B. LES LIENS ENTRE RADICALISATION EN GÉNÉRAL ET RADICALISATION ISLAMIQUE
La question du rôle de l'islam dans la radicalisation a été extrêmement débattue. Schématiquement, trois écoles de pensée se sont affrontées dans notre pays 14 ( * ) .
Pour certains, il n'y avait pas de radicalisation de l'islam mais seulement une islamisation de la radicalité. Et l'organisation « État islamique », alias Daech , attirait « parce que Daech [leur] propose ce qu'il y a de mieux aujourd'hui sur le marché de la révolte radicale en matière de narratif, de visibilité médiatique, d'aventure » 15 ( * ) Dans cette hypothèse, développée notamment par Olivier Roy, l'islam n'est qu'un vecteur « opportun » d'une radicalité à l'égard des démocraties modernes qui aurait pu se tourner vers un autre support s'il avait été disponible.
Pour d'autres, comme François Burgat, l'islamisme radical serait surtout une prolongation de la lutte décolonisatrice et anti-impérialiste contre les nations qui sont aujourd'hui les victimes du terrorisme 16 ( * ) .
Pour d'autres enfin, tels Gilles Kepel ou Bernard Rougier, « Le jihadisme tire profit d'une dynamique salafiste conçue au Moyen-Orient et porteuse d'une rupture en valeurs avec les sociétés européennes » 17 ( * ) . Il faut donc prendre au sérieux la dimension islamiste du terrorisme et de la radicalisation pour espérer l'enrayer. À l'appui de cette thèse, les propos-mêmes des djihadistes et le contenu de leurs multiples déclarations, articles... qui ne cessent de se référer au Coran, aux hadiths, à la vie de Mahomet 18 ( * ) .
Mahnaz Shirali, sociologue, spécialiste du religieux, souligne que le propre de l'idéologie djihadiste d'un groupe comme l'État islamique est de se réclamer de la vérité et de la pureté de l'islam : « Contrairement aux ayatollahs chiites, qui instrumentalisent la religion à des fins politiques et qui réinterprètent le passé pour contrôler le présent, Daesh ne touche pas à la religion et la prend telle quelle, dans ses formes originelles . » 19 ( * ) . Le magazine de ladite organisation, Dar al-Islam , s'étend sur le sujet et affirme régulièrement sa totale conformité avec l'islam et souligne, au contraire, « l'ignorance » religieuse de ses adversaires musulmans.
Au-delà du débat sur les sources profondes du djihadisme, qui est bien sûr important pour le comprendre et, au niveau des institutions nationales et internationales, pour le combattre, au-delà donc des théories et des idéologies, le rôle des élus locaux est de se confronter aux réalités du terrain. C'est sur ce plan, qui est le leur, qu'ils peuvent agir. Or, en la matière, lors de son audition par vos rapporteurs, le chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), Loïc Garnier, a exposé de manière claire la très forte correspondance entre le nombre de départs dans les rangs djihadistes en Syrie ou en Irak et les lieux d'implantation salafistes, officiels ou officieux . Les interlocuteurs de vos rapporteurs, en Belgique comme en Allemagne, en région parisienne comme en province, dressent un constat généralement similaire. La conclusion qu'il faut en tirer est que la prévention de la radicalisation concerne prioritairement, aujourd'hui, la radicalisation islamique et les individus en contact avec les cercles salafistes . Cela ne signifie pas que tous les salafistes sont de potentiels terroristes mais que, manifestement, un mode de pensée salafiste constitue un terreau fertile pour la radicalisation.
* 14 Benoît Fauchet, « Le radicalisme islamiste, objet d'une guerre d'universitaires », AFP , 18 novembre 2016.
* 15 « Djihadisme Olivier Roy répond à Gilles Kepel », L'Obs, 6 avril 2016.
* 16 François Burgat, « Des "banlieues" violentes ou des banlieues violentées ? », Huffington Post , 23 mars 2016.
* 17 « Radicalisations » et « islamophobie » : le roi est nu », Libération , 15 mars 2016, p. 20-21.
* 18 Voir David Thomson, dans Les Revenants, Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en France , 2017.
* 19 Mahnaz Shirali, « L'islam de l'État islamique », Le Débat , 2017/1 (n° 193).