EN RETARD SUR SES VOISINS EUROPÉENS, LA FRANCE N'EST ACTUELLEMENT PAS EN MESURE DE RÉPONDRE AUX DÉFIS DE SA POLITIQUE IMMOBILIÈRE
D. TROIS DÉFIS PRINCIPAUX DOIVENT ÊTRE TRAITÉS
1. Le défi stratégique de l'entretien des bâtiments publics
La situation de l'entretien des bâtiments publics est préoccupante et s'explique à la fois par les lacunes du diagnostic technique du parc ne permettant pas d'établir une prévision du vieillissement des biens, par le hiatus né de l'affirmation de la distinction entre État propriétaire et ministères occupants et de la réalité de la répartition des moyens financiers, et par le manque d'inscription dans une perspective pluriannuelle, qui devrait conduire à privilégier l'entretien préventif. L'analyse des données du diagnostic technique des schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR) atteste de cette réalité, dans la mesure où, selon la direction de l'immobilier de l'État, « les résultats du diagnostic font ressortir l'insuffisance des moyens alloués à la maintenance et à l'entretien » 52 ( * ) .
En particulier, la diminution répétée des investissements portés par l'ex-programme 309 traduit le choix des gestionnaires de réaliser des économies ponctuelles et faciles, en renonçant à des travaux lourds, au détriment du maintien en état de l'immobilier de l'État , renchérissant le coût in fine supporté par les finances publiques.
Les dépenses immobilières des ministères occupants en matière d'entretien lourd, à rebours de la logique de la politique immobilière de l'État, se révèlent particulièrement difficiles à identifier au sein des programmes ministériels. Encore, quand l'identification est possible, illustre-t-elle la très forte disparité de prise en compte selon les ministères : sur six programmes incluant un indicateur relatif au ratio de dépenses d'entretien lourd par surface utile brute (SUB), les valeurs varient d'un rapport de 1 à 23 53 ( * ) .
L'entretien lourd, une dépense variable selon les programmes ministériels
Source : commission des finances du Sénat
Le parc immobilier pénitentiaire illustre bien ce défaut d'entretien , entraînant la poursuite de l'État devant les juridictions administratives pour « traitement inhumain et dégradant » . Selon les informations transmises, les crédits affectés ces dix dernières années à la maintenance et à l'entretien variaient de 66 millions d'euros à 90 millions d'euros, alors que les besoins étaient évalués à 130 millions d'euros. Si ce seuil a pu être atteint grâce aux crédits supplémentaires votés dans le cadre du deuxième plan d'urgence anti-terroriste pour les années 2016 et 2017, cette réévaluation reste limitée à ces deux exercices et doit encore être poursuivie à l'occasion du prochain budget triennal.
De fait, une meilleure appréhension du patrimoine immobilier comme un actif, devant être géré comme tel, doit conduire à privilégier une vision préventive et pluriannuelle (cf. infra ).
2. Les défis de la mise aux normes d'accessibilité et de la transition écologique
À l'entretien des bâtiments publics s'ajoute la nécessaire mise aux normes d'accessibilité dans le cadre des agendas d'accessibilité programmés (Ad'AP) 54 ( * ) visant à atteindre les objectifs fixés par la loi du 12 février 2005 55 ( * ) . Prévus pour trois périodes successives de trois ans jusqu'en 2024, les Ad'AP nécessiteront de mobiliser 117,3 millions d'euros, dont 55 % provenant du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et 45 % des programmes ministériels. Or l'essentiel des montants (44 %) doit être engagé durant la première période (2016-2018), accentuant d'autant les tensions sur l'enveloppe.
De même, atteindre 60 % d'économies d'énergie à horizon 2050 par rapport aux niveaux constatés en 2010, tel que le prévoit la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte 56 ( * ) , nécessite un travail de fiabilisation des données bâtimentaires de consommation des fluides et d'importants investissements. La feuille de route mise en oeuvre par la direction de l'immobilier de l'État en 2016 pour inscrire la transition énergétique au coeur des objectifs de la politique immobilière de l'État répartit l'effort entre six leviers présentés ci-dessous. Or l'activation des trois premiers leviers, représentant 55 % de l'effort - pilotage et maintenance ainsi que travaux de gros entretien et de rénovation globale - nécessite de consacrer près de 100 millions d'euros de crédits annuels, soit près de 7 % de l'ensemble des crédits de paiement inscrits en loi de finances pour 2017 pour les travaux structurants et d'entretien lourd 57 ( * ) . De façon surprenante, la direction de l'immobilier de l'État indique que les estimations de coûts pour les autres leviers, représentant pourtant près de la moitié des économies d'énergies escomptées, ne sont pas encore disponibles.
Six leviers d'action pour réaliser 60 % d'économies d'énergie d'ici 2050
Source : commission des finances du Sénat à partir des informations transmises par la direction de l'immobilier de l'État
Plus généralement, une meilleure connaissance de la consommation de fluides doit être prise en compte dans les décisions d'arbitrage patrimonial.
3. Le défi de la capacité de l'État à conduire ces travaux
Au-delà des enjeux financiers liés à l'entretien et à la mise aux normes des biens immobiliers de l'État, la question de sa capacité à conduire de tels chantiers doit être posée . La mission de l'inspection générale des finances indiquait ainsi que « la majorité des ministères rencontrés a souligné son inquiétude quant à l'attrition de la compétence de l'État en matière de maîtrise d'ouvrage et de construction » . Or l'année 2017 marque une rupture dans la mesure où, après l'abandon de la mission d'ingénierie publique concurrentielle en 2012, le ministère de l'environnement a prévu l'extinction de ses capacités de conduite d'opérations et de maîtrise d'ouvrage à la fin de l'année. Par conséquence, « les compétences actuelles des directions départementales des territoires (DDT) sont donc appelées à devenir résiduelles, alors même qu'elles irriguaient l'ensemble des compétences immobilières des autres ministères » 58 ( * ) .
Certes, certains ministères ont développé des compétences propres au travers d'opérateurs dédiés, notamment pour répondre à la spécificité de leurs implantations immobilières. Outre l'APIJ pour le parc pénitentiaire, tel est par exemple le cas du ministère de la culture avec l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC). Toutefois, d'une part ces logiques s'écartent de l'objectif de centralisation de la politique immobilière de l'État, et d'autre part elles ne répondent pas aux besoins des autres ministères. Le recours à des prestataires, quoiqu'indispensable pour pallier ces lacunes, exige un minimum de compétences techniques pour en assurer le pilotage et le suivi. Lors de la table-ronde organisée par la commission des finances du Sénat le 13 mai 2015 sur la politique immobilière de l'État, Jean-Pierre Bayle, président de chambre à la Cour des comptes, dressait le constat d'une attrition des capacités techniques de l'État : « l'État a également perdu ses capacités de maîtrise d'oeuvre. Il faut rappeler que dans les années 1980-1990, il avait pu conduire en direct la construction du ministère des finances à Bercy. Il en serait incapable aujourd'hui, faute d'avoir conservé des compétences techniques suffisantes en son sein . Cette carence l'entraîne dans des voies sous-optimales , comme cela a été constaté avec des partenariats publics-privés » .
La création de la direction de l'immobilier de l'État s'est accompagnée d'un renforcement des moyens humains, notamment par la voie d'un plan de formation et le recrutement de profils techniques. Toutefois, ces efforts doivent être soutenus et amplifiés pour constituer une véritable filière professionnelle immobilière au sein de l'État , préalable indispensable au renforcement de l'État propriétaire et au pilotage de la dépense immobilière. La mission de l'inspection générale des finances concluait ainsi que « seul un tiers des effectifs [assurant leurs missions sous le pilotage de France Domaine] est effectivement dédié à la politique immobilière de l'État elle-même, le reste des effectifs étant consacré aux fonctions d'évaluation domaniale, à la gestion des patrimoines privés et à la comptabilité spécialisée du domaine » . De même, le diagnostic des moyens humains tiré des schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR) par la direction de l'immobilier de l'État la conduit à noter « la prédominance de la gestion administrative, budgétaire et technique, et la concentration des moyens et des compétences techniques sur certains services (direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie, direction départementale des territoires et Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) » 59 ( * ) .
Répartition des effectifs rattachés à l'ancien France Domaine
Source : « Rénovation du cadre institutionnel et modernisation des outils de la politique immobilière de l'État », Inspection générale des finances, novembre 2015
4. Une fenêtre d'opportunité à saisir
Outre la nécessité d'une réforme plus ambitieuse pour la soutenabilité de la politique immobilière de l'État, vos rapporteurs spéciaux insistent sur le contexte favorable pour deux raisons principales :
- d'une part, les réorganisations liées à la réforme territoriale se poursuivent, le premier recul permettant désormais d'établir une projection sur les implantations nécessaires ;
- d'autre part, le « volet diagnostic » des schémas directeurs immobiliers régionaux (SDIR), achevé fin 2016 pour le périmètre de bâtiments prioritaires, et désormais étendu au reste du parc immobilier, offre un état des lieux du bâti, ainsi que des moyens humains et financiers actuellement disponibles sur tout le territoire national. Si, au niveau agrégé, les enseignements transmis par la direction de l'immobilier de l'État confirment le constat partagé d'un éclatement, d'un cloisonnement et d'une insuffisance de ces deux ressources, le recensement permet de préciser les enjeux à cet échelon pertinent.
S'ouvre désormais la phase de stratégie, dont l'ambition est de dépasser la gestion opération par opération au profit d'une stratégie de pilotage global du parc régional, en précisant d'abord le périmètre projeté des implantations d'ici cinq années, conditionnant les opérations immobilières à conduire, puis les interventions d'entretien et de rénovation nécessaires.
Vos rapporteurs spéciaux ont fait l'expérience de la réussite des SDIR sur le terrain. Cependant, comme tout outil, leur réussite dépend du contexte dans lequel ils interviennent. Aussi convient-il que leur phase de déploiement stratégique s'accompagne d'une réelle nouvelle étape de la politique immobilière de l'État, renforçant l'État propriétaire et ses capacités financières.
* 52 Réponse de la direction de l'immobilier de l'État au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux, mars 2017.
* 53 De 1,75 euros par mètre carré pour le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » à 40 euros par mètre carré pour le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », pour une moyenne établie à 21,5 euros par mètre carré. Sont également inclus dans ce comparatif les programmes 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale », 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture », 218 « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
* 54 Dispositif prévu par l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
* 55 Loi n° 2005-102 du 12 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
* 56 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte
* 57 D'après les données du document de politique transversale « Politique immobilière de l'État ».
* 58 « Rénovation du cadre institutionnel et modernisation des outils de la politique immobilière de l'État », Inspection générale des finances, novembre 2015.
* 59 Réponse de la direction de l'immobilier de l'État au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux, mars 2017.