonds publics et qui a permis de développer l'IVG médicamenteuse en ville, en Ile-de-France, avec un certain succès.
Dans le rapport du HCE|fh, quelques recommandations me semblent importantes :
- la recommandation n° 9 visait à étendre la possibilité de recueillir la première demande d'IVG d'une femme auprès d'autres professionnels qu'un médecin. Ce point est extrêmement important car cette première démarche fait courir les délais légaux ;
- une autre recommandation (recommandation n° 10), qui n'a pas été retenue par le Gouvernement, tendait à supprimer le délai de réflexion de sept jours entre la première demande d'IVG et sa confirmation. Nous sommes toujours partisans de cette suppression. Puisque le projet de loi ne revient pas sur ce sujet, il semble indispensable que ce délai de réflexion puisse commencer à courir à partir d'un premier entretien qui devrait pouvoir être réalisé avec un professionnel autre que le médecin. C'est pourquoi autoriser les sages-femmes à effectuer ce premier entretien est particulièrement satisfaisant. Nous pourrions même envisager d'aller plus loin en instaurant un système d'auto-déclaration par les femmes concernées. En tout état de cause, il est indispensable de faciliter l'obtention du premier certificat pour faciliter le parcours des femmes souhaitant mettre un terme à leur grossesse.
Mon deuxième point concerne la mise en oeuvre de moyens nécessaires en matière d'IVG : recrutement et formation.
Des professionnels doivent être formés et compétents dans le domaine de l'IVG. Cette pratique reposait principalement, depuis 1975, sur un militantisme hérité de la période pionnière de lutte pour le droit à l'IVG. La relève doit maintenant être assurée, faute de quoi la situation risque de se dégrader encore. La pratique de l'IVG n'est pas organisée de la même manière dans les autres pays européens, où le système privé réalise la majeure partie des IVG. En France, plus de 50 % des IVG sont réalisées dans le système public ; le système privé en effectue de moins en moins, pour des raisons de rentabilité. La charge de la pratique de l'avortement repose donc, en France, sur le secteur public : c'est au service public que doivent être attribués les moyens nécessaires et suffisants pour recruter des professionnels. Des fonds ont été alloués à cet effet aux maternités et aux services de gynécologie-obstétrique mais sans véritable contrôle de leur affectation. Ces moyens ont souvent été affectés à d'autres activités. Pour protéger la pratique de l'IVG, il est indispensable de créer des unités fonctionnelles, voire des services hospitaliers, comme à Roubaix, pour protéger les moyens attribués à l'IVG. Ces unités fonctionnelles d'orthogénie devraient, si possible, ne pas être incluses dans les services de gynécologie-obstétrique.
Le recrutement de praticiens formés et investis dans la pratique de l'IVG est essentiel : encore faut-il cependant conférer à ces professionnels un statut convenable. Il est complexe de créer des postes de praticiens hospitaliers ; les médecins vacataires devraient gagner plus que 50 euros dans la matinée. Il faut proposer un statut décent pour intéresser de nouveaux médecins à cette activité. Les jeunes obstétriciens ne s'intéressent pas beaucoup à l'IVG, contrairement à certains jeunes généralistes que les centres d'IVG souhaiteraient recruter pour assurer la relève.
J'évoquerai ensuite la nécessaire mise en oeuvre d'un contrôle des services pratiquant l'IVG.
Le nombre d'IVG réalisées dépend du bon vouloir du chef de service. Or la pratique de l'IVG doit faire l'objet d'un contrôle, qui n'existe pas aujourd'hui. Cette fonction pourrait être dévolue aux agences régionales de santé (ARS), en inscrivant la pratique de l'IVG dans leurs objectifs. En Ile-de-France, l'ARS essaie de se saisir du problème en évaluant l'offre de chaque service hospitalier. Cette pratique devrait être généralisée à d'autres ARS.
Le réseau REVHO a constaté que l'IVG médicamenteuse pouvait être pratiquée par toute personne correctement formée. Dans la pratique, les sages-femmes réalisent déjà des IVG médicamenteuses, sous le contrôle d'un médecin. Que le projet de loi leur attribue cette compétence ne pose donc pas de problème. Des études comparatives ont été réalisées dans différents pays, et notamment en Suède. Il s'agissait d'analyser la pratique de l'IVG médicamenteuse par un médecin, par une sage-femme, voire par une infirmière formée : le résultat est exactement le même, en termes de succès, d'efficacité ou de taux de complication. Nous soutenons donc absolument la disposition du projet de loi étendant la pratique de l'IVG médicamenteuse aux sages-femmes.
Docteur Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du centre hospitalier de Roubaix . - Je vous remercie d'auditionner des acteurs de terrain. Mon expérience est sans doute particulière car nous disposons, à Roubaix, d'un service d'orthogénie original, unique en France, pour la pratique de l'IVG.
Maya Surduts a indiqué que les maternités étaient le lieu privilégié de réalisation des IVG. Pourtant, les maternités et les services de gynécologie-obstétrique accusent un réel retard dans la pratique de l'interruption volontaire de grossesse, raison pour laquelle des centres autonomes ont été ouverts. Les unités qui prennent actuellement en charge les IVG sont essentiellement de grosses structures où cette pratique est courante pour améliorer la qualité de la prise en charge des femmes, notamment en faisant évoluer les techniques. Force est de constater que ce sujet n'a jamais été une préoccupation principale pour les obstétriciens. Paradoxalement, je suis plutôt favorable à la clause de conscience, car je préfère, pour la meilleure prise en charge possible des femmes, que les praticiens qui s'engagent dans la pratique de l'IVG soient volontaires.
Je parlerai en premier des avantages et des inconvénients de la pratique de l'IVG médicamenteuse par les sages-femmes.
Bien évidemment, les sages-femmes sont des professionnelles tout à fait compétentes pour prendre en charge l'IVG médicamenteuse. Dans certaines régions, il est extrêmement difficile d'obtenir dans des délais courts des réponses à des demandes d'IVG. C'est pour cette raison qu'en Ile-de-France l'IVG médicamenteuse en ville s'est développée.
Concernant l'IVG médicamenteuse en établissement de santé, donner cette compétence - et uniquement celle-là - aux sages-femmes expose, à mon avis, à un risque de monopratique. En effet, les restructurations amènent un certain nombre d'unités qui pratiquent les IVG à être absorbées par des services de gynécologie-obstétrique. Si les sages-femmes sont habilitées à pratiquer des IVG médicamenteuses, on court alors le risque de ne plus avoir recours qu'à cette pratique au détriment de l'aspiration. Or il est indispensable que les femmes concernées puissent avoir le choix de la méthode d'IVG. Les femmes n'ont souvent accès qu'à l'IVG médicamenteuse. Si les recommandations professionnelles préconisent de ne pas administrer le médicament au-delà de neuf semaines, il se trouve que certains services de gynécologie-obstétrique pratiquent des IVG médicamenteuses jusqu'à quatorze semaines.
À ce jour, les IVG médicamenteuses réalisées en ville s'effectuent en convention avec des centres référents. Si, demain, les sages-femmes peuvent pratiquer en ville des IVG médicamenteuses, il faudra que cette possibilité soit assortie d'une convention avec des centres référents qui pratiquent les IVG. Ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas de défendre la « chasse gardée » des services d'orthogénie, mais de s'attacher à la qualité, à la sécurité et au respect des femmes qui demandent une interruption de grossesse.
J'aborderai maintenant la question du maintien du délai de réflexion de sept jours : c'est, à mon avis, une insulte faite aux femmes et aux professionnels de santé. C'est bien infantiliser les femmes que de penser qu'elles doivent consulter un médecin pour prendre leur décision. C'est aussi une insulte pour les professionnels qui prennent en charge les femmes en demande d'IVG. Ces derniers n'oeuvrent pas à la légère, ils sont à même de juger si un délai est nécessaire ou non ; le cas échéant, ils savent orienter certaines femmes vers un professionnel de l'écoute si elles ont besoin d'aide. L'utilisation parfois abusive de ce délai de réflexion peut en outre amener un dépassement du terme légal. Pour cette raison, deux femmes se sont récemment trouvées dans des situations délicates : la première a dû faire pratiquer une IVG en Espagne tandis que la seconde a accouché sous X.
En ce qui concerne le dépassement du terme légal, le problème des mineures est important puisque les grossesses de mineures sont parfois révélées tardivement : elles consultent trop tard pour bénéficier d'une interruption de grossesse en France. Je regrette l'existence d'inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG. Lorsque les jeunes femmes se trouvent en détresse psychosociale, il serait souhaitable qu'il y ait une écoute plus importante des comités d'interruption médicale de grossesse pour faciliter l'accès à cette interruption de grossesse en dehors des seuls contextes de viol ou d'agression sexuelle.
Docteur Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) . - Une chose doit être soulignée d'emblée : malgré les avancées, la question de l'avortement n'est toujours pas totalement réglée et fait toujours débat. Il est faux de prétendre que tout le monde admet l'avortement, y compris tous les praticiens censés s'en charger. On a voulu obliger les chefs de service d'obstétrique à prendre en charge ces interventions et imposer la pratique des IVG dans les services d'obstétrique. Parallèlement était programmée la disparition des centres d'IVG - disparition qui répondait à la volonté des pouvoirs publics de réaliser les IVG dans les hôpitaux, pour des raisons de santé publique. Les obstétriciens y étaient opposés à une très forte majorité. On leur a ensuite donné une sorte de blanc-seing, puisque les contrôles sont peu fréquents, sans prévoir une réelle organisation pour répondre à la demande.
L'IVG médicamenteuse est une solution que les femmes doivent pouvoir choisir ; dans les faits, elle est utilisée pour décharger les hôpitaux des IVG. Certains hôpitaux se sentent tenus de pratiquer des IVG ; d'autres, pas. C'est le cas de l'hôpital Necker qui, sans être pénalisé, réalise uniquement des interruptions médicales de grossesse. Alors que l'objectif est que l'IVG soit pratiquée dans tous les hôpitaux, on considère qu'il suffit qu'un hôpital, au sein du groupe hospitalier, pratique l'IVG : cela qui ne favorise pas l'accès aux soins pour les femmes.
L'important, à mon avis, est de privilégier des équipes pluridisciplinaires spécialement formées.
Il apparaît que des équipes pluridisciplinaires sont nécessaires puisque c'est dans les centres IVG que les femmes peuvent parler de ce qui leur arrive - mais aussi ne pas parler si elles ne le souhaitent pas. J'étais responsable du centre de Bicêtre et, quand l'entretien préalable avec un médecin n'a plus été obligatoire, on a constaté une très forte augmentation des entrevues avec les infirmières. Les femmes appréhendaient l'entretien officiel, mais elles appréciaient l'idée d'un accueil par une équipe. Dans les services d'obstétrique, le manque de personnel dédié et l'absence de culture pluridisciplinaire ne permet pas d'assurer un tel accueil.
Ce matin, en parcourant le journal gratuit 20 minutes , j'ai lu un article relatif à l'étude d'un chercheur de l'Institut national d'études démographiques (INED) qui met en lumière une augmentation du recours multiple à l'IVG par certaines femmes. Les femmes sont libres de faire ce que bon leur semble, mais répéter les IVG n'est, selon moi, pas recommandé pour la santé. Il ne me semble pas non plus que l'IVG puisse être envisagée comme un moyen de contraception.
La multiplication des possibilités d'IVG médicamenteuses en ville me semble poser problème. En effet, certaines femmes ne se présentent pas à la visite de contrôle. Il me semble inquiétant de laisser les femmes seules et ne pas leur donner l'occasion d'une écoute. Entendons-nous bien : il s'agit simplement de rappeler combien il est important d'épauler les femmes et de les accompagner dans ces moments particuliers.
Dans les années 1990, les deux tiers des IVG s'effectuaient dans le secteur privé ; celui-ci s'est ensuite désengagé, jugeant la pratique peu rentable. Aujourd'hui 75 % des IVG sont réalisées dans le public. Ce désengagement du privé a été compensé par l'IVG médicamenteuse en ville qui, comme je le disais à l'instant, n'est pas sans poser de problèmes.
Le troisième sujet que je voudrais évoquer est la nécessaire redéfinition du délai de réflexion, qu'il faut revoir à mon sens.
Le premier contact avec un professionnel devrait faire courir le délai. Celui-ci pourrait même débuter dès que la femme a les résultats de son test de grossesse, puisque sa réflexion commence dès ce moment. Certes, trop de rapidité dans la réponse peut être néfaste et il faut prendre le temps de la réflexion. Il arrive encore que le délai ne puisse débuter que lorsque le praticien a reçu la femme, même si celle-ci a déjà rencontré son médecin traitant auparavant. Les délais, de ce fait, se trouvent rallongés. Le délai pourrait donc commencer à courir au moment où la femme apprend qu'elle est enceinte.
Un point important concerne les femmes qui dépassent le délai légal de quatorze semaines. Certaines se rendent dans un autre pays, mais toutes n'ont pas cette possibilité. Cela me conduit à évoquer les interruptions médicales de grossesse qui, rappelons-le, ne peuvent résulter de la seule décision du médecin. Ce dernier doit également prendre en compte le choix de la femme et du couple. Une polémique porte sur le fait que, si un diagnostic anténatal a été réalisé avant le délai de quatorze semaines, une femme ne peut plus demander à subir une IVG sans en donner la cause. Le texte est ambigu : si une procédure d'interruption a été lancée pour raisons médicales, il faut s'en tenir à cette procédure et il n'est pas possible de relever d'une IVG. Or, pour moi, la loi générale s'applique à tout le monde, y compris aux femmes dont la grossesse présente une anomalie et qui voudraient l'interrompre. Ce point devrait être précisé dans le projet de loi. Il conviendrait également de s'occuper des femmes ayant dépassé le délai de quatorze semaines.
Mme Nicole Bonnefoy . - Je souhaite revenir sur les propos de Mme Séhier sur la réforme territoriale. Je ne pense pas que les politiques portées par les départements en matière de centres de planification et de santé sexuelle puissent être remises en cause. Vous disiez par ailleurs qu'il était nécessaire de renforcer ces politiques sans se contenter de permanences dans les PMI. Je partage ce point de vue et pense que le changement de mode de scrutin, qui conduira à la parité dans les départements, permettra des mesures plus volontaristes dans ce domaine, sachant qu'aujourd'hui nous, les femmes élues, rencontrons de réelles difficultés à convaincre nos collègues masculins de la nécessité de s'engager dans cette politique.
Au sujet des adolescentes et des jeunes femmes, j'ai l'impression qu'elles utilisent davantage les préservatifs que d'autres méthodes de contraception, considérant qu'elles peuvent prendre la pilule du lendemain en cas de problème.
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Ma question rejoint votre remarque sur les disparités territoriales. Le droit des femmes à interrompre une grossesse n'est pas satisfait de la même manière sur l'ensemble du territoire. Les conseils généraux, dans leur orientation politique, ont-ils les moyens de limiter l'accès à l'IVG ou d'influer sur la diminution du nombre d'établissements qui pratiquent l'IVG ?
Mme Laurence Cohen . - Il convient peut-être, comme vous le suggériez, de renforcer la formation des professionnels, mais aussi de formuler une recommandation sur l'éducation à la contraception, qui marque actuellement un vrai recul. Dans les années 1970, les femmes ont obtenu le droit à la contraception et à l'IVG. Les jeunes filles ont, aujourd'hui, moins recours à la pilule et davantage au préservatif. C'est une question d'éducation, mais aussi d'accès à la pilule et à son remboursement. Nous devons réfléchir à ces questions.
L'IVG médicamenteuse n'est pas la seule méthode possible, rappelons-le. Le fait d'élargir l'intervention des professionnels aux sages-femmes est très positif et je ne pense pas que ceci entraînera une recrudescence de l'IVG médicamenteuse. Je crois pourtant que nous devons réfléchir à l'accompagnement de l'IVG. Je suis tout de même frappée par le fait que les personnes qui ont recouru à l'IVG médicamenteuse se retrouvent livrées à elles-mêmes, sans accompagnement psychologique. Un certain désarroi des intéressées est constaté. Il convient aussi de réfléchir à la revalorisation des actes en étudiant les conséquences négatives de la loi « HPST » et de la tarification à l'acte.
Sur le délai de réflexion, je partage les propos du docteur Faucher. Je ne vois pas en quoi un délai est nécessaire. Je suis donc tout à fait d'accord avec l'auto-déclaration, car la décision dépend de la femme et du couple.
Je me permets de revenir sur la problématique des collectivités territoriales. Dans le contexte actuel, les collectivités territoriales subissent des restrictions budgétaires. Pour cette raison, l'engagement des conseils généraux dans leur politique d'IVG pourrait être remis en cause. Certains professionnels s'en inquiètent. Comment éviter que les conseils généraux ne réduisent les moyens affectés à l'IVG ? Certains élus mélangent contraintes budgétaires et idéologie pour justifier la réduction des budgets consacrés à cette pratique.
Mme Marie-Josée Keller . - La question de la clause de conscience a été évoquée et je crois qu'elle doit vraiment être appliquée. On ne peut s'engager dans ces pratiques sans être convaincu de l'importance de l'IVG pour la liberté des femmes. Les réticences des professionnels doivent donc être respectées. Pour que les centres d'orthogénie fonctionnent correctement, les intervenants ne doivent pas exercer dans la contrainte. Un gros problème se pose actuellement sur l'employabilité des sages-femmes dans les hôpitaux qui fonctionnent à flux tendus. Certaines sages-femmes n'ont plus de poste fixe, mais vont de CDD en CDD. Certaines cumulent quinze ou vingt CDD, contrairement aux règles fixées par le code de travail. Si une sage-femme oppose une clause de conscience à la pratique de l'IVG, elle n'est pas recrutée. Or une telle clause doit être respectée.
Pour commencer, les sages-femmes pratiqueront des IVG médicamenteuses, ce que nous acceptons, mais il faut prendre le temps avant d'envisager de leur confier les autres types d'IVG. Laissons les sages-femmes s'approprier la première mesure, sauf si le législateur veut imposer une autre pratique, sachant qu'une formation précise serait alors indispensable.
Pour pratiquer les IVG médicamenteuses en ville, nous reconnaissons la nécessité d'une convention avec un service d'obstétrique.
Le temps d'écoute des femmes, je suis d'accord, est primordial. J'estime aussi que le délai de réflexion n'a pas lieu d'être, car les femmes ont le sens des responsabilités.
Un problème se pose s'agissant des soins aux mineures. Seul un médecin peut suivre une grossesse ou accoucher une mineure en l'absence d'accord parental. Or, dans la pratique, les mineures sont suivies par les sages-femmes. Il me semble important que les sages-femmes soient également habilitées officiellement à suivre les grossesses des mineures.
Un dernier point, toujours s'agissant des mineures, concerne la prévention des IST et la contraception. Il est important de prévoir une consultation remboursée à 100 % pour les mineures, que ce soit avec une sage-femme ou un médecin. Les jeunes femmes craignent le sida, mais relativement peu la grossesse. Or, il existe d'autres risques, comme les chlamydiae qui causent d'importants dommages aux trompes et génèrent des risques pour la fertilité de la patiente.
Mme Michelle Meunier . - On rejoint là la problématique de l'anonymat et du remboursement des soins aux mineures.
Mme Maya Surduts . - Le travail réalisé par la commission Santé du HCE|fh est extrêmement important et a permis, avant le vote de la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, de remettre en question la condition de détresse.
Il ne faut pas sous-estimer la montée des idées réactionnaires dans le domaine des droits des femmes. La parité dans les conseils généraux ne suffira pas, d'autant que les prérogatives des conseils généraux concernent davantage la contraception que l'IVG. La tendance est actuellement de souligner le caractère traumatisant de l'IVG.
Nous en convenons, développer outre mesure l'IVG médicamenteuse pose problème si ce n'est pas le choix des femmes. Les médecins pratiquent parfois l'IVG médicamenteuse jusqu'à quatorze semaines, alors que les recommandations de la Haute Autorité de Santé fixent la limite à neuf semaines dans le public et sept semaines dans le privé. La commission Santé du HCE|fh a évoqué l'expérimentation de l'IVG chirurgicale, sous anesthésie locale, dans des centres de santé ou des plannings, en lien avec des établissements hospitaliers, ce qui permettrait une meilleure prise en charge. Ce point est en discussion à la Pitié-Salpêtrière et en Seine-Saint-Denis.
Les moyens contraceptifs doivent, à notre avis, être remboursés. Selon la situation de chaque femme, différentes solutions doivent être envisagées avec elle et les médecins ne doivent pas imposer leur conviction.
Docteur Jean-Claude Magnier . - Les départements ont des responsabilités en matière de planification familiale et de PMI. Dès lors que des IVG peuvent être faites dans des centres de planification, ceci influencerait aussi la pratique de l'IVG médicamenteuse.
Les ARS ne jouent pas toutes le même rôle. En Ile-de-France, un véritable travail a été effectué. Les ARS doivent contrôler les centres d'IVG, voire imposer la pratique d'IVG, si nécessaire en créant des équipes.
Mme Corinne Bouchoux . - Le Sénat examine actuellement le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTR) qui remet en cause la clause générale de compétence. Le débat d'hier portait sur la question des politiques éducatives. La suppression de la clause de compétence générale limite les possibilités d'action des collectivités. Un exemple très pragmatique a été cité dans le débat au Sénat : celui des manuels scolaires. Les interventions dans ce domaine seront fragilisées par le contrôle de légalité. Si les politiques éducatives constituent un « angle mort », tel sera également le cas d'autres politiques. La parité des conseils généraux ne permettra pas de résoudre le problème.
- Présidence de Mme Françoise Laborde, vice-présidente -
Mme Marie-Pierre Monier . - Comment assurer la relève des médecins pratiquant les IVG ? Vous avez parlé de politique éducative : pendant des années, le Planning familial se rendait dans les établissements scolaires. Des interventions sont aujourd'hui plus compliquées pour des raisons budgétaires.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - Je suis d'accord, les sages-femmes doivent s'approprier sereinement leur nouvelle compétence en matière d'IVG médicamenteuse. Je souscris aussi à l'idée que les IVG ne devraient pas être pratiquées systématiquement dans des services d'obstétrique. Je suis d'accord aussi avec le fait que le délai de réflexion pose problème.
Vous militez tous, par ailleurs, pour le temps d'écoute des femmes. Or, dans le privé, la rentabilité prime et, dans le public, les moyens manquent : comment maintenir le temps d'écoute dans ce contexte ? Nos recommandations doivent porter sur une augmentation du budget consacré à ces actes, en veillant à ce que les moyens affectés aux IVG ne soient pas consacrés à d'autres priorités.
L'anonymat des mineures est problématique pour le remboursement. Concernant la présence des infirmières et du Planning familial dans les collèges et les lycées, je suis d'accord avec mes collègues : les moyens manquent. C'est regrettable !
Dans les recommandations que formulera notre délégation, il faudra mettre l'accent sur l'anonymat des mineures, incompatible avec le remboursement a posteriori .
Docteur Philippe Lefebvre . - La prise en charge de l'interruption volontaire de grossesse à 100 % a certes simplifié la situation, mais la prise en charge des examens complémentaires connexes à l'interruption de grossesse continue à se poser. La mutuelle peut intervenir et la retenue de participation forfaitaire peut alerter les parents. Il faudrait prévoir l'exonération de cette part forfaitaire et la prise en charge des examens réalisés autour de l'interruption de grossesse. À défaut, dans certains cas, le dépistage des infections sexuellement transmissibles n'est pas assuré. Nous faisons de l'antibioprophylaxie à l'aveugle, faute de prise en charge du dépistage des IST.
En matière de formation, certaines régions ont mis en place des diplômes universitaires (DU) pour la formation des médecins. Ces formations rencontrent un réel succès. Je ne rencontre pas de problème pour assurer la relève, malgré une concentration sur les métropoles. Mais il faut que de véritables moyens soient consacrés à ces formations.
Docteur Philippe Faucher . - Pour continuer sur ce point, il ne faut pas tomber dans le manichéisme. En France, un certain nombre de gynécologues-obstétriciens pratiquent des IVG.
Mme Caroline Rebhi, responsable de la commission « éducation à la sexualité » du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) . - Le Planning familial intervient dans les établissements scolaires. La loi prévoit une intervention de la maternelle au lycée, trois fois par an par classe d'âge, mais le Planning n'intervient généralement qu'une fois par an, en classe de quatrième ou de troisième. Le budget prévu pour cette intervention n'est que de 2,7 millions d'euros pour toute la France, raison pour laquelle le Planning sollicite d'autres financements. Les ARS et les conseils régionaux financent également ces visites dans les établissements scolaires. Les proviseurs peuvent parfois dégager des budgets, mais doivent choisir entre sexualité, drogues, obésité...
L'important n'est pas d'intervenir seulement sur des notions de biologie, mais de privilégier une approche globale et d'aborder le sujet sous l'angle de l'égalité entre les filles et les garçons, en prévention des violences sexuelles. À partir du collège et au lycée, la contraception et l'avortement sont également abordés.
Concernant l'interruption médicale de grossesse, la loi prévoit que les professionnels et le comité d'éthique valident l'interruption, mais elle n'évoque ni le viol ni les agressions sexuelles. Si une mineure se trouve enceinte après un viol, à Paris, seuls deux hôpitaux acceptent l'interruption médicale de grossesse. Sinon, il y a la solution de l'étranger...
Mme Véronique Séhier . - L'éducation à la sexualité dépend de l'implication des collectivités territoriales. Il faut des politiques volontaristes. Même chose pour l'accès à la contraception des mineures dans les centres de planification. Accueillir des jeunes dans les permanences de PMI n'est pas toujours facile : les filles ne prendront pas le risque d'y rencontrer leur mère ou une amie de leur mère. Il est donc nécessaire d'instituer un véritable pilotage de la politique de planification familiale.
La confidentialité est primordiale pour que toute personne puisse accéder à la contraception de son choix. Ceci concerne les mineures, mais aussi les jeunes adultes qui renoncent à la contraception, car elles ne veulent pas passer par la mutuelle de leurs parents. C'est un vrai problème !
Pour l'IVG, la confidentialité doit aussi être respectée au sein de l'établissement scolaire. Or, les parents peuvent être prévenus de l'absence de leur fille, parfois par des alertes automatiques.
Il faut se montrer très vigilant sur la manière dont on parle de l'IVG. Il est important de proposer des lieux de parole, mais toutes les femmes n'en ont pas besoin. Pour certaines, l'IVG est d'abord un soulagement ! Des jeunes femmes qui s'appellent « les filles des 343 » disent qu'elles ont avorté et qu'elles vont bien.
Enfin, la question des femmes étrangères doit être traitée. Bien que l'IVG puisse relever des soins urgents, certains hôpitaux la refusent à des femmes étrangères, considérant qu'il est trop compliqué de faire le dossier d'aide médicale de l'État (AME). Ces femmes se retrouvent alors hors délai.
Mme Laurence Cohen . - Sur le suivi psychologique, j'ai eu des retours d'expérience de jeunes femmes qui se sont senties abandonnées parce qu'après avoir pris le médicament destiné à l'IVG, elles n'avaient pas eu l'impression d'être véritablement suivies par la suite.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - La visite de contrôle est importante aussi sur ce plan : elle ne permet pas seulement un contrôle médical, mais constitue aussi un temps d'échange. Or elle n'est pas toujours assurée.
Mme Maya Surduts . - Je ne veux pas polémiquer, mais je souhaite revenir sur les gynécologues-obstétriciens. La maternité des Lilas a toujours lutté pour le droit à l'avortement. Si cette maternité n'est pas sauvée, la situation en matière d'IVG sera grave dans le département de Seine-Saint-Denis : cet établissement pratique 1 600 naissances et 1 000 IVG. Le chiffre habituel est plutôt d'un pour quatre. Nous tenons à la pérennité de cette structure. Les Bluets ont également une pratique exemplaire. Il ne faut pas systématiquement se défier des gynécologues-obstétriciens en matière d'IVG.
Docteur Jean-Claude Magnier . - Je suis d'accord : je parlais plutôt des obstétriciens-chefs de service. En 1994, une étude montrait que les IVG étaient pratiquées d'abord par les généralistes, puis par les gynécologues médicaux et enfin par les obstétriciens et les chirurgiens.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - Si nous avons des questions complémentaires, nous reviendrons vers vous. Je vous remercie d'être venus et d'avoir répondu à nos questions.
Thème :
Maladies cardio-métaboliques
- Trajectoire entre biologie, comportement
et environnement - Santé
de la femme, y a-t-il des spécificités ?
Audition de la professeure Karine Clément, directrice de l'Institut de cardio-métabolisme et nutrition (ICAN)
(22 janvier 2015)
Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poursuivons ce matin nos auditions sur le projet de loi relatif à la santé, dont notre délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales, en accueillant la professeure Karine Clément, spécialiste des maladies cardio-métaboliques.
J'informe Mme Karine Clément que nos rapporteures sur ce texte sont Françoise Laborde et Annick Billon, qui ne manqueront pas de vous poser des questions à l'issue de votre intervention.
Ce projet de loi nous offre l'occasion de travailler de manière générale sur la santé des femmes, sans nous en tenir nécessairement aux articles du texte qui concernent a priori spécifiquement les femmes.
Madame la professeure, c'est avec plaisir que je vous donne la parole. Après votre intervention, mes collègues vous poseront quelques questions.
Je voudrais pour ma part vous solliciter sur le point suivant : lorsque l'Institut hospitalo-universitaire sur le cardio-métabolisme et la nutrition a été créé à votre initiative en 2010, vous étiez la seule femme à avoir présenté un projet parmi les dix-neuf candidats. Un professeur de médecine dont les propos ont été rapportés par la presse s'est estimé « frappé par le machisme et la jalousie du milieu hospitalo-universitaire parisien » . Souhaitez-vous vous exprimer sur ce sujet ? Votre carrière a-t-elle jusqu'à présent été un parcours d'obstacles plus compliqué, à votre avis, que si vous étiez un homme ?
Professeure Karine Clément, directrice de l'Institut de cardio-métabolisme et nutrition (ICAN) . - Professeur de nutrition, j'associe depuis longtemps une activité de recherche à la pratique clinique, un parcours peut-être plus difficile pour une femme que pour un homme. Je dirige l'Institut de cardio-métabolisme et nutrition (ICAN) et, au sein de celui-ci, l'équipe Inserm-Pierre et Marie Curie, qui travaille sur les maladies métaboliques, l'obésité et le diabète. J'ai préparé cette intervention avec ma collègue Geneviève Derumeaux, cardiologue à l'hôpital Henri Mondor.
La création de l'ICAN, en 2011, a regroupé des équipes de recherche qui travaillaient jusque-là de manière isolée sur des sujets comme l'obésité, les maladies métaboliques et cardiaques ou le diabète, tout en y associant le pôle clinique, sous la direction d'Agnès Hartemann, chef de service à la Pitié-Salpêtrière. Nous menons des projets associant recherche et soins, avec un volet consacré à l'enseignement. L'originalité de notre institut repose sur ce décloisonnement des compétences - je réalise depuis trois ans à quel point j'avais sous-estimé les frontières entre disciplines. Les pathologies (obésité, diabète et maladies cardiaques) ont un lien entre elles, et les critères environnementaux (mode de vie ou vulnérabilité sociale) influent sur la biologie. D'où la nécessité d'une vision globale et d'une approche intégrée : ceci constitue une démarche innovante.
Les maladies cardio-métaboliques évoluent dans le temps, le vieillissement de la population entraînant leur chronicisation. De même, l'obésité se développe sur un terrain à risque, et peut devenir un handicap au fil des ans, avec des différences de trajectoires selon les patients. Certains, diabétiques, mourant d'infarctus avant cinquante ans, d'autres n'ayant aucun problème cardiovasculaire. La sensibilité aux changements environnementaux et le stress font partie des facteurs expliquant ces variations. Des facteurs internes entrent également en jeu, comme la génétique, la nutrition maternelle, l'épigénétique, les hormones ou la longévité. Enfin, des études sont en cours sur des causes plus spécifiques, comme l'influence des changements environnementaux sur les modifications de la flore intestinale.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous voulez parler des comportements alimentaires ?
Professeure Karine Clément . - Pas seulement. Certains types de polluants peuvent avoir des effets sur les hormones. Le sommeil, l'activité physique et le niveau de sédentarité sont aussi à prendre en compte pour adapter les traitements. Par exemple, les données scientifiques ont montré que la réduction des apports alimentaires et la pratique d'une activité physique adaptée protégeaient du diabète et des maladies cardiovasculaires. L'obésité étant une maladie chronique qui évolue tout au long de la vie, la réponse oscille entre contrainte et astreinte. À côté des médecins, les coaches sportifs et les diététiciens ont un rôle à jouer : il est nécessaire de mobiliser une grande diversité d'expertises.
Depuis quinze à vingt ans, partout dans le monde, les sociétés savantes constatent régulièrement des différences de réponse entre hommes et femmes, en ce qui concerne le traitement des maladies cardio-métaboliques. Malgré de récents progrès, les essais thérapeutiques se concentrent sur les hommes, et la Société européenne de cardiologie mentionne une moindre prise en charge des femmes. Cela tient essentiellement à l'idée préconçue que les femmes seraient protégées contre les maladies cardiovasculaires. D'ailleurs, même des femmes ayant fait un infarctus du myocarde continuent à craindre davantage le cancer du sein qu'une maladie cardiaque...
Une recommandation européenne préconise de faire attention au coeur des femmes. En juin 2010, un article de la revue Nature intitulé « Putting gender on the agenda » constatait que l'approche genrée était insuffisante dans beaucoup de pathologies, qu'il s'agisse de la recherche où il est plus facile de tester des souris mâles que des souris femelles soumises au cycle hormonal, que de la prise en charge clinique. La prise en compte du sexe fait partie des items dans Horizon 2020. Travailler sur les différents modèles augmente certes les coûts, mais évite que l'expérience clinique perde de vue cette nécessité. En effet, on parle de « evidence-based medecine » mais, à bien des égards, on peut y voir une « male evidence-based medecine » .
Avant la ménopause, la production d'oestrogènes contribue à diminuer le risque de pathologie cardiaque pour les femmes. Mais le tabagisme annule une grande partie de leurs effets bénéfiques. Après la ménopause, la déficience en oestrogènes multiplie par sept le risque d'accident vasculaire. Il faut le souligner, les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de mortalité chez les femmes ; la cardiopathie ischémique les touche dans une proportion de 1 sur 2,6 contre 1 sur 6 pour le cancer. La Fédération française de cardiologie dénombre 89 000 femmes victimes de maladies cardiovasculaires contre 76 000 hommes.
Lors des Jeux olympiques de Vancouver, le décès de la mère de la patineuse Joannie Rochette, victime d'une maladie cardiovasculaire à 55 ans alors qu'elle n'avait pas d'antécédent familial, a été la première étape d'une prise de conscience : les femmes meurent tout autant que les hommes de maladies coronariennes ou d'insuffisance cardiaque avec hypertension.
Les femmes sont plus vulnérables aux facteurs de risque de ces maladies que sont la surcharge pondérale, le diabète, l'hypertension, le tabac... Et pourtant, on tarde beaucoup plus à prendre en compte les symptômes annonciateurs quand il s'agit d'une femme. Lorsqu'un homme se plaint d'une douleur précordiale, sa femme appelle le SAMU ; quand c'est une femme, le mari lui conseille de prendre un Doliprane ! Voilà qui signale un véritable enjeu d'éducation. Même les signes biologiques sur un électrocardiogramme sont moins typiques chez la femme.
Enfin, les complications post-opératoires sont plus fréquentes chez les femmes, avec la possibilité de saignements importants ou le développement d'effets secondaires et de complications chroniques, comme l'insuffisance cardiaque.
Par ailleurs, l'obésité, autre facteur de risque, a progressé de manière impressionnante, à l'échelle mondiale, plus particulièrement chez les femmes. Au Moyen-Orient et en Afrique du Sud, plus de 45 % des femmes en souffrent contre 30 % des hommes ; elle touche 15 % de la population en France. Le risque tient à l'augmentation du tissu graisseux, mais aussi à la distribution des graisses. La morphologie féminine a évolué, avec une prise de graisse au niveau abdominal, sous la peau et dans le ventre. Or la graisse viscérale favorise le diabète. Mon équipe travaille plus particulièrement sur le « tour de taille à risque ».
Contrairement à ce qu'on croit, les femmes sont tout autant victimes d'hypertension que les hommes, et cela quel que soit leur âge. Lorsqu'elles ont du cholestérol ou qu'elles souffrent de dyslipidémie, elles sont souvent moins bien dépistées et bénéficient moins souvent des traitements existants.
Jusqu'à cinquante ans, le risque d'infarctus du myocarde est le même pour tous les diabétiques. Cela signifie que nous sommes extrêmement vulnérables aux facteurs de risque cardio-métaboliques. Or, si l'on sait que des changements de mode d'activités physiques ou de mode d'alimentation constituent des facteurs importants d'amélioration, la littérature souffre d'une sous-représentation féminine dans les études : sur 300 articles recensés dans un travail de 2015, trois seulement mentionnent une analyse différenciée selon le sexe.
L'information aux femmes enceintes ne prend pas assez en compte le risque de diabète et d'hypertension artérielle, dont les effets peuvent être immédiats pour la mère et l'enfant, ou postérieurs à la grossesse. La prévention du risque cardiovasculaire est vraiment très importante mais reste peu prise en compte dans les recommandations. Enfin, il faudrait renforcer la prévention du tabagisme, car beaucoup de femmes continuent à croire que fumer évite de grossir, comme l'affirmaient certaines affiches publicitaires représentant des femmes enceintes en train de fumer pour éviter de prendre trop de poids pendant une grossesse.
Après la ménopause, la production hormonale se modifie et les femmes redistribuent les graisses au niveau de l'abdomen. Le développement du tissu graisseux viscéral, qui perturbe les interactions entre les organes (foie, muscles et cerveau) et la flore intestinale, rend la perte de poids encore plus difficile. Quand on grossit, les cellules inflammatoires qui entourent les cellules graisseuses s'infiltrent dans le tissu viscéral, provoquant des altérations au niveau biologique. De plus, la déficience en oestrogènes après la ménopause réduit l'activité du tissu dit brun ou beige, celui qui brûle les graisses.
On ne peut pas traiter séparément les maladies du coeur et celles du métabolisme. Les maladies cardiovasculaires sont le produit d'un système, où interviennent des éléments aussi différents que la pression sociale, la psychologie, l'exposition au stress, l'activité physique etc. Sa complexité évolue dans le temps. C'est pourquoi il est nécessaire de développer une médecine de précision, de plus en plus personnalisée, qui tienne compte de l'originalité du parcours de chacun. Une différenciation entre hommes et femmes y aurait toute sa place et contribuerait à battre en brèche les idées reçues.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Le système hospitalo-universitaire est-il aussi machiste qu'on le dit ?
Professeure Karine Clément . - Il y a eu des changements à l'ICAN : la directrice de l'Institut est une femme - moi - et il y a une directrice du pôle des maladies cardio-métaboliques. Malgré cela, je ne suis pas sûre que pour se faire entendre dans le monde hospitalo-universitaire, être une jeune femme avec pour spécialité l'étude du métabolisme soit la situation la plus favorable !
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Beaucoup de jeunes filles souffrent de boulimie ou d'anorexie. Quelles seront les répercussions à long terme de ces dysfonctionnements sur leur métabolisme ? Les hommes sont parfois touchés, également. Si l'on considère que l'alimentation joue un rôle important dans l'évolution des morphologies, que penser de la viande que l'on vend dans les supermarchés, dont on sait qu'elle peut contenir des hormones ? Sa consommation peut-elle influer sur la puberté plus ou moins précoce des jeunes filles ? Dans mon territoire, situé en bord de mer, il semble qu'il y ait moins de cas d'obésité, car l'environnement favorise une activité physique régulière. Disposons-nous d'études scientifiques pour appuyer cette théorie ? En France, les rythmes scolaires sont lourds, notamment si on les compare à ceux de l'Australie, où l'école finit à 15 heures. Nos jeunes ont moins d'activité physique qu'ailleurs, et la charge de travail liée aux études secondaires empêche certains d'avoir la moindre activité sportive.
Professeure Karine Clément . - Les jeunes filles sont très tôt soumises au diktat médiatique de la minceur. Une étude britannique a montré, il y a quelques années, que des fillettes de huit ans avaient de leur silhouette une perception faussée par rapport à celle des garçons : elles se voient toujours plus fortes qu'elles ne sont en réalité. Il y a aujourd'hui beaucoup de troubles du comportement alimentaire chez les jeunes filles (anorexie ou boulimie). Chez les hommes, les troubles alimentaires vont souvent de pair avec des maladies psychiques plus sévères que chez les femmes. Dans tous les cas, ils perturbent les signaux biologiques et le dialogue entre les organes. Des études anglaises ont montré que le surpoids augmentait le risque des maladies cardiovasculaires chez les garçons. Des perturbations des signaux biologiques peuvent avoir des conséquences sur le long terme. L'expérience clinique nous enseigne que de grandes variations pondérales répétées induisent une altération des signaux biologiques et des organes qui diminue la réponse à une perte de poids.
Les hormones et les polluants, notamment les dérivés des dioxines, qui se stockent dans les tissus graisseux, ont certainement des effets de nature biologique, mais beaucoup demeurent encore inconnus. Des études sont en cours sur l'interaction de l'environnement et de l'alimentation avec l'organisme. Elles restent compliquées à mener du fait de la multiplicité des polluants à traiter. Au fond, votre question illustre l'interaction de l'environnement avec notre biologie. Il existe des données très intéressantes sur les rythmes biologiques, l'obésité et le surpoids ainsi que sur l'influence de la réduction du temps de sommeil sur les rythmes biologiques. Les développements actuels de la recherche autour du traitement de ce que l'on désigne par le terme générique « Big data » devraient enrichir ce type d'études et montrer l'interaction entre notre biologie et l'environnement. Dans les villes, la pratique d'activités physiques n'est pas toujours chose aisée.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure . - Le stress, l'anxiété et la dépression sont des pathologies souvent féminines. Les médecins prennent-ils en compte le fait qu'une dépression peut amener d'autres risques ? Je ne suis pas sûre qu'ils nous alertent là-dessus, notamment sur les risques cardiovasculaires. Quant aux médicaments, ils produisent des effets différents sur les hommes et sur les femmes.
Professeure Karine Clément . - Une fois le diagnostic établi, la prise en charge thérapeutique est la même chez les hommes et chez les femmes. On traite les facteurs de risque plus tard, dans un deuxième temps. Personne ne réagit de la même façon au traitement. Cela dépend sans doute des hormones ou des bactéries intestinales qui métaboliseraient de manière différente certains médicaments. Les acteurs de l'industrie pharmaceutique commencent à étudier la question. La génétique n'est pas seule en cause. Certains antidépresseurs favorisent la prise de poids, parfois jusqu'à 25 kilos chez les femmes. On touche là à des enjeux d'éducation médicale.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Une approche de soins sur mesure n'est-elle pas contraire aux intérêts des laboratoires qui cherchent à produire et à vendre massivement ? La mode anglo-saxonne d'alcoolisation massive expresse ( binge drinking ) nous arrive : le projet de loi relatif à la santé le prend en compte. Disposons-nous d'études sur l'impact, sur le long terme, de la consommation d'alcool, notamment chez les jeunes filles ? Lorsque les graisses fondent, que deviennent les produits chimiques qui y étaient stockés ? Le corps les absorbe-t-il ? Peut-on considérer que les graisses constituent une protection pour le corps ?
Professeure Karine Clément . - Il y a une attrition des médicaments contre les maladies cardio-métaboliques. L'obésité ou le diabète ne sont jamais des pathologies isolées. Les personnes sont très diverses, on ne saurait donc résoudre ces problèmes par un traitement de masse. Par ailleurs, les laboratoires pourraient se heurter à des difficultés économiques s'ils décident de personnaliser les traitements.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Les laboratoires en sont-ils capables ?
Professeure Karine Clément . - Certains développent déjà des traitements « de niche ». Quant au phénomène de l'alcoolisation massive chez les femmes, il n'est pas nouveau. Il sévissait déjà aux États-Unis il y a quelques années. Or les filles sont biologiquement plus sensibles à l'alcool que les garçons.
S'agissant des graisses, une étude a montré qu'après un amaigrissement massif, lors d'une chirurgie de l'obésité par exemple, le taux des polluants dans le sang augmentait. Ce n'est qu'une piste qui mérite d'être explorée beaucoup plus largement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - On manque de statistiques et de connaissances genrées dans le domaine de la santé plus que dans d'autres. Quid du rôle de l'éducation et de l'école dans la prévention des maladies cardio-métaboliques ?
Professeure Karine Clément . - Je suis tout à fait d'accord avec vous. Depuis vingt ans, les connaissances scientifiques sur l'obésité ont considérablement évolué. On sait pourquoi l'on prend du poids ; on a identifié les facteurs environnementaux en cause. Néanmoins un fossé subsiste entre cette connaissance scientifique très précise et les messages transmis au grand public. L'école a certainement un rôle à jouer pour le combler. Nous en avons pris conscience et allons établir des messages à disséminer.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Il faudrait impliquer les adultes et transformer un système médical qui ne semble pas, au vu des modes de remboursement qu'il pratique, favorable à la diffusion de ces messages.
Professeure Karine Clément . - Un médecin généraliste qui exerce de 6 heures du matin jusqu'à 22 heures le soir n'a pas beaucoup de temps à consacrer à sa formation.
Mme Maryvonne Blondin . - Entre 2001 et 2004, la santé était l'une des compétences du département, notamment la santé publique primaire. Dans ce cadre, j'ai eu l'occasion de mettre en oeuvre deux actions : la maîtrise du syndrome d'alcoolisation brutale et la lutte contre l'obésité infantile. Nous avions travaillé avec les cuisiniers des cantines scolaires pour qu'ils contribuent à changer l'alimentation des enfants. Le système a ensuite été étendu aux écoles primaires. Cela avait été un vrai succès. Bien que la santé soit désormais une compétence de l'État, notre action perdure depuis lors. Au Canada, les enfants emportent des « lunch boxes » à l'école. Le contenu de ces boîtes est souvent effarant, car il favorise largement l'obésité. On n'apprend pas aux enfants à bien manger. Enfin, des recherches récentes menées dans mon département ont établi un lien entre intestin et cerveau dans le cas de l'autisme. Cette partie-là de notre corps est à protéger sans modération...
Professeure Karine Clément . - En matière de nutrition, le reste du monde, qu'il s'agisse du Moyen-Orient ou de la Chine, porte un regard positif sur la France. Dans les familles où le niveau socio-économique est le plus élevé, l'obésité s'est stabilisée. Il n'en reste pas moins que l'obésité massive a été multipliée par trois depuis la fin des années 2000, notamment dans les catégories sociales les plus défavorisées. Les disparités régionales sont importantes, le Nord et l'Est étant les plus touchés. Des actions ciblées seraient nécessaires en matière de consommation.
Pour en revenir au lien entre flore intestinale et cerveau, on a constaté qu'en greffant la flore intestinale de souris à comportement autistique sur des souris saines, celles-ci adoptaient le comportement autistique des premières. Notre cerveau et notre intestin entretiennent un dialogue permanent.
Mme Michelle Meunier . - Vous insistez sur la nécessité de genrer la recherche. C'est une perspective optimiste. Dans quelle mesure l'obésité a-t-elle un caractère héréditaire ?
Professeure Karine Clément . - Oui, les connaissances dont nous disposons sur le génome humain valident ce que les études épidémiologiques avaient établi : le patrimoine génétique joue un rôle dans le cas de l'obésité. Nous avons commencé à identifier les gènes en cause, mais surtout à mettre ceux-ci en relation avec notre environnement et les bactéries présentes dans notre système viscéral, car nous ne sommes que les marionnettes de notre génome bactérien.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour cette audition passionnante. Comme le dit le professeur Gilles Boeuf, « nous sommes une ode à la biodiversité » . Vous l'avez largement confirmé.
Thème
Approche
« genrée » de la prise en charge et de la
prévention concernant le VIH/SIDA
Audition de Mmes Caroline Rebhi, responsable de la commission éducation à la sexualité et Catherine Kapusta-Palmer, membre du Conseil national du sida, responsable du programme « femmes et VIH » du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF)
(22 janvier 2015)
Présidence de
Mme Chantal Jouanno,
présidente,
puis de Mme Françoise Laborde,
vice-présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous accueillons maintenant, pour poursuivre nos auditions sur le thème « femmes et santé », deux représentantes du Planning familial : Mmes Catherine Kapusta-Palmer, membre du Conseil national du Sida et responsable du programme « femmes et VIH », et Caroline Rebhi, responsable de la commission « éducation à la sexualité » du Planning familial.
Je précise à l'attention de Mmes Kapusta-Palmer et Rebhi que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances va rendre un avis sur le projet de loi relatif à la santé. Au sein de notre délégation, nos collègues Françoise Laborde et Annick Billon sont les rapporteures de ce texte. La délégation a saisi l'occasion de ce projet de loi pour travailler sur le thème de la santé des femmes en général, sans se limiter nécessairement aux articles portant sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et la contraception d'urgence qui nous concernent directement.
Je propose, Mesdames, de vous céder dès à présent la parole pour exposer la spécificité genrée de la prise en charge du sida et des infections sexuellement transmissibles (IST). Ensuite, nous aurons des échanges avec les membres de la délégation et les rapporteures qui, j'en suis sûre, auront de nombreuses questions à vous poser.
Mme Caroline Rebhi, responsable de la commission « Éducation à la sexualité » du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) . - Je vous présenterai en premier lieu quelques éléments de contexte, puis je laisserai Catherine Kapusta-Palmer développer plus spécifiquement la question de l'approche genrée « femmes et VIH ».
Je me référerai, pour ces éléments de contexte, à l'étude « Les comportements sexuels en France » , menée en 2007 par Nathalie Bajos. L'auteure y révèle notamment qu'en termes d'âge, l'entrée dans la sexualité diffère peu entre les femmes et les hommes. L'écart se limite à quelques mois. En revanche, une différence significative est constatée s'agissant du nombre de partenaires déclarés : 13 partenaires environ pour les hommes et 5,1 en moyenne pour les femmes. Selon Nathalie Bajos, les femmes pourraient sous-estimer le nombre réel de leurs partenaires. Socialement, la multiplicité des partenaires est en effet moins bien vue pour les femmes que pour les hommes.
Nous entendons souvent que les hommes auraient plus de besoins sexuels que les femmes qui, elles, s'inscriraient davantage dans la recherche d'un lien sentimental, privilégiant la dimension relationnelle. Or, cette asymétrie dans la perception entre les hommes et les femmes, entre des besoins biologiques et sexuels d'une part et l'affectivité d'autre part, induit des différences dans la prévention et dans la gestion des risques.
L'approche classiquement adoptée par les femmes reste souvent cantonnée à la problématique de la contraception. Nous soulignons pour notre part la nécessité de proposer une approche de prévention globale, incluant le VIH, les IST, la reproduction et la contraception. Nous insistons par ailleurs sur l'importance que soit reconnu aux femmes séropositives un droit à mener une vie affective. Au centre de nos préoccupations figure en outre la question de la prévention et de la prise en charge de l'infection à VIH pour les femmes de plus de 50 ans. Catherine Kapusta-Palmer développera plus particulièrement ce dernier point.
Je souhaite dire quelques mots aussi des violences à l'encontre des femmes, dont l'importance et les spécificités ont été mises en évidence dans un rapport de l'ONU publié en 2012. La question des violences s'intègre d'ailleurs pleinement dans le cadre d'une approche de prévention globale en santé sexuelle : une femme sur cinq dans le monde sera victime de viol ou de tentative de viol entre 14 et 55 ans. La prévalence des violences à l'encontre des femmes dépasse donc celles des cancers, des accidents cardiovasculaires et même du paludisme. Aujourd'hui, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Enfin, une étude révèle qu'entre 40 et 50 % des femmes résidant dans l'Union européenne seront victimes de harcèlement moral au travail.
Mme Catherine Kapusta-Palmer, membre du Conseil national du sida, responsable du programme « Femmes et VIH » . - Dans son travail sur les comportements sexuels en France, Nathalie Bajos indique que « si les femmes sont plus touchées par le VIH et les IST, ce n'est pas parce que ce sont des femmes au sens biologique du terme, mais parce que leur sexualité s'exerce dans un contexte marqué par de nombreuses inégalités » .
Un cumul de facteurs explique que les femmes soient, de manière générale, plus vulnérables que les hommes au VIH et aux IST. Aujourd'hui dans le monde, elles représentent plus de la moitié des personnes séropositives. Pourtant, depuis le début de l'épidémie, les femmes sont restées invisibles. Les politiques publiques de lutte contre le VIH ont retenu pour base la notion de prévalence. Or, effectivement, la « photographie » de l'épidémie, dès ses débuts, a identifié parmi les populations à forte prévalence les hommes homosexuels, les usagers de drogues et, s'agissant des femmes, les prostituées puis les femmes originaires d'Afrique subsaharienne. Cette photographie initiale a eu et a toujours des conséquences en termes de prévention, de prise en charge et donc d'évolution de l'épidémie. Encore aujourd'hui, elle se répercute sur la visibilité des femmes séropositives. Elle a eu pour effet que, depuis le début de l'épidémie, les femmes sont « passées au travers » des messages de prévention, ceux-ci ne leur étant pas réellement adressés. Je rappelle que la première campagne de prévention destinée aux femmes ne date que de 1997. Les femmes ne se sont pas senties concernées par l'infection à VIH. En conséquence, nous constatons depuis plusieurs années une augmentation des contaminations chez les femmes de plus de 50 ans qui, après un divorce ou une rupture, retrouvent une vie sexuelle diversifiée. Nous recevons de plus en plus de femmes, mères ou grand-mères, qui découvrent aujourd'hui leur séropositivité.
Ce constat, qui vaut également pour les IST, appelle à une grande vigilance. En effet, le corps médical ne pense pas à évoquer la prévention et le dépistage auprès des femmes de plus de 50 ans, supposant manifestement qu'elles n'ont plus de vie sexuelle.
Nous estimons essentiel d'adopter une approche globale de la santé sexuelle qui, au féminin, est trop souvent réduite à la santé reproductive. Il convient d'aborder la réduction des risques dans leur ensemble, qu'il s'agisse de l'infection à VIH, des IST ou encore des grossesses non prévues. Cette approche doit en outre tenir compte du contexte relationnel puisque, aujourd'hui encore, les inégalités entre les hommes et les femmes engendrent des difficultés supplémentaires dans la prévention et dans la prise en charge médicale. Dans un contexte de rapports violents, le risque de contamination des femmes est multiplié. Les violences se répercutent en effet sur l'estime que les femmes ont d'elles-mêmes : les femmes victimes de violences se protègent moins et sont moins en mesure, par exemple, d'imposer l'utilisation du préservatif à leur partenaire. La question des inégalités doit donc s'inscrire au coeur de cette approche globale de prévention et de prise en charge.
Les femmes séropositives que nous rencontrons se posent de nombreuses questions sur leur santé, leur vie affective et leur vie sexuelle. Or elles ne trouvent quasiment aucune réponse. Aujourd'hui encore, pour l'infection à VIH comme pour d'autres maladies, les études et les recherches ne sont pas réalisées de manière genrée ou ne le sont que très peu. Les femmes sont encore sous-représentées dans les cohortes. Alors qu'en France, environ 35 % des personnes contaminées sont des femmes, leur représentation dans les études est en baisse et ne dépasse pas 15 % aujourd'hui. Les femmes sont exclues des études sous prétexte qu'elles risqueraient de fausser les données ou de biaiser les résultats si elles devenaient enceintes pendant les essais. Encore une fois, elles sont réduites à leur statut de mères ! Dans ce contexte, les femmes testent les effets des traitements dans la vraie vie. Or l'argument même selon lequel l'inclusion de femmes dans les essais risquerait d'en fausser les résultats souligne bien que le virus et les traitements ne produisent pas les mêmes effets chez les hommes et chez les femmes.
Ces différences dans les effets s'expliquent bien évidemment par des différences physiologiques. Les traitements du VIH perturbent le système hormonal. Ils induisent des problèmes cardiovasculaires et osseux, ainsi qu'une dystrophie, c'est-à-dire une transformation du corps. Il ne s'agit pas d'affirmer que les effets secondaires seraient plus difficiles pour les femmes que pour les hommes, mais simplement de reconnaître qu'ils sont différents. Pourtant, aujourd'hui encore, les femmes séropositives rencontrent des difficultés à le faire entendre. Seules des études genrées permettraient d'apporter des réponses aux questions des femmes sur les conséquences des traitements, qu'il s'agisse des aspects cardiovasculaires, de la transformation du corps ou encore des fluctuations hormonales, notamment au moment de la ménopause. L'absence de données scientifiques, mais également d'études en sciences sociales sur le vécu et l'isolement des femmes séropositives nous semble extrêmement problématique.
L'enquête VESPA (VIH-Enquête Sur les Personnes Atteintes) de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a notamment souligné la situation de précarité dans laquelle se trouvent souvent les femmes atteintes par le VIH. L'isolement, la précarité sociale - notamment des femmes originaires d'Afrique subsaharienne - ou encore la co-infection par une hépatite constituent autant de facteurs de vulnérabilité cumulés face à la maladie. Socialement, celle-ci est moins bien acceptée lorsqu'elle touche les femmes. A l'occasion de colloques que nous organisons avec des femmes séropositives, nous rencontrons souvent des interlocutrices restées dix, quinze ou vingt ans sans jamais parler de leur maladie, si ce n'est à leur médecin.
Pour apporter des réponses aux femmes, il convient de tenir compte de leurs spécificités physiologiques et sociales. Le travail que le Planning familial mène notamment auprès des jeunes s'inscrit bien dans cette perspective.
Aujourd'hui, les traitements permettent aux personnes séropositives de vivre plus longtemps. Le contrôle de la charge virale leur permet d'être « moins contaminantes ». En matière de sexualité, le préservatif n'est plus l'unique outil de prévention : il existe toute une palette de moyens permettant de prévenir la transmission de la maladie. Cependant, ces moyens sont très peu étudiés chez les femmes. Le préservatif féminin reste trop peu mis en avant, alors qu'il permettrait aux femmes de gérer elles-mêmes leur prévention. De la même manière, les microbicides font l'objet de très peu de recherches. Voilà deux ans, l'Organisation des Nations Unies (ONU) a annoncé que l'utilisation du contraceptif injectable Depo-Provera, l'un des contraceptifs les plus utilisés dans les pays du Sud, était susceptible d'augmenter le risque d'infection à VIH pour les femmes. Or, à la suite de cette annonce, très peu d'études ont été menées. Aucun investissement n'a été réalisé pour poursuivre les recherches.
Pour terminer, je souhaite aborder la pénalisation de la transmission du VIH, un sujet souvent évoqué dans les colloques que le Planning familial organise avec d'autres associations. Bien qu'en France, les plaintes portées émanent souvent des femmes, j'insiste sur le fait que pour la majorité des femmes que nous rencontrons, la transmission du VIH ne peut s'appréhender en termes de « coupable » ou de « victime ». Il serait certes trop simpliste de parler d'une responsabilité partagée dans la prévention, en raison des inégalités évoquées plus tôt. Pour avancer sur cette question, plutôt que d'apporter une réponse d'ordre juridique, il convient de permettre aux femmes de gérer leur prévention.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci. Je propose de céder la parole aux deux rapporteures pour ouvrir nos échanges sur les questions posées par la transmission du VIH.
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Vous avez toutes les deux, mesdames, défendu l'idée d'une approche globale. Cette volonté que vous partagez m'interpelle, car en matière de communication, il a toujours été affirmé qu'une approche ciblée sur une population était beaucoup plus efficace. Ne pensez-vous pas que la communication devrait être différenciée selon les catégories de population auxquelles elle s'adresse ?
Mme Caroline Rebhi . - Nous sommes favorables à ce que des messages spécifiques soient délivrés aux différentes populations. Catherine Kapusta-Palmer l'évoquait notamment au sujet des femmes de plus de 50 ans qui, par exemple, ne se sont pas senties concernées par les messages adressés aux jeunes.
L'approche globale que nous défendons porte avant tout sur la prise en charge. Il s'agit que les personnes aient la possibilité, en un même lieu, d'effectuer un dépistage, d'avoir accès à une contraception d'urgence, d'être prises en charge dans le cadre d'une IVG ou encore de s'interroger avec des professionnels sur le fonctionnement de leur couple, dans une optique de prévention des violences.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure . - Selon le rapport sur la santé des femmes commandé par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, alors que le nombre de cas de sida a été divisé par deux chez les hommes entre 1996 et 2006, il n'a connu qu'une très faible diminution chez les femmes. La proportion de femmes atteintes du sida a par ailleurs doublé entre 1987 et 2006. Il est possible que ces évolutions traduisent une récente tendance des femmes à se faire dépister lorsqu'elles débutent une nouvelle vie affective et sexuelle. J'y vois également un lien avec les messages d'information essentiellement centrés sur la contamination au cours de rapports homosexuels et par l'échange de seringues, alors que ces modes de transmission ne représentent qu'une part des contaminations. Ce point me semble très inquiétant.
En ce qui concerne l'approche globale dans l'information, il me semble que le message adressé aux jeunes concerne plus la prévention de grossesses non désirées que la protection contre les maladies sexuellement transmissibles, et donc contre le sida. Les jeunes filles qui prennent la pilule et ont confiance en leur compagnon ne se sentent pas touchées, peut-être, par les messages de prévention. Il se peut que nous nous trouvions face à une perte de vigilance vis-à-vis du VIH.
Écartées des messages de prévention, les personnes de plus de 50 ans n'ont pas été éduquées à se protéger elles-mêmes. De manière générale, nous notons ici l'absence d'une éducation globale par rapport au VIH : il n'est pas suffisamment souligné que même une femme hétérosexuelle peut être concernée par cette problématique.
Mme Maryvonne Blondin . - Dans l'interview datée du 2 avril 2014 que vous avez donnée à Notre temps.com , vous évoquiez les études cliniques menées essentiellement sur les hommes. Vous indiquiez alors avoir participé à un essai clinique VIH/maladies cardiovasculaires, à l'issue duquel le médecin vous a signifié qu'il ne servait à rien d'interpréter les résultats des hommes par rapport aux femmes. Ce point m'interpelle, car il soulève un enjeu d'information et de formation du corps médical.
Vous soulignez le lien entre les traitements du VIH et les infarctus et expliquez que les traitements déforment le corps des femmes. Ces points font écho à notre audition précédente.
Je souhaite par ailleurs revenir sur la « perte de vigilance » évoquée par Françoise Laborde, que je mettrai en relation avec l'éducation à la sexualité dans les écoles. Lorsque j'étais enseignante en activité, nous faisions régulièrement appel au Planning familial pour intervenir dans les écoles, mais étions face à des élèves qui estimaient ces interventions inutiles, jugeant qu'ils étaient déjà au fait de ces problèmes. Quelle approche, en matière d'éducation à la sexualité, devrait être dispensée actuellement dans écoles, selon vous ?
Mme Caroline Rebhi . - La loi de 2001 rend obligatoire l'éducation à la sexualité de la maternelle au lycée, à raison de trois séances par classe et par an. En réalité, ce n'est pas ce que nous observons. Le Planning familial intervient essentiellement, me semble-t-il, à l'initiative des infirmières scolaires.
Mme Maryvonne Blondin . - Les professeurs principaux travaillent également avec les infirmières scolaires sur ce sujet.
Mme Caroline Rebhi . - D'après ce que nous observons, il s'agit principalement d'initiatives communes aux infirmières scolaires et aux professeurs de sciences de la vie et de la terre (SVT), le sujet étant en lien avec le programme de cette matière.
La difficulté se pose essentiellement en termes de financements. L'intervention en milieu scolaire devrait faire l'objet d'une prise en charge par l'État, dans le cadre des financements destinés aux établissements d'information, de consultation ou de conseil conjugal (EICCF). Pourtant, en réalité, les établissements ne disposent que de peu de moyens et doivent donc hiérarchiser leurs priorités. Par exemple, les académies qui ont testé les « ABCD de l'égalité », désormais abandonnés, ne disposent plus de financement, aujourd'hui, pour les questions d'éducation à la sexualité.
Il est important que la loi de 2001 soit appliquée, et ce même si les élèves affirment tout savoir, notamment grâce à Internet.
Mme Maryvonne Blondin . - Malheureusement, les élèves ne sont pas demandeurs de telles interventions.
Mme Caroline Rebhi . - Le Planning familial touche environ 230 000 jeunes chaque année en France. Effectivement, la première réaction de certains jeunes est de ne pas percevoir l'intérêt d'une éducation à la sexualité, estimant qu'ils peuvent trouver toutes les réponses à leurs questions sur Internet, l'information y étant aisément accessible et, en outre, de manière anonyme.
Lorsque nous intervenons dans les classes en tant que mouvement d'éducation populaire, nous nous attachons, à partir des questions que se posent les jeunes que nous rencontrons, à adopter une approche genrée. En abordant le sujet de la contraception, nous leur demandons par exemple si, selon eux, il revient uniquement aux filles de gérer la contraception. Lorsque les jeunes nous répondent par exemple que la pilule est à la charge des filles, le préservatif à celle des garçons, nous pouvons engager une discussion sur la question.
Nos interventions sont également l'occasion d'échanger sur les violences. À l'école maternelle, au primaire et au collège, nous demandons par exemple aux enfants si le fait de soulever la jupe des filles constitue une violence, puis plus tard, s'il est dérangeant de toucher les fesses ou la poitrine des filles, et si l'on ferait des choses équivalentes aux garçons...
Si les élèves pensent tout connaître et n'ont effectivement pas besoin de nous pour s'informer sur les aspects « pratiques » de la sexualité, nous percevons bien qu'il est essentiel d'aborder avec eux les questions de l'approche genrée, des IST et des violences. Il est notamment important que les filles et les garçons se parlent, qu'ils confrontent leurs discours.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous d'autres remarques ?
Mme Caroline Rebhi . - Je souhaite évoquer les tests rapides à orientation diagnostique (TRODs), qui désignent les tests de dépistage rapide du VIH. Nous estimons nécessaire que ces dispositifs soient développés non seulement dans les centres de dépistage, mais également dans les lieux associatifs, où des personnels formés pourraient les pratiquer.
Mme Michelle Meunier . - N'est-ce pas le cas aujourd'hui ?
Mme Caroline Rebhi . - Des personnels associatifs commencent à se former à la question, mais il convient de généraliser cette pratique, ce qui implique de former un certain nombre de personnes dans l'ensemble des associations concernées.
Je souhaite également évoquer le dépistage des personnes mineures. Actuellement, certains centres de dépistage nous indiquent ne pas pouvoir prendre en charge les mineurs, car cela impliquerait de prévenir leurs parents. Ces centres pratiquent pourtant un dépistage gratuit et anonyme, ce qui devrait autoriser les personnes à ne pas dévoiler leur âge. La question semble être celle du financement.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Elle est également de nature juridique.
- Présidence de Mme Françoise Laborde, vice-présidente -
Mme Caroline Rebhi . - Effectivement. Les mineurs qui se tournent vers ces centres sont donc renvoyés vers les centres de planification, par exemple au Planning familial, où il existe également une prise en charge anonyme et gratuite, mais uniquement pour la contraception. Il conviendrait de mettre les deux dispositifs en parallèle.
Par ailleurs, en termes de financement, nous estimons que la tarification à l'acte n'est pas compatible avec l'approche globale que nous appuyons.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - Actuellement, lorsqu'un individu se rend dans un laboratoire pour une analyse, il lui est proposé de réaliser un test de dépistage du VIH. Il est ainsi plus facile de proposer un dépistage aux personnes déjà suivies pour une pathologie. L'enjeu porte véritablement sur les personnes qui socialement sont moins suivies ou qui refusent systématiquement le dépistage, estimant ne pas faire partie des populations « à risque ». Comment toucher ces personnes ?
Nous savons que les risques de contamination de l'homme à la femme et de la femme à l'homme ne sont pas identiques. Par ailleurs, si de nombreux progrès ont été réalisés s'agissant des femmes enceintes, bien suivies aujourd'hui, celles-ci n'apprennent souvent leur séropositivité qu'à l'occasion de leur grossesse, soit trop tardivement. Nous mesurons bien que le travail à accomplir sur les aspects sociaux et genrés reste très important et que vous y oeuvrez, Mesdames. Comment notre délégation peut-elle y participer ?
Mme Catherine Kapusta-Palmer . - Le Planning familial pratique une prise en charge globale de la santé des femmes. Les femmes qui se rendent dans les centres de planification familiale peuvent bénéficier d'une prise en charge médicale (consultation gynécologique) et obtenir des informations sur la contraception, les IVG, les IST et le VIH.
Il est important que la prise en charge dans les centres de santé puisse porter sur l'ensemble de ces questions, en tenant compte de la spécificité des besoins des femmes. Celles-ci doivent savoir qu'en ces lieux, elles obtiendront des réponses à leurs questions.
De nombreuses femmes vivant avec le VIH sont isolées. Elles subissent le cercle vicieux de la discrimination. L'infection à VIH n'est pas une maladie comme les autres et ne le sera jamais, même si certains cherchent aujourd'hui à la classer parmi les maladies chroniques classiques. L'isolement des femmes séropositives et leurs difficultés à être suivies reflètent bien la spécificité de cette maladie. Plusieurs enquêtes révèlent que la discrimination que subissent les personnes séropositives s'exprime également dans le milieu médical, souvent en raison d'une méconnaissance de la maladie. Aujourd'hui encore, nous observons des refus de soins par des dentistes et des gynécologues. Or le suivi gynécologique des femmes séropositives est primordial, au vu des effets des traitements sur les fluctuations hormonales, les infections et les risques de cancer du col de l'utérus.
Face à cet isolement, le Planning familial a pris la mesure du rôle qu'il devait jouer. Outre les actions de prévention, il s'agit de proposer aux femmes séropositives un lieu vers lequel se tourner, où elles peuvent bénéficier de l'expérience des conseillères conjugales pour parler de prévention, de contraception, d'avortement, d'IST et de sexualité. Les enquêtes indiquent que les trois quarts des femmes séropositives n'ont pas eu de rapport sexuel depuis au moins trois ans.
Un travail considérable doit donc être mené sur la question des représentations que la société a des personnes séropositives.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Il est essentiel d'aborder la question des moyens. Nous constatons aujourd'hui une diminution du nombre de centres de planification familiale, pourtant si utiles, ainsi que la suppression de certaines spécialités dans les centres de santé. Je l'observe, notamment dans ma ville, en gynécologie. Ces constats doivent nous interpeller. Ils soulèvent la question des moyens à mobiliser pour créer des espaces dans lesquels la réponse globale que vous évoquiez peut être apportée.
Mme Caroline Rebhi . - Je partage votre point de vue.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - Moi aussi. Pour le développement d'une véritable approche genrée en santé, au-delà des paroles, il faut des moyens et des actes. Si nous n'insistons pas sur cette nécessité, personne ne le fera.
Mme Catherine Kapusta-Palmer . - Je souhaite insister encore une fois sur l'importance de « casser » les représentations sociales. Je citerai par exemple l'idée selon laquelle les femmes de plus de 50 ans n'auraient plus de sexualité et ne seraient donc plus exposées au risque de contracter des IST ou le VIH. Un autre cliché laisse entendre que les femmes seraient uniquement intéressées par la procréation.
J'insiste également sur l'importance de travailler sur la question des inégalités. Aujourd'hui encore, il est difficile pour de nombreuses femmes d'imposer l'utilisation du préservatif, pour se protéger et protéger l'autre. Les outils qui leur permettraient de gérer leur protection ne sont que très peu étudiés et mis en avant.
Dans le domaine médical mais également en sciences sociales, tout est bâti sur le modèle de l'homme. Les quelques enquêtes dont nous disposons sur le sujet soulignent que les femmes séropositives se trouvent davantage dans des situations de précarité et d'isolement que les hommes. Nous voyons bien que les études genrées sont essentielles pour identifier les problèmes et apporter des solutions adaptées.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - En lien avec les représentations que vous évoquiez, j'observe que si l'on parle beaucoup du vieillissement de la population, on ne s'intéresse pas suffisamment au vieillissement de la sexualité, en particulier s'agissant des femmes. La vie sexuelle des couples d'un certain âge reste aujourd'hui taboue, sans parler de celle des femmes seules. Il est essentiel ici de casser les stéréotypes.
Mme Maryvonne Blondin . - Dans mon département, le Finistère, des maisons de retraite pilotes sur la question ont été identifiées. Nous observons que ce sont souvent les enfants des résidents qui ont le plus de mal à admettre que leurs parents puissent encore avoir une sexualité. Encore une fois, le poids des stéréotypes est important.
Pour terminer, je souhaite faire part de mon inquiétude sur la situation de pays tels que le Nigeria, où les femmes sont utilisées comme des armes de guerre, avec des implications certaines sur la propagation du VIH. Je suis terrifiée par ces actes de barbarie qui engendreront bien des catastrophes.
Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure . - Je remercie vivement les deux intervenantes pour leur apport décisif à notre réflexion et pour l'ensemble des combats qu'elles mènent.
Thème
Tabagisme et santé des
femmes
Audition du professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue et tabacologue, chef du service de pneumologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière
(12 mars 2015)
Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poursuivons aujourd'hui nos réunions sur le projet de loi relatif à la santé, déposé en premier lieu à l'Assemblée nationale, en recevant le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue et tabacologue, chef du service de pneumologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Quant à l'Office français de prévention du tabagisme (OFT)...
Professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue et tabacologue, chef du service de pneumologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière . - ... malheureusement, je dois préciser que je n'en suis plus président car l'OFT n'existe plus. L'association a déposé son bilan en début d'année : elle ne disposait plus de moyens. Aujourd'hui, tout l'argent de la prévention contre le tabagisme, soit 300 millions d'euros par an, va aux buralistes et non plus aux associations de prévention.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ce que vous nous précisez là est particulièrement significatif.
Professeur, je vous remercie d'être venu jusqu'à nous malgré un emploi du temps particulièrement chargé.
Je précise que notre délégation a souhaité aller plus loin que les dispositions du projet de loi visant spécifiquement les femmes, qui concernent essentiellement l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Nous avons ainsi choisi de travailler sur le sujet plus vaste « femmes et santé » depuis le mois de janvier de cette année.
Lors d'une précédente audition, la professeure Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa), nous a alertés sur l'expansion du tabagisme féminin et sur la prévalence en augmentation de pathologies telles que les maladies cardiovasculaires et le cancer du poumon chez les femmes. L'an prochain, nous a-t-elle indiqué, le cancer du poumon devrait d'ailleurs dépasser le cancer du sein en termes de mortalité. Or, le public non averti n'est probablement pas conscient de ces évolutions et doit être alerté de ce danger.
Nous connaissons, Professeur, votre long combat et votre engagement déterminé contre le tabac. Il nous a donc semblé tout à fait naturel de recourir à votre expertise pour aborder le sujet du tabagisme des femmes et l'ensemble de ses conséquences, non seulement sur la grossesse et la fécondité, mais plus généralement sur la santé des femmes.
Nous vous entendrons donc avec beaucoup d'intérêt sur l'ampleur du phénomène, sur l'existence ou non de conséquences du tabagisme spécifiques aux femmes et sur les solutions particulières à envisager pour enrayer ce phénomène - à tout le moins pour mieux alerter le public de ses dangers.
Professeur Bertrand Dautzenberg . - C'est toujours un grand plaisir pour moi d'informer les élus car si le tabagisme est une maladie acquise dans l'enfance, la cause en est l'industrie du tabac ! La meilleure arme de lutte contre la maladie est aux mains des politiques. En tant qu'élus, vous pouvez faire beaucoup plus contre le tabac que tous les tabacologues du monde réunis.
Je débuterai mon exposé par quelques éléments d'épidémiologie du tabagisme féminin. Dans tous pays du monde, la prévalence du tabagisme croît avec l'augmentation de la richesse, jusqu'à un certain seuil à partir duquel elle régresse, suivant ainsi une courbe en cloche. L'« épidémie » dure généralement entre vingt et cinquante ans. En France, le tabagisme masculin est sur la pente descendante de la courbe et la mortalité par cancer du poumon diminue, en particulier chez les jeunes hommes. Le tabagisme féminin est quant à lui encore en croissance.
Chez les hommes, le pourcentage de fumeurs quotidiens décroît en France depuis les années 1950. En revanche, ce pourcentage augmente continuellement chez les femmes depuis 1967.
Les Baromètres Santé 2005, 2010 et 2014 de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) révèlent une légère diminution de la prévalence du tabagisme régulier chez les jeunes femmes de quinze à dix-neuf ans. A l'inverse, le tabagisme augmente significativement dans les tranches d'âges les plus élevées, en particulier pour les femmes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans. Cela traduit en partie un effet de génération. Les femmes qui ont commencé à fumer à l'époque « post-soixante-huitarde » atteignent aujourd'hui cette tranche d'âge et succèdent à une génération de femmes non fumeuses. Globalement, pour les hommes et les femmes de toutes tranches d'âges confondues (quinze à soixante-quinze ans), la proportion de fumeurs réguliers est passée de 29,1 % à 28,2 % entre 2010 et 2014.
Pour comprendre les politiques de lutte contre le tabac, il est intéressant de surveiller la situation des jeunes de douze à quinze ans : c'est l'âge où ils commencent à fumer mais ne sont pas encore dépendants. Si le tabac est à la mode, ils fumeront, s'il ne l'est plus, ils changeront rapidement d'habitude. L'attitude générale à l'égard du tabac a donc une importance capitale pour cette partie de la population. L'effet des politiques est moins net chez les lycéens ; il l'est encore moins chez les adultes qui, pour la plupart, ne fument plus par choix mais par dépendance. L'enquête « Paris sans tabac » (PST), sur le tabagisme des collégiens parisiens, révèle qu'à la suite du premier « Plan cancer » adopté au début des années 2000 par le président Jacques Chirac, le taux de fumeurs quotidiens chez les douze/quinze ans a reculé, à Paris, de 75 %. La remarquable efficacité de ce premier « Plan cancer » a notamment été saluée dans un article du New England Journal of Medicine . Par ailleurs, alors que la prévalence du tabagisme était jusqu'alors supérieure pour les très jeunes filles, elle est passée en dessous de celle des jeunes garçons dès lors que le président de la République a « déclaré la guerre » au tabac. Les filles semblent ainsi plus sensibles aux messages politiques.
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, alors que les gouvernements successifs ont mené la politique strictement opposée, on a observé une nouvelle montée du tabagisme chez les jeunes. Aujourd'hui, on constate de nouveau une légère diminution du taux de fumeurs quotidiens dans cette population, grâce à la cigarette électronique.
La comparaison de l'évolution du tabagisme chez les femmes en France et au Royaume-Uni souligne la progression catastrophique du tabagisme féminin en France. Entre 1970 et 2014, le taux de fumeurs quotidiens parmi les femmes est passé de 40 % à 16 % au Royaume-Uni, mais de 12 % à 24 % en France. Chez nous, il a doublé ! Autre différence entre les deux pays : au Royaume-Uni, les prévalences du tabagisme chez les hommes et chez les femmes suivent une évolution parallèle, tandis qu'en France, la progression du tabagisme est spécifiquement féminine.
Ces évolutions résultent évidemment des politiques menées. Au Royaume-Uni, le lobby du tabac exerçait une influence notable sur le milieu politique jusqu'au milieu des années 1990, quand le parti de Tony Blair a dû rembourser une somme considérable du fait de la révélation de financements reçus de l'industrie du tabac. Depuis lors, le monde politique britannique s'est strictement séparé de celle-ci.
En France, les buralistes représentent le « bras armé » du lobby du tabac, ce qui pose un problème considérable. Les buralistes prétendent défendre le lien social, les relations de proximité et l'économie locale. Or, avec 78 000 décès annuels dus au tabac en France, cela fait chaque année sept morts par buraliste. Voilà le prix de la sauvegarde des emplois de buralistes ! Dans le soutien aux buralistes, l'argument de l'emploi est donc totalement hors sujet. Le tabac doit disparaître et avec lui disparaîtront les bureaux de tabac, comme ce fut le cas des magasins de développement de photographies, aujourd'hui remplacés par des vendeurs de téléphones portables, qui à leur tour, le seront par d'autres commerces.
Pour en revenir à la différence de prévalence du tabagisme entre les hommes et les femmes, ce phénomène n'a rien de génétique mais dépend beaucoup de la culture. Si auparavant en France les femmes ne fumaient pas, c'est parce qu'il était mal vu de fumer avant d'être mariée. Les femmes ne commençaient donc à fumer qu'après l'âge de vingt ans environ. Or, c'est un âge auquel on devient moins facilement dépendant que lorsque l'on commence plus jeune. Aux États-Unis, la prévalence du tabagisme est quasiment identique entre les hommes et les femmes, tandis que dans tous les pays d'Asie, les femmes fument beaucoup moins que les hommes. Il y donc vraiment une spécificité française.
Intéressons-nous à présent aux femmes enceintes. Le Baromètre Santé de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) souligne que plus de 30 % des femmes âgées de vingt-cinq à quarante ans sont fumeuses. Les enquêtes « périnatalité », qui portent sur d'importants effectifs en France, révèlent quant à elles qu'en 2003, 36 % des femmes enceintes fumaient avant leur grossesse, contre 31 % en 2010. En fin de grossesse, ce pourcentage passe de 21 % en 2003 à 17 % en 2010. Bien que la prévalence du tabagisme chez les femmes enceintes diminue légèrement, aujourd'hui encore, plus de la moitié des fumeuses continuent de fumer pendant leur grossesse.
Le dernier baromètre de l'INPES souligne par ailleurs l'inégalité sociale face au tabagisme. En France, un individu ne disposant d'aucun diplôme a 38 % de chance, ou plutôt de risque, d'être fumeur. Le risque est quasiment deux fois moindre pour les personnes qui sont allées au-delà du baccalauréat (20,2 % de fumeurs). Cet écart, qui se creuse de manière importante depuis 2000, s'explique par un moindre accès des personnes défavorisées aux traitements d'arrêt et aux campagnes de prévention. Une étude européenne souligne toutefois que si les campagnes de lutte contre le tabac ont parfois davantage bénéficié aux populations favorisées, creusant ainsi les inégalités, aucune d'entre elles n'a jamais aggravé le tabagisme des plus pauvres. Elles ont toujours bénéficié à l'ensemble de la population, bien qu'à des degrés divers selon la catégorie sociale.
Aujourd'hui, contrairement à ce que nous observions il y a trente ans, la dépendance tabagique est, dans neuf cas sur dix, une maladie pédiatrique incurable. Dès lors que l'individu acquiert une dépendance à l'adolescence, il n'en guérira jamais. Il ne sera jamais un « non-fumeur », mais deviendra, s'il arrête, un « ex fumeur », de la même manière qu'une personne alcoolique qui ne boit plus est alcoolique abstinente. Cette maladie irréversible est créée volontairement par des conseils d'administration de l'industrie du tabac, qui se donnent pour objectif, dans leurs documents internes, d'inciter les adolescents à fumer pour assurer la survie du marché.
Les affiches publicitaires pour les cigarettes sont révélatrices des méthodes de promotion du tabagisme employées par l'industrie du tabac à travers le temps. On voit par exemple, sur une affiche diffusée aux États-Unis dans les années 1950, la manière dont certaines marques ont pu utiliser les médecins pour promouvoir une addiction (« 20 679 médecins affirment que les cigarettes L... sont moins irritantes pour la gorge »). Or la fumée de cigarettes présentées comme « douces » est avalée plus profondément dans les poumons, ce qui entraîne tout autant de cancers qu'une cigarette plus « irritante ». L'image de femmes est par ailleurs souvent utilisée pour inciter les hommes à fumer, comme l'illustre une affiche montrant un paquet de cigarette coincé dans le décolleté d'une femme. Certaines publicités ont été construites pour inciter les femmes à fumer, en promettant par exemple aux non fumeuses que la cigarette les aiderait à maigrir. On note également le rôle joué par les hommes dans l'établissement d'une sorte de norme sociale tabagique, illustrée par une affiche des années 1950 dans laquelle Ronald Reagan adresse à ses amies des cigarettes comme cadeau de Noël. Les marques de cigarettes se sont aussi appuyées sur la sexualité pour promouvoir leurs produits, ce que confirme une ancienne affiche montrant un homme et une femme dans des positions suggestives, l'homme questionnant : « Do you inhale ? » (« Avalez-vous ? »).
Aujourd'hui, le design des paquets de cigarettes reste le dernier élément de promotion du tabagisme. C'est pour cette raison que nous sommes tant attachés à la mise en place de paquets neutres. Pour prétendre que le tabac n'est pas nocif, certaines marques revendiquent, sur les paquets, un tabac « sans additifs », issu de l'agriculture biologique, en faveur du développement durable, ou issu du commerce équitable.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Ces marques de tabac sont-elles distribuées en France ?
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Elles le sont. Or, ce tabac présenté comme « écologique » est tout aussi nocif pour la santé que le tabac de contrebande.
Dans les pays du Nord de l'Europe, le « snus », une poudre de tabac à mâcher, est de plus en plus utilisé par les jeunes femmes. Ce produit est devenu un enjeu économique et politique de premier rang. L'une des conditions posées par la Suède lors de son entrée dans l'Union européenne était ainsi de pouvoir continuer à vendre du « snus » en Suède. L'interdiction du « snus » dans l'Union européenne semble être par ailleurs l'une des raisons pour lesquelles la Norvège n'y est pas entrée.
La chicha, populaire aujourd'hui notamment chez les jeunes femmes, s'inscrit également dans une tendance à promouvoir des tabacs qui paraissent plus doux, moins toxiques. Or, comme celle des cigarettes dites légères, la fumée de la chicha est inspirée par l'organisme plus profondément et engendre autant de conséquences catastrophiques pour la santé que toute cigarette, bien qu'il s'agisse de pathologies et de types de cancers différents.
Enfin, certaines publicités pour la cigarette électronique sont clairement adressées aux jeunes filles, en présentant par exemple le produit dans un joli étui rose.
Au-delà de la publicité, l'industrie du tabac manipule l'opinion via les scientifiques. Pour affirmer que le tabagisme passif n'existe pas, le professeur Philippe Even s'appuie sur un article publié dans le Journal of American Medical Association (JAMA), synthétisant 104 études et démontrant la prétendue innocuité du tabagisme passif. Suite à cette publication, d'autres auteurs ont souligné le lien entre les résultats des études et l'affiliation de leurs auteurs à l'industrie du tabac. En réalité, une étude dont l'auteur est affilié à l'industrie du tabac a quatre-vingt-huit fois plus de chances de conclure à l'innocuité du tabagisme passif.
Il existe des freins à la consommation tabagique, parmi lesquels le changement de l'image sociale associée au tabagisme. Aujourd'hui, l'image d'une femme enceinte qui fume est difficilement acceptable socialement et une femme enceinte qui marcherait dans la rue en fumant s'exposerait à des remarques immédiates. De même, l'image d'une personne fumant à côté d'une femme enceinte ne passerait plus. Dans le même esprit, il est aujourd'hui tout à fait naturel que les cafés et restaurants soient non-fumeurs, alors qu'à l'époque de l'adoption de la loi de 2006 interdisant le tabagisme dans les lieux publics fermés, ses opposants annonçaient une baisse de 20 % du chiffre d'affaires dans les restaurants.
Pour faire reculer encore le tabac, l'offensive actuelle vise le tabagisme dans les lieux privés, notamment dans les voitures en présence d'enfants. Dans de nombreux pays, on recense des initiatives volontaires en faveur de maisons « non-fumeur ». En France, environ 50 % des couples de fumeurs ont un domicile « non-fumeur » : c'est un pourcentage qui a augmenté suite à l'adoption de la loi de 2006. La moitié des personnes qui continuent de fumer à leur domicile ne le font que dans la cuisine ou à la fenêtre.
Les avertissements sanitaires ont véritablement changé l'image du tabac. L'industrie du tabac a récemment lancé une campagne, relayée par les buralistes, dénonçant le paquet neutre, qui constituerait selon elle une « humiliation ». Mais lorsqu'un produit tue plus de 200 personnes par jour, il est bel et bien nécessaire d'arrêter d'en faire la promotion.
J'en viens aux différences entre les hommes et les femmes à l'égard du tabagisme.
Les femmes sont plus sensibles que les hommes aux campagnes d'information et à l'action politique face au tabagisme. Elles sont par ailleurs plus sensibles à la prise en charge psychologique du sevrage, alors que les médicaments d'aide à l'arrêt du tabac sont plus efficaces chez les hommes. Le cerveau « automatique » est particulièrement impliqué dans la dépendance tabagique, tandis que le cortex cérébral vient pondérer cette activité automatique. Or la « négociation » par le cortex semble plus active chez les femmes que chez les hommes.
La réponse différenciée des filles et des garçons aux messages politiques, révélée par l'enquête « Paris Sans Tabac », illustre une sensibilité plus importante des filles à « l'air du temps » : la consommation tabagique des filles âgées de douze à quinze ans a diminué davantage que celle des garçons entre 2001 et 2005, à la suite du premier Plan Cancer (- 7,6 % contre - 3,2 %). En revanche, elle a augmenté de manière plus sensible que celle des garçons entre 2007 et 2010, lorsque l'Élysée a mené une politique de soutien aux buralistes (+ 4,1 % contre + 3,4 %).
De la même manière, le pourcentage des femmes parmi les nouveaux patients des tabacologues a augmenté significativement dans la foulée du premier Plan Cancer, passant de 50 % à 54 % entre 2002 et 2003, pour retomber à 48 % en 2008 du fait de l'abandon des campagnes antitabac.
Le tabac est à l'origine de 100 millions de décès au XX ème siècle. Au XXI ème siècle, on attend un milliard de décès provoqués par la dépendance tabagique. À tabagisme déclaré égal, le nombre d'années de vie perdues en raison du tabac est comparable entre les hommes et les femmes (respectivement dix et onze années de vie perdues selon les études disponibles).
La part des femmes dans les décès liés au tabac est en nette progression. Alors que le nombre d'hommes qui meurent chaque année à cause du tabac est resté relativement stable entre 1995 et 2010, passant de 57 000 à 59 000, le nombre de femmes parmi les personnes décédées est passé de 3 000 à 19 000. C'est considérable ! Je suis sidéré de la négligence des politiques face à cette progression alors même que ces décès ont pour origine une maladie de société et que l'on connaît aujourd'hui l'efficacité des politiques volontaristes menées par le passé.
Les études soulignent par ailleurs que la mortalité cardiovasculaire diminue chez les hommes de trente-cinq à cinquante-quatre ans, tandis qu'elle augmente massivement chez les femmes de cette tranche d'âge.
En ce qui concerne le risque vasculaire, l'association du tabac et de la pilule multiplie par trois le risque d'accident vasculaire cérébral (AVC). À l'âge de quarante ans, où le risque absolu d'AVC est de l'ordre de 3 %, l'aggravation du risque due au tabac est très importante. Ici, le bénéfice de l'arrêt du tabac pour la santé est immédiat. Le risque de thrombose disparaît en effet dans la semaine suivant l'arrêt de la consommation du tabac.
Par ailleurs, alors que la mortalité par cancer rapportée à l'âge baisse globalement chez la femme, la mortalité par cancer du poumon est la seule à enregistrer une hausse. Selon les projections disponibles, en 2015 autant de femmes mourront d'un cancer du poumon que d'un cancer du sein. La mortalité par cancer des jeunes est très faible, mais elle est essentiellement liée au tabagisme.
On observe une nette corrélation entre les ventes quotidiennes de cigarettes et la mortalité par cancer du poumon, avec un « effet retard » d'une vingtaine d'années. À ce jour, la mortalité des femmes liée au tabac est toujours en phase ascendante, tandis que celle des hommes a entamé une diminution. Par ailleurs, entre 1995 et 2025, le nombre de décès par bronchite chronique (BPCO) serait multiplié par deux chez l'homme, mais par dix chez la femme.
Si l'on s'intéresse aux pyramides des âges, on observe qu'entre 1968 et 2010, l'espérance de vie des hommes a davantage augmenté que celle des femmes.
Une étude de 2012 portant sur un million de femmes détaille le nombre de décès associés à vingt-deux maladies, pour lesquelles les fumeurs décèdent davantage que les non-fumeurs. Au-delà des pathologies dont il est la cause directe, le tabac intervient comme un facteur aggravant dans d'autres pathologies. En France, leur comptabilisation porte à 90 000 le nombre de décès annuels liés au tabac.
Autre conséquence du tabagisme : il réduit la fertilité des femmes. Il diminue les chances de succès des fécondations in vitro (FIV), en réduisant le taux d'implantation utérine réussie des embryons. Celui-ci s'élève, pour 3,5 embryons transférés, à 16,4 % pour une non fumeuse, à 15,9 % pour une ex fumeuse et à 6,7 % pour une fumeuse. Les femmes qui participent à une démarche de FIV sont d'ailleurs parmi les populations pour lesquelles les messages de prévention seront les plus efficaces. De manière plus générale, on observe une plus grande efficacité de la prévention pour les personnes qui choisissent de subir une intervention médicale (chirurgie esthétique en particulier), à qui l'on explique que le tabagisme entraîne des risques de complication et risque d'affecter la cicatrisation.
Une étude met en avant une corrélation entre le taux de monoxyde de carbone (CO) maternel expiré et le poids de l'enfant à la naissance. Les femmes expirant un taux de CO supérieur à 20 ppm (correspondant à un paquet de cigarettes par jour environ) accouchent en moyenne d'enfants de 2,8 kilogrammes, contre 3,5 kilogrammes pour les femmes non fumeuses. Le taux de CO expiré par le père lorsque la mère est non fumeuse, en d'autres termes, le tabagisme passif de la mère, influence également le poids de l'enfant à la naissance.
À la maternité d'Arras, les sages-femmes ont toutes été sensibilisées aux dangers du tabac. En arrêtant elles-mêmes de fumer, elles ont modifié le message adressé aux patientes. Deux ans plus tard, le poids de naissance moyen des enfants nés dans la maternité a augmenté.
Au-delà du message, il est important de poser des règles claires pour faciliter l'arrêt du tabagisme. En l'absence de telles règles, une négociation s'installe entre le cortex cérébral (cerveau « intelligent »), et le noyau accumbens (cerveau « automatique »), augmentant la souffrance liée à la sensation de manque de nicotine. Ainsi, en avion, alors qu'il est clairement interdit de fumer, les fumeurs auront moins de difficulté à se passer du tabac qu'à une terrasse de café, où les règles relatives au tabagisme ne sont pas clairement établies.
Pour une femme, il est plus facile d'arrêter de fumer en période menstruelle qu'en deuxième partie de cycle. Il est par ailleurs très difficile d'arrêter de fumer pendant une grossesse.
Les observations révèlent que les femmes ont plus de difficulté que les hommes à réussir un sevrage tabagique sans aide. La crainte de prendre du poids au moment du sevrage est plus importante chez les femmes que chez les hommes, et plus importante chez les femmes françaises que chez les femmes anglaises et américaines.
Les femmes sont par ailleurs plus anxieuses que les hommes à l'arrêt du tabac et davantage sujettes à la dépression. Elles envisagent en outre avec moins de confiance le succès de leur sevrage que les hommes. Bien que moins fumeuses que les hommes, les femmes sont plus nombreuses à demander de l'aide pour arrêter de fumer. Ainsi, elles représentent 60 % des inscrits sur la plate-forme Tabac Info Service .
La comparaison de l'efficacité des substituts nicotiniques à un an selon le sexe révèle qu'ils augmentent de 25 % les chances de succès du sevrage pour les femmes, contre 75 % pour les hommes. Le Bupropion est significativement moins efficace pour les femmes que pour les hommes : il ne produit chez la femme que 78 % de l'effet qu'il produit chez l'homme. Enfin, les effets secondaires des médicaments d'aide au sevrage sont plus importants pour les femmes : 40 % des femmes sous varénicline déclarent des nausées, contre 24 % des hommes.
Il apparaît que le tabagisme de l'épouse a peu d'influence sur la rechute tabagique du conjoint. À l'inverse, les femmes dont le mari fume ont plus de risque de rechute.
Permettez-moi à présent de dire quelques mots de la cigarette électronique. En 2013, 3 % des Français en sont des utilisateurs quotidiens et 1,3 % des utilisateurs exclusifs. Alors qu'en 2012, la cigarette électronique était expérimentée par environ 8 % des douze quinze ans, elle l'est en 2015 par 20 % des garçons et 29 % des filles de cette tranche d'âge.
Cette expérimentation chez les jeunes s'accompagne d'une diminution du tabagisme. En 2015, 80 % des filles de douze à dix-neuf ans sont non-fumeuses, contre 77 % en 2013. La part des usagères exclusives du tabac a beaucoup diminué entre 2013 et 2015, de même que le pourcentage agrégé des fumeuses et des vapoteuses parmi les jeunes filles. La cigarette électronique a participé à dé-normaliser, voire à « ringardiser » le tabac. Chez les garçons, en revanche, la diminution du tabagisme liée à l'arrivée de la cigarette électronique est moins nette.
Nous pouvons retenir que les jeunes femmes fument aujourd'hui comme les garçons. Par ailleurs, la France est le pays d'Europe qui connaît la plus forte proportion de femmes qui fument en fin de grossesse. À tabagisme égal, les femmes ne sont ni plus ni moins sensibles au tabac que les hommes, mais développent des pathologies spécifiques, qui tiennent notamment à l'effet aggravant du tabac sur les cancers du sein et de l'utérus, ainsi qu'aux effets du tabac sur les grossesses. Les médicaments d'aide au sevrage apparaissent moins efficaces pour les femmes que pour les hommes, à l'inverse du conseil et de l'aide psychologique à l'arrêt du tabac.
D'un point de vue politique, il est pour moi incompréhensible que les politiques se mobilisent davantage pour 120 morts de plus sur la route que pour les 5 000 décès supplémentaires de femmes dus au tabac que l'on compte chaque année. Seule l'efficacité du lobby du tabac peut à mon sens l'expliquer.
Il est par ailleurs incompréhensible que le ministre du budget renonce à indexer les taxes sur le prix du tabac de l'année précédente, offrant ainsi, en fonction de la méthode de calcul, un cadeau de 105 à 560 millions d'euros à l'industrie du tabac. Encore une fois, seule l'intensité du lobbying peut expliquer que la représentation nationale ait accepté un tel amendement. Je rappelle d'ailleurs, comme l'a indiqué la Cour des comptes en décembre 2012, que si le tabac rapporte chaque année 15 milliards d'euros de taxes, il coûte 45 milliards d'euros à la société.
Il est enfin incompréhensible que le taux de tabagisme chez les femmes ait baissé de moitié au Royaume-Uni en quarante ans, alors qu'il a presque doublé en France. Seules les différences de politiques peuvent expliquer ce fait. Nous savons en effet que les politiques volontaristes et cohérentes sont remarquablement efficaces pour réduire le tabagisme, en particulier des femmes et des jeunes.
À ce titre, je formulerai dix préconisations :
- mesurer le taux de fumeurs et les décès liés au tabac tous les ans (et non plus tous les cinq ans comme c'est le cas aujourd'hui), et assurer un suivi comparable à celui des décès sur la route ;
- prendre chaque année de nouvelles mesures si le taux de fumeurs ne baisse pas de 5 % à 10 % de sa valeur de l'année précédente ;
- organiser la fin du tabac (et des buralistes) sur vingt ans, comme c'est le cas en Australie et dans les pays du Nord de l'Europe ;
- restreindre chaque année les espaces où l'on peut fumer ;
- supprimer totalement l'exposition des enfants au tabagisme (voiture, parcs, mesures incitatives à la maison) ;
- utiliser chaque année l'arme des taxes si la baisse de la consommation est inférieure à 5 % ;
- créer le « Fonds Tabac » prévu au plan de réduction du tabagisme et y faire verser par les cigarettiers un euro par habitant ;
- faire régner le droit en ce qui concerne la vente au mineur et l'interdiction de fumer, insuffisamment contrôlée ;
- instaurer un voucher délivré par les médecins pour les substituts nicotiniques, analogue au bon de vaccination contre la grippe ;
- respecter l'article 5.3 de la Convention cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT) adoptée en 2003 par les pays membres de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ratifiée en 2004 par la France.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour cet exposé.
J'ai été suspicieuse à l'égard de la cigarette électronique, d'autant plus que l'industrie du tabac cherche actuellement à s'inscrire sur ce secteur. Je craignais que la cigarette électronique ne soit une porte d'entrée vers le tabagisme. Vous soulignez qu'au contraire, elle s'accompagne d'une diminution de la consommation tabagique. Notre rôle de parlementaires ne me semble pas de favoriser la cigarette électronique mais quelle attitude devrions-nous adopter face à ce produit ?
Nous entendons souvent dire que les mesures que nous pourrions prendre contre le tabac seraient frappées d'inefficacité à cause de la contrebande. Il s'agit notamment de l'argument invoqué par les buralistes dans le cadre du débat sur le paquet neutre. Quelle est votre position sur ce point ?
Professeur Bertrand Dautzenberg . - En 2013, j'ai remis un rapport sur la cigarette électronique à Marisol Touraine et je suis actuellement président de la commission AFNOR sur la cigarette électronique, qui rendra le 2 avril 2015 les deux premières normes encadrant les produits associés aux cigarettes électroniques. La qualité de ceux-ci est aujourd'hui bien meilleure qu'elle ne l'était voilà quelques années. Même la cigarette électronique la moins bien fabriquée du monde restera infiniment plus saine qu'une cigarette « bio » ou issue du commerce équitable. Il convient de maintenir une pression pour que la qualité des produits s'améliore encore. Il faut par ailleurs veiller à la pertinence des mesures réglementaires mises en place. L'Union européenne a par exemple imposé un volume maximum de 2 millilitres de e-liquide dans le réservoir des cigarettes électroniques, ce qui est largement inférieur à la consommation quotidienne des gros consommateurs. Ici, la législation est très peu pertinente. À mon sens, la voie réglementaire et les circulaires sont plus adaptées que les lois car elles sont plus souples et plus flexibles.
La cigarette électronique présente l'avantage considérable de permettre un arrêt du tabac sans sevrage, par le plaisir. Cette notion de plaisir poussera certains jeunes à se détourner du tabac pour la cigarette électronique. Celle-ci doit rester attractive pour les fumeurs et il convient de la laisser se développer, tout en surveillant de près ses incidences sur la consommation tabagique. Dans cette perspective, il serait possible d'imposer une surveillance du marché aux fabricants de e-cigarettes pour mieux comprendre les comportements et, par exemple, pointer les arômes les plus vendus aux plus jeunes.
Avec la cigarette électronique, on a observé une baisse de 14,2 % des ventes de cigarettes en deux ans, ainsi qu'un effondrement total des ventes de patchs de nicotine et de varénicline, de l'ordre de 60 %. Il convient de former les médecins à cette nouvelle donne.
En ce qui concerne la contrebande, je signale que les achats de cigarettes hors bureaux de tabac (20 % des cigarettes consommées en France) sont essentiellement des achats transfrontaliers. La véritable contrebande ne représente que 5 % des cigarettes consommées en France, dont la moitié sont des cigarettes classiques. Cette contrebande est en partie organisée par l'industrie du tabac elle-même. Menacée de poursuites judiciaires à ce titre, l'industrie a d'ailleurs accepté de verser chaque année 2,5 milliards d'euros aux pays européens. Seules 2,5 % des cigarettes consommées en France sont donc des cigarettes de contrefaçon et celles-ci ne sont pas plus toxiques que les autres.
L'argument de la contrebande me semble donc peu pertinent. Le véritable problème est le soutien de l'État français à l'égard des buralistes. Je rappelle que trois ministres siègent toujours au congrès des buralistes. Or au congrès des tabacologues, nous n'en comptons aucun.
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Vous nous avez expliqué que c'est en commençant à fumer avant l'âge de vingt ans que les jeunes développent une dépendance à l'égard du tabac. Comment faire pour éviter qu'ils ne basculent dans le tabagisme avant cet âge ? À titre personnel, je suis toujours scandalisée des facilités accordées aux élèves de lycée pour fumer entre les cours. J'entends parler de séjours sportifs ouverts aux jeunes où, toutes les heures, on fait une pause pour les fumeurs.
Par ailleurs, comment expliquer que le fonds sur le tabac n'ait toujours pas été mis en place ? Cela tient-il uniquement à l'influence du lobby ?
Vous nous avez fait part, en introduction, du manque de moyens à disposition des associations de lutte contre le tabac. Comment expliquer qu'aujourd'hui, le lobby du tabac soit plus puissant que le lobby de la santé, ce qui n'a, semble-t-il, pas toujours été le cas ?
Enfin, vous nous indiquez que de nombreuses femmes continuent de fumer pendant leur grossesse. Quelle en est la raison ? Cela tient-il à un défaut d'information de la part du milieu médical ?
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Le rêve de tous les fumeurs de plus de vingt-cinq ans est de devenir non-fumeur. Les adultes fument malgré eux, parce qu'ils sont dépendants. Environ 80 % des adultes fumeurs ont commencé à fumer entre quatorze et dix-sept ans. En entrant dans le tabagisme à cet âge, ils ont développé, dans le cerveau, une dépendance à la nicotine. Le marché du tabac est un marché de l'addiction qui repose sur la dépendance des consommateurs. Les premières cigarettes ne provoquent aucun plaisir, d'où le développement de cigarettes aromatisées ou de la chicha pour rendre les jeunes dépendants.
La prévention du tabagisme est relativement simple auprès des classes de sixième, mais devient très compliquée dès les classes de cinquième et de quatrième, à l'âge où les jeunes basculent dans le tabagisme et où parfois, en interdisant la cigarette, on les incite davantage à fumer. Il est important de confier la prévention à des professionnels, enseignants et professionnels de santé, connaissant bien les adolescents, et de les soutenir. Bien souvent, les adultes sont eux-mêmes fumeurs. Or nous avons pu observer dans les maternités et les services de psychiatrie que l'interdiction de fumer avait profondément modifié le message adressé aux patients.
En ce qui concerne le fonds tabac, si sa mise en place n'est pas simple techniquement, elle reste faisable. En Suisse par exemple, 2 % de taxes sont levées pour alimenter un fonds de prévention du tabagisme.
Mme Vivette Lopez . - Il n'existe donc malheureusement pas de « recette miracle » pour empêcher les adolescents de fumer.
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Il n'est pas efficace d'essayer « d'empêcher » les adolescents de fumer. Les adolescents acceptent bien les règles mais n'acceptent pas qu'on leur impose d'être non-fumeurs. Il convient donc de poser des règles claires, par exemple, interdire de fumer à la maison ou dans la voiture, et bien sûr, supprimer les pauses cigarettes dans les séjours sportifs comme celui dont vous parliez.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - À titre personnel, je suis rassurée par vos propos sur la cigarette électronique. J'étais l'une des premières à m'inquiéter de son développement. Si elle ne constitue pas une porte d'entrée dans le tabac mais au contraire, s'accompagne d'une baisse de la consommation tabagique, nous ne pouvons que nous en féliciter.
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Je me bats constamment pour qu'en France, la cigarette électronique ne soit pas un produit du tabac. L'Association des producteurs français de cigarette électronique exclut d'ailleurs l'industrie du tabac de ses membres. Dans le cadre du travail sur la normalisation, la commission AFNOR devait être une commission incluant des industriels du tabac. Avec l'Institut national de la consommation (INC) et la Direction générale de la Santé (DGS), nous avons fusionné et j'ai pris la présidence de la commission « Cigarettes électroniques et e-liquides ». Nous avons réussi à créer une commission au sein du Comité européen de normalisation (CEN) sans l'industrie du tabac mais il faut rester vigilant.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Au vu de l'intérêt que l'industrie du tabac porte à la cigarette électronique, la situation doit être surveillée de près.
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Tout à fait. À la différence de l'Allemagne ou encore du Royaume-Uni, la France a adopté une position claire à l'égard de l'industrie du tabac, en refusant qu'elle prenne la main sur le marché de la cigarette électronique. Aujourd'hui, les résultats dont nous disposons confirment le bien-fondé de cette position.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour votre apport à notre réflexion.
Professeur Bertrand Dautzenberg . - Merci de m'avoir reçu et écouté.
Thème
Suivi gynécologique des femmes en
situation de précarité
Audition du docteur Bernard Guillon, gynécologue-obstétricien, président fondateur de l'Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF)
(12 mars 2015)
Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Nous poursuivons nos réunions sur le projet de loi relatif à la santé, déposé en premier lieu à l'Assemblée nationale, en recevant le docteur Bernard Guillon, gynécologue, fondateur de l'Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF), qui permet notamment un suivi médical des femmes enceintes en situation de grande précarité.
Je voudrais d'abord vous féliciter d'avoir pris l'initiative de créer cette association et je vous remercie d'avoir pris le temps de venir jusqu'à nous pour témoigner de ses actions.
Je précise que notre délégation a souhaité élargir le champ de ses recherches par rapport aux dispositions du projet de loi concernant spécifiquement les femmes en travaillant sur l'ensemble des questions de santé qui peuvent affecter les femmes aujourd'hui.
Dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, nous avons déjà tenu une table ronde sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) particulièrement intéressante. Nous avons également eu des réunions sur le thème du VIH, sur les risques environnementaux et sur les avancées actuelles en matière de contraception.
Votre intervention complétera donc très utilement les travaux que nous avons déjà conduits sur ce projet de loi et nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt.
Docteur, vous avez la parole, puis nous vous poserons quelques questions.
Docteur Bernard Guillon, gynécologue-obstétricien, président fondateur de l'Association pour le développement de la santé des femmes (ADSF ). - Je suis très heureux d'avoir l'opportunité d'apporter ma contribution aux travaux de votre délégation.
En matière de santé des femmes, la question de la précarité est une question particulière. En situation de précarité, la discrimination dans l'accès aux soins est très marquée, particulièrement à l'égard des femmes et ce, même en France. Un rapport de l'Institut national de veille sanitaire (InVS) publié en 2009 révélait ainsi que, par rapport à la population globale, l'accès aux soins des hommes en précarité était cinq fois moindre et celui des femmes en précarité, neuf fois moindre. Cette discrimination supplémentaire à l'égard des femmes s'explique par les caractéristiques mêmes de la précarité.
Dans son rapport au Conseil économique et social de 1987, Joseph Wresinski définissait la précarité comme « l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes d'assurer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux ». Cette définition très vaste recouvre de nombreuses situations. Il existe en effet différents types de précarité. La précarité dans les cités minières du nord de la France n'est pas celle que l'on rencontre dans les petits villages de l'Ardèche. De même, la précarité des migrants que nous retrouvons dans les hôtels sociaux ne suit pas les mêmes logiques que celle des populations Rom dans les bidonvilles. Les dynamiques et les structures sociales diffèrent, ainsi que les réponses des femmes à leurs problèmes de santé.
Au-delà de l'exclusion économique et de l'absence de reconnaissance de droits, la précarité s'accompagne bien souvent d'une rupture du lien social, un facteur essentiel de la perte d'accès aux soins. Dans une étude que nous avons réalisée en 2005 pour la Direction générale de la santé sur les femmes en grande précarité, nous avons mis en évidence une corrélation négative entre la rupture du lien social et le niveau de santé. Cette exclusion sociale se répercute par ailleurs directement sur la perception qu'ont les personnes de leur propre santé.
La précarité se traduit, entre autres conséquences, en une morbi-mortalité supérieure à celle de la population générale, pour les hommes comme pour les femmes. Cependant, cet écart est encore plus important pour ces dernières.
Lorsque j'ai commencé à défendre l'idée, auprès de mes confrères de Médecins sans Frontières ou de représentants d'autres organisations non gouvernementales, d'une prise en charge spécifique des femmes en situation de grande précarité, je me suis souvent entendu dire que dans la précarité, les femmes étaient « des hommes comme les autres ». Or, tel n'est pas le cas, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les femmes assument la reproduction, qui affecte de multiples manières leur santé, qu'il s'agisse de la contraception, de l'IVG, du suivi des grossesses, de l'accouchement ou du post-partum. Par ailleurs, la position des femmes dans la société les rend plus vulnérables que les hommes dans la précarité. Je pense en particulier aux violences, auxquelles les femmes sont beaucoup plus exposées que les hommes.
Lors des premières consultations gynécologiques que nous avons mises en place au Samu social en 2002, il ne semblait pas utile ou nécessaire à mes confrères de mettre en place une prise en charge spécifique des femmes. Les soins gynécologiques étaient en effet considérés comme des soins « de luxe » pour les femmes en grande précarité. Avec beaucoup d'efforts, nous avons fini par les convaincre de la nécessité d'une prise en charge spécifique de ces aspects de la santé des femmes en grande détresse.
L'étude qualitative que nous avons menée en 2005, pour laquelle nous avons interviewé cinquante femmes rencontrées dans nos consultations et dans les centres d'hébergement du Samu social, nous a permis de mettre en évidence un éloignement progressif des soins en fonction de la désocialisation. Les femmes qui sont dans la rue depuis peu de temps gardent un lien avec leur santé et conservent des attitudes préventives. Au fur et à mesure de l'accroissement de la détresse et de la rupture du lien social, elles abandonnent cette attitude préventive et n'ont plus qu'un recours curatif aux soins, uniquement en cas de pathologie. Enfin, les femmes ayant vécu de nombreuses années dans la rue, souvent alcoolisées, finissent par ne même plus réagir à leurs propres pathologies. Lorsque nous allons à la rencontre de ces femmes, il nous faut longuement discuter avec elles pour les amener progressivement à reprendre conscience de leur corps et de leur valeur avant même d'envisager une consultation. La précarité s'accompagne en effet d'une perte de l'image de soi.
La population sur laquelle portait cette étude, celle des femmes dans la rue, ne représente finalement que la part visible de la précarité. L'essentiel de la précarité touche en effet des personnes encore quelque peu intégrées, à la limite des minima sociaux. Ces personnes rencontreront des difficultés d'accès aux soins pour des raisons économiques car elles n'ont pas droit à la couverture maladie universelle (CMU). Les femmes sont, encore une fois, les plus vulnérables dans ces situations, notamment parce qu'elles sont plus souvent seules à prendre soin de leurs enfants. Nous observons d'ailleurs que les femmes renonceront généralement à leurs propres soins avant de renoncer aux soins pour leurs enfants.
En matière de santé reproductive, la précarité se manifeste par des grossesses plus compliquées, par un nombre plus important d'IVG et d'accouchements sous X, mais également par un risque majoré de pathologies hypertensives, de prématurité ou encore de retard de croissance. Il s'agit finalement de l'ensemble des conséquences du défaut de suivi des grossesses. Pour éviter les complications de la grossesse, nous menons, à Paris et à Lille, une activité d'accompagnement des femmes enceintes en grande précarité. Notre activité porte également sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses non désirées, ainsi que sur le dépistage des cancers. Nous travaillons enfin à améliorer l'accès à l'IVG des femmes en situation de précarité. Dans ce cadre, nous rencontrons de grandes difficultés pour identifier des référents afin d'orienter ces femmes, même en région parisienne où l'offre de soins est pourtant la plus concentrée.
L'une des principales difficultés que rencontrent ces femmes dans l'accès aux soins tient au fait que l'offre de soins n'est pas adaptée à la précarité. C'est, en particulier une question d'horaires : dans les bidonvilles par exemple, quelques services de la Protection maternelle et infantile (PMI), de très bonne volonté, proposent des soins entre 9 heures et 12 heures, puis entre 14 heures et 17 heures. Or, à ces heures-là, les patientes ne sont pas dans leur lieu d'hébergement. Lorsque l'on parvient à prévoir des rendez-vous, souvent loin des lieux d'hébergement, les femmes sont confrontées à des difficultés de déplacement pour s'y rendre. Enfin, les situations de grande précarité, la désocialisation et le chômage s'accompagnent souvent d'une déstructuration du rapport au temps. Les patientes se présentent ainsi rarement à l'heure aux rendez-vous. L'offre de soins doit donc s'adapter pour ne pas avoir à refuser à des femmes des consultations dont elles ont besoin. Dans cette perspective, nous avons choisi de proposer des consultations ouvertes, sans rendez-vous.
La systématisation du tiers payant ne suffit pas à lever l'obstacle financier à l'accès aux soins. Cet obstacle est partiellement levé par la CMU, mais uniquement pour les personnes allocataires des minima sociaux. C'est le cas des populations que nous rencontrons dans les centres d'hébergement, dans les hôtels sociaux, les squats ou les bidonvilles. Pour ces personnes, la difficulté tient essentiellement aux aspects administratifs de l'obtention de la CMU, qui nécessitent un accompagnement de travailleurs sociaux qui soit aussi souple que celui que nous proposons dans le cadre de nos consultations. Le rôle des associations et des bénévoles est ici essentiel.
Pour autant, dans un État tel que le nôtre, il est étonnant que l'offre de santé institutionnalisée ne soit pas à même de répondre aux besoins des populations précaires et que leur accès aux soins requière l'action des associations. Une enquête réalisée en 2003 sur les maternités en région parisienne soulignait qu'environ 1 500 femmes accouchaient alors chaque année sans jamais avoir bénéficié de suivi durant leur grossesse. Nous avons alors alerté la PMI, en lui proposant l'appui de nos équipes mobiles. Celle-ci a décliné cette proposition, convaincue qu'il s'agissait de son travail et qu'elle s'en chargeait très bien. Malgré toute la bonne volonté des services institutionnels, force est de constater que les résultats ne sont pas satisfaisants. La raison en est simple : l'offre de soins institutionnalisée n'est pas adaptée aux besoins particuliers des populations en situation de précarité.
Nous relevons par ailleurs des obstacles psychologiques à l'accès aux soins. De nombreuses migrantes en situation irrégulière n'osent pas se faire soigner, de peur d'être repérées et stigmatisées. Dans ce contexte, elles hésiteront à rencontrer les institutions et préféreront se tourner vers les associations.
L'ADSF propose des consultations dans des centres d'hébergement d'urgence du Samu social à Paris et à Lille et dispose d'équipes mobiles, pour aller au plus près des femmes. En effet, même si l'offre de soins fixe est ouverte, elle ne suffit pas à améliorer la santé des femmes en grande précarité qui souvent ne se déplacent pas pour aller en consultation. Les raisons en sont diverses : économiques, pratiques - je parlais des horaires à l'instant - et également psychologiques.
Pour améliorer l'accès aux soins, il est important de favoriser l'autonomie des femmes. L'une des particularités des femmes en situation de précarité tient en effet à la dépendance affective, que l'on peut constater en particulier dans les situations de violence. La vulnérabilité liée à la précarité fait que les femmes ont tendance à se raccrocher à des partenaires dont certains exerceront des violences. Or la violence a des conséquences sur la santé. Au-delà de ses effets psychologiques et physiques directs, elle atteint profondément le métabolisme et l'organisme. Pour les médecins, ces conséquences peuvent d'ailleurs permettre de détecter les violences faites aux femmes. Lorsque nous rencontrons certaines pathologies, il est donc important de penser à demander aux patientes si elles ont déjà été victimes d'une agression, physique, sexuelle ou morale.
Comme l'a déclaré une intervenante lors d'une réunion à laquelle j'ai participé, les femmes ne sont pas que des « ventres féconds ». La santé des femmes et le besoin de prise en charge ne se limitent pas aux questions de santé sexuelle et reproductive, comme l'illustre la problématique des violences, en lien avec la place des femmes dans la société.
Toutefois, la prise en charge des femmes victimes de violence est encore plus difficile dans la précarité. En effet, les femmes peuvent être réticentes à parler des violences qu'elles subissent lorsque celles-ci sont le fait d'un compagnon qui, souvent, représente leur « planche de survie », leur unique moyen de se réinsérer et de conserver un semblant de vie normale, dans un contexte difficile. Cette « normalité » est bien entendu un leurre, car de telles relations détruisent ces femmes encore davantage.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie pour cette présentation. Je suis certaine que mes collègues ont des questions à vous poser.
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Nous percevons bien à travers votre exposé qu'en matière d'accès aux soins, outre la précarité visible qui est celle des femmes dans la rue, il existe une précarité « cachée », qui touche les personnes dont les revenus ne permettent pas de se soigner. Comment déceler ces situations ?
Par ailleurs, en tant qu'homme gynécologue-obstétricien, rencontrez-vous sur le terrain des difficultés à soigner certaines femmes issues de populations étrangères, qui peuvent être réticentes, pour des raisons culturelles peut-être, à se faire examiner ?
Docteur Bernard Guillon . - Je répondrai d'abord à votre deuxième question. J'ai travaillé à plusieurs reprises dans des pays d'Afrique et du Moyen-Orient, dans le cadre de missions humanitaires. Dans ces pays, les gynécologues sont généralement des hommes.
Je ne rencontre aucune difficulté particulière dans ma pratique quotidienne à ce niveau, y compris auprès des femmes migrantes. Lorsqu'une personne a besoin de soins, elle passe assez facilement au-delà de la pudeur. Le rapport au corps est néanmoins différent selon les cultures et il faut savoir adapter la manière dont nous examinons les patientes.
Mme Annick Billon, co-rapporteure . - Je pensais au poids que peuvent exercer la religion, l'éducation ou encore le conjoint.
Docteur Bernard Guillon . - Les difficultés, lorsqu'elles existent, proviennent effectivement du conjoint et non des femmes elles-mêmes. Ces difficultés ne concernent néanmoins que certaines régions du monde fortement touchées par l'intégrisme religieux, qui par ailleurs, ne se limite pas à l'intégrisme islamique.
Pour répondre à votre première question, je dirais qu'au-delà de la précarité économique, il existe une précarité affective, qui concerne notamment les femmes victimes de violences, que leurs compagnons isolent de toute relation sociale. Or comme nous l'avons vu, il existe une corrélation directe entre cette perte du lien social et l'état de santé.
Il est très difficile de repérer ces personnes qui souvent, par pudeur face à leurs difficultés affectives ou financières, n'iront pas spontanément se présenter en consultation. Il est nécessaire de sensibiliser l'ensemble des professionnels de santé et des travailleurs sociaux à la question de la précarité. Dans cette perspective, j'enseigne par exemple à Lille dans le cadre du diplôme universitaire « Santé-précarité ».
Il convient également de prévoir des structures de proximité qui soient accueillantes, souples et ouvertes. À cet égard, je m'inquiète depuis longtemps des fermetures des petites maternités, qui éloignent l'offre de soins et la rendent inaccessible aux personnes qui ne peuvent se déplacer facilement. Si les raisons économiques qui poussent à ces fermetures sont légitimes, il est important d'en mesurer les conséquences pour les personnes en situation précaire et de prévoir des solutions alternatives.
Mme Michelle Meunier . - Vous avez abordé la problématique de l'accouchement sous X. En tant que membre du Haut Conseil de la Famille, je sais que le profil type des femmes concernées n'est pas forcément celui que l'on attend. Il s'agit souvent de femmes insérées, étudiantes ou mères de famille. Sur quelles données vous appuyez-vous lorsque vous indiquez que les femmes en situation précaire sont particulièrement concernées par l'accouchement sous X ?
Certaines femmes, vous l'avez dit, viennent consulter d'abord pour leur enfant. Un bon praticien pourra alors profiter de cette consultation pour aborder la santé de la femme elle-même. Ainsi, la relation à l'enfant est parfois protectrice pour la santé de sa mère.
Docteur Bernard Guillon . - D'après les quelques études disponibles sur la question, l'accouchement sous X, relativement peu fréquent en France, est, en proportion, davantage le fait de femmes en situation précaire.
Je partage entièrement vos propos sur la relation à l'enfant. Un chapitre de notre rapport de 2005 portait justement sur le rôle de l'enfant comme vecteur d'insertion, notamment à travers la symbolique de la famille qui renvoie à une certaine « normalité ». Nous rencontrons parfois des femmes qui ont connu des parcours difficiles, issues de familles déstructurées, et qui, avec leur enfant, essayent de recréer la structure familiale dont elles rêvent. L'enfant est alors au centre d'un projet de reconstruction personnelle.
Mme Maryvonne Blondin . - Je préside une commission locale de lutte contre l'exclusion. Dans ce cadre, nous sommes souvent confrontés aux problématiques d'attribution de la CMU. Bien souvent, les travailleurs sociaux établissent les documents nécessaires, mais nous constatons un blocage au niveau de la Sécurité sociale. Vous évoquiez une certaine rigidité des travailleurs sociaux par rapport aux acteurs associatifs. Pouvez-vous être plus précis ?
Vous avez par ailleurs souligné le manque de structures d'accueil de proximité. Avez-vous connaissance de personnes qui ont été ou risquent d'être en situation d'accoucher dans la rue ?
Enfin, vous nous avez fait part de votre action à l'international. Travaillez-vous en lien avec l'action extérieure menée par les collectivités territoriales ? Dans leurs plans d'action figure un volet relatif à la santé et au suivi des grossesses et des actions sont menées en lien avec des professeurs de CHU français.
Docteur Bernard Guillon . - Les difficultés liées aux travailleurs sociaux que j'évoquais se rapportent davantage à la question des horaires d'ouverture qu'à celle de l'attribution de la CMU en elle-même. Souvent, les femmes n'ont pas les moyens de rencontrer les assistants sociaux pendant la journée, aux horaires de travail. À titre d'exemple, le Samu social a récemment mis en place un bus itinérant pour rencontrer les migrants hébergés dans les hôtels sociaux. Or, comme cette prestation fonctionne de 9 heures à 17 heures, ils ne peuvent rencontrer l'ensemble des personnes qui en ont besoin car elles sont parfois absentes de leur lieu d'hébergement à ces heures-là. Nous les rencontrons nous-mêmes, entre 17 heures et 22 heures.
Le dispositif de la CMU peut certes être amélioré en termes de délais. Il peut aussi être simplifié pour mieux s'adapter à ces populations en situation précaire. Toutefois, globalement, il s'agit d'un bel outil, qui fonctionne bien.
Chaque année, 80 à 90 femmes accouchent dans la rue. Pour réduire ce nombre, il faudrait investir des sommes considérables. À mon sens, le principal enjeu est d'améliorer le suivi des grossesses pour réduire la morbi-mortalité et les pathologies associées à la grossesse, sachant qu'en région parisienne, environ 1 200 femmes accouchent chaque année sans avoir bénéficié d'aucun suivi.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Vous avez indiqué que dans la précarité, l'accès aux soins des femmes était moindre que celui des hommes. Cet écart est-il principalement lié aux situations de violences que vous évoquiez ?
Docteur Bernard Guillon . - L'écart entre les hommes et les femmes dans l'accès aux soins tient à plusieurs causes. Les violences jouent effectivement un rôle, bien qu'il soit difficile de le mesurer en raison de l'absence de données sur la question.
De manière générale, lorsque les ressources économiques d'une famille sont limitées, les femmes privilégieront la santé de leurs enfants et bien souvent, les conjoints passeront également avant elles.
Il existe également des raisons d'ordre psychologique à cet écart. La dégradation de l'image de soi qui résulte de la précarité est plus importante pour les femmes que pour les hommes. Il est plus difficile pour elles d'aller vers les autres et de se présenter en consultation lorsque leur image ne correspond pas à ce qu'elles souhaitent. Dans les consultations que j'ai organisées dans les centres d'hébergement du Samu social, j'ai souhaité qu'à titre exceptionnel que seules des femmes pratiquent les consultations. Les femmes que nous rencontrons ont souvent plus de facilité à s'identifier à une femme. Or cette identification est déjà une étape vers la reconstruction.
La précarité perturbe totalement le rapport à soi et à son corps. Dans ce contexte, nous constatons que les femmes attachent plus d'importance que les hommes aux soins corporels. Sur ce sujet, nous avons travaillé quelque temps avec le salon de beauté solidaire « Joséphine », qui propose des soins socio-esthétiques. Peu d'hommes sont demandeurs de ce genre de soins.
Mme Maryvonne Blondin . - Comptez-vous beaucoup de confrères qui, comme vous, s'occupent de la santé des femmes en situation précaire ?
Docteur Bernard Guillon . - Nous rencontrons des problèmes de recrutement. Dans le cadre d'un projet mené en collaboration avec Médecins du Monde, nous avons souhaité proposer une consultation gynécologique dans un bus itinérant accompagnant des personnes prostituées dans la région de Montpellier. Nous ne sommes pas parvenus à trouver des bénévoles pour mener à bien ce projet.
Un travail de sensibilisation des professionnels de santé doit être mené, par exemple, dans les facultés de médecine et dans les écoles de sages-femmes.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Êtes-vous, vous-même, bénévole ?
Docteur Bernard Guillon . - Je suis bénévole à l'ADSF et je gagne ma vie en faisant des remplacements à travers la France et à l'étranger, depuis maintenant vingt-cinq ans.
Mme Chantal Jouanno, présidente . - Merci beaucoup pour votre témoignage.
* 67 Ces auditions étaient ouvertes à l'ensemble des membres de la commission des Affaires sociales.