B. LES AIRES DE GRAND PASSAGE (AGP)
La « loi Besson » dispose, dans son article 4, que les aires de grand passage « sont destinées à répondre aux besoins de déplacement des gens du voyage en grands groupes à l'occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, avant et après ces rassemblements ». Or, si de telles aires sont inscrites dans 48 schémas départementaux, pour 350 aires, leur taux de réalisation est encore plus décevant que celui des aires permanentes d'accueil : ces dernières le sont à 52 %, alors que les aires de grand passage le sont à 29,4 %, avec 103 aires 18 ( * ) .
Ces aires doivent être conçues accueillir de 150 à 200 caravanes, sur une surface d'au moins 4 hectares (circulaire d'application de la loi), avec l'obligation de garantir le seul accès à l'eau, et non à l'électricité. Un dispositif de ramassage des ordures doit être fourni lors de leur occupation.
Prévues pour un séjour plus court que les aires d'accueil (quelques jours à quelques semaines), elles peuvent être situées en périphérie des agglomérations. La durée de séjour plus courte que sur les aires d'accueil entraîne de moindres contraintes en matière de localisation et de services.
Pour faciliter leur création, la loi de finances pour 2008 prévoit que l'État peut en assurer la maîtrise d'ouvrage. Cependant, leur nombre reste très inférieur aux besoins. Cette difficulté a été à plusieurs reprises soulignée par les parlementaires 19 ( * ) .
Les réponses gouvernementales aux deux questions sénatoriales annexées apportent peu d'éléments nouveaux, hormis la confirmation que la « loi Besson » comporte, pour les collectivités territoriales, des obligations en matière de création et d'entretien des aires de grand passage, « par la combinaison entre ses articles 1 et 4 », et confirme la perspective de « transférer aux communautés de communes ou d'agglomérations les compétences en matière d'aires d'accueil et de grand passage ». Ce transfert est effectivement prévu par les articles 18 à 20 du projet de loi NOTRe, en cours de discussion au Parlement.
Les difficultés évoquées dans la question du sénateur Bockel portent sur la situation spécifique du Haut-Rhin . Le préfet de ce département a précisé aux rapporteurs que le schéma départemental révisé prévoit deux aires de grand passage, qui n'ont pas été créées à ce jour.
Pour faire face à l'afflux des gens du voyage qui se rendent tous les ans à un grand rassemblement dans l'Est de la France, les préfets successifs réquisitionnent deux terrains : l'un, au nord du département, dans l'agglomération de Mulhouse, et l'autre au sud, un terrain militaire dans l'agglomération de Colmar, d'une surface respective de 9 et 10 hectares.
En 2015, la réquisition de ces terrains, ouverts de mi-mai à fin septembre, a été préparée par une concertation entre les services de la préfecture, l'association départementale des maires, et le syndicat départemental d'électricité 20 ( * ) .
Le conseil départemental rémunère, pour sa part, durant les mois de mai à septembre, un médiateur auquel les pasteurs qui organisent ces déplacements communiquent leur trajet et leur calendrier.
Cette préparation conjointe laisse subsister plusieurs difficultés notables, tant du point de vue des collectivités territoriales que de celui des gens du voyage :
- les populations des communes riveraines des terrains réquisitionnés sont généralement hostiles à la présence, en grand nombre, de gens du voyage. Les intercommunalités, auxquelles a d'ores et déjà été transférée la compétence de l'accueil des gens du voyage, doivent assurer la fourniture de l'eau, de l'électricité, et la gestion des déchets, financées par des redevances versées par les gens du voyage. Ces services sont inclus dans l'arrêté de réquisition. Or, peu d'intercommunalités mettent en place un système efficace de collecte de ces redevances ;
- les gens du voyage ne respectent pas toujours le calendrier prévisionnel de leurs arrivées. Ils l'expliquent par la saturation des aires de grand passage existantes, qui les contraint à modifier le trajet et la durée de leurs migrations. On a ainsi cité à vos rapporteurs le cas d'un groupe expulsé d'un terrain près de Châteauroux par la force publique, à cause de cette saturation, qui l'a forcé à un stationnement illicite. Il est arrivé de ce fait à Poitiers à une date plus précoce que celle programmée.
Les gens du voyage font également valoir que les motifs de conflit récurrents en matière d'aires de grand passage tiennent à leur surface, souvent sous-dimensionnée au regard des besoins, et à l'absence de fourniture d'électricité (qui n'est pas une obligation pour les collectivités territoriales).
La création d'aires de grand passage, ainsi que la qualité de leur gestion, sont très diverses selon les départements. Cette diversité a de multiples facteurs : volontarisme plus ou moins grand des services préfectoraux et départementaux, forte densité de population qui laisse peu de terrains disponibles, tolérance variable à l'égard des gens du voyage, comportements inappropriés de certains d'entre eux,...
Le caractère récurrent de leur venue, une fois par an durant l'été, et l'importance des groupes - composés parfois de centaines de caravanes - peut entraîner une cohabitation plus difficile que dans le cas d'aires permanentes d'accueil.
Ces éléments concourent sans doute au faible taux de création des aires de grand passage dans certains départements.
Cependant, le manque d'aires de grand passage engendre le ressentiment des gens du voyage, et légitime, pour certains d'entre eux, les stationnements illégaux, faute d'autre solution.
Ce cercle vicieux est difficile à enrayer. Il serait sans doute souhaitable que le schéma des aires de grand passage soit établi au niveau régional plutôt que départemental, en liaison avec les intercommunalités. Les futures grandes régions disposeront d'un espace beaucoup plus vaste, et donc plus pertinent, pour suivre les grands passages et aménager les terrains d'accueil en conséquence.
Les points saillants d'un déplacement dans le département de l'Essonne Le mercredi 25 juin 2015, M. Michel Le Scouarnec s'est rendu dans ce département de la couronne parisienne qui accueille, sur des terrains très divers, un grand nombre de gens du voyage. La principale constatation faite à cette occasion est la très grande diversité des terrains occupés : - terrains privés possédés en pleine propriété par des gens du voyage qui occupent une maison d'habitation, ont un métier salarié (certains travaillent à l'aéroport d'Orly) ou une entreprise privée de travaux (menuiserie, élagage,...), mais possèdent une caravane dont ils se servent occasionnellement ; - terrains loués à la municipalité , caractérisés par un aménagement identique ; - terrains occupés sans droit en titre par une population précarisée résidant dans des abris de fortune, mais tolérée par les riverains et les municipalités du fait de l'ancienneté de leur implantation (beaucoup s'y sont installés après la deuxième guerre mondiale), et de leur mode de vie généralement paisible ; - aires permanentes d'accueil aménagées selon les besoins des gens du voyage, avec des emplacements bien délimités, des blocs sanitaires, une aire de jeux, et un tarif de stationnement assez bas (4 euros par jour et par caravane), auquel il faut ajouter les coûts de l'eau et de l'électricité. En dépit de ces conditions favorables, il a été précisé au rapporteur que de telles aires pouvaient être sous-occupées tout au long de l'année. Cette sous-occupation rend leur équilibre financier très fragile, car les frais de fonctionnement sont couverts, pour une large part, par l'intercommunalité chargée de leur gestion. De plus, l'aide mensuelle au logement temporaire (ALT2) versée par le ministère du Logement aux intercommunalités, et cofinancée par les caisses d'allocations familiales, est liée, depuis la loi de finances pour 2015, au taux d'occupation effective des aires (article L. 851-1 du code de la sécurité sociale). Ceci va contraindre les collectivités gestionnaires à augmenter leur participation financière, au moment même où la DGF diminue ; - une aire de grand passage , au taux d'occupation élevé depuis son ouverture au mois d'avril dernier, caractérisée par un faible taux de rotation, car elle permet à différents groupes de gens du voyage de se retrouver aux beaux jours, alors que la taille réduite des aires d'accueil ne le permet pas. |
* 18 Chiffres 2010. Rapport thématique de la Cour des comptes, p. 50.
* 19 Voir question écrite du 14 novembre 2013 du sénateur François Grosdidier (annexe IV) et question orale sans débat du 12 juin 2014 du sénateur Jean-Marie Bockel (annexe V).
* 20 Sa fourniture n'est pas obligatoire, mais le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à une requête en ce sens déposée par des gens du voyage.