PRINCIPALES OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
1/ En France, la légitimité et l'efficacité de la décision publique se voient de plus en plus contestées , tandis que la défiance des citoyens envers les institutions s'accroît.
2/ Cette situation conduit à d'importants blocages susceptibles d'affecter l'essor de notre pays , en empêchant l'aboutissement de nombre de choix structurants et alors que, paradoxalement, l'aspiration au changement semble avoir rarement été aussi forte au sein de la société.
3/ Ces difficultés constituent un défi pour notre démocratie représentative, qui s'est pourtant imposée, au cours des derniers siècles, comme un compromis imparfait, mais nécessaire, et qui doit désormais faire face à de nouveaux doutes quant à la capacité réelle des élus à changer les choses et à représenter les citoyens.
4/ Parallèlement, les dispositifs participatifs se sont développés , à l'initiative des pouvoirs publics, mais aussi de la société civile elle-même, le plus souvent par le biais du numérique, afin de permettre aux citoyens et plus globalement à l'ensemble des parties prenantes (entreprises, associations environnementales, organisations syndicales et patronales, etc.) de s'exprimer directement sur un projet porté par les décideurs publics, voire de provoquer le débat sur une politique qu'ils souhaitent voir évoluer.
5/ En plein essor, la démocratie participative n'est pas non plus exempte de critiques , notamment parce que la participation des individus demeure encore trop souvent restreinte à un cercle d'initiés et qu'il existe un risque de surreprésentation d'opinions non nécessairement majoritaires.
6/ Les représentants élus au suffrage universel demeurent les plus légitimes pour prendre des décisions dans l'intérêt général et la démocratie participative ne peut prétendre se substituer à la démocratie représentative.
7/Pour autant, notre système démocratique doit encore évoluer , comme il a déjà su le faire par le passé. Les représentants ne peuvent plus se contenter de leur « légitimité de position » issue de l'élection, selon les termes de M. Marcel Gauchet, pour justifier des choix qu'ils prennent pour la société . Ils doivent s'assurer une « légitimité de décision » 2 ( * ) .
8/ Les procédures décisionnelles doivent permettre à la société de mieux comprendre les décisions envisagées et de leur donner du sens . Elles doivent aussi être prises après que les parties prenantes ont pu s'exprimer directement et être réellement entendues .
9/ Pour qu'une décision publique soit considérée comme légitime et puisse aboutir, elle doit a minima être issue d'une procédure ayant permis l'établissement d'un diagnostic partagé avec les parties prenantes et reposant sur de bonnes pratiques .
10 /Avant toute nouvelle décision, il revient donc aux décideurs publics de s'atteler à l'établissement d'un diagnostic de la situation, reposant sur une analyse objective et une évaluation poussée des dispositifs existants. Ensuite, ce diagnostic doit pouvoir être expliqué et compris de tous. Dans cet esprit, il importe notamment d'améliorer les études d'impact qui accompagnent le dépôt des projets de loi et qui sont trop souvent incomplètes, voire parfois indigentes.
11 /Loin de porter atteinte à la démocratie représentative, les outils participatifs sont susceptibles de constituer un moyen de renforcer la légitimité et l'efficacité de la décision finalement prise par les élus , en complément du travail technique des experts et indépendamment des cas dans lesquels des dispositifs de démocratie directe - à l'instar du référendum - seraient mis en oeuvre.
12 /Pour garantir la réussite d'un processus associant l'ensemble des parties prenantes, les outils participatifs doivent être mis en place le plus en amont possible de la prise de décision .
13/La culture de la participation doit, par ailleurs, se développer , tant du côté des décideurs publics - dont certains conçoivent encore l'intervention des citoyens et autres parties prenantes, au mieux, comme un moyen de légitimer une décision déjà prise, au pire, comme une simple perte de temps - que de celui des participants (citoyens, riverains, corps intermédiaires...), qui ne perçoivent pas toujours l'intérêt de participer à des réunions publiques ou de répondre à une consultation.
*
À partir de ces observations et préconisations générales , la mission d'information a examiné les moyens d'améliorer concrètement les procédures décisionnelles dans le cadre d'une démocratie « coopérative » , où les citoyens et l'ensemble des parties prenantes viendraient enrichir en continu les décisions des élus. Elle formule à ce titre 10 propositions précises.
Pour permettre globalement une meilleure association
des citoyens
à la prise de décision publique
1 /Le foisonnement des outils participatifs témoigne de la forte attente des citoyens à être associés à la prise de décision publique. Pour être efficaces, ils doivent être panachés et adaptés en fonction du projet ou de la réforme envisagés par le décideur public.
2 /Des prérequis sont en outre indispensables à la réussite des dispositifs participatifs :
- la pédagogie : les participants sont informés, formés et éduqués tandis que la culture de la participation se développe au sein des pouvoirs publics ;
- la sincérité : l'outil participatif permet de recueillir effectivement l'avis des citoyens, lesquels doivent avoir le sentiment d'être entendus ;
- l' accessibilité : il convient d'éviter le « tout numérique » afin de ne pas se couper d'une partie de la population.
3 /L' établissement de la norme , en particulier de la loi, doit être l'occasion d'échanges privilégiés entre les citoyens et leurs représentants, ce que peut permettre une consultation numérique . Organisée en amont du dépôt du projet de loi, celle-ci peut utilement compléter les études d'impact.
Plus ponctuellement, des panels ou conférences de citoyens pourraient être mis en place, notamment sur les sujets sociaux et sociétaux.
4 /Les citoyens doivent pouvoir initier un débat eux-mêmes, en demandant à leurs représentants de se saisir d'une question d'intérêt général et de l'inscrire à l'agenda politique. Revitalisé, le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires pourrait remplir ce rôle.
5 /Rejoignant la démocratie directe, le référendum a tendance, dans la culture française, à se transformer en plébiscite pour celui qui y a recours. Pourtant, comme d'autres expériences étrangères le démontrent, son utilisation « dédramatisée » est possible et permettrait de renouveler l'association des citoyens amenés à décider eux-mêmes sur des sujets majeurs.
Proposition n° 1 : Pour l'aide à la décision, développer l'usage des outils participatifs, numériques comme non-numériques, à condition de les accompagner par une démarche pédagogique, une volonté sincère d'association des citoyens et un effort pour assurer leur accessibilité. Proposition n° 2 : Recourir plus régulièrement, sans les généraliser, aux consultations numériques et aux panels de citoyens pour la préparation des réformes et l'élaboration des textes législatifs. Proposition n° 3 : Revitaliser le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires, en garantissant un droit de suite pour les initiatives suffisamment représentatives confié aux commissions permanentes compétentes. Proposition n° 4 : À long terme, encourager le recours apaisé au référendum par un assouplissement de son usage au niveau local pour les collectivités territoriales volontaires, en autorisant plusieurs questions concomitantes et un recours plus adapté au calendrier local. |
Pour mener à bien
des projets
d'infrastructure concertés
1 /Paradoxalement, alors que l'élaboration des projets d'infrastructure intègre depuis longtemps des procédures de participation du public, les blocages persistent, voire s'amplifient, et les délais de conception et de réalisation restent importants , ce qui peut remettre en cause la viabilité des projets.
2 /Récemment modernisées par quatre ordonnances publiées entre avril 2016 et janvier 2017, les démarches de consultation (débats publics, concertations préalables, enquêtes publiques, etc.) se succèdent sans que les citoyens comprennent les modalités et les objectifs de chacune de ces procédures .
3 /Les pratiques doivent évoluer , pour permettre une maîtrise d'ouvrage forte , évitant la dilution des responsabilités et soutenue par les services de l'État, ainsi que des outils participatifs plus accessibles pour le public .
4 / À long terme , la participation du public pourrait être envisagée dans le cadre d'une procédure continue , couvrant toutes les phases du projet et qui serait placée sous l'égide d'un garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP).
Ce continuum aurait trois avantages majeurs :
- une simplification des procédures , au contraire de la sédimentation actuellement constatée ;
- une meilleure gestion des « temps faibles » de la participation du public, entre les différentes phases d'élaboration du projet ;
- une clarification de la responsabilité de chacun des acteurs (porteur de projet, État, garant...).
5°/Sans remettre en cause la stabilisation du droit appelée de leurs voeux par les services de l'État, les élus locaux et les porteurs de projets à la suite des récentes modifications réglementaires, plusieurs ajustements techniques pourraient en outre être apportés à court terme.
Proposition n° 5 : Renforcer les maîtrises d'ouvrage, y compris par un accompagnement repensé de l'État et des cadres juridiques ad hoc , et consolider la culture de la participation en matière d'infrastructure, notamment en simplifiant les documents soumis à concertation et en les rendant accessibles en open data. Proposition n° 6 : Envisager, à long terme, la création d'une procédure continue de consultation du public, couvrant toutes les phases du projet d'infrastructure et placée sous l'égide d'un garant désigné par la Commission nationale du débat public. Proposition n° 7 : Simplifier, à court terme, les procédures applicables à la création d'infrastructures en : - coordonnant davantage le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme ; - recentrant l'enquête publique et en poursuivant sa modernisation ; - assouplissant le régime de l'autorisation environnementale unique ; - organisant mieux le droit au recours. |
Pour réformer le code du travail en offrant une bonne articulation entre démocratie représentative et démocratie sociale
1 /Le dialogue social peut prendre diverses formes d'association des partenaires sociaux lors de l'élaboration des normes relatives au droit du travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, allant de la simple information à la négociation.
L'article L. 1 du code du travail, issu de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 dite loi « Larcher », a instauré un dialogue social obligatoire avant tout projet de réforme portant sur les sujets structurants du code du travail.
2 /En pratique, l'article L. 1 du code du travail constitue un dispositif globalement efficace et souple , son application ayant été marquée par de nombreux succès , en particulier la conclusion de 5 accords nationaux interprofessionnels (ANI).
Toutefois, il a également connu deux échecs majeurs depuis 2015 , avec la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, prise en l'absence d'accord des partenaires sociaux, et surtout la loi « Travail » du 8 août 2016, plusieurs acteurs et observateurs considérant que l'article L. 1 avait fait l'objet d'une mise en oeuvre imparfaite lors de son élaboration.
Sans modifier ce cadre législatif, plusieurs mesures pourraient améliorer la mise en oeuvre du dialogue social.
3 /Dans un souci de transparence et de bonnes pratiques, le Gouvernement serait invité à présenter devant le Parlement et les partenaires sociaux une feuille de route sociale couvrant le quinquennat , pour présenter ses priorités et éventuellement un calendrier indicatif, ainsi que les modalités d'association des organisations représentatives.
En complément, le Gouvernement devrait améliorer la pédagogie et l'accompagnement des réformes.
4 /Afin de renforcer les liens entre démocratie représentative et démocratie paritaire, le Parlement devrait user des prérogatives dont il dispose (audition, communication, résolution...) pour faire connaître son point de vue davantage en amont de l'élaboration des réformes , dès l'établissement du projet de document d'orientation par le Gouvernement.
5 / Le rôle des partenaires sociaux pourrait également être renforcé , en les incitant notamment à améliorer la pratique de la négociation nationale interprofessionnelle. Ils pourraient ainsi conclure eux-mêmes un accord de méthode « à froid » visant à définir les conditions concrètes de mise en oeuvre du dialogue social.
Une réflexion devrait également être menée à plus long terme pour moderniser le dialogue social, notamment en valorisant le parcours des élus du personnel.
Proposition n° 8 : Inviter le Gouvernement à présenter une feuille de route sociale couvrant le quinquennat, qui présenterait ses priorités, éventuellement un calendrier indicatif et les modalités d'association des partenaires sociaux, y compris les modalités de recours à l'article L. 1 du code du travail. Proposition n° 9 : Encourager le Parlement à s'exprimer sur un projet de document d'orientation, dans un délai raisonnable, afin de faire connaître sa position plus en amont, par exemple sous la forme d'une résolution. Proposition n° 10 : Inciter les partenaires sociaux représentatifs à conclure un accord de méthode « à froid » pour définir les modalités du dialogue social au niveau national et interprofessionnel, afin de faciliter les négociations portant sur des réformes sociales. |
* 2 Audition du 19 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170116/mi_democratie.html .