II. CES ATOUTS MAJEURS POURRAIENT ÊTRE MIEUX VALORISÉS
A. APRÈS LONDRES, LA PLACE DE PARIS CONSTITUE LE CENTRE FINANCIER DE RÉFÉRENCE EN EUROPE
Comme le relève l'historienne Laure Quennouëlle-Corre, les atouts de la place de Paris lui ont permis de « s'inscrire depuis le XIX e siècle dans le peloton de tête des grandes places internationales » 44 ( * ) .
L'examen de son passé récent permet à cet égard de distinguer quatre grandes périodes . Avant 1914, Paris connaît en tant que place internationale son « apogée » : véritable « banquier du monde », elle se situe « pour la quasi-totalité des historiens » à la deuxième place mondiale, « juste après Londres » 45 ( * ) . De la Première Guerre mondiale jusqu'en 1939, ses ambitions sont néanmoins contrariées par une multiplication de turbulences économiques, monétaires et financières, qui freinent son développement. À partir de la Grande Dépression, la place de Paris entre alors dans une période de repli, caractérisée par une fermeture aux capitaux extérieurs et à la concurrence sur les marchés internationaux. « Entièrement repliée sur elle-même », Paris est désormais « déconnectée des grands marchés internationaux et les négociations sur les grands titres français se font à Londres » 46 ( * ) . Si le début de la construction européenne et la stabilisation financière de 1958 conduisent à une « timide réouverture », les « années noires » de la place financière ne prennent véritablement fin qu'avec l'entreprise de modernisation engagée à partir de 1978 47 ( * ) , qui permet à Paris de retrouver son rang à l'échelle européenne 48 ( * ) .
L'entreprise de modernisation des années 1980 Entre 1978 et 1988, la place de Paris bénéficie d'un « concentré exceptionnel de mesures, d'une amplitude plus forte que le Big Bang de Londres, qui s'est limité à la réforme de la Bourse » 49 ( * ) . L'entreprise de modernisation débute en 1978 avec la « loi Monory » 50 ( * ) , qui vise à réorienter l'épargne domestique vers l'investissement productif, en permettant notamment de déduire du revenu imposable les investissements en actions françaises. Elle se poursuit par la modernisation du cadre réglementaire de la gestion collective, marquée par la réforme des sociétés d'investissement à capital variable (SICAV) 51 ( * ) et l'introduction des fonds commun de placement 52 ( * ) . Ainsi, alors que la gestion collective française est « inexistante » avant 1978, les encours collectés ne dépassant pas « une centaine de milliards de francs », elle « prend son envol au début des années 80, dopée d'un côté par un ensemble d'incitations fiscales et, de l'autre, par les modifications de la réglementation » 53 ( * ) . S'agissant du marché financier, alors « considéré comme cloisonné, peu concurrentiel et très réglementé » 54 ( * ) , le basculement s'opère véritablement entre 1984 et 1989 , avec un ensemble de réformes visant à permettre la création d'un marché : - moderne , c'est-à-dire ne reposant plus sur la négociation à la criée mais sur la confrontation des ordres d'achat et de vente dans le cadre d'une cotation informatisée en continu ; - unifié du très court terme au très long terme et fonctionnant tant au comptant qu'à terme, avec par exemple la création d'un marché à terme des instruments financiers (Matif) et d'un marché d'options négociables (Monep) ; - ouvert à tous les agents économiques, avec notamment l'ouverture du marché monétaire aux entreprises non financières (qui ne pouvaient pas jusqu'alors prêter et emprunter à court terme sur les marchés) et l'autorisation des émissions obligataires en eurofrancs ; - offrant des services à un coût compétitif, avec la diminution de l'impôt de bourse ainsi que la libéralisation des tarifs de courtage et des commissions prélevées par les banques sur les émissions d'obligations. Cette modernisation des marchés, si elle ne s'était pas accompagnée d'une évolution plus générale des modalités de financement de l'économie française, « aurait eu sans doute un intérêt technique pour les praticiens du marché, mais n'aurait pas eu de conséquences significatives » 55 ( * ) , compte tenu de la faible place des instruments de marché. Aussi, deux évolutions parallèles sont engagées : - la débonification , qui permet de réduire fortement la part des prêts à taux administré ; - la réforme de la régulation monétaire , l'encadrement du crédit étant « progressivement remplacé par un contrôle de la masse monétaire par les taux d'intérêt » 56 ( * ) . Ce mouvement de désintermédiation et de libéralisation des marchés soumet les établissements de crédit à une plus grande concurrence, favorisant ainsi la consolidation du marché bancaire et l'émergence de grands groupes diversifiés d'envergure internationale 57 ( * ) . Source : commission des finances du Sénat |
Si l'on excepte Londres dans un contexte marqué par le Brexit , Paris apparaît ainsi comme la seule place européenne « globale » capable de jouer les premiers rôles dans l'ensemble des secteurs d'activité du système financier.
À l'inverse, les principaux concurrents de la place de Paris demeurent des centres financiers spécialisés sur certains métiers et activités.
1. Le secteur bancaire
S'agissant du secteur bancaire, cinq établissements français 58 ( * ) figurent ainsi parmi les quinze premières banques européennes.
Nombre de banques figurant parmi les quinze premiers établissements de l'Union européenne en termes de total des actifs
(en nombre)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de Relbanks au 31 décembre 2016)
Les activités de marché de gré à gré développées par ces établissements pour répondre aux besoins de leurs clients permettent à la place de Paris de figurer en tête des classements européens sur les marchés des changes et des taux , derrière Londres.
Parts de marché mondiales sur les marchés de gré à gré en 2016
Londres |
Paris |
Francfort |
Amsterdam |
Luxembourg |
Dublin |
|
Dérivés de taux |
38,8 % |
4,6 % |
1,0 % |
0,7 % |
0 % |
0 % |
Instruments de change |
36,9 % |
2,8 % |
1,8 % |
1,3 % |
0,6 % |
0 % |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de la BRI)
2. Le secteur des infrastructures de marché
S'agissant des infrastructures de marché , la place de Paris peut s'appuyer, contrairement à Dublin, Luxembourg ou Amsterdam, sur la présence d'entreprises de référence de la phase de négociation au post-marché , avec :
- Euronext , bourse paneuropéenne dont le siège opérationnel se situe à la Défense et qui figure à la troisième place en Europe sur le plan de la capitalisation boursière (3,3 milliards d'euros), derrière les bourses de Londres (13,6 milliards d'euros) et de Francfort (17,5 milliards d'euros) 59 ( * ) ;
- LCH.Clearnet SA , filiale française de la chambre de compensation de la bourse de Londres classée à la troisième place européenne en termes de nombre de participants (110), derrière l'entreprise britannique LCH. Clearnet Ltd (336) et l'entreprise allemande Eurex Clearing AG (186) 60 ( * ) ;
- trois représentants parmi les quinze premiers dépositaires à l'échelle mondiale 61 ( * ) , contre un seul pour Londres et zéro pour Francfort, Amsterdam, Dublin et Luxembourg.
Les infrastructures : de la négociation au post-marché Schématiquement, l'exécution d'un ordre de bourse transmis par un investisseur comporte quatre étapes . Lors de la phase de négociation , l'ordre de l'investisseur est transmis par un collecteur à un négociateur, chargé de trouver une contrepartie. Lorsqu'une contrepartie est trouvée, commence alors la deuxième étape, dite de compensation . La chambre de compensation assume le risque de contrepartie en s'interposant entre l'acheteur et le vendeur. Elle calcule également en fin de séance la position nette des acteurs afin de réduire les opérations de règlement-livraison au strict minimum. Les ordres nets sont alors transmis au dépositaire central. La troisième étape, dite de règlement-livraison , est ainsi assurée par le dépositaire central. Concrètement, ce dernier s'assure que le versement a bien été effectué par l'acheteur et permute dans ses livres de compte l'inscription des titres au profit du vendeur. Enfin, la quatrième étape, dite de conservation , implique les teneurs de compte-conservateur, qui tiennent à jour le portefeuille de titres de leurs clients. Ces titres sont répertoriés dans le compte ouvert par le teneur auprès du dépositaire central. Ce dernier peut ainsi vérifier à tout moment que le nombre de titres comptabilisés au sein du compte dit « d'émission » des sociétés enregistrées auprès de lui correspond à la somme des titres comptabilisés au sein des comptes des teneurs. Source : Rapport général n° 164 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 19 novembre 2015, p. 175. |
À cet égard, la position de Paris apparaît d'autant plus solide qu'elle a pu jusqu'à présent s'appuyer sur la mobilisation des acteurs de la place , comme en témoigne la constitution d'un « noyau dur » d'actionnaires d'Euronext en 2014.
Euronext, un acteur incontournable devant être conforté Né du rapprochement entre le New York Stock Exchange (NYSE) et la bourse paneuropéenne Euronext le 4 avril 2007, le groupe NYSE Euronext a ensuite été acquis par Intercontinental Exchange (ICE) le 12 novembre 2013. Dans ce cadre, ICE a souhaité détacher Euronext et procéder à son introduction en bourse. À la suite des réflexions engagées par le Gouvernement 62 ( * ) et de l'émergence d'un consensus des acteurs de la place sur l'utilité et l'importance de disposer d'infrastructures de marché de référence en France, il a été décidé de constituer un noyau dur d'actionnaires d'Euronext . Un accord en ce sens a ainsi été conclu pour une durée de trois ans à l'occasion de l'introduction en bourse d'Euronext le 20 juin 2014. Représentant près du tiers du capital, ce pacte regroupe notamment deux grands établissements bancaires français (BNP Paribas et Société générale), ainsi que la Caisse des dépôts et consignations et BPI France participations 63 ( * ) . Alors que des négociations sont actuellement en cours pour renouveler l'accord, qui arrive à son terme , votre rapporteur général estime indispensable de garantir la stabilité du capital d'Euronext, dans un contexte marqué par la perspective d'une consolidation des entreprises de bourse à l'échelle mondiale 64 ( * ) . En effet, l'échec du projet de rapprochement entre le London Stock Exchange (LSE) et la Deutsche Börse, à la suite de l'interdiction de la fusion par la Commission européenne en vertu du règlement sur les concentrations 65 ( * ) , ne met pas fin à la nécessité d'opérer une consolidation des acteurs européens, qui ne possèdent pas la masse critique de leurs concurrents américains. Source : commission des finances du Sénat |
3. L'industrie de la gestion d'actifs
Dans le secteur de la gestion d'actifs , la place de Paris apparaît également très bien positionnée. L'industrie française figure ainsi :
- à la deuxième place en Europe pour le montant des actifs sous gestion ;
- à la troisième place en Europe pour la domiciliation de fonds (13 % de part de marché), derrière Luxembourg (26 %) et Dublin (15 %).
4. Le secteur de l'assurance
Un constat analogue peut être dressé s'agissant du secteur de l'assurance.
En effet, la place de Paris compte quatre représentants 66 ( * ) parmi les vingt premiers assureurs européens - dont le premier assureur mondial, Axa.
Les acteurs français peuvent s'appuyer sur un marché domestique particulièrement développé, la France constituant le deuxième marché de l'Union européenne en termes de cotisations (206 milliards d'euros), derrière le Royaume-Uni (254 milliards d'euros) 67 ( * ) .
Nombre d'assureurs figurant parmi les vingt premiers établissements de l'Union européenne en termes d'actifs
(en nombre)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de Relbanks au 31 décembre 2016)
Il peut être noté que si l'Allemagne compte trois représentants parmi les vingt premiers assureurs européens (Allianz, Talanx AG et Munich Re), ces derniers ont fait le choix d'installer leur siège à Munich et à Hanovre plutôt qu'à Francfort , illustrant ainsi la dispersion géographique des activités financières sur le territoire allemand.
5. Le secteur des fintech
Enfin, la place de Paris s'est progressivement dotée d'un écosystème favorable au développement du secteur des fintech , qui rassemble les entreprises innovantes dans le domaine des services financiers.
Si les montants investis dans les fintech françaises restent inférieurs aux capitaux levés au Royaume-Uni (901 millions de dollars), en Allemagne (770 millions de dollars) ou encore en Irlande (631 millions de dollars) 68 ( * ) , ils ont très fortement augmenté en 2015 (+ 759 %), pour atteindre 189 millions de dollars.
Trois entreprises françaises figurent désormais au classement mondial des cent premières fintech : Lendix (plateforme de prêt en ligne), Leetchi (cagnotte en ligne) et Fluo (gestion des contrats d'assurance).
Nombre d'entreprises au classement mondial des cent premières fintech
(en nombre)
Source : commission des finances du Sénat (d'après le classement 2016 Fintech 100 de KPMG)
Sur certains segments, le marché français apparaît plus mature que ses concurrents . À titre d'exemple, selon les résultats de l'étude annuelle réalisée par le centre pour la finance alternative de l'Université de Cambridge, la France constitue désormais le second marché européen pour le financement participatif (319 millions d'euros), loin derrière le Royaume-Uni (4,4 milliards d'euros) mais devant l'Allemagne (249 millions d'euros) et les Pays-Bas (111 millions d'euros) 69 ( * ) .
Si la place de Paris apparaît ainsi comme le centre financier de référence en Europe après Londres, elle n'est toutefois pas parvenue à tirer pleinement parti de ses atouts dans la compétition internationale.
* 44 Laure Quennouëlle-Corre, La place financière de Paris au XXe siècle : des ambitions contrariées , précité, p. 1.
* 45 Ibid. , pp. 25-64.
* 46 Ibid. , p. 38.
* 47 Ibid. , pp. 18-19.
* 48 Pour un bilan des transformations récentes, voir notamment : Arnaud de Bresson, « Europe et mondialisation : la place financière de Paris relève le défi », Revue d'économie financière , vol. 8, n° 1, 2009, pp. 51-65.
* 49 Laure Quennouëlle-Corre, La place financière de Paris au XXe siècle : des ambitions contrariées , précité, pp. 380-381.
* 50 Loi n° 78-741 du 13 juillet 1978 relative à l'orientation de l'épargne vers le financement des entreprises.
* 51 Loi n° 79-12 du 3 janvier 1979 relative aux sociétés d'investissement à capital variable.
* 52 Loi n° 79-594 du 13 juillet 1979 relative aux fonds commun de placement.
* 53 Les Échos, « L'évolution du cadre réglementaire de la gestion collective », 17 décembre 1992.
* 54 Jean-Charles Naouri, « Le marché financier : bilan et perspectives », Revue française d'économie, vol. 2, n° 1, 1987, p. 186.
* 55 Ibid ., 185.
* 56 Ibid ., p. 191.
* 57 « L'évolution du système bancaire français depuis la fin des années 1960 », rapport annuel de la Commission bancaire pour l'année 2002, pp. 201-230.
* 58 Il s'agit de BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE.
* 59 Données Bloomberg, 29 mai 2017.
* 60 Uuriintuya Batsaikhan, Robert Kalcik et Dirk Schoenmaker, « Brexit and the European financial system : mapping markets, players and jobs », Bruegel Policy Contribution, n° 4, 2017, p. 10.
* 61 The Clearing House, « The Custody Services of Banks », juillet 2016, p. 16.
* 62 Voir notamment « Rapport sur l'évolution d'Euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en Europe », Thierry Francq, chargé de mission auprès du directeur général de la direction générale du Trésor, novembre 2013.
* 63 Le pacte réunit ABN AMRO Bank (1,64 %), ASR Insurance (0,83 %), Banco Espirito Santo via Avistar (1,25 %), Banco BPI Pension Fund (1,14 %), BNP Paribas (5,5 %), BNP Paribas Fortis (1,5 %), Caisse des dépôts et consignations (3,0 %), BPI France Participations (3,0 %), Euroclear (8,0 %), SFPI (4,5 %) et la Société générale (3,0 %). Données issues de Monnaie et financement de l'économie , Marie Delaplace, Dunod, 5 e édition, 2017, page 262.
* 64 « Malgré l'échec de la fusion LSE/DB, la consolidation boursière est inéluctable ? », Le Cercle des économistes, 13 mars 2017.
* 65 Voir décision IP/17/789 du 28 mars 2017.
* 66 Il s'agit d'Axa, CNP Assurances, Covéa et Groupama.
* 67 Fédération française de l'assurance, « Marché de l'assurance : la France se place au 2 e rang européen », 29 septembre 2016.
* 68 Accenture, « Fintech and the Evolving Landscape », avril 2016. Pour le Royaume-Uni, les données proviennent d' Innovate Finance .
* 69 University of Cambridge, « European alternative finance industry report », 2ème edition, septembre 2016.