LA « FEUILLE DE ROUTE
POUR UNE RELANCE
BAS-CARBONE » :
RÉSILIENCE,
COMPÉTIVITÉ, SOLIDARITÉ
I. AXE 1 - MAINTENIR LE CAP DE LA « NEUTRALITÉ CARBONE » EN APPLIQUANT EFFECTIVEMENT LA LOI « ÉNERGIE-CLIMAT »
Six mois après sa publication, la loi dite « Énergie-Climat », du 8 novembre 2019 , adoptée dans un esprit de consensus par le Sénat, fait face à de lourdes difficultés d'application : 21 % des 67 mesures règlementaires et 7 % des 15 ordonnances ont été prises ; aucun des 6 rapports n'a été formellement remis.
Plus grave, un quart des ordonnances auraient dû être publiées sur des sujets qui n'ont rien d'anecdotiques : l'accompagnement des fermetures des centrales à charbon, la réforme du comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDIS) de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'application en droit interne d'une directive 13 ( * ) et d'un règlement 14 ( * ) issus du « Paquet d'hiver européen ».
Interrogée par les sénateurs, le 7 avril dernier, la ministre de la transition écologique et solidaire a indiqué faire usage du report de 4 mois prévu par l'article 14 de la loi dite « d'urgence sanitaire », du 23 mars 2020 15 ( * ) : l'ordonnance sur les centrales à charbon n'est pas attendue avant l'été... celle sur l'hydrogène plus tard encore.
Dans ce contexte, il importe que le Gouvernement s'engage sur un calendrier d'application de la loi « Énergie-Climat » , en particulier s'agissant des ordonnances.
Cet engagement du Gouvernement est d'autant plus nécessaire que les derniers éléments d'évaluation, transmis par lui à la demande des sénateurs, sont trop imprécis pour être rassurants ( voir encadré ).
Où en est l'application de la loi « Énergie-Climat » ?
Les derniers éléments d'évaluation
En réponse à une demande formulée par la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, le ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) a confirmé en juin que « les travaux de mise en oeuvre de la loi énergie-climat ont en effet été retardés par la crise du Covid-19 , en raison de la charge supplémentaire des services dans divers domaines dépendant du ministère [...] (énergie, bâtiments), de la difficulté de la concertation avec les acteurs, et de la perturbation des travaux du Conseil d'État ».
S'agissant des ordonnances , le MTES a indiqué que des travaux sont en cours pour celles relatives à l'accompagnement des fermetures des centrales à charbon, à la réforme du CoRDIS de la CRE ainsi qu'à la transposition en droit interne de deux directives 16 ( * ) issues du « Paquet d'hiver européen ».
Fait notable, il a précisé que l'ordonnance prévue pour l'entrée en vigueur d'un règlement 17 ( * ) ne serait pas prise, car s'avérant selon lui inutile.
Concernant les décrets , le MTES a précisé que des travaux sont également en cours pour ceux afférents à l'autorité environnementale (AE), aux certificats d'économies d'énergie (C2E) et au Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ).
Par ailleurs, il a indiqué que certaines mesures règlementaires sur le bâtiment 18 ( * ) « ont pris du retard » mais « ont pu faire l'objet d'une redéfinition des calendriers » et que d'autres sur l'énergie 19 ( * ) « ont bien avancé » et « pourront faire l'objet de consultations » .
Par ailleurs, s'il faut se réjouir de la publication de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE)... intervenue cependant avec deux ans de retard par rapport au calendrier initial... plusieurs difficultés subsistent.
D'une part, les objectifs de la PPE sont en retrait par rapport à ceux adoptés par le législateur, en matière de biogaz, d'hydrogène et d'éolien en mer 20 ( * ) .
Par ailleurs, ces objectifs excluent certaines énergies alternatives, comme la cogénération et la géothermie profonde, ou les prennent mal en compte, comme les biocarburants.
Les verrous règlementaires contraires à la volonté du législateur doivent être levés.
D'autre part, les charges de service public de l'électricité (CSPE), qui sous-tendent les dispositifs publics de soutien aux énergies renouvelables (EnR), évaluées entre 122,3 et 173,2 milliards d'euros en 2028, ont été calculées sur la base d'un prix de l'électricité de 56 ou 42 euros par mégawattheure (MWh) .
Or, le prix de l'électricité sur les marchés de gros n'était que de 21 euros / MWh fin mai 21 ( * ) .
En outre, plus les prix de l'électricité sont faibles, plus les dispositifs publics de soutien aux EnR sont coûteux, car ils compensent aux énergéticiens la différence entre une rémunération de référence et une valeur de marché : ainsi, si les prix de l'électricité devaient rester durablement faibles, le modèle de financement des EnR, tel qu'il figure dans la PPE, s'en trouverait durablement fragilisé.
Une évaluation des conséquences de la crise économique sur le financement de la PPE doit donc être conduite, la ministre de la transition écologique et solidaire ou son représentant pouvant saisir sans tarder le comité de gestion des CSPE et la CRE à ce sujet , en application des articles L. 121-28-1 et L. 133-4 du code de l'énergie.
Enfin, la PPE n'est pas prise en compte dans la stratégie de crise de l'État actionnaire 22 ( * ) , mise en oeuvre par l'Agence des participations de l'État (APE), à travers le compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État (CAS PFE).
Depuis l'article 22 de la loi dite « PLFR 2 », du 25 avril 2020 23 ( * ) , l'APE doit veiller à ce que les entreprises aidées intègrent, dans leur stratégie, des objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale, et le Gouvernement doit rendre compte au Parlement du bon usage de ces aides, au regard de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
La PPE, qui constitue le document programmatique de référence dans le domaine de l'énergie, doit elle aussi être prise en compte : il s'agirait ainsi d'améliorer le contrôle du Parlement sur l'utilisation de ces 20 milliards d'euros d'aides, sans aller vers leur conditionnalité, peu adaptée aux réalités économiques.
1. S'engager sur un calendrier d'application de la loi « Énergie-Climat » , à commencer par la publication des ordonnances. 2. Lever dans la PPE les verrous règlementaires contraires aux objectifs fixés par le législateur (en matière de biogaz, d'hydrogène et d'éolien en mer). 3. Évaluer les conséquences de la crise économique sur le financement de la PPE, en saisissant sans tarder le CGCSPE et la CRE d'une étude des CSPE. 4. Prendre en compte l'atteinte de la PPE, au même titre que la SNBC, dans la stratégie de crise de l'État actionnaire mise en oeuvre par l'APE. |
* 13 Directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique.
* 14 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat.
* 15 Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.
* 16 Directive (UE) 2018/2002 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 modifiant la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique ; Directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 précitée.
* 17 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 précité.
* 18 Sur la rénovation énergétique, la performance énergétique des bâtiments tertiaires et la règlementation environnementale 2020 (RE2020).
* 19 Sur les garanties d'origine du biogaz, les tarifs règlementés de vente (TRV) de gaz, les fournisseurs de dernier recours et le complément de prix de l'accès régulé au nucléaire historique (ARENH).
* 20 En effet, à l'initiative de la commission des affaires économiques du Sénat, la loi « Énergie-Climat » a fixé les objectifs (Article L. 100-4 du code de l'énergie) :
- d' au moins 10 % de consommation de gaz renouvelable d'ici à 2030 ;
- d'environ 20 à 40 % d'hydrogène bas-carbone et renouvelable dans les consommations totales d'hydrogène et d'hydrogène industriel d'ici à 2030 ;
- d' 1 gigawatt (GW) par an de capacités installées de production en matière d'éolien en mer attribuées à l'issue de procédures de mise en concurrence d'ici à 2024.
Or, le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la PPE assortit ces objectifs de conditions restrictives :
- le premier est fixé à 7 % en cas de baisse de coûts de production permettant d'atteindre 75 € / MWh en 2023 et 60 € en 2028 et jusqu'à 10 % en cas de baisses de coûts supérieures ;
- le deuxième ne vise que l' hydrogène industriel ;
- le dernier varie « selon les prix et le gisement ».
* 21 Indice SPOT au 28 mai 2020.
* 22 Seuls certains objectifs généraux figurant à l'article L. 100-4 du code de l'énergie le sont.
* 23 Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.