III. CONCLUSIONS DE LA DÉLÉGATION
Au terme de ce travail, la délégation aux droits des femmes s'indigne de la persistance du mariage précoce, dont 12 millions de filles sont victimes chaque année .
Elle s'inquiète que perdure une pratique qui concerne une fille de moins de 15 ans toutes les sept secondes dans le monde.
La délégation s'alarme de la multiplication de zones de crise humanitaire , qu'elles résultent de conflits ou de catastrophes naturelles et environnementales , car ces crises s'accompagnent d'une amplification des mariages précoces, y compris dans des régions où cette pratique avait diminué.
Elle constate que le mariage forcé s'inscrit dans l'ensemble des violences faites aux femmes , car il va de pair avec les violences et le viol conjugal , auquel une différence d'âge souvent très importante confère des dimensions de crime pédophile .
Elle s'émeut du sort de ces centaines de millions de femmes et de filles dont l'enfance a été volée et qui, conjointement aux mutilations sexuelles qu'elles subissent trop souvent, les expose à la misère et aux dangers de grossesses précoces.
La délégation exprime sa vive préoccupation :
- que 194 filles meurent chaque jour , soit plus de 70 000 chaque année , des suites d'une grossesse précoce, en lien avec un mariage forcé ou des violences ;
- et que les grossesses précoces soient la deuxième cause de mortalité pour les adolescentes de 15 à 19 ans et aggravent le risque de mortalité infantile .
Elle s'inquiète de projections faisant état, à l'échéance de 2030 et si le fléau du mariage des enfants et des grossesses précoces ne régresse pas, de 840 000 décès d'adolescentes du fait d'accouchements rendus dangereux par leur extrême jeunesse .
La délégation s'alarme que le mariage précoce s'accompagne de comportements relevant du travail forcé .
Elle s'indigne qu'Internet et les réseaux sociaux participent à des pratiques scandaleuses telles que la vente de fillettes et d'adolescentes , apportant leur contribution à un marché des esclaves en ligne .
Elle déplore que le mariage précoce s'appuie sur la conviction de l'infériorité des filles et qu'en empêchant les « épouses-enfants » d'aller à l'école, il prive les pays concernés du potentiel de développement et de croissance que représentent ces adolescentes.
La délégation est convaincue :
- de l' importance de promouvoir partout dans le monde l'éducation des filles , à la fois vecteur de lutte contre la mortalité maternelle et infantile et levier de développement et de croissance ;
- qu' aucune tradition culturelle ou religieuse ne saurait justifier une pratique qui constitue une violation des droits fondamentaux ;
- que ce combat ne pourra réussir que si les hommes s'y impliquent ;
- de l' intérêt de la Journée internationale des droits des filles qui chaque année, le 11 octobre, permet de sensibiliser l'opinion internationale à la gravité du fléau que constitue le mariage des enfants.
La délégation souligne l'atout que représente la Convention d'Istanbul , outil juridique sans précédent couvrant tout le spectre des violences faites aux femmes . Elle se félicite que ce texte engage très explicitement les États à ériger le mariage forcé en infraction pénale et à prendre les mesures nécessaires pour que « les mariages contractés en ayant recours à la force » puissent être annulables. Elle salue l'augmentation récente du nombre d'États ayant ratifié cette convention et appelle tous les pays du Conseil de l'Europe qui n'y auraient pas encore procédé à une ratification rapide de ce texte essentiel pour la protection des femmes .
La délégation souhaite que la diplomatie française :
- continue à mettre l'accent sur le caractère crucial de l'accès à l'éducation pour toutes les filles et soit particulièrement attentive au sort des fillettes, des adolescentes et des femmes dans les zones en crise ;
- mette à profit la présidence française du G 7 pour faire avancer cette cause décisive.
Elle tient à rappeler que l'inscription à l'état civil est un droit fondamental , qui conditionne l'accès à des droits et protections essentiels tels que l'obligation scolaire ou l'âge du mariage . Elle appelle tous les pays engagés dans la lutte contre le mariage précoce à interdire le mariage en-dessous de l'âge de 18 ans, pour les filles comme pour les garçons , et à rendre cette mesure effective par un contrôle intransigeant.
Elle exprime sa profonde considération à tous les acteurs et actrices de la lutte contre le mariage précoce - associations, centres d'accueil pour femmes victimes de violences, ONG, organisations internationales ... - et salue leur engagement et leur implication. Elle forme des voeux pour que les moyens qui leur sont attribués afin de soutenir leur combat soient à la hauteur des besoins.
Par ailleurs, comme dans son rapport Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , la délégation :
- recommande que les subventions attribuées par la France aux associations investies dans la lutte contre le mariage forcé et les mutilations sexuelles féminines fassent l'objet, comme celles de toutes les associations engagées contre les violences faites aux femmes , d'un effort spécifique, dans un cadre pluriannuel ;
- souhaite que tous les personnels de l'Éducation nationale , y compris les infirmières, psychologues et médecins scolaires, soient sensibilisés aux risques courus par les jeunes filles à l'occasion des congés, dans l'hypothèse d'un séjour dans le pays d'origine de leur famille , au cours duquel elles pourraient être excisées et mariées de force ;
- appelle à un recensement systématique, par les établissements d'enseignement secondaire, des jeunes filles qui quittent le collège sans motif à l'âge de l'obligation scolaire , afin de mieux identifier les victimes potentielles de mariage forcé et de mutilations sexuelles ;
- est favorable, pour renforcer la lutte contre les mariages forcés et la prévention des mutilations sexuelles féminines, à un signalement systématique des mineures excisées qui accouchent dans les hôpitaux français ;
- estime que tous les professionnels concernés par la prévention des mariages forcés et des mutilations sexuelles féminines (personnels consulaires, services de police et de gendarmerie, magistrats, travailleurs sociaux, personnels médicaux, personnels au contact des élèves de l'enseignement primaire et secondaire - enseignants, chefs d'établissement, médecins, infirmières et psychologues scolaires) doivent être formés au repérage et à l'orientation des victimes vers les associations ou les structures médico-psychologiques susceptibles de leur apporter l'aide dont elles ont besoin ;
- est d'avis que tous les candidats à l'asile , hommes et femmes, qu'ils soient ou non accompagnés d'enfants, devraient être sensibilisés, pendant leur parcours d'asile, à l' égalité femmes-hommes et à la législation française sur la protection des enfants , et que les personnels en contact avec des demandeurs d'asile devraient être formés au repérage des femmes susceptibles d'avoir été victimes de mariage précoce et d'excision , afin que la prise en compte des vulnérabilités liées à ces violences soit effective dans l'instruction des demandes d'asile.