B. LES CONTOURS DE LA CARTE COMMUNALE : LE DÉVELOPPEMENT SOUS CONTRAINTE DES COMMUNES NOUVELLES
1. Un regroupement de communes sans précédent
Le constat est ancien et partagé : la France se caractérise par le nombre élevé de ses communes, égal à la moitié de celui de l'ensemble des États de l'Union européenne, et une part importante de celles ayant une population inférieure à 1 000 habitants. C'est ce qui a contribué au développement de l'intercommunalité à fiscalité propre, dès 1992, pour permettre la mutualisation de la gestion de compétences stratégiques, la seule gestion communale ne pouvant pas répondre à tous les enjeux.
La deuxième révision générale de la carte intercommunale, prévue par la loi NOTRe, a encouragé les élus municipaux à disposer de communes fortes au sein d'intercommunalités plus grandes et plus intégrées. Au sein de conseils communautaires pléthoriques, les communes souhaitent peser dans les projets intercommunaux et non pas se voir imposer des décisions qu'elles ne désirent pas. Vos rapporteurs ont pu constater la crainte d'une « vassalisation » des communes à l'intercommunalité.
C'est pourquoi se développe la fusion de communes, donnant naissance aux « communes nouvelles ». Celles-ci succèdent aux communes « dites Marcellin » au succès très relatif. Bien que le dispositif ait été mis en place par la loi précitée du 16 décembre 2010, c'est la loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, dite loi « Pélissard », qui a stimulé la fusion de communes avec plusieurs dispositions budgétaires et de gouvernance permettant de faciliter le regroupement de communes.
Selon les données de l'Association des Maires de France (AMF), en 2015 et en 2016, 1 760 communes ont fusionné pour donner naissance à 517 communes nouvelles (317 en 2015 et 200 en 2016). Elles comptent une population de 1,8 million d'habitants et regroupent en moyenne 3,4 communes et 3 461 habitants (contre 3,42 et 3 501 habitants en 2015). La majorité des communes nouvelles est composée de deux communes historiques (en 2016, elles représentaient 54,4 % des communes nouvelles créées). On assiste néanmoins à des agrandissements de communes nouvelles, comme en témoigne l'exemple de la commune nouvelle de Valencisse (Loir-et-Cher), issue en 2015 du regroupement de Molineuf et d'Orchaise, et qui s'est agrandie au 1 er janvier 2017 avec l'intégration de Chambon-sur-Cisse.
En 2016, la plus grande commune nouvelle créée, en nombre d'habitants, est Annecy (Haute-Savoie) avec 126 000 habitants, suivie de Cherbourg-en-Cotentin (Manche) (83 971 habitants). La commune nouvelle la plus importante en nombre de communes regroupées reste Livarot-Pays-d'Auge (Calvados), avec 22 communes regroupées, suivie de Souleuvre en Bocage (Calvados) et La Hague (Manche) (19 communes chacune). La plus petite commune nouvelle reste Val d'Oronaye (Alpes-de-Haute-Provence), avec 123 habitants.
Sur le plan géographique, les communes nouvelles sont concentrées dans les régions dont la culture d'association était déjà très forte. Alors que les premières créations de communes nouvelles étaient limitées géographiquement - 29 départements, début 2016, ne comptaient aucune commune nouvelle, la grande majorité étant concentrée en Normandie et le Maine-et-Loire qui en regroupaient 47 % -, désormais, seuls 19 départements ne comptent aucune commune nouvelle, concentrés autour du pourtour méditerranéen (hormis l'Aude), les départements franciliens (hormis la Seine-et-Marne), la Corse et les outre-mer.
2. La fusion : une question de survie
La multiplication des communes nouvelles est d'abord liée à un contexte qui impose une fusion de communes avec, d'une part, la baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales, d'autre part, l'élargissement des périmètres de certaines régions et le relèvement du seuil de constitution des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, enfin, la menace qui a pesé pendant plusieurs mois sur l'avenir du département, à l'origine d'inquiétudes notamment chez les maires ruraux. Ainsi, pour beaucoup de communes, la fusion apparaît comme une question de survie, en raison des contextes budgétaire contraint et institutionnel mouvant dans lesquels elles évoluent.
En plus de ce contexte d'incertitude, d'autres facteurs concourent à la multiplication des communes nouvelles. Vos rapporteurs renvoient à leurs deux précédents rapports pour leur présentation ainsi qu'au rapport de nos collègues Mme Françoise Gatel et M. Christian Manable 21 ( * ) .
Les incitations financières ont favorisé cette évolution institutionnelle. Mais d'autres bénéfices financiers sont attendus, en particulier en matière de mutualisation, qui permet de suppléer la diminution des dotations de l'État. Par ailleurs, les communes nouvelles peuvent, à travers une utilisation plus rationnelle de leurs moyens, s'adapter plus facilement aux nouvelles demandes de services et d'équipements de leurs habitants, tout en préservant un lien de proximité auquel sont attachés nos concitoyens.
Mais au-delà de ces incitations, le succès d'une commune nouvelle tient avant tout à la volonté des élus locaux de lier leurs communes dans un avenir commun, autour d'un projet de territoire partagé. Une marge d'appréciation a été laissée aux élus locaux pour recourir aux communes nouvelles, sans contrainte de la part de l'État. L'exemple de la commune nouvelle de Val de Moder (Bas-Rhin), issue du regroupement des communes historiques de Pfaffenhoffen , de La Walck et d' Uberach , avec une population de 5 000 habitants, en témoigne : les élus n'ont pas souhaité conserver le nom d'une des communes historiques, pour éviter tout sentiment d'absorption d'une commune par une autre, et ont privilégié une nouvelle appellation de la commune nouvelle. Ce choix a contribué, selon les élus rencontrés par vos rapporteurs, à apaiser les relations pour la préparation de la fusion.
Bien que la fusion de communes s'effectue dans un contexte parfois contraint, leur bilan plutôt positif souligne l'importance, pour les élus locaux, de disposer d'un droit souple et de leur laisser la plus grande latitude pour définir l'architecture institutionnelle la plus adaptée aux spécificités de leur territoire. Ceci témoigne de la nécessité, pour le législateur, de proposer aux élus de terrain une boîte à outils destinée à mettre en oeuvre leurs projets plutôt que de leur imposer un cadre prédéfini : chaque territoire doit être en mesure de choisir et de construire le cadre institutionnel le mieux adapté aux projets définis localement.
3. Des difficultés persistantes à ne pas minorer
Il convient toutefois de ne pas minorer les difficultés rencontrées par les élus locaux. Celles-ci sont de plusieurs ordres et souvent liées aux spécificités locales. On en citera deux : les relations entre la commune nouvelle et l'intercommunalité à laquelle elle appartient, d'une part, la représentativité des élus des communes déléguées, particulièrement après 2020, d'autre part.
a) Des relations parfois difficiles avec l'intercommunalité
L'agrandissement du périmètre intercommunal et l'extension des compétences obligatoires des EPCI à fiscalité propre soulèvent la question de la proximité d'exercice de certaines compétences.
Les élus communaux regrettent que le renforcement de l'intercommunalité s'accompagne du transfert de compétences communales, transformant les communes en « coquilles vides ». Ce constat renforce chez certains élus municipaux le sentiment d'une « subordination » des communes envers l'intercommunalité mais également, notamment en milieu rural, d'une perte d'identité des communes et de leurs habitants, la peur d'un déclassement, en raison de leur éloignement aux services publics. Cette perte de proximité est d'autant plus mal vécue dans un contexte d'agrandissement des régions et des intercommunalités.
Or certaines compétences communales ne peuvent être transférées au niveau intercommunal en raison de la proximité que réclame leur exercice. À cet égard, vos rapporteurs partagent les propos de Mme Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme, selon laquelle « la clause de bon sens doit prévaloir et l'EPCI doit laisser à la commune nouvelle les compétences de proximité, en privilégiant le principe de subsidiarité » 22 ( * ) .
La commune nouvelle d'Annecy constitue un exemple réussi de répartition des compétences entre l'intercommunalité et la commune nouvelle. La communauté d'agglomération d'Annecy, qui regroupait 12 communes et une population de 145 579 habitants au 1 er janvier 2017, s'est regroupée, dans le cadre de la dernière révision générale de la carte intercommunale avec quatre communautés de communes, donnant ainsi naissance à la communauté d'agglomération de Grand Annecy Agglomération, qui réunit 34 communes et 205 000 habitants. Avant la constitution de Grand Annecy Agglomération, la communauté d'agglomération d'Annecy avait bénéficié du transfert de la part des communes de nombreuses compétences dites « de proximité », telles que le sport ou la culture. S'est ensuite posée la question, dans la nouvelle communauté d'agglomération, du maintien de ces compétences au niveau intercommunal. Pour assurer la gestion des équipements relevant de ces compétences qui ont un rayonnement supra-communal, il convient de disposer de structures administratives et professionnelles adaptées.
Ce raisonnement a incité Annecy et les cinq communes de son aire urbaine (Annecy-le-Vieux, Cran-Gevrier, Meythet, Pringy et Seynod) à réfléchir à la constitution d'une commune nouvelle. Celle-ci a vu le jour le 1 er janvier 2017 et gère les compétences de proximité qui relèvent traditionnellement de la commune tandis que la nouvelle intercommunalité à laquelle elle appartient est chargée des politiques structurantes. Cet exemple réussi démontre que la subsidiarité est la source d'une répartition harmonieuse des compétences entre la proximité aux communes et le stratégique à l'intercommunalité.
Comme l'a justement relevé le maire de Sommerau (Bas-Rhin), rencontré par vos rapporteurs, la commune nouvelle est un outil de mutualisation indispensable face aux intercommunalités dites « XXL » qui ne pourront plus exercer efficacement certaines compétences en raison de leur périmètre étendu. Chaque élargissement d'intercommunalités représente, de ce point de vue, un pas en arrière en matière de mutualisation intercommunale mais favorise une coopération communale renforcée par la formule des communes nouvelles.
b) Les inquiétudes liées à l'éventuelle disparition des communes historiques
S'agissant de la représentation des communes historiques au sein des communes nouvelles, le prochain renouvellement général des conseils municipaux représentera sans aucun doute une révolution et engendrera certainement des déceptions.
En effet, si, à titre transitoire, la plupart des communes nouvelles a recouru aux dispositions dérogatoires permettant le maintien de l'effectif de l'ensemble des conseils municipaux des communes historiques au sein du conseil municipal de la commune nouvelle, afin d'associer l'ensemble des élus locaux et de favoriser ainsi le succès d'un tel projet, les communes nouvelles se rapprocheront du droit commun à partir de 2020 en bénéficiant du seul surclassement démographique pour l'effectif de leur conseil municipal avant de l'intégrer totalement au renouvellement suivant, ce qui conduira à une diminution très forte de l'effectif de leur conseil municipal. Dans certains cas, il pourra être difficile de garantir la représentation de l'ensemble des anciennes communes historiques au sein du conseil municipal, notamment dans les communes nouvelles issues de la fusion de plusieurs communes peu peuplées.
Il convient néanmoins de rappeler qu'une commune nouvelle est avant tout une nouvelle collectivité territoriale se substituant à des communes historiques. Elle n'est pas la simple addition de ces dernières mais une nouvelle commune à part entière, avec ses spécificités. Tout projet visant à une fusion de communes doit tenir compte des effets sur la gouvernance de la commune nouvelle avant d'être entrepris. La commune nouvelle est un projet de long terme, non un projet de circonstance destiné à bénéficier de certaines incitations budgétaires dans un contexte - peut-être durable - de baisse des dotations de l'État. En d'autres termes, le seul bénéfice des incitations financières ne garantit pas le succès de ces fusions.
* 21 « Les communes nouvelles, histoire d'une révolution silencieuse : raisons et conditions d'une réussite », rapport d'information n° 563 (2015-2016) de M. Christian Manable et Mme Françoise Gatel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-563-notice.html
* 22 Troisième édition de la Rencontre nationale des communes nouvelles, organisée par l'AMF le 2 mars 2017.