III. LES SERVICES RÉGIONAUX DE L'ÉTAT : UNE CARTE BOULEVERSÉE, UN ÉQUILIBRE À TROUVER
Logiquement les services régionaux de l'État ont anticipé la fusion des régions, espérant que les décisions des futurs conseils régionaux seraient cohérentes avec les leurs. Ainsi, au 1 er janvier 2016, alors même que les nouvelles régions commençaient seulement à envisager les modalités de fusion de leurs services et missions, les organigrammes des directions régionales de l'État fusionnées étaient établis, leur mise en oeuvre étant prévue pour être étalée jusqu'en 2018.
Afin de préserver l'équilibre entre territoires et faciliter la gestion des ressources humaines, l'organisation multi-sites a prévalu. Si les directions régionales des anciennes régions ont fusionné, leurs sièges ont été répartis entre le chef-lieu de la nouvelle région et les anciens chefs-lieux régionaux. Parallèlement, chaque direction régionale a conservé des sites dans les actuels et anciens chefs-lieux, les missions étant réparties entre les différents sites selon une logique de spécialisation.
A. UN BILAN CONTRASTÉ DE L'ORGANISATION MULTI-SITES
Dans son principe, l'organisation multi-sites s'explique par le choix judicieux de maintenir les services de l'État sur l'ensemble du territoire de la nouvelle région. Sur le terrain, la mise en oeuvre montre clairement ses limites en termes de cohérence et, paradoxalement, de maintien de la proximité. La réorganisation des directions régionales permet cependant à la fois de subir dans une moindre mesure le contexte de restriction budgétaire et de baisse des effectifs, et de moderniser les outils et méthodes de travail de l'administration déconcentrée.
1. Une réforme confrontée aux réalités du terrain...
a) Une organisation inévitablement complexe
L'éclatement des directions sur plusieurs sites aboutit à une organisation des services pour le moins complexe. Sur un même site, certains services bénéficient d'un encadrement, d'autres sont pilotés depuis un autre site. Et, au sein d'un même service, les agents peuvent être répartis sur différents sites, en fonction de l'entité, voire de la sous-entité à laquelle ils appartiennent.
La répartition des missions peut également s'avérer complexe. En région Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, la politique de massif de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) est gérée par le site de Clermont-Ferrand, alors qu'une part essentielle de cette politique s'applique aux Alpes. Pour la mise en oeuvre de cette politique, la DREAL s'appuie donc sur les directions départementales dont dépendent les Alpes. Au sein de ces directions départementales, les agents ont du mal à adhérer à cette nouvelle répartition des tâches...
Par ailleurs, comme vos rapporteurs l'ont souligné dans leur second rapport d'étape, certains conseils régionaux n'ont pas pris en compte la répartition des services de l'État pour réorganiser leurs propres services. Pour certains agents, l'éloignement des interlocuteurs habituels peut ainsi s'ajouter à celui de l'encadrement.
Avec un tel éparpillement et une telle complexité, il est difficile d'imaginer que l'action de l'État ne soit pas pénalisée.
b) Les limites des sites dispersés
Le développement des moyens numériques ne peut supprimer le besoin de contacts directs des agents avec leurs interlocuteurs habituels pour mieux faire avancer les dossiers, le besoin de se rendre régulièrement au siège de la direction, etc. Résultat : des déplacements nombreux et longs, coûteux en frais comme en temps.
Ces déplacements fatiguent les agents, et leur font perdre du temps de travail effectif : le temps passé en voiture, ou dans les transports même quand ils sont adaptés, ce qui n'est pas toujours le cas, est difficile à rattraper. Dans les Hauts-de-France, un trajet aller-retour entre Lille et Amiens prend un peu plus de trois heures ; en Auvergne-Rhône-Alpes, l'aller-retour Lyon-Clermont-Ferrand prend quatre heures : sur une journée de travail, ce temps est considérable. En Occitanie, où l'aller-retour Montpellier-Toulouse prend cinq heures, des dispositions ont été prises pour les comités de direction, qui ont lieu à Narbonne ou Carcassonne. De manière générale, il semble que les cadres intermédiaires se déplacent plus régulièrement que les directeurs régionaux. Ils ont notamment été fortement sollicités dans la période de transition, pendant laquelle il était nécessaire pour eux de se faire connaître des équipes situées sur d'autres sites. C'est donc sur eux que le poids de la fatigue et des heures supplémentaires s'est fait le plus sentir.
Comme l'indiquait le second rapport d'étape de la mission, une des solutions pour contrer l'explosion du nombre de déplacements et leurs conséquences néfastes pour les agents consiste à envoyer en réunion à l'extérieur l'agent le plus proche du lieu de la réunion, et non celui le plus compétent sur le sujet de cette dernière. L'objectif de l'organisation multi-sites est de maintenir une répartition équilibrée des effectifs sur les territoires des grandes régions, mais quel est le sens de ce maintien si la compétence n'y est pas associée ?
Pour les agents des directions régionales, le bilan de l'organisation multi-sites est donc lourd : ils doivent à la fois faire face à une révolution des pratiques de l'encadrement et souvent composer avec un encadrement à distance ; ils sont, pour beaucoup, fortement sollicités par les déplacements, mais, paradoxalement, ne peuvent plus suivre d'aussi près les sujets sur lesquels ils sont les plus compétents... Leur motivation a de quoi, une fois de plus, être entamée.
2. ... mais à l'origine de dynamiques intéressantes
La nouvelle organisation des directions régionales de l'État a néanmoins permis de limiter les effets des restrictions budgétaires et la baisse des effectifs, et de moderniser les outils et méthodes de travail des services.
a) De nouvelles marges de manoeuvre
Les services dits support (ressources humaines, affaires financières et systèmes d'information) des directions régionales ont la plupart du temps été fusionnés et implantés auprès du siège. Pour les services opérationnels, même si des effectifs ont été conservés dans tous les anciens sièges, la fusion des directions régionales a permis quelques économies d'échelle. Les marges de manoeuvre ainsi créées ont été utilisées par les préfets de région pour renforcer l'échelon départemental de l'administration de l'État, ce qui est une bonne chose. Ce renfort est particulièrement le bienvenu dans le contexte de baisse constante des effectifs de l'administration déconcentrée. Il permet également d'atténuer la tendance au recul de la présence des services de l'État dans les territoires. Remarquons cependant ce que peut avoir de paradoxal une réforme qui entend donner plus de pouvoir à l'échelon régional sans qu'il soit besoin de renforcer ses moyens... au contraire !
L'échelon départemental a également été renforcé par la fusion d'un certain nombre de directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et de directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) du département du siège de la direction. Depuis le 1 er janvier 2016, dans cinq des sept régions fusionnées 23 ( * ) , c'est désormais une direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRDJSCS) qui est en place.
Par ailleurs, si l'organisation complexe des nouvelles directions régionales a rendu leur démarrage difficile, les choses se sont progressivement améliorées. Lors du déplacement de vos rapporteurs dans les Hauts-de-France, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a notamment mis en avant les avantages de la spécialisation des différents sites, précisant que cela évitait l'éparpillement des missions et constituait un apport pour la conduite des politiques publiques.
Enfin, conséquence non prévue, il semble que la réforme des directions régionales déconcentrées et, plus généralement, la crainte des élus locaux de voir les services de l'État s'éloigner encore un peu plus des territoires aient contribué au maintien et même à la revalorisation de l'échelon infra-départemental. Ce dernier devait pourtant faire l'objet d'une importante réforme : le ministre de l'intérieur avait demandé à l'ensemble des préfets de lancer des concertations visant à le réformer 24 ( * ) , en proposant notamment des fusions et des jumelages d'arrondissements 25 ( * ) ou, plus concrètement, la suppression de postes de sous-préfets. Après remise par les préfets de leur projet territorial, il a été décidé de faire évoluer la carte des arrondissements, pour la mettre en cohérence avec la nouvelle carte intercommunale 26 ( * ) . Mais sur l'ensemble du territoire, seuls deux fusions et six jumelages ont été décidés. Contrairement au projet initial, très peu de postes de sous-préfets ont donc été supprimés. Vos rapporteurs, sans se faire d'illusion, espèrent que ce maintien n'est pas seulement lié aux échéances électorales de 2017, et qu'il est le signe de la reconnaissance du rôle indispensable du sous-préfet et des sous-préfectures, autant dans l'appui au développement des territoires ruraux que pour assurer la proximité de l'État avec les élus. Car malgré l'agrandissement du périmètre des intercommunalités, toutes ne disposent pas de la capacité d'ingénierie nécessaire, même pour répondre à des appels d'offres un peu importants.
C'est notamment le cas dans le Cantal, faute, pour elles, de disposer des agents qualifiés nécessaires. L'aide de l'État reste donc indispensable.
Préconisation n° 12 : Renforcer les services de l'État en matière d'ingénierie pour leur permettre d'exercer effectivement leur rôle de conseil et d'assistance aux collectivités rurales. |
b) La modernisation des outils et des méthodes de travail
La confrontation des méthodes de travail des anciennes directions régionales a permis de les évaluer et de les améliorer. En Occitanie par exemple, les responsables de la DIRECCTE ont mis en avant l'enrichissement mutuel des expériences des agents des deux anciennes directions régionales. Dans le Grand Est, la même administration a précisé que la réforme avait permis de réviser les pratiques en les harmonisant et d'améliorer la communication interne. Même si le constat n'est pas le même dans toutes les régions et dans toutes les directions - certains responsables ont signalé des difficultés à concilier les « cultures » des anciennes directions -, cette confrontation de pratiques ne peut cependant à terme que se révéler bénéfique en termes d'efficacité des services fusionnés.
S'agissant des méthodes de travail, pour un certain nombre d'agents, le passage à l'encadrement à distance ne se fait pas sans difficulté. On espère que cette nouvelle manière de travailler aboutira à terme à développer leur sens des responsabilités et de l'initiative, ce qui assouplira la chaîne décisionnaire, évolution favorable à l'efficience de l'administration déconcentrée.
Enfin, l'organisation multi-sites implique un grand bond en avant numérique, le passage à l'« administration 3.0 », pour reprendre l'expression du Gouvernement 27 ( * ) , ce qui suppose des moyens matériels suffisants. La banalisation des réunions en visio-conférence, des outils de web-conference, de l'accès à distance de données pour les agents et de la gestion électronique du courrier est le prix de cette modernisation de l'administration déconcentrée, s'agissant de sa façon de travailler et de communiquer. Reste que le déploiement de ces outils numériques n'est pas effectif partout.
* 23 Cette fusion n'a pas eu lieu dans les Hauts-de-France et en Occitanie. Elle a en revanche eu lieu dans trois des six régions non fusionnées.
* 24 Lettre du 16 février 2016 du ministre de l'intérieur à l'ensemble des préfets.
* 25 Dans le cadre d'une fusion d'arrondissement, une sous-préfecture se voit confier la gestion de deux arrondissements. Dans le cas d'un jumelage d'arrondissement, un sous-préfet se voit confier la responsabilité de deux sous-préfectures, entre lesquelles il partage son temps.
* 26 Les limites de 229 arrondissements sur 335 ont été modifiées au 1 er janvier 2017.
* 27 Cf . Compte rendu du conseil des ministres du 31 juillet 2015.