EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 26 février 2020, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Jacques Genest, rapporteur spécial, sur les crédits consacrés au financement de la vie politique et le rôle de la commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques.
M. Vincent Éblé , président . - Nous entendons notre collègue Jacques Genest sur son contrôle budgétaire relatif à la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
M. Jacques Genest , rapporteur spécial . - Je vais vous présenter les conclusions auxquelles je suis parvenu au terme de mon étude sur les crédits du programme 232 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », du moins des crédits de ce programme consacrés au financement de la vie politique.
Trois chefs de dépenses sont concernés : les crédits consacrés au financement public des campagnes électorales ; les crédits finançant l'aide publique aux partis politiques ; et, enfin, les moyens réservés à la CNCCFP, qui exerce des missions de régulateur financier des deux premiers types de crédits que je viens d'évoquer, avec un coup d'oeil sur l'institution nouvelle du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques.
Si le rapport n'aborde pas les questions majeures liées à ce qui m'apparaît comme une crise de la condition matérielle réservée aux élus, en revanche, ce fut une démarche naturelle de ne pas éluder la crise des campagnes électorales, spectaculairement marquée par le rejet du compte de campagne d'un des principaux candidats à l'élection présidentielle de 2012, mais aussi par les incidents et les soupçons qui ont entouré la campagne de 2017. De la même manière, la crise des partis politiques ne pouvait guère être négligée.
Ces deux crises me semblent avoir eu leur prolongement dans une crise moins patente, mais menaçante, qui est celle des régulateurs de la vie politique, à commencer par la CNCCFP, qui est l'un des objets du rapport.
Énormément a été fait ces dernières années pour surmonter ces crises. La régulation des partis politiques a été tout particulièrement concernée par ce processus, mais ce fut le cas aussi pour les campagnes électorales. Dans ce contexte, l'amélioration des moyens de la CNCCFP a été moins notable, surtout si l'on considère l'alourdissement des charges qu'impliquent ses missions.
Tous les ferments des crises ont-ils pour autant été éliminés ? Je ne le crois pas et, sans esprit d'exhaustivité, je vais m'en expliquer. Je voudrais compléter cet avant-propos en resituant mes travaux dans leur cadre institutionnel. J'ai entendu agir dans le cadre de ma mission de rapporteur spécial de la commission des finances après que celle-ci a inscrit cette mission à son programme de contrôle.
J'ai eu pour constante préoccupation de ne pas empiéter sur les prérogatives de notre commission des lois et, bien entendu, en plein respect des attributions du Bureau du Sénat, auquel a été reconnu un pouvoir d'initiative dans ce domaine.
J'ai donc situé ma démarche autour des questions qu'il nous appartient ici de traiter, à savoir la justification des dépenses publiques qui matérialisent les autorisations budgétaires et fiscales sur lesquelles nous sommes appelés à statuer.
Les crédits du programme 232 sur l'utilisation desquels je me suis penché correspondent aux moyens d'une politique publique dont l'étendue a pris au fil du temps une ampleur de plus en plus vaste et qui répond à plusieurs types de justifications.
Pour aller à l'essentiel, il s'agit d'assurer la vitalité de notre démocratie en donnant aux partis politiques les moyens de leur expression, en les garantissant contre des dépendances troubles, à commencer par celle de l'État, mais aussi en prévoyant les moyens d'une expression libre, et j'allais dire non faussée, des candidats aux élections. Il s'agit également d'assurer la crédibilité des acteurs de la vie politique que sont les partis politiques et les candidats aux suffrages du corps électoral auprès de l'opinion publique, en permettant à cette dernière d'accéder à des informations sur tel ou tel point auxquels elle est présumée accorder un intérêt légitime. C'est ici tout le sujet compliqué de la transparence.
Ce long, mais nécessaire préambule ayant été exposé, j'en viens à mes conclusions. J'aborderai successivement la thématique des campagnes électorales, qui mobilisent une partie variable selon les années, mais souvent importante, des crédits du programme 232, celle du financement des partis politiques, puis trois thématiques transversales, l'accès au financement de la vie politique, la participation financière citoyenne et les conditions de fonctionnement et d'organisation de la CNCCFP que je n'aurais pas déjà abordées lors de la revue des différents thèmes que je viens de mentionner.
Les campagnes électorales sont abordées sous l'angle de la prise en charge par l'aide publique des frais de campagne des candidats et du rôle de la CNCCFP. Celle-ci arrête les comptes de campagne, ce qui implique une vérification approfondie de ces comptes, et joue un rôle de quasi-ordonnateur des deniers publics, en déterminant le montant du remboursement forfaire public accessible aux candidats. Les crédits mobilisés varient selon le calendrier électoral, avec des années de forte intensité et d'autres de moindre actualité électorale. Les prises en charge des frais de campagne ont atteint, pour les élections présidentielles de 2017, 41,1 millions d'euros, et pour les législatives de la même année 45,56 millions d'euros. Par comparaison, les frais de campagne des candidats aux élections sénatoriales ont coûté 2,3 millions d'euros. La campagne sénatoriale est économe. Les élections municipales de 2014 avaient donné lieu à un remboursement forfaitaire de l'État de 62,9 millions d'euros.
Ces chiffres étant rappelés, il faut en dégager les principales caractéristiques. Je me contenterai ici d'en évoquer quelques-unes.
Les candidats ne « saturent » généralement pas le plafond des dépenses électorales, le plafonnement de ces dépenses étant l'une des principales régulations à l'oeuvre. Ils tendent à optimiser la gestion de leurs engagements financiers afin de pouvoir bénéficier du montant maximal de la prise en charge publique, mais il arrive qu'ils n'y parviennent pas.
Les partis politiques apportent un soutien important aux candidats, mais qui peut prendre des formes différentes, soit qu'ils accroissent l'apport personnel du candidat, soit qu'ils interviennent directement. Cette dualité n'est pas sans lien avec la question de l'optimisation des retours publics vers chaque candidat.
Il existe enfin une forte différenciation des ressources engagées par les candidats et des dépenses qu'ils supportent, en particulier pour l'élection présidentielle. Je rappelle que le plafond de dépenses est de 16,8 millions d'euros pour les candidats du premier tour et qu'il passe à 22,5 millions d'euros pour les deux candidats présents au second tour. Dans les faits, les cinq premiers comptes de campagne de l'élection présidentielle de 2017 ont mobilisé 93 % des dépenses de campagne des onze candidats et 46,1 % du total des dépenses des candidats aux élections présidentielles et législatives de 2017.
Un mot sur les recettes pour faire ressortir la part importante des emprunts bancaires - 35,3 % des ressources des candidats à la présidentielle de 2017 - ou auprès des partis - 21 % des ressources. Quant aux dépenses, pour l'élection présidentielle, les réunions publiques ont absorbé 40 % du total, ce qui est moins qu'en 2012 - le taux était de 48 % -, mais reste le premier poste de dépense.
Enfin, les conditions de la prise en charge publique des frais de campagne varient fortement selon les résultats électoraux, avec une pénalisation très forte des candidats qui ne réunissent pas 5 % des suffrages, donc des candidats qui ayant passé le filtre des parrainages représentent des courants d'idées modestement appréciés du corps électoral.
Les frais de campagne pris en charge sur crédits publics auxquels il faudrait ajouter les engagements liés à la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts sont déterminés individuellement par la CNCCFP après un contrôle dont j'analyse les résultats et les qualités dans le rapport.
Pour le dire d'un mot, les décisions de la commission portant sur les comptes apparaissent à la fois nombreuses et de peu d'effets globaux sur les conditions du remboursement forfaitaire. Il n'empêche qu'elles exercent sur les candidats une assez forte charge sinon financière, sauf dans certaines situations ponctuelles, du moins psychologiques. J'y reviendrai.
Quant à la question de la qualité des interventions de la CNCCFP, force est de la juger fort variable.
J'insiste tout particulièrement sur les difficultés que la commission paraît éprouver dans son contrôle des comptes de candidats à l'élection présidentielle. Ces difficultés, déjà non négligeables quand il s'agit de processus relevant de l'Ancien monde des campagnes électorales, paraissent insurmontables lorsqu'il est question d'affronter le Nouveau monde, c'est-à-dire celui de la globalisation et du numérique.
Pour ce qui est de l'Ancien monde, je dois m'interroger sur les capacités de la commission à contrôler les éléments des comptes de campagne liés aux réunions publiques et à certains aspects de la propagande. On peut rencontrer dans ces domaines tout et son contraire : des sous-facturations qui laissent présumer des avantages conférés par des personnes morales et des surfacturations qui laissent entrevoir la concrétisation d'opportunité de divertir l'aide publique à des fins plus ou moins personnelles.
Or, la CNCCFP, si elle a pu intervenir dans certaines situations, paraît quelque peu dépourvue des moyens d'un contrôle à la fois efficace et systématique.
Mais, évidemment, lorsque le Nouveau monde est en cause, ces problèmes s'accentuent. Je voudrais citer deux ou trois exemples. En premier lieu, le Nouveau monde, ce peut être l'Union européenne elle-même. À cet égard, l'avis rendu par le Conseil d'État le 19 mars 2019, qui a reconnu aux partis politiques européens la faculté de financer par des dons la campagne européenne des partis nationaux, pose un réel problème au vu de la diversité des règles encadrant le financement des partis politiques dans l'Union européenne. Mais d'autres difficultés plus « obliques » peuvent être mentionnées. Par exemple, la contribution de sites internet basés à l'étranger à la propagande ciblée d'un candidat. Je n'ai pas le sentiment que la CNCCFP serait en mesure de la détecter davantage que le CSA. Quant à l'intégration de ces contributions dans les comptes de campagne, je vous laisse juges.
Je déduis de ces analyses plusieurs recommandations. Les unes portent sur les conditions dans lesquelles la CNCCFP devrait suivre l'élection présidentielle ; les autres sur le plafond des dépenses électorales pour cette élection ; certaines, enfin, sont relatives à l'encadrement des sanctions prononcées par la CNCCFP.
Sur le premier point, le contrôle doit se rapprocher de la campagne pour l'élection présidentielle. Jusqu'à présent, il s'agit d'un contrôle tardif qui porte sur les comptes déposés à la fin de la campagne, ce qui pose de sérieuses difficultés. Pour l'élection présidentielle, il est impératif de prévenir puisqu'on ne peut pas totalement guérir. La campagne devrait être mieux suivie au jour le jour par des délégués de la commission et les comptes de campagne devraient être présentés sur des bases actualisées en continu. Il est, en outre, nécessaire que la commission s'assure que les canaux de contributions extérieures aux campagnes des candidats ne permettent pas de contourner les règles financières. On pourrait suggérer l'instauration d'un devoir de signalement des experts-comptables ou d'autres intervenants auprès de la commission.
En ce qui concerne le plafond des dépenses électorales, j'observe qu'il est régulièrement supérieur aux dépenses des candidats. Celles-ci sont cependant fréquemment élevées et il y a certainement un lien entre le volume des dépenses et la possibilité pour la commission d'en assurer la vérification de la conformité. Par ailleurs, les moyens nouveaux de communication assurent des possibilités de propagande électorale à moindre coût.
Je propose de baisser le plafond des dépenses de campagne en laissant ouverte la question du taux de remboursement des frais de campagne, qui pourrait être moins sélectif.
Enfin, en ce qui concerne les sanctions, je relève que, s'il est heureux que la commission soit désormais dotée d'un plus fort pouvoir de modulation, il est souhaitable que, dans ce cadre, elle puisse développer une démarche de minimis relative à ses décisions de rejet, et de structuration plus systématique de sa doctrine. Cela m'apparaît d'autant plus nécessaire que si le juge peut intervenir, il le fait inégalement et parfois avec beaucoup de retard, tandis que la capacité des candidats à défendre leur point de vue devant la commission n'est à ce jour pas également distribuée.
J'en viens aux partis politiques avec deux problématiques différentes : l'encadrement financier des partis et le rôle de la CNCCFP comme régulateur ; le niveau et la distribution de l'aide publique. Sur le premier point, je n'ai pas besoin de vous rappeler que beaucoup a été fait pour encadrer la vie financière des partis. Si la CNCCFP avait traditionnellement une mission limitée de publication des comptes, le renforcement des exigences comptables imposées aux partis a modifié les conditions d'une intervention qui peut se faire de plus en plus profonde.
À cet égard, un événement majeur est intervenu avec l'adoption d'un premier règlement comptable complet des partis politiques doté d'une valeur obligatoire, le règlement de l'autorité des normes comptables du 12 octobre 2018. Une analyse de ce règlement en révèle deux caractéristiques : d'abord, sa fragilité juridique dans la mesure où il n'est pas certain qu'il soit tout à fait à l'abri d'une inconstitutionnalité ; ensuite, les progrès, cependant perfectibles, dont il témoigne. Deux exemples de perfectibilité : les modalités d'intégration comptable des entités liées, la définition du périmètre d'intégration. Néanmoins, avec cet outil, la publication des comptes sera certainement l'occasion d'un travail plus profond de la CNCCFP et d'une plus forte transparence des partis. Sur le second sujet, le niveau de l'aide publique, je ne vous ferai part que de constats objectifs. Chacun en fera ce que bon lui semble. Est-il vraiment satisfaisant que le niveau de l'aide publique soit gelé depuis 2014 ? Est-il réellement satisfaisant que la « prime présidentielle » doublée de la « prime majoritaire » aux élections législatives aboutisse à une répartition plus ou moins fortement déséquilibrée de l'aide ? Qu'une prime majoritaire puisse exister et que la distribution de l'aide ne soit pas strictement proportionnelle à l'influence électorale ne me semble pas choquant, mais il me paraît utile de réduire certains déséquilibres trop manifestes pour être compatibles avec l'objectif de pluralisme poursuivi.
Enfin, est-il vraiment satisfaisant que ni les élections européennes ni surtout les élections territoriales, qui, pour ces dernières tout particulièrement, représentent une partie importante de l'expression démocratique, ne soient prises en compte ? Vous l'avez compris, il s'agit ici de l'adéquation des instruments d'une politique publique avec ses objectifs. Moins de déséquilibres et davantage de considération pour la démocratie locale dans la distribution de l'aide publique.
Comme le problème se situe surtout dans le coefficient multiplicateur des résultats électoraux de la présidentielle en distribution de l'aide au titre des élections législatives, il me semblerait justifié qu'on modère quelque peu le rendement des primes présidentielle et majoritaire en droits sur l'aide publique aux partis.
Deux mots sur le financement « citoyen » et l'accès aux services bancaires pour vous indiquer que l'exercice du droit au compte considéré comme « à peine acceptable » par le médiateur du crédit mérite d'être renforcé et que l'accès au crédit bancaire est promis, en l'état, à ne pas trouver de solution. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas de problème et le médiateur du crédit, s'il admet des difficultés qu'il a d'ailleurs pu constater lors du scrutin européen, n'a pas avancé de solutions décisives dans son premier rapport. Contrairement au Gouvernement, je pense que le financement de la vie politique se heurte à certaines imperfections de marché qui ne sont pas d'ailleurs sans lien avec les déséquilibres sur la distribution de l'aide publique que je viens d'exposer. La résolution partielle de ces déséquilibres et la limitation des dépenses de campagne électorale pour l'élection présidentielle pourraient contribuer à atténuer la difficulté liée à l'accès au crédit. Mais d'autres dispositifs seront sans doute nécessaires. Il ne faut pas fermer le dossier de la banque de la démocratie.
Sur le financement citoyen de la vie politique, qui passe par la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts, je veux d'abord indiquer qu'il est anormal que la dépense fiscale correspondante ne soit pas systématiquement évaluée. Les concours publics correspondants sont à peu près analogues à ceux octroyés sur crédits publics. Cela vient surtout des cotisations des adhérents et, parmi ces dernières, des cotisations d'élus. Certaines propositions visent à substituer un crédit d'impôt à la réduction fiscale pour les dons et cotisations. Cela permettrait, peut-être, d'élargir la contribution citoyenne au financement de la vie politique. Pour ma part, si je suis plutôt enclin à préconiser cette modification pour les cotisations aux partis politiques, je suis beaucoup plus réservé s'il s'agit de l'étendre aux dons. Nous devons pondérer l'élargissement de la capacité de financement des citoyens avec leur protection contre des démarchages qui présentent des risques évidents.
Vous avez senti que la CNCFFP avait vu ses missions considérablement renforcées. J'estime qu'elle n'en a, globalement, ni suffisamment les moyens humains, ni suffisamment les moyens informatiques, ni suffisamment les moyens juridiques. Le dialogue entre la commission et certaines autorités administratives indépendantes semble trop réduit, alors que des coordinations paraissent s'imposer. Une seule demande, semble-t-il, a été présentée au CSA dans le cadre des récents rendez-vous électoraux.
Au-delà de ce constat, j'observe que les procédures mises en oeuvre par la commission, de définition largement prétorienne, sont perfectibles malgré certaines améliorations notables. En particulier, le contradictoire devrait être mieux formalisé et un second degré de délibération devrait pouvoir être plus systématiquement mobilisé. La commission gagnerait sans doute à disposer de la possibilité de demander des avis à un conseil de sages ayant eu l'expérience de la vie politique. Elle pourrait également mieux accompagner les candidats. Une procédure de rescrit pourrait être envisagée en ce sens.
La commission rend un très grand nombre de décisions qui n'ont souvent aucun impact financier sur la prise en charge publique des frais de campagne. Cependant, elle rend un grand nombre de décisions de réformations souvent mineures. Un de minimis serait utile et justifié.
Enfin, la commission doit être plus performante dans sa relation avec son environnement. La publication des comptes des partis politiques intervient au bout de plus d'un an. Quant aux comptes de campagne, les délais selon lesquels ils sont arrêtés varient, mais, s'ils peuvent sembler trop brefs dans le cas de l'élection présidentielle ou lorsque l'élection est contestée devant le juge, ils peuvent être excessifs dans d'autres situations. Enfin, la commission doit pouvoir mieux répondre aux demandes de communication formulées par des tiers.
Le bilan de ce travail, c'est que la régulation financière de la vie politique a fait des progrès considérables. Certaines avancées devront être confirmées par l'expérience. D'autres pourraient encore intervenir pour renforcer les points faibles du dispositif.
La CNCCFP joue incontestablement un rôle positif, mais qui pourrait l'être davantage encore si certaines capacités d'instruction lui étaient données et si elle disposait de davantage de moyens pour suivre les campagnes électorales, en particulier celle de l'élection présidentielle. En outre, la commission gagnerait à être encore plus « accompagnante ».
Quant au financement de la vie politique, je crois qu'il faut vraiment prendre au sérieux l'impératif de résolution des déséquilibres les plus manifestes.
M. Vincent Éblé , président . - Merci pour cet exposé complet.
M. Roger Karoutchi . - Je ne suis pas d'accord avec certains points évoqués par le rapporteur.
Baisser le plafond de dépenses de la campagne présidentielle, alors qu'il n'a pas bougé depuis des années, n'a pas grand sens. On parle d'une dépense de 22 millions d'euros pour un pays de 67 millions d'habitants, avec des territoires ultramarins... Le « politique bashing » empêche toute évocation des dépenses liées à la vie publique. Baisser encore ces dernières reviendrait à demander aux politiques de faire du mieux qu'ils peuvent, de ne rien faire ou de contourner les règles.
Nous avions proposé avant l'élection de 2017 que la CNCCFP délègue des envoyés auprès de chaque candidat. Une campagne présidentielle génère un nombre considérable de factures et de dépenses : un délégué pourrait donner des conseils aux candidats et les contrôles a posteriori avec les experts-comptables seraient facilités.
La vie publique en France est peu coûteuse, comparée à celle de certains de nos voisins européens. Mais la démagogie ambiante ne permet pas d'expliquer qu'il faudrait mieux ou davantage rembourser.
Un problème vient du fait que la CNCCFP ne s'engage pas par écrit lorsqu'un candidat l'interroge sur un point précis avant l'élection. Elle devrait apporter des réponses plus claires et elle devrait répondre par écrit.
M. Didier Rambaud . - Je prends acte de ce rapport, dont je ne partage pas les trois quarts des conclusions ! La démocratie a un coût, qui doit être assumé.
J'ai reçu une publication de la Fondation Jean-Jaurès sur le financement de la vie politique, dont certaines propositions sont très intéressantes. S'agissant du financement des élections sénatoriales, le rapport évoque la possibilité de prendre en compte, pour le plafonnement des dépenses, le nombre des grands électeurs à la place du nombre d'habitants, ce qui me paraît très intéressant.
Il est également proposé de créer une banque de la démocratie. Il est difficile d'obtenir des prêts pour financer une campagne. Quand on est un élu sortant, les choses sont plus aisées ; mais lorsque j'ai voulu emprunter pour me présenter aux législatives en 2012, il m'a fallu négocier deux mois avec une banque.
La CNCCFP s'est beaucoup améliorée depuis dix ans. Une jurisprudence s'élabore ; un rapport annuel est publié, ce qui permet de prendre connaissance de ce qu'il est possible de faire et de ce qu'il ne faut pas faire. Néanmoins, comme l'a dit Roger. Karoutchi, nous n'obtenons que des réponses orales à nos interrogations.
M. Marc Laménie . - Je félicite le rapporteur pour sa présentation. Malheureusement, j'ai eu affaire à la CNCCFP. Je m'interroge sur l'utilité du questionnaire que nous recevons, sur la gouvernance et le fonctionnement, technocratique, de cette commission, ainsi que sur les moyens humains dont elle dispose.
M. Philippe Dallier . - Je partage un certain nombre de points de vue qui ont été exprimés. Je m'interroge moi aussi sur le fonctionnement de la commission : certains candidats ont failli être inéligibles pour quelques achats de timbres. La méthodologie devrait être revue.
Sur le financement, je ne partage pas l'avis du rapporteur. Comment envisager une baisse du plafond des dépenses électorales ? Pour l'élection présidentielle, il faudrait plutôt se demander jusqu'où le remonter. Pour les élections locales, le plafond n'est pas très élevé, notamment pour des communes moyennes de 20 000 à 40 000 habitants. De nombreux maires font, six mois avant la fin de leur mandat, un bilan de mandat payé par la collectivité locale. Je considère, pour ma part, qu'il devrait être intégré dans le compte de campagne, ce qui réduirait d'autant le montant restant disponible.
Il faudrait avoir le courage de dire que la démocratie a un coût et que les plafonds devraient être rehaussés.
M. Claude Raynal . - La méthodologie employée pour le contrôle des élections sénatoriales m'a beaucoup choqué. Un jeune stagiaire m'a posé des questions hallucinantes. L'analyse des comptes des candidats élus devrait être faite par des personnes expérimentées, avec davantage de sérieux.
Le rescrit est quasi indispensable. Les réponses que nous obtenons n'engagent que celui qui les donne... La règle doit être fixée par écrit et engager l'institution. Cela permettrait de s'assurer que l'instruction est la même pour tous.
Par ailleurs, je veux évoquer une question particulière : un élu doit démissionner de ses mandats précédents dans le mois qui suit son élection. En cas d'annulation de l'élection consécutive à un recours administratif de la CNCCFP, on perd tout ! En revanche, si un citoyen a fait un recours contre l'élection, l'élu garde ses mandats jusqu'à la fin du recours. Les deux situations ne sont pas équilibrées ; il faudrait examiner ce point.
Mme Christine Lavarde . - Dans les communes de moins de 9 000 habitants, l'État ne participe pas aux frais de campagne municipale. Dans les communes dont la population est inférieure à 2 500 habitants, cela va encore plus loin : la mise sous pli n'est pas financée par l'État. Alors même que nous sommes confrontés à un manque de candidats dans les petites communes, j'estime que c'est scandaleux.
M. Vincent Capo-Canellas . - Il faudrait que nous sachions à partir de quel moment on peut considérer que la jurisprudence de la CNCCPF est gravée dans le marbre. Les avis préalables nous sont communiqués par téléphone, voire par mail. Mais il arrive que la commission retienne in fine une position qui n'est pas celle qui est exprimée par ses services. Ces avis devraient, par ailleurs, être rendus de façon claire et publiés après avoir été délibérés par la commission, peut-être en les anonymisant.
Quand un candidat est-il considéré comme étant en campagne ? Pour les sénatoriales, il est possible de n'ouvrir son compte de campagne qu'en juin ou juillet. Ne risque-t-on pas de nous opposer que des rencontres avec des grands électeurs en mai ou en juin, qui relèvent de notre travail normal de sénateur, font en réalité partie de la campagne électorale ? C'est un véritable problème. Il faudrait disposer de règles claires sur la question.
La CNCCFP, la HATVP, les obligations qui sont les nôtres : le corpus est écrasant, tout en n'étant pas cohérent ! Il faut rendre les règles plus lisibles pour les élus.
S'agissant des réfactions, la commission consacre quelquefois beaucoup de temps et d'énergie à contester des sommes minimes. On est passé d'un excès à un autre...
Enfin, sur la banque de la démocratie, les banques rechignent parfois à financer des formations politiques en décroissance ou certains candidats. Les candidats doivent pouvoir avoir accès au crédit.
M. Éric Bocquet . - Didier Rambaud a dit qu'il était plus facile d'obtenir un prêt quand on est sortant : j'ai vécu le contraire en 2017. Client depuis trente-sept années d'une banque qui avait autrefois du bon sens près de chez nous, je me suis vu refuser un prêt de 18 000 euros. J'ai contacté une autre banque distributrice de courrier dans le pays, qui m'a apporté la même réponse. J'ai évoqué cette mésaventure auprès du directeur régional d'une banque mutualiste que j'ai rencontré par hasard lors d'un concert et qui a réglé l'affaire en quelques minutes...
M. Bernard Delcros . - Je partage l'avis de Roger Karoutchi : il ne faut pas tomber dans la démagogie en baissant les dépenses de campagne. Cela ne servirait pas la démocratie, qui a un coût, lequel n'est pas très élevé dans notre pays.
Pour les élections sénatoriales, on pourrait aussi tenir compte du nombre de communes, au lieu du nombre d'habitants ou de grands électeurs.
Je suis d'accord avec Christine Lavarde : pourquoi rembourser les dépenses de campagne uniquement dans les communes de plus de 9 000 habitants ?
Je veux insister sur la frontière floue et peu lisible, évoquée par Vincent Capo-Canellas, entre ce qui relève, à partir du 1 er mars, de l'action du mandat de sénateur et ce qui relève de la campagne électorale pour les sortants qui sont candidats. Nous n'avons pas de réponse précise sur le sujet.
M. Patrice Joly . - Je remercie le rapporteur pour son travail intéressant dans un contexte de forte défiance à l'égard de nos institutions et des élus.
Il faut faire de la pédagogie sur le coût de la démocratie : le Sénat, même s'il peut toujours faire des efforts pour être le plus économe possible, coûte moins de 5 euros par habitant et par an.
Les financements favorisent le statu quo , même si l'élection de 2017 a donné l'impression de modifier la donne. Les dons renvoient à la notion de catégorie sociale, à celle de capacité contributive. Les aides publiques figent une photo de la vie politique à un moment donné et permettent de disposer de moyens importants sur l'ensemble d'un mandat. L'accès au crédit est difficile : dans mon département, certaines listes rencontrent des difficultés pour contracter les financements nécessaires à leur campagne.
L'enjeu du financement doit être d'éviter le statu quo que je viens d'évoquer, d'empêcher que le jeu démocratique soit capté par les intérêts privés, et de renouer avec l'égalité démocratique - un citoyen vaut une voix, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Julia Cagé a proposé l'année dernière d'instaurer des bons pour l'égalité démocratique dans son livre intitulé Le prix de la démocratie . Chaque citoyen se verrait remettre un bon pour permettre le financement des partis, des campagnes électorales et du débat démocratique. Il faut pouvoir trouver des moments d'échange partagés.
M. Sébastien Meurant . - Je remercie le rapporteur pour son travail.
La liberté est la règle, et l'interdiction l'exception. Plus le temps passe, et plus les contraintes s'accumulent. Il est tout de même incroyable que ceux qui font la loi ignorent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas ! Il faut raviver l'égalité démocratique, la liberté, et le bon sens. Il faut sortir de la démagogie : la démocratie a un coût, qui est minime par rapport à bien d'autres dépenses inutiles.
Dans mon département, une candidate a recueilli une quarantaine de voix en 2017, après avoir dépensé quelques centaines d'euros. Elle s'est cassé les deux bras avant de rendre son compte de campagne, et a été déclarée inéligible pour trois ans par le Conseil constitutionnel. Quelle énergie dépensée par la collectivité nationale pour une dépense minime...
M. Jean-François Rapin . - Le droit à l'erreur devrait s'appliquer.
M. Alain Houpert . - Un rapport du Sénat permet de poser les bonnes questions. Sébastien Meurant a évoqué le principe de liberté ; pour ma part, je parlerai du principe d'égalité. Il y a en effet rupture d'égalité entre le candidat sortant et l' outsider . Un sénateur qui veut se représenter se pose de nombreuses questions, notamment sur la date à laquelle il doit ouvrir son compte de campagne. Car on est déjà présumé coupable ! En 2014, plusieurs de nos collègues ont été invalidés pour quelques euros.
Il faut remettre le bon sens au milieu de la France, comme l'église au milieu du village !
M. Pascal Savoldelli . - Notre débat soulève la question des mécanismes électoraux : le mandat présidentiel à cinq ans et les législatives organisées dans la foulée de la présidentielle posent problème. Je suis attaché à ce que le financement des campagnes électorales relève de l'aide publique.
On assiste à un basculement : des moyens publics et privés sont consacrés à la transparence de la vie publique. Les médias, les réseaux sociaux, s'intéressent à la question. Et on est au centime près ! Les groupes politiques, les élus, ne parviennent plus à ouvrir un compte bancaire.
Ce sujet relève-t-il d'un rapport spécial de l'un ou l'autre d'entre nous ? Il faudrait plutôt un rapport collégial, dont le rapporteur pourrait être M. Genest... Cela nous permettrait d'être force de proposition.
M. Charles Guené . - Nous serions bien inspirés, plutôt que de faire entrer de plus en plus d'élus dans des contraintes, de mettre un plafond en dessous duquel le candidat n'est pas obligé de déclarer son compte de campagne. Ce serait utile dans les petites communes. Ainsi, un conseiller général de mon département, élu depuis trente ans, avait choisi de ne pas faire campagne ; il n'avait rien dépensé, et donc n'avait pas déposé de compte de campagne, malgré la demande de la préfecture. Son élection a été invalidée... Arrêtons de dépenser une énergie folle pour de tels contrôles !
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Vous êtes nombreux à intervenir, ce sujet intéresse beaucoup ! Je m'interroge sur l'utilisation de moyens publics pour contrôler des dépenses de quelques euros... La CNCCFP invaliderait-elle un candidat à l'élection présidentielle, élu par plus de 50 % des voix, quand bien même il aurait explosé son compte de campagne ? Dans la pratique, non, alors qu'elle n'hésiterait pas à annuler pour quelques dizaines d'euros un sénateur ou un conseiller départemental... Le système est hypocrite.
Permettez-moi de vous livrer une anecdote : j'ai reçu le 19 décembre 2014, après les élections sénatoriales, un courrier recommandé ; je devais indiquer avant le 26 décembre - date particulièrement opportune - quels étaient les convives qui avaient bu chacune des quelques bouteilles de cidre qui avaient été servies lors d'une réception...
Autant une violation délibérée des règles doit être sanctionnée, autant dans ce cas, c'est exagéré.
Nous sommes régulièrement sollicités par les banques et la Fédération bancaire française sur les sujets qui les concernent. Ils doivent aussi nous écouter sur le droit au compte pour les élus. Nous sommes parfois dans une situation plus défavorable que les autres citoyens. Il serait utile d'engager des démarches auprès des banques et de la Banque de France sur le droit au compte, afin d'arrêter de perdre du temps à rechercher une agence qui accepte de nous ouvrir un compte...
M. Jacques Genest , rapporteur spécial . - Merci pour ces nombreuses remarques. Le compte rendu de cette réunion sera, je l'espère, très utile à l'opinion publique ainsi qu'à la commission des lois. Je me félicite que ces échanges à propos de mon rapport enclenchent déjà ce qui pourrait être à l'avenir un travail collectif.
J'ai interrogé M. François Logerot, président de la CNCCFP, pour savoir si la commission, qui peut contribuer à invalider un sénateur ou un maire de grande ville pour un dépassement de 20 euros, se sent également capable de contribuer à la destitution d'un président de la République élu au suffrage universel... Vous vous doutez de la réponse.
Roger Karoutchi, vous croyez que je veux assassiner la démocratie en réduisant le plafond des dépenses pour les élections présidentielles ? Certes, la démocratie a un coût. Lors de la dernière présidentielle, Marine Le Pen a dépensé 12,4 millions d'euros, Emmanuel Macron 16,7 millions d'euros, pour un plafond de 22,5 millions d'euros. Ils étaient donc très éloignés du plafond. C'est ce qui m'a autorisé à suggérer, à titre personnel, la réduction du plafond des dépenses électorales mais pour la seule élection présidentielle. Par ailleurs, je n'ai pas suggéré qu'il faudrait réduire la prise en charge publique des dépenses des candidats. L'élection présidentielle a changé. Les meetings ne représentent que 40 % des coûts, contre 48 % auparavant. L'élection se joue désormais davantage dans les médias. Certes, nous devons toujours faire des meetings, qui coûtent cher, mais ce ne sont pas eux qui font avancer la démocratie.
Merci, Christine Lavarde, d'avoir évoqué les petites communes. Ancien maire d'une commune de 800 habitants, je préférais payer moi-même certains documents plutôt que de remplir des tonnes de papier pour me les faire rembourser. Il n'empêche que la situation que vous avez décrite doit évoluer.
Oui, Roger Karoutchi, il faut revaloriser les moyens des partis politiques.
Le rescrit est un sujet important : les citoyens qui s'engagent doivent savoir où ils vont.
Nous avons reçu le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, qui en était encore au début de la définition concrète de son rôle. Didier Rambaud, M. Castaner a déjà répondu au président Hervé Marseille sur la banque de la démocratie et, ainsi, semble-t-il, à vous même : il n'en est pas question.
J'ai voulu ouvrir un compte d'avances, et me suis rendu à la Banque postale au Sénat. J'aurais eu besoin d'un avocat pour remplir tous les documents ! Nous sommes présumés coupables. Pour ouvrir un compte de campagne, c'est encore plus compliqué. Lorsque « le bon sens près de chez vous » n'en a plus... Mais ce problème se retrouve aussi pour tout prêt ou assurance dans le cadre privé. Nous frisons l'ostracisme.
Vincent Capo-Canellas, les problèmes que vous évoquez sont en effet très sérieux : quand commence la campagne électorale pour un élu déjà en fonction ? Le compte de campagne doit être ouvert longtemps à l'avance. Un sénateur doit-il occuper ses fonctions jusqu'au bout ? Si oui, on va l'accuser de faire campagne pendant son mandat ? Il en est de même pour un conseiller départemental qui veut se présenter au Sénat. Certes, le cas est rare du fait du non-cumul des mandats.
J'ai reçu une fin de non-recevoir à ma demande de rencontre de la HATVP. Je le regrette.
La démocratie n'a pas de coût, mais pas de temps non plus... Claude Raynal, il faudrait former les employés de la CNCCFP, afin qu'ils connaissent mieux la vie politique. Merci de votre soutien sur les rescrits.
Éric Bocquet, c'est effectivement un scandale qu'une personne ne puisse se présenter à une élection en l'absence d'ouverture d'un compte de campagne. S'il se lance, il risque d'être sanctionné par la CNCCFP. C'est grave !
Sébastien Meurant, il y a effectivement trop de contraintes qui pèsent sur les élus, sans justification.
Alain Houpert, il faut assurer une égalité entre les candidats sortants et les entrants. Les premiers ont peut-être un avantage politique, mais ils sont en situation très inconfortable du point de vue de la régulation financière.
Pascal Savoldelli, oui la transparence finit par poser problème et par produire son contraire : l'opacité. Je suis pour la liberté dans les règles. Nous sommes arrivés à cette situation parce que certains élus ont commis des fautes graves. Nous hésitons parfois à dire que nous sommes parlementaires, mais la démocratie a un prix. Elle doit être faite par des gens honnêtes et respectés - ce n'est plus toujours le cas -, même si nous sommes respectables.
M. Vincent Éblé , président . - Merci à vous.
La commission autorise la publication de la communication de M. Jacques Genest sous la forme d'un rapport d'information.