II. LA SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE : CONSOLIDER LES ACQUIS
A. CONTRACEPTION : VERS UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE SANTÉ SEXUELLE QUI PRENNE EN COMPTE L'ACCÈS À LA CONTRACEPTION, AU DÉPISTAGE ET AUX SOINS
1. L'article 3 du projet de loi et l'administration de contraceptifs d'urgence dans les établissements du second degré
Dans sa rédaction actuelle, issue de l'article 1 er de la loi n° 2000-1209 du 13 décembre 2000 relative à la contraception d'urgence et de l'article 24 de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, l'article L. 5134-1 du code de la santé publique autorise les infirmiers des établissements du second degré à administrer aux élèves mineures et majeures une contraception d'urgence mais sous plusieurs réserves : « si un médecin, une sage-femme ou un centre de planification ou d'éducation familiale n'est pas immédiatement accessible », « à titre exceptionnel » et en cas de « détresse caractérisée ».
L'article 3 du projet de loi supprime la double condition :
- qu'un médecin, une sage-femme ou un centre de planification ou d'éducation familiale ne soit pas immédiatement accessible ;
- et de situation de détresse caractérisée.
Il s'agit d'une mesure de prévention des grossesses non désirées ainsi que des interruptions volontaires de grossesses qui s'inscrit dans un mouvement législatif visant à faciliter la maîtrise par les jeunes femmes de leur fécondité et dont les principales dispositions sont :
- l'article 52 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, instituant la gratuité de la contraception pour les assurées mineures de plus de 15 ans et la garantie de secret ;
- l'article 55 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 mettant en place le tiers-payant pour les consultations et examens préalables à la contraception chez les mineures d'au moins 16 ans.
En première lecture, les députés ont, à l'article 3 du projet de loi :
- complété l'intitulé de la deuxième partie du code de la santé publique afin d'y reprendre la formule complète préconisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : « Santé sexuelle et reproductive », terme soulignant l'importance, en matière de promotion de la santé maternelle et infantile, de la continuité des questions de santé dans le domaine de la sexualité et dans celui de la reproduction ;
- favorisé la complémentarité de l'intervention des infirmiers scolaires avec celle des centres de planification et d'éducation familiales en prévoyant, à l'article L. 5134-1 du code de la santé publique, que lorsque les infirmiers « s'assurent de l'accompagnement psychologique de l'élève et veillent à la mise en oeuvre d'un suivi médical », ils peuvent exercer cette responsabilité « notamment en orientant l'élève vers un centre de planification ou d'éducation familiale ».
La délégation adhère à ces initiatives : la distribution d'une contraception d'urgence en milieu scolaire peut éviter la détérioration de situations qui pourraient s'avérer catastrophiques. En ce sens, la délégation y est favorable.
Cependant, comme l'a souligné Véronique Séhier, co-présidente du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) lors de la table ronde du 15 janvier 2015, ce dispositif n'apporte pas toutes les réponses aux questions que pose l'accès à la contraception des très jeunes femmes, et plus particulièrement :
- des élèves non scolarisées ;
- des jeunes femmes de 18 à 25 ans , qui n'ont pas accès à la contraception en centres de planification, réservée aux mineures, et qui ont bien souvent du mal à se la procurer.
La co-présidente du MFPF a également exprimé des doutes sur la restriction de la distribution en milieu scolaire à la seule contraception d'urgence : « Il convient de réfléchir aux modalités d'accès en dehors du milieu scolaire, en impliquant des professionnels formés et bénévoles : centres de planification, sages-femmes mais aussi médecins en réseaux qui pourraient, comme dans certains départements, distribuer la contraception selon les mêmes modalités que les centres de planification ».
Dans cette logique, la délégation considère qu'il peut être envisagé d'étendre aux médecins la possibilité de distribuer gratuitement une contraception à leurs patientes.
Elle formulera une recommandation dans ce sens.
2. La nécessaire formation des professionnels à la diversité des méthodes contraceptives actuellement disponibles
La professeure Nathalie Chabbert-Buffet, gynécologue-obstétricienne, spécialiste en médecine de la reproduction à l'hôpital Tenon, entendue par les co-rapporteures le 18 février 2015, a jugé parfois insuffisante la formation des médecins , y compris des gynécologues, à l'évolution des solutions contraceptives dont elle a présenté un panorama complet.
Elle a exposé les avantages et les inconvénients des méthodes hormonales qui s'administrent par voie orale et par voie extra-digestive (patch, implant, dispositif intra-utérin et injections intramusculaires, notamment) 47 ( * ) .
Elle a également évoqué les orientations de la recherche actuelle s'agissant de la « contraception du futur » : stérilets mis en place pour une longue durée (de sept, voire dix ans), dispositifs compatibles avec l'allaitement, nouveaux implants et contraceptifs injectables en auto-injection, évolution vers une « contraception à la demande »...
La professeure Nathalie Chabbert-Buffet a par ailleurs mentionné que 600 à 800 médecins généralistes étaient formés chaque année à la gynécologie médicale, parallèlement à la disparition progressive des gynécologues non obstétriciens.
Pour illustrer l'importance de cette formation relative aux méthodes contraceptives, elle a fait observer que si le stérilet était désormais adapté à la morphologie des femmes n'ayant jamais eu d'enfant, le poser sur ces femmes constituait un acte médical plus complexe auquel il convenait de former les professionnels concernés.
C'est pourquoi la recommandation de la délégation sur la possibilité d'une distribution gratuite de moyens contraceptifs par les médecins doit être envisagée à l'aune de la généralisation d'une formation approfondie à l'ensemble des méthodes contraceptives susceptibles d'être proposées aux femmes.
3. Pour une meilleure information des mineures en matière de contraception
Lors de la table ronde du 15 janvier 2015, Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF), a attiré l'attention de la délégation sur la prévention des IST et la contraception des mineures : « Les jeunes femmes craignent le sida, mais relativement peu la grossesse. Or, il existe d'autres risques, comme les chlamydiae qui causent d'importants dommages aux trompes et génèrent des risques pour la fertilité de la patiente. » Le docteur Philippe Lefebvre est allé dans le même sens, regrettant que « dans certains cas, le dépistage des infections sexuellement transmissibles n'est pas assuré. Nous faisons de l'antibioprophylaxie à l'aveugle, faute de prise en charge du dépistage des IST ».
La délégation s'est déjà prononcée à ce sujet : il est important qu'une véritable politique de santé sexuelle et reproductive soit mise en place à destination des mineures , qui leur permette un accès à la contraception, au dépistage et aux soins.
Concernant la prescription de moyens contraceptifs aux mineures, la professeure Nathalie Chabbert-Buffet a insisté sur les garanties de confidentialité dont devaient être assorties ces consultations.
La délégation est convaincue de la nécessité d'assurer aux jeunes l'information la plus complète possible en matière de contraception et de leur permettre de poser les questions qu'ils souhaitent dans ce domaine au cours d'une consultation spécifique.
Or les parents et la famille ne sont pas nécessairement les mieux placés pour aborder ce type de sujet.
C'est pourquoi la délégation est d'avis d'organiser une consultation gratuite, avec une sage-femme ou un médecin , pour informer les mineures sur la contraception, dans des conditions leur garantissant la plus totale discrétion.
Elle formulera une recommandation dans ce sens.
4. Améliorer la sensibilisation des jeunes, en milieu scolaire, aux questions de santé sexuelle
Comme la délégation l'a déjà souligné dans un précédent rapport d'information intitulé Prostitution : la plus vieille violence du monde faite aux femmes 48 ( * ) , publié dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, la sensibilisation des jeunes - femmes et hommes - aux questions de santé sexuelle est essentielle.
L'article L. 312-16 du code de l'éducation prévoit qu'une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogènes » .
Dans un esprit comparable, l'article L. 312-17-1 du code de l'éducation met en place une « information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Si ces séances ne portent pas stricto sensu sur la santé sexuelle, dans la réalité ces deux séries de modules (l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité) relèvent de la même section du code de l'éducation, intitulée L'éducation à la santé et à la sexualité 49 ( * ) .
Ces séances peuvent associer des personnels contribuant à la mission de santé scolaire ou toute autre personne qualifiée d'un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, d'un centre de planification ou d'éducation familiale, d'un service social ou d'un autre organisme agréé ainsi que d'autres intervenants extérieurs.
Entendus le 15 janvier 2015, les responsables du Planning familial ont regretté que les trois séances annuelles prescrites par la loi se limitent le plus souvent à une séance au cours de la scolarité, généralement en classe de quatrième ou de troisième.
S'agissant des moyens affectés à l'éducation à la sexualité, les responsables du Planning familial entendues le 25 mars 2014 en vue de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel ont cité en exemple les initiatives mises en oeuvre dans la région Nord-Pas-de-Calais pour organiser des sessions d'éducation à la sexualité à raison de trois séances de deux heures destinées aux élèves de la même classe. Elles ont également évoqué les financements reçus des agences régionales de santé dans certaines régions.
La délégation souhaite, en cohérence avec ces précédents travaux :
- que l'organisation des séances d'éducation à la sexualité et d'information consacrée à l'égalité prévues par le code de l'éducation soit inscrite sur les lettres de mission des chefs d'établissement, et que les moyens nécessaires leur soient attribués à cet effet ;
- que ces séances fassent l'objet d'un suivi.
5. Un apport de l'Assemblée nationale à soutenir : le droit de toute personne d'être informée sur les méthodes contraceptives et de voir sa liberté de choix préservée
L'article 3 bis , inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale, prévoit, à l'article L. 5134-1 du code de la santé publique, que « Toute personne a le droit d'être informée sur les méthodes contraceptives et d'en choisir une librement ».
Cette information « incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Il est précisé que seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. »
L'exigence d'information posée par les députés correspond aux nécessités exposées par la professeure Nathalie Chabbert-Buffet, gynécologue-obstétricienne, spécialiste en médecine de la reproduction à l'hôpital Tenon, entendue par les rapporteures le 18 février 2015.
Selon la professeure Chabbert-Buffet, la diversité des méthodes contraceptives susceptibles d'être proposées aujourd'hui et la nécessité d'une information claire de la patiente supposent que le professionnel consacre le temps nécessaire au dialogue avec la femme au cours de la première consultation . L'objectif est le libre choix par les femmes de la méthode leur convenant le mieux .
Comme l'a souligné la professeure Nathalie Chabbert-Buffet, le professionnel doit, au cours de ce premier entretien :
- expliquer précisément les modalités d'utilisation de la méthode retenue, sans oublier d'indiquer la conduite à tenir dans certaines situations (oubli...) ainsi que les modalités pratiques de recours à une contraception de rattrapage ;
- organiser les visites de suivi destinées à évaluer l'adéquation de la méthode et l'observance de celle-ci, à apporter d'éventuels compléments d'information et à aider le cas échéant la patiente à choisir une autre méthode.
La professeure Nathalie Chabbert-Buffet a également rappelé les risques susceptibles de résulter de certains contraceptifs, qu'il s'agisse des risques de thrombose imputables à certaines pilules ou des anomalies du fonctionnement hépatique et des méningiomes liés à l'utilisation de progestatifs pendant plus de dix ans. Elle a également évoqué l'éventuelle prise de poids (de l'ordre de cinq kilos) liée à la contraception hormonale.
Elle a par ailleurs relevé les bénéfices non contraceptifs induits par certaines méthodes, qu'il s'agisse de l'amélioration de la qualité de la vie (en cas notamment de ménorragie), de la diminution du risque de certains cancers (ovaires, colon et endomètre) et de la protection antirétrovirale et anti-infectieuse associée aux préservatifs.
Pour la délégation, la liberté des femmes de maîtriser leur fécondité va de pair avec leur consentement libre et éclairé, ce qui suppose une véritable éducation thérapeutique du patient.
Le dispositif du nouvel article 3 bis s'inscrit pleinement dans cet esprit et la délégation souhaite qu'il soit adopté en l'état par le Sénat.
Elle formulera une recommandation dans ce sens.
* 47 Voir en annexe le compte rendu de son intervention.
* 48 Rapport d'information n° 590 (2013-2014) du 5 juin 2014- par Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
* 49 Comme le faisait observer la directrice générale de l'enseignement scolaire, entendue le 21 mai 2014 lors de l'examen de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, ces deux réseaux (sexualité et égalité) permettent d'accéder à la thématique de la sexualité par des logiques différentes et complémentaires.