NOTE DE LÉGISLATION COMPARÉE : LE STATUT DE L'ÉLU LOCAL EN ITALIE (NOTE DE SYNTHÈSE)
Décembre 2017
Le statut des élus locaux ( amministratori locali ) est régi en Italie par le décret législatif 49 ( * ) n°267 du 18 août 2000 portant texte unique pour les collectivités territoriales ( Testo unico degli enti locali - TUEL ). Toutefois, le cadre juridique formé par ce texte et ses décrets d'applications a été très souvent modifié par des lois de finances, des collectifs budgétaires des arrêtés des ministres de l'intérieur et des finances et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour des comptes. Il en résulte une très grande complexité, sans que toutes les incertitudes dues à la superposition non coordonnée de toutes les mesures soient absolument levées, aux dires mêmes de l'Association nationale des communes italiennes ( ANCI ). L'idée de « texte unique » regroupant toutes les dispositions est donc trompeuse.
Par souci de simplicité et pour assurer la pertinence de la comparaison, la présente note se concentre sur l'échelon communal. En effet, le droit électoral et le droit des collectivités territoriales italiens sont très mouvants avec des successions de dispositions législatives, de sanctions par la Cour constitutionnelle, de référendums consultatifs locaux (en Vénétie et en Lombardie en octobre 2017) ou décisionnaires nationaux (échec de la réforme Renzi en décembre 2016). L'échelon communal propose encore l'armature la plus stable.
Il convient néanmoins de relever quelques traits importants des échelons supérieurs de l'organisation territoriale italienne :
- l'Italie est un État régional, dont les régions concourent à l'exercice du pouvoir législatif. L'autonomie et l'importance des lois régionales sont particulièrement marquées dans les 5 régions à statut spécial (Val d'Aoste, Trentin-Haut Adige, Frioul-Vénétie julienne, Sardaigne et Sicile) ;
- la loi 56/2014 du 7 avril 2014, dite loi Delrio, a évidé le niveau quasi-départemental des provinces, qui deviennent des unités territoriales de second niveau, non plus élues au suffrage direct, mais composées de l'assemblée des maires du ressort et d'un conseil provincial élu par les maires et les conseillers municipaux pour deux ans dans leurs propres rangs et dont le président est élu parmi les maires pour quatre ans. La fin ou la déchéance du mandat de maire ou de conseiller municipal entraîne l'éviction des instances provinciales. Les mandats provinciaux sont exercés à titre gratuit ;
- des métropoles ( città metropolitane ) ont remplacé 10 anciennes provinces dans certaines zones urbaines importantes en reprenant leurs compétences ; elles sont organisées selon ce schéma : assemblée des maires, conseil métropolitain élu au suffrage indirect, maire métropolitain qui est nécessairement le maire de la ville siège de la métropole. Les mandats métropolitains sont exercés à titre gratuit ;
- des règles particulières sont prévues pour Rome, Milan et Naples ainsi que dans les régions à statut spécial dont les métropoles dépendent d'une loi régionale.
1. Organisation des organes communaux et définition des élus locaux
La commune est dirigée par un exécutif composé du maire ( sindaco ), élu pour 5 ans au suffrage universel, et de la junte ( giunta ) dont les membres assesseurs, y compris le premier adjoint ( vice-sindaco ), sont nommés par le maire. La junte est un organe collégial prenant ses décisions par délibération majoritaire. Dans les communes de plus de 15 000 habitants, les assesseurs de la junte sont nommés en-dehors des conseillers municipaux puisque les deux charges sont incompatibles ; la nomination d'assesseurs extérieurs est également possible dans les plus petites communes, si le règlement intérieur adopté par la commune ( statuto communale ) le prévoit. Un maire ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs, sauf dans les communes de moins de 3 000 habitants dans lesquelles un 3 e mandat consécutif est autorisé.
Il existe également au niveau communal un conseil municipal, assurant la représentation de la volonté populaire et le contrôle de l'exécutif communal. Ses membres sont élus pour 5 ans au suffrage direct au scrutin de liste. La liste du maire élu reçoit les 2/3 des sièges.
Il faut noter que sont considérés en droit italien comme des élus locaux ( amministratori locali , proprement administrateurs locaux) aussi bien le maire et les conseillers municipaux proprement élus, que les assesseurs de la junte même s'ils sont nommés en-dehors du conseil municipal. Élus ou nommés, ils jouissent du même statut. On peut relativiser ce point en remarquant que, dans la pratique, les assesseurs de la junte sont souvent élus sur la liste du maire puis démissionnent du conseil municipal une fois nommés assesseurs de la junte.
2. Droits et devoirs liés au mandat local
Le mandat qu'ils ont reçu donne aux élus locaux un droit d'accès à tous les actes de la commune et un droit d'information préalable sur toutes les initiatives et les projets soumis à leur délibération, soit comme assesseur de la junte, soit comme conseiller municipal.
Ils ont un devoir d'abstention en cas de conflit d'intérêts quand les décisions en cause les concernent directement ou leurs parents et associés étroits. Ce devoir leur impose de ne pas même participer aux délibérations précédant un vote. L'Autorité nationale anticorruption (ANAC) et les tribunaux ont rappelé plusieurs fois cette obligation stricte fixée par l'article 78 du TUEL et enracinée dans l'article 97 de la Constitution italienne exigeant de toute action administrative le respect des principes de légalité, d'impartialité et de transparence. La juridiction administrative est très stricte en la matière et prévoit l'invalidité des délibérations lorsque l'obligation d'abstention n'a pas été respectée. 50 ( * )
Il est également fait interdiction aux élus locaux d'acquérir des biens de la collectivité, même au cours d'enchères publiques. 51 ( * )
3. Conciliation avec la vie professionnelle : congés et absences
L'article 51 al. 3 de la Constitution italienne accorde à toute personne appelée à une fonction publique élective le droit de disposer du temps nécessaire pour la remplir et de conserver son poste de travail. Les « administrateurs locaux » ont en conséquence le droit de bénéficier d'absences de leur activité professionnelle pour exercer leurs charges dans le cadre fixé par la loi.
À leur demande, les élus locaux qui sont salariés ou fonctionnaires peuvent demander à leur employeur de bénéficier d'un régime de congé propre, non rétribué, l'aspettativa , pour tout ou partie de la durée de leur mandat (art. 81 TUEL). Le placement en aspettativa entraîne la cessation de la rémunération par l'employeur habituel mais la période est considérée comme un service effectivement réalisé.
En outre, est prévu un régime d'absences légitimes ( permessi ). Ces dispenses sont distinctes selon les strates de population des communes et selon les fonctions exercées localement. Le principe demeure le même : les salariés et fonctionnaires ( lavoratori dipendenti ), qu'ils soient membres du conseil municipal ou de l'exécutif communal, disposent du droit de s'absenter de leur travail pour la durée nécessaire aux réunions des organes communaux auxquels ils appartiennent (art. 79 TUEL). Cela comprend le temps de trajet. Si les réunions se tiennent le soir ou se prolongent la nuit, des récupérations sont prévues sur la journée suivante. Lorsque la commune compte plus de 15 000 habitants, l'exécutif communal et le président du conseil communal bénéficient d'un droit supplémentaire de s'absenter pendant 24 heures travaillées par mois, voire 48 heures pour le maire.
Ces absences légitimes sont rétribuées mais ne sont pas à la charge de l'employeur, si celui-ci est une personne privée ou une entreprise publique ou un EPIC ( enti pubblici economici ), mais à la charge de la commune. 52 ( * ) Concrètement, la collectivité rembourse l'employeur ; les calculs peuvent être complexes. Aucun remboursement n'est dû si l'employeur est une administration publique.
De surcroît, des absences supplémentaires sont autorisées pour tous les élus salariés ou fonctionnaires dans la limite de 24 heures travaillées mensuelles mais ces dernières ne sont pas rétribuées.
4. Statut financier : indemnités et jetons de présence
Le maire, les assesseurs de la junte et le président du conseil municipal ont droit à une indemnité mensuelle, mais pas les conseillers municipaux. Le montant de l'indemnité est calculé par la commune à partir des règles, très complexes et parfois confuses, fixées nationalement. Le cadre juridique est très instable : l'article 82 du TUEL, qui est la base légale de l'indemnité, a été ainsi modifié par 9 lois successives entre 2006 et 2010. Les lois de finances et les collectifs budgétaires ont modifié le périmètre des destinataires, effectué des coupes dans les montants, supprimé les possibilités de cumul d'indemnités entre diverses charges publiques et suspendu pour trois ans entre 2008 et 2011 l'indexation sur l'indice du coût de la vie mesuré par l'institut statistique national. La jurisprudence de la Cour des comptes italienne est abondante sur un sujet qui n'a pas encore été parfaitement clarifié au-delà de toute contestation.
Le tableau suivant synthétise les calculs figurant dans les guides à destination des élus locaux italiens publiés régulièrement par les associations de collectivités territoriales, notamment l'association nationale des communes italiennes (ANCI).
L'indemnité est diminuée de moitié pour les salariés qui n'ont pas demandé à être placés en congé d' aspettativa auprès de leur employeur.
Au bénéfice des conseillers municipaux sont prévus des jetons de présence pour leurs participations effectives aux réunions du conseil municipal et des commissions. 53 ( * ) La valeur des jetons de présence va de 18,08 € par réunion pour les communes allant de 1001 à 10 000 habitants jusqu'à 103,29 € par réunion pour les communes de plus de 500 000 habitants. Un plafond est fixé au quart de l'indemnité de fonction prévue pour le maire. Les élus qui bénéficient d'une indemnité de fonction ne peuvent recevoir de jetons de présence.
Montants des indemnités de fonction des exécutifs communaux italiens 54 ( * )
Nombre
|
Indemnité
|
Indemnité
(en % de l'indemnité
|
Indemnité
|
Moins de 1 000 |
1 162,03 |
15 % |
10 % |
De 1 001 à 3 000 |
1 301,47 |
20 % |
15 % |
De 3 001 à 5 000 |
1 952,21 |
||
De 5 001 à 10 000 |
2 509,98 |
50 % |
45 % |
De 10 001 à 30 000 |
2 788,87 |
55 % |
|
De 30 001 à 50 000 |
3 114,23 |
||
De 50 001 à 100 000 ou chefs de lieu de province jusqu'à 50 000 |
3 718,49 |
75 % |
60 % |
De 100 001 à 250 000 ou chefs de lieu de province jusqu'à 100 000 |
4 508,67 |
||
De 250 001 à 500 000 ou chefs de lieu de province jusqu'à 250 000 |
5 205,89 |
65 % |
|
Au-dessus de 500 000
|
7 018,65 |
5. Protection sociale et assurantielle
Le régime de protection sociale des élus locaux est spécifique et différencié selon leur statut d'emploi (indépendants et professions libérales/salariés et fonctionnaires).
Le placement en congé non rémunéré d' aspettativa pendant la durée du mandat d'un élu fonctionnaire ou salarié suspend tout versement de charges sociales de la part de l'employeur privé ou public. Les charges sociales sont alors intégralement versées par la commune si l'élu local concerné est le maire, le président du conseil municipal ou un assesseur de la junte ; en revanche, elles sont intégralement à la charge propre des conseillers municipaux, aussi bien la part patronale que la part salariale. 55 ( * )
Lorsque l'élu local est travailleur indépendant ( lavoratori autonomi ), le droit à congé n'a pas de sens mais l'élu doit nécessairement réduire son activité professionnelle pour assumer son mandat. Pour éviter que les charges sociales pèsent démesurément sur lui, il est prévu que la collectivité territoriale verse à l'Institut national de sécurité sociale ( INPS ) un montant forfaitaire déterminé sur la base d'un revenu de référence imposable fixé par la caisse dont l'élu dépend (artisans, commerçants, agriculteurs, pharmaciens, architectes, consultants, géomètres-experts, journalistes, infirmiers, notaires, etc.). L'élu demeure inscrit dans la caisse de sécurité sociale à laquelle il était affilié avant sa prise de fonction. L'assuré verse un complément au forfait pour ses revenus au-dessus du revenu de référence.
Par ailleurs, le maire a droit à une indemnité de fin de mandat. C'est un trait original qui doit être mise en perspective d'un dispositif ancien du droit du travail italien : le traitement de fin de relation de travail ( trattamento di fine rapporto - TFR ) perçu par le salarié lors de la cessation du lien de subordination avec son employeur, quelle qu'en soit la cause, retraite, démission ou licenciement. Le montant de l'indemnité de fin de mandat est égal à l'indemnité mensuelle multipliée par le nombre d'années de mandat. Le montant est ajusté pro rata temporis pour les années non complètes. Depuis le 1 er janvier 2007, sont exclus du bénéfice de l'indemnité de fin de mandat les maires qui ont été en poste moins de 30 mois. 56 ( * )
Enfin, les collectivités territoriales peuvent assurer les élus locaux contre les risques liés à l'accomplissement de leur mandat. 57 ( * ) Les frais de justice engagées par un élu peuvent lui être remboursés dans certaines limites par la collectivité territoriale lorsque l'action menée contre lui au titre de ses fonctions s'achève par un acquittement, un non-lieu ou un classement sans suite, en l'absence de conflits d'intérêts et dès lors qu'aucun dol ou faute grave ne peut être relevé (art. 86 al. 5 TUEL).
* 49 Équivalent fonctionnel en droit italien d'une ordonnance sur habilitation législative.
* 50 Tribunal administratif régional d'Émilie-Romagne, 22 septembre 2009 ; Conseil d'État italien, 25 septembre 2014.
* 51 Article 1471 du code civil italien.
* 52 Une exception est prévue pour les absences de service des conseillers municipaux des communes de moins de 1 000 habitants qui n'ont alors pas à en assumer la rémunération (DL n.138 13 août 2011, art. 16 comma 18).
* 53 Du dispositif sont exclues les communes de moins de 1 000 habitants qui font partie d'une communauté de communes (unioni di comuni). DL n.138 du 13 août 2011, art. 16 comma 18.
* 54 Ces montants sont calculés en prenant en compte le décret ministériel conjoint (Trésor et Intérieur) n.119/2000 et la réduction forfaitaire de 10 % imposée par la loi n.266/2005. Cf. Fiorenzo Narducci, « Amministratori degli enti locali - Status giuridico ed economico », Gli ordinamenti delle autonomie in Italia e in Europa, 2017. Des modulations non prises en compte dans le tableau sont prévues pour certaines catégories de communes par exemple, les communes touristiques qui connaissent un afflux de population à certaines périodes de l'année.
* 55 La procédure est fixée dans la circulaire INPS n.133 du 26 novembre 2012.
* 56 Legge n.296 du 27 décembre 2006, art. 1 comma 719.
* 57 Legge n.125 du 6 août 2015, art. 7bis