B. DES BLOCAGES PERSISTANTS ET UNE LÉGISLATION COMPLEXE PARTICIPANT À L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS
1. La persistance de blocages et des délais importants
Des projets d'infrastructure récents démontrent la persistance de blocages : l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le barrage de Sivens (Tarn), le centre de loisirs et le village de vacances de Roybon (Isère), etc. Comme indiqué précédemment, ces conflits connaissent une intensité renouvelée , notamment avec l'apparition de « zones à défendre » (ZAD) et les enjeux qu'elles impliquent en termes de maintien de l'ordre public.
Comme le souligne notre collègue Alain Richard, « l'émergence d'oppositions vives et persistantes à des projets d'importance et d'enjeu divers témoigne des difficultés que peut rencontrer le dialogue environnemental dans des cas certes limités mais très souvent symboliques » 180 ( * ) .
Parallèlement, les délais de conception et de réalisation des infrastructures restent importants .
D'après la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) 181 ( * ) , « pour les projets ferroviaires , le délai moyen entre la fin du débat public et la mise en service des équipements est de vingt ans ; en moyenne, onze ans séparent la fin du débat public de l'obtention de la déclaration d'utilité publique (DUP), après quoi il faut encore neuf ans jusqu'à la mise en service » . Pour les projets routiers , « il se passe en moyenne seize ans entre la fin du débat public et la mise en service, dont neuf ans entre le débat public et la DUP » . De même, d'après RTE, il faut cinq à dix ans pour créer une liaison de transport d'électricité, alors que les travaux ne durent, en eux-mêmes, que dix à douze mois 182 ( * ) . Ces ordres de grandeur sont confirmés par les vingt exemples examinés par votre rapporteur au sein de l'annexe VI du présent rapport.
Or, comme l'a souligné M. Christian Leyrit, président de la CNDP, lors de son audition par la mission d'information, ces délais remettent parfois en cause la viabilité du projet, car « il arrive fréquemment que les besoins évoluent fortement pendant cette période, ce qui peut conduire, in fine , à des réalisations surdimensionnées ou inadaptées » 183 ( * ) . Ils fragilisent également l'opération sur les plans juridique - un nouveau débat public devant être organisé lorsque l'enquête publique n'intervient pas dans les huit ans 184 ( * ) - et économique - les établissements bancaires hésitant à prendre part aux projets trop incertains. De même, l'avis des riverains est susceptible d'évoluer au fil des ans, ce qui peut fragiliser les concertations déjà menées.
La longueur des délais de réalisation des infrastructures n'est pas un problème propre à la France : aux Pays-Bas, ces délais dépassent onze ans 185 ( * ) , au Canada, un plan d'accélération des procédures intitulé « Emplois, croissance et prospérité à long terme » a été lancé en 2012, etc.
De même, plusieurs facteurs doivent être pris en compte comme l' évolution des choix politiques ou encore la difficulté à sécuriser le financement des projets , notamment démontrée par la commission « Mobilité 21 » présidée par M. Philippe Duron, député en mission, en 2013 186 ( * ) .
Force est pourtant de constater que la complexification de la norme ralentit la réalisation des projets et remet en cause leur sécurité juridique.
2. La sédimentation des règles applicables
Sans remettre à plat le droit en vigueur, les quatre ordonnances de 2016 et 2017 relatives à la démocratie environnementale ont participé à cette sédimentation des procédures. Elles laissent subsister, comme l'observe M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État, « une très grande juxtaposition des outils » et n'ont « pas totalement abouti dans le sens de la simplification » 187 ( * ) . Les procédures de participation en amont ont ainsi été considérablement renforcées - notamment avec la généralisation des concertations préalables - sans que les procédures en aval n'aient été assouplies . De même, le périmètre des acteurs concernés (CNDP, garants, commissaires-enquêteurs, etc.) reste illisible pour les porteurs de projet.
Lors des auditions de la mission d'information, il est fréquemment apparu que l'articulation entre le code de l'environnement et le code de l'urbanisme était complexe et créait d'importantes difficultés d'interprétation. À titre d'exemple, la création d'une ligne à grande à vitesse implique l'organisation d'une concertation « code de l'environnement » alors que la construction des gares relève de la concertation « code de l'urbanisme ».
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les exigences de participation du public s'inscrivent dans une procédure par ailleurs très contraignante. Ainsi, outre les démarches participatives, un même projet peut nécessiter jusqu'à trente-sept démarches administratives différentes , malgré les simplifications induites par l'autorisation environnementale unique 188 ( * ) .
Enfin, des recours peuvent être déposés sur l'ensemble de ces actes, le professeur émérite Yves Jegouzo observant ainsi une « prolifération d'un contentieux favorisé par la complexité des procédures » 189 ( * ) . Dans l'exemple de l'élargissement de l'autoroute A85 entre Tours et Vierzon, un citoyen a successivement attaqué les dix-sept actes faisant grief 190 ( * ) .
Le risque contentieux semble toutefois avoir été intégré par les porteurs de projet, qui, lors de leurs auditions devant la mission d'information, n'ont exprimé que peu d'inquiétudes à ce sujet.
Les différentes procédures applicables pour un même projet
3. Des outils participatifs aux coûts non négligeables et connaissant une difficulté d'appropriation
Bien que variables, les coûts de mise en oeuvre des outils participatifs ne sont pas neutres : ils peuvent atteindre 1,25 million d'euros pour un projet d'infrastructure de grande ampleur .
Coût des dispositifs participatifs (estimations)
Procédures |
Coûts |
Sources |
Débat public et concertation post-débat public Ou Concertation « code de l'environnement » |
Entre 500 000
Entre 50 000 et 600 000 euros |
CNDP
|
Préparation du dossier de l'enquête publique (étude d'impact incluse) |
Jusqu'à 200 000 euros |
Vinci autoroutes |
Indemnisation du commissaire-enquêteur |
Entre 1 500 et 2 000 euros |
Compagnie nationale des commissaires-enquêteurs (CNCE) |
Publicité relative à l'organisation de l'enquête publique |
3 000 euros |
Source : travaux de la mission d'information, d'après ses auditions
Prendre en compte les remarques des citoyens au cours de la phase de consultation représente également un coût. Pour un réseau de transport d'électricité, ces dépenses supplémentaires seraient par exemple comprises entre 5 et 10 % du projet (modification du tracé, travail sur l'esthétique des pylônes, etc.) 191 ( * ) .
Parallèlement, les citoyens rencontrent des difficultés à s'approprier ces outils participatifs . La confusion entre les phases amont et aval est fréquente : l'enquête publique sert souvent à contester l'opportunité d'un projet alors que cette question a déjà été tranchée lors du débat public ou de la concertation préalable.
De même, les informations délivrées au public sont d'une complexité extrême : les dossiers d'enquête publique peuvent par exemple comporter jusqu'à 11 000 pages et peser 80 kilos 192 ( * ) . Le public, noyé dans des détails techniques, perd de vue le sens et les finalités du projet . Le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme sont ainsi devenus l'apanage de spécialistes, alors qu'ils nous concernent tous.
Le profil des participants reste, enfin, peu diversifié . D'après Mme Bénédicte Delaunay, professeur des universités, « il y a surtout des retraités et des militants associatifs [...], mais peu de citoyens ordinaires ; ces derniers sont rarement motivés par un intérêt purement civique, mais plutôt par un intérêt privé, qu'il s'agisse des habitants proches ou des propriétaires concernés par l'opération ou les expropriations » 193 ( * ) . M. Christian Leyrit, président de la CNDP, admet d'ailleurs que la moyenne d'âge dans les réunions publiques est « relativement importante » et que le profil des participants est « plutôt masculin et de catégories socioprofessionnelles élevées » 194 ( * ) .
* 180 « Démocratie environnementale : débattre et décider » , rapport rédigé au nom de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental, juin 2015, p. 9.
* 181 Audition de M. Michel Hersemul, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national au sein de la DGTIM, du 8 mars 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc2 .
* 182 Audition conjointe des entreprises du mercredi 8 mars 2017, intervention de Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de RTE Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc4 .
* 183 Audition de M. Christian Leyrit, président de la CNDP, du mercredi 22 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170220/mi_democratie.html#toc6 .
* 184 Article L. 121-12 du code de l'environnement. Cette « durée de validité » du débat public a été augmentée de cinq à huit ans par l'ordonnance précitée n° 2016-1060 du 3 août 2016.
* 185 Résultat de la commission Elverding, à partir de l'examen de 120 projets réalisés aux Pays-Bas entre 1998 et 2007.
* 186 « Pour un schéma national de mobilité durable » , rapport remis au ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche, 27 juin 2013.
* 187 Audition du 8 mars 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc3 .
* 188 Cf. l'annexe VII pour une liste indicative de ces démarches administratives.
* 189 « La démocratie participative en question » , Actualité juridique : droit administratif (AJDA), 2014, p. 2385.
* 190 Audition du 8 mars 2017, intervention de Mme Nathalie Boivin, directeur juridique de Vinci autoroutes Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc4 .
* 191 Audition du 8 mars 2012, intervention de Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de RTE. Cf. compte rendu de l'audition du 8 mars 2017 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html .
* 192 Audition du 22 février 2017, intervention de M. Jean-Pierre Chaulet, vice-président de la compagnie nationale des commissaires-enquêteurs. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170220/mi_democratie.html .
* 193 « De l'enquête publique au débat public. La consultation des personnes intéressées » , Semaine juridique - Administrations et collectivités territoriales, n° 8, février 2011.
* 194 Audition du 22 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170220/mi_democratie.html#toc6 .