II. REFONDER LE CADRE NATIONAL ET TERRITORIAL DE LA RÉPONSE SANITAIRE ET ÉCOLOGIQUE
A. RÉUNIR LES CONDITIONS D'UNE GESTION RÉACTIVE, TRANSPARENTE ET HOMOGÈNE SUR LE TERRITOIRE DES RISQUES SANITAIRES
1. Redéfinir la gouvernance nationale et territoriale de la gestion des risques sanitaires associés aux sites et sols pollués
La surveillance des effets sur la santé de l'exposition des populations à des substances toxiques présentes dans les sols à la suite d'une exploitation industrielle ou minière est tributaire des spécificités de la situation territoriale et des pollutions en cause . Elle est généralement engagée à la suite d'inspections ou de contrôles révélant des pollutions des sols ou des non-conformités problématiques sur le plan sanitaire, ou d'alertes émises par des associations de riverains, des élus locaux ou des particuliers.
Comme le rappelle la direction générale de la prévention des risques dans des éléments communiqués à la commission d'enquête, « les dossiers de sols pollués sont avant tout gérés au niveau local sous l'égide du préfet , avec l'ensemble des services de l'État concernés au niveau local, en particulier les Dreal lorsque les pollutions sont d'origine industrielles ou minières, et/ou l' [agence régionale de santé] lorsque les pollutions de sols ont ou sont susceptibles d'avoir un impact sanitaire. Les services d'administration centrale ne gèrent donc pas en propre de tels dossiers et sont disponibles en appui de leurs services déconcentrés lorsque ceux-ci les sollicitent. »
La gestion des risques sanitaires associés à une pollution des sols relève est ainsi essentiellement assurée par les services déconcentrés de l'État et ne mobilise encore que très marginalement l'administration centrale : dans ces conditions et en dépit de l'existence d'une méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, une véritable approche nationale de la prévention et de la gestion des risques sanitaires associés semble aujourd'hui encore faire défaut et nombreux sont les interlocuteurs de la commission d'enquête -non seulement des élus locaux et des associations de riverains mais également des représentants des services de l'État en demande d'un accompagnement renforcé des ministères- qui ont réclamé l'établissement d'une doctrine de l'État en la matière.
a) Renforcer la coordination interministérielle de la réponse sanitaire dans la gestion des sites et sols pollués
(1) La gouvernance nationale et territoriale de la gestion des risques sanitaires
• La gouvernance nationale
Comme l'ont rappelé le ministre des solidarités et de la santé et le directeur général de la santé lors de leurs auditions respectives 144 ( * ) , la surveillance et la gestion des risques sanitaires liés à l'environnement mobilisent, au niveau national, plusieurs agences et institutions du système sanitaire :
Ø L'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) :
L'ANSéS est chargée de construire des valeurs toxicologiques de référence (VTR) , indispensables à la réalisation d' études d'impact sanitaire des activités industrielles, notamment dans le cadre d'études d' interprétation de l'état des milieux (IEM) et d' évaluations quantitatives des risques sanitaires (EQRS) .
Ø L'agence nationale de santé publique (ANSP), plus connue sous l'appellation de « Santé publique France » :
Santé publique France et ses cellules d'intervention en région (CIRe) sont chargées, dans le cadre d'une approche populationnelle , d'estimer les conséquences sur la santé des populations d'une éventuelle exposition environnementale à des contaminants. Santé publique France peut ainsi être mobilisée, par voie de saisine ministérielle ou de saisine par le directeur général d'une agence régionale de santé (ARS) , afin :
§ d'analyser le signal et d'aider à la définition de l'évaluation sanitaire à mettre en place ;
§ d'investiguer des suspicions de cas groupés d'événements de santé pouvant être en lien avec une pollution des sols ;
§ de réaliser des études visant à vérifier ou caractériser l'impact de l'environnement sur la santé des populations ( études d'imprégnation , études de faisabilité et de pertinence de mise en oeuvre d' études épidémiologiques , réalisation d'études épidémiologiques...) ;
§ de définir des indicateurs sanitaires pertinents à surveiller à proximité des sites et sols pollués ;
Santé publique France estime qu'environ 50 saisines par an concernent des problématiques de santé-environnement, dont 30 % portent sur des sites et sols pollués . Dans le cadre d'une convention-cadre conclue entre les ARS et Santé publique France , les directeurs généraux d'ARS peuvent mobiliser les CIRe de Santé publique France 145 ( * ) afin de leur fournir un appui sur les études de santé nécessaires pour définir et mesurer l'impact de l'environnement sur la santé. Peuvent ainsi être mentionnées, à titre d'exemples, les saisines de la CIRe Occitanie concernant les anciens sites miniers de La-Croix-de-Pallières et de Carnoulès, dans le Gard, et les anciens sites miniers de Salsigne, dans l'Aude, ainsi que de la CIRe Midi-Pyrénées concernant l'ancien bassin industriel de Decazeville, dans l'Aveyron, avec notamment la réalisation par Santé publique France d'études d'imprégnation sur des substances telles que le plomb, le cadmium ou encore l'arsenic ;
Ø La Haute Autorité de santé (HAS) :
La HAS est chargée, dans le cadre d'une approche médicale , de définir des protocoles de prise en charge individuelle des patients potentiellement exposés à des substances toxiques à destination des professionnels de santé.
À la suite d'un courrier de l'ancienne ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, en date du 15 décembre 2017, le programme de travail de la HAS comprend l'élaboration de recommandations en matière de prise en charge individuelle de personnes sur-imprégnées à l'arsenic et au cadmium à la suite d'une exposition environnementale . Les travaux relatifs à l'arsenic sont publiés sur le site de la HAS depuis le 9 mars 2020. Un travail similaire sur le cadmium doit être engagé en 2020.
Ø Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) :
Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) est chargé, dans le cadre d'une approche d'aide des pouvoirs publics à la décision , de définir des recommandations générales de prévention, notamment hygiéno-diététiques . Une saisine a ainsi été adressée au HCSP le 29 janvier 2019 afin qu'il :
§ élabore une liste de mesures de prévention individuelles visant à limiter l'exposition des populations riveraines des sites et sols pollués, pouvant inclure des conseils relatifs aux règles d'hygiène individuelle, à l'entretien du logement, à l'utilisation de certains locaux ou terrains ou encore à la consommation de denrées alimentaires autoproduites ;
§ propose des valeurs de gestion pour un certain nombre de polluants identifiés comme prioritaires , en analysant au préalable la pertinence et la faisabilité d'établir de telles valeurs pour les polluants considérés.
Ces valeurs de gestion sanitaire, ou « valeurs repères », sont déterminées à partir des VTR et doivent guider la prise de décision dans la définition des mesures de gestion des risques sanitaires. Dans un premier temps, les travaux porteront plus spécifiquement sur trois polluants identifiés comme prioritaires : l' arsenic , le cadmium et le mercure .
À l'initiative de la direction générale de la santé, la mobilisation de ces opérateurs nationaux des politiques de prévention et de sécurité sanitaire a été renforcée autour de la problématique des sites et sols pollués au niveau du comité d'animation du système d'agences 146 ( * ) (CASA). L'enjeu des sites et sols pollués a ainsi été inscrit à l'ordre du jour d'un CASA thématique du 15 juin 2017 qui a permis à chaque opérateur de présenter ses actions conduites en lien avec les sites et sols pollués. Cette réunion a donné lieu à l'élaboration d'une feuille de route inter-agences qui a fait l'objet d'un suivi à l'occasion d'une autre réunion du CASA, organisée le 14 décembre 2017.
Articulée autour de trois axes de travail (valeurs de référence, prise en charge médicale et retour d'expérience), cette feuille de route est résumée par le schéma suivant :
Feuille de route inter-agences sanitaires sur la
surveillance
et la gestion des risques sanitaires liés aux sites et
sols pollués
Source : Direction générale de la santé
Enfin, une instruction interministérielle 147 ( * ) en date du 27 avril 2017 définit le cadre de la réponse apportée par les services de l'État lorsque des sites pollués nécessitent la mise en oeuvre de mesures de gestion sanitaire et d'études de santé. Cette instruction lie la réponse sanitaire à la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, fondée sur deux démarches de gestion :
- l'IEM, qui peut inclure en tant que de besoin une EQRS, vise à étudier la compatibilité de l'état des milieux (sol, air, eau, produits végétaux et animaux, air intérieur...) avec des usages déjà fixés ;
- le plan de gestion qui permet d'agir sur l'état du site, le cas échéant par des aménagements ou des mesures de dépollution, ou sur les usages qui peuvent être adaptés lorsque l'IEM fait apparaître une incompatibilité entre l'état des milieux et les usages constatés.
Cette instruction rappelle que, lorsque les mesures effectuées mettent en évidence une dégradation des milieux mais ne permettent pas de conclure sur les mesures de gestion à mettre en oeuvre compte tenu de l'absence de valeurs de référence, une évaluation des risques sanitaires doit être engagée. Cette évaluation peut être conduite conformément au guide méthodologique établi en 2013 par l'institut de veille sanitaire (InVS) 148 ( * ) . Ce guide, intitulé « Démarche générale de l'institut de veille sanitaire face à une sollicitation locale en santé environnement », propose une procédure d'aide à la décision pour la mise en oeuvre de mesures de gestion sanitaire, passant notamment par le déclenchement d'actions de dépistage et de suivi sanitaire, et le lancement d'études de santé, telles que des études d'imprégnation et des études épidémiologiques.
• La gouvernance territoriale
Au niveau territorial, en amont de l'autorisation d'un site ayant le statut d'ICPE soumise à évaluation environnementale 149 ( * ) , l'agence régionale de santé (ARS) est obligatoirement consultée par le préfet sur l'acceptabilité du projet au regard des enjeux sanitaires et sur les éventuelles prescriptions de mesures de surveillance à inclure dans l'arrêté d'autorisation délivré par le préfet. Pour les ICPE ayant un impact potentiel plus faible, la consultation de l'ARS se fait à la discrétion du préfet. Pour les demandes d'autorisation de travaux miniers, l'ARS peut également être saisie pour avis par le préfet.
Une fois qu'est constaté l'impact d'une activité industrielle ou minière sur l'environnement, le traitement des alertes et risques sanitaires est essentiellement assuré par les ARS dont la place dans le schéma de mobilisation de l'expertise sanitaire locale et nationale est précisée par une instruction de la direction générale de la santé en date du 13 juin 2019 150 ( * ) :
- au niveau local, il est rappelé que la mobilisation de l'expertise sanitaire locale est articulée autour de trois types d'acteurs :
§ les CIRe , antennes régionales de Santé publique France partageant leurs locaux avec ceux de l'ARS, qui sont appelées, après saisine de Santé publique France par le directeur général de l'ARS, à assister l'ARS dans l'analyse du signal et de la pertinence de la mise en place d'études d'impact sanitaire ;
§ le réseau des professionnels de santé susceptibles d'apporter une expertise en termes de toxicovigilance, notamment les centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) , les toxicologues des centres antipoison et de toxicovigilance (CAP-TV) ou encore les médecins libéraux locaux et les laboratoires de biologie médicale ;
§ les bureaux d'études réalisant des EQRS ;
- au niveau national, la mobilisation des opérateurs nationaux ne peut intervenir qu'avec l'accord du préfet et de la Dreal pour les opérateurs environnementaux (Ademe, BRGM, Ineris, GEODERIS...) et uniquement dans le cadre d'une saisine par la direction générale de la santé pour les agences et institutions sanitaires que sont l'ANSéS, la HAS et le HCSP. La saisine directe par le directeur général de l'ARS n'est possible que pour Santé publique France.
Cette instruction ministérielle précise également le positionnement de l'ARS dans les démarches de diagnostic environnemental, d'IEM et d'évaluation des risques sanitaires, les marges de manoeuvre de l'ARS pour déclencher des études de santé et ses responsabilités dans la définition des conditions de dépistage et de prise en charge des populations, ainsi que la place de l'ARS dans la communication des autorités de l'État.
En outre, au niveau des territoires, les pouvoirs en matière de veille, sécurité et police sanitaires sont exercés par :
- le maire : en application de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire est soumis à une obligation de diligence à l'égard de la protection des populations et dispose à ce titre d'un pouvoir de police municipale destiné à assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques 151 ( * ) . Sous l'autorité du maire, les services communaux d'hygiène et de santé sont chargés de l'application des dispositions relatives à la protection générale de la santé publique ;
- le représentant de l'État territorialement compétent :
§ en application de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique, des décrets en Conseil d'État fixent les règles générales d'hygiène et toutes autres mesures propres à préserver la santé de l'homme, notamment en matière « de salubrité des habitations, des agglomérations et de tous les milieux de vie de l'homme ». Le préfet peut notamment se fonder sur ces dispositions pour prendre des arrêtés de restriction d'usage des milieux, des eaux et des denrées végétales ou animales qui en sont issues ;
§ en application de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, le préfet peut se substituer à un maire défaillant pour prendre toute mesure relative au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques ;
§ en application de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, le préfet peut être habilité par le ministre chargé de la santé à prendre toutes les mesures d'application des dispositions prises par ce dernier pour faire face aux risques encourus en cas de menace sanitaire grave ;
- l' ARS : en application de l'article L. 1435-1 du code de la santé publique, l'ARS « fournit aux autorités compétentes les avis sanitaires nécessaires à l'élaboration des plans et programmes ou de toute décision impliquant une évaluation des effets sur la santé humaine » et le directeur général de l'ARS doit informer sans délai non seulement le représentant de l'État mais également les élus territoriaux concernés « de tout événement sanitaire présentant un risque pour la santé de la population ou susceptible de présenter un risque de trouble à l'ordre public. »
(2) Consacrer le rôle d'une cellule interministérielle dédiée à la réponse sanitaire et écologique dans la gestion des dossiers les plus délicats
L'instruction interministérielle du 27 avril 2017 précitée, qui consacre le rôle pivot du préfet de département dans la mobilisation des administrations compétentes dans l'organisation de la réponse sanitaire face à une pollution des sols, a également prévu la mise en place d'une structure de coordination interministérielle des actions liées à la pollution des sols . Cette structure a précisément vocation à accélérer la définition et la mise en oeuvre d'actions d'appui aux services de l'État dans la « gestion de dossiers difficiles » et d'instruire plus efficacement les demandes de conseil et d'accompagnement adressées par les préfets et les directeurs généraux d'ARS sur les situations locales de pollution des sols les plus complexes. Cette instruction peut notamment permettre de lancer des saisines interministérielles de l'ANSéS, de GEODERIS et de Santé publique France pour évaluer les risques sanitaires encourus.
Cette structure s'est matérialisée par la mise en place d'une instance de concertation interservices associant la direction générale de la prévention des risques 152 ( * ) (DGPR) du ministère chargé de l'environnement, la direction générale de la santé 153 ( * ) (DGS) du ministère chargé de la santé et la direction générale de l'alimentation 154 ( * ) (DGAl) du ministère chargé de l'agriculture. Selon les éléments communiqués à la commission d'enquête par la direction générale de la prévention des risques, cette instance, qui s'est réunie pour la première fois le 21 novembre 2016 dans le cadre de la rédaction et l'élaboration de l'instruction interministérielle du 27 avril 2017, se réunit désormais environ trois fois par an . Elle ne dispose pas de moyens humains ou financiers propres, ni de crédits dédiés.
Onze demandes de préfets ou de directeurs généraux d'ARS instruites par cette instance ont concerné des demandes d'analyse juridique ou d'identification d'outils mobilisables sans appeler de saisine d'un opérateur. Ces onze demandes ont porté sur les sites suivants : les sites métallurgiques Metaleurop Nord dans le Pas-de-Calais et Nyrstar dans le Nord ; les anciens sites miniers du Gard dont celui de La Croix-de-Pallières ; le site minier de Saint-Martin-la-Sauveté dans la Loire ; le site sidérurgique et minier de Viviez dans l'Aveyron ; le site industriel de Wipelec en Seine-Saint-Denis ; l'ancien site minier médiéval de Melle dans les Deux-Sèvres.
La commission d'enquête s'étonne néanmoins, qu'en trois ans d'activité, cette instance de coordination interministérielle n'ait eu à traiter que onze dossiers de sites pollués jugés « complexes », alors que de nombreux autres sites auraient pu justifier sa saisine. Il est, par exemple, surprenant que la gestion de la situation sanitaire et écologique de la vallée de l'Orbiel n'ait pas donné lieu à une saisine formelle de cette instance alors que les anciens sites miniers de Salsigne cumulent des problèmes impliquant la coordination des trois ministères.
La consultation des demandes de conseil et d'accompagnement adressés à l'instance par les préfets et les directeurs généraux d'ARS fait par ailleurs apparaître des questions récurrentes qui mettent en évidence un fort besoin des services de l'État dans la production d'une doctrine nationale dans la gestion des risques sanitaires associés à une pollution des sols :
- les difficultés rencontrées par les préfets de département pour contraindre les exploitants à assumer leurs responsabilités en matière de mise en sécurité et de dépollution, tout particulièrement dans le domaine minier ;
- l' indemnisation des préjudices financiers subis par les populations dont les terrains sont concernés par des pollutions des sols, en particulier les propriétaires d'habitations et les agriculteurs dont les terrains font l'objet de restrictions d'usage ;
- les procédures mobilisables pour procéder à la mise en oeuvre d'office de mesures de gestion du risque sanitaire ou environnemental sur des terrains ou habitations dont les propriétaires y seraient opposés ;
- la difficulté pour les préfets de département de tirer des évaluations des risques sanitaires conduites par les ARS, l'Ineris ou Geoderis des directives claires pour la qualification du risque sanitaire et la définition de mesures de gestion du risque sanitaire proportionnées et adaptées à chaque situation individuelle ou géographique ;
- la politique de communication de crise auprès des élus locaux, des associations et des populations riveraines ;
S'il est vrai que la mobilisation de l'instance de coordination interministérielle est tributaire des demandes adressées par les préfets et directeurs généraux d'ARS, la commission d'enquête est convaincue de la nécessité de s'appuyer plus fortement sur ce travail de traitement interministériel des dossiers de sols pollués les plus complexes pour en tirer des enseignements qui puissent éclairer l'action des services de l'État. Elle recommande, par conséquent, de formaliser, le cas échéant par décret, l'existence d'une cellule de coordination interministérielle de la gestion des sites et sols pollués et de lui confier les missions suivantes :
- procéder à des saisines interministérielles des agences et institutions sanitaires et environnementales afin de lancer les expertises qui s'imposent pour évaluer les risques sanitaires et environnementaux liés à des pollutions des sols. Cette cellule interministérielle permettrait notamment de simplifier les conditions de mobilisation de l'expertise sanitaire nationale au profit des préfets et des directeurs généraux d'ARS, en permettant à ces derniers de saisir la cellule de demandes de saisine de l'ANSéS ou le HCSP sur l'élaboration de valeurs de gestion sanitaire ou de saisine de la HAS pour la définition de protocoles de prise en charge des populations exposées, le cas échéant sur proposition ou à la suite de signalements par des élus locaux ou des associations de riverains. En effet, à l'heure actuelle, seule Santé publique France peut être directement saisie par les directeurs généraux d'ARS dans le cadre d'une convention-cadre conclue entre l'agence et les ARS ;
- conseiller les services déconcentrés de l'État dans l'élaboration d'un plan d'action piloté par le préfet du département pour la gestion des risques sanitaires et environnementaux ;
- produire, de façon continue, une doctrine nationale de résolution des différentes problématiques liées à la gestion de sites et sols pollués (élaboration d'un plan d'action dans la gestion d'un site pollué ; recherche en responsabilité ; réparation des préjudices sanitaires et écologiques mais aussi indemnisation des préjudices financiers ; coordination des autorités sanitaires dans la mise en place d'un suivi sanitaire ; élaboration communication à l'égard des élus locaux, des associations et des populations riveraines...).
b) Renforcer la collaboration entre les agences nationales, les services déconcentrés de l'État et les collectivités territoriales dans la gestion des risques sanitaires
(1) Instituer une procédure nationale de veille permanente des risques sanitaires présentés par des sites et sols pollués
En dépit de la médiatisation croissante des problèmes sanitaires liés à des pollutions des sols, il n'existe aucune base de données accessible au grand public et aux élus locaux détaillant les sites présentant des risques majeurs pour la santé des populations et justifiant l'observation de mesures hygiéno-diététiques et, le cas échéant, la mise en oeuvre de restrictions d'usage.
Dans une instruction interministérielle en date du 14 avril 2016 155 ( * ) , la direction générale de la santé et la direction générale de la prévention des risques ont requis des préfectures et des ARS la transmission de la liste des sites industriels et miniers situés dans leur ressort territorial susceptibles de présenter un risque sanitaire pour les populations concernées. Ce travail de recensement, préalable à la réactualisation en 2017 de la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, a donné lieu à l'établissement en septembre 2016 d'un tableau de l'ensemble des sites sensibles pour lesquels un risque sanitaire pour les populations avait été identifié. Il faisait suite à la médiatisation de risques sanitaires associés aux pollutions d'anciens sites miniers ou industriels, tels que les anciennes mines de Saint-Félix-de-Pallières dans le Gard ou l'ancien site industriel Wipelec de Romainville en Seine-Saint-Denis.
Ce tableau recensait, au début de l'année 2017, 171 sites présentant un risque sanitaire avéré 156 ( * ) , dont 95 anciennes ICPE ou installations équivalentes, 32 anciens sites miniers, 32 ICPE en activité, cinq sites ayant accueilli à la fois une ICPE et un site minier et sept sites ne relevant pas des catégories précitées et généralement associés à un risque de radioactivité. Il n'a depuis fait l'objet d'aucune mise à jour et n'a pas été porté à la connaissance des responsables locaux ni du grand public.
Or les éléments figurant dans ce tableau présentent un intérêt évident pour l'information des responsables de collectivités territoriales et les populations, en particulier afin de conserver la mémoire des mesures de gestion du risque sanitaire mises en place. La connaissance des actions mises en oeuvre par les cellules d'intervention en région de Santé publique France dans la prise en charge des sites et sols pollués, inscrites dans le tableau précité, auraient en effet permis, dans un souci de transparence, d' éclairer les populations concernées sur la stratégie de gestion du risque sanitaire mise en place par les autorités .
Face au besoin de transparence sur les risques sanitaires liés à des pollutions des sols, il convient de mettre en place un circuit garantissant une remontée d'informations, régulièrement actualisées, sur les sites et sols pollués présentant un risque sanitaire avéré afin de permettre à Santé publique France d'effectuer une veille permanente de ces sites et de mettre à disposition du grand public sur son site Internet la liste des sites concernés et des mesures de gestion du risque sanitaire envisagées et mises en oeuvre.
Informé, le cas échéant, par la Dreal ou le directeur général de l'ARS, le préfet pourrait alors se voir confier l'obligation de communiquer systématiquement aux ministres chargés de la santé et de l'environnement ainsi qu'à Santé publique France toute suspicion d'une pollution des sols susceptible de présenter un risque sanitaire pour les employés présents sur le site ou pour les populations vivant à proximité. Toutes les pollutions et non-conformités susceptibles de présenter un risque sanitaire constatées soit par l'inspection des installations classées, soit communiquées à la Dreal par les bureaux d'études à l'occasion du contrôle d'une ICPE, devront être communiquées au préfet afin que celui-ci en informe le directeur général de l'ARS et fasse remonter l'information à Santé publique France.
Une fois le risque sanitaire confirmé par une étude d'interprétation de l'état des milieux et étayé, le cas échéant, par les données de santé et la littérature scientifique disponibles, il appartiendra alors à Santé publique France d'inscrire le site concerné dans un tableau mis à disposition du grand public en open data sur son site Internet. Ce tableau devrait également rappeler les restrictions d'usage et les mesures hygiéno-diététiques recommandées aux populations afin de conserver la mémoire de l'ensemble des mesures de gestion du risque sanitaire pour les personnes nouvellement installées.
Pour mémoire, lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur général de la santé a lui-même recommandé que « dans le cadre du plan national santé-environnement à venir, nous créions un observatoire santé-environnement à destination des citoyens, pour que ceux-ci retrouvent dans des termes accessibles l'information sur les différentes expositions et leurs conséquences pour la santé, ainsi que des conseils à suivre - pour entretenir l'effet mémoire, aussi ».
Proposition n° 21 : Prévoir une obligation pour le préfet et le directeur général de l'agence régionale de santé de communiquer systématiquement aux ministres chargés de la santé et de l'environnement et à Santé publique France toute suspicion d'une pollution des sols susceptible de présenter un risque sanitaire ou pour l'environnement.
Proposition n° 22 : Charger Santé publique France de mettre en ligne sur son site Internet une liste régulièrement actualisée de l'ensemble des sites dont la pollution des sols présente un risque avéré pour la santé et rappelant les mesures de gestion du risque sanitaire mises en oeuvre ou envisagées.
Le besoin d'une cartographie des risques sanitaires associés aux pollutions des sols a, en outre, été plusieurs fois évoqué pendant les auditions de la commission d'enquête, tout particulièrement par les représentants des élus locaux et les associations de défense des intérêts des riverains.
À cet égard, il convient de noter que le portail « Géodes » , créé par Santé publique France, permet déjà de visualiser géographiquement l'état de plusieurs indicateurs de santé sur le territoire : il est ainsi possible d'y identifier, pour chaque département, différents indicateurs dont certains sont en lien avec des expositions environnementales (données relatives au dépistage et au nombre de cas de saturnisme, aux taux de décès attribuables à une exposition chronique aux particules fines, aux taux de prévalence d'expositions professionnelles à différentes substances toxiques...).
Toutefois, les déterminants de santé en lien avec la santé environnementale renseignés par le portail « Géodes » semblent se limiter à la pollution atmosphérique, aux situations d'exposition professionnelle au formaldéhyde, à l'exposition aux perturbateurs endocriniens, à l'exposition au plomb et aux situations d'exposition professionnelle aux solvants chlorés, pétroliers et oxygénés. Il ne comporte pas de données relatives à l'exposition non-professionnelle des populations à des polluants pourtant bien présents dans l'environnement (arsenic, cadmium, mercure, hydrocarbures, polychlorobiphényles...).
Afin de faciliter l'accès des populations aux données relatives à la santé environnementale , la commission d'enquête propose, par conséquent, d' enrichir le portail cartographique « Géodes » de Santé publique France de données de santé en lien avec l'ensemble des expositions environnementales - non uniquement d'origine professionnelle -, en tenant compte des expositions à des substances potentiellement toxiques dans les milieux de vie, notamment à des substances polluantes présentes dans les sols.
(2) Systématiser la mise en place de plans d'action territoriaux de gestion des risques sanitaires et écologiques associés à des pollutions des sols
Enfin, afin de coordonner l'intervention des différentes autorités habilitées à intervenir dans la protection de la santé des populations au niveau de chaque territoire, il est indispensable d'établir, à la fois au niveau des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales concernées, un plan d'action territorial élaboré dans un cadre concerté et participatif avec les différentes parties prenantes.
• Au niveau des administrations déconcentrées de l'État
L'exemple de la gestion des risques sanitaires dans la vallée de l'Orbiel, en lien avec les pollutions résultant de l'exploitation des anciennes mines de Salsigne, est à cet égard éclairant. La préfecture de l'Aude a annoncé, en octobre 2019, la mise en place d'un plan d'action « co-construit ». Toutefois, lors du déplacement de la commission d'enquête dans l'Aude le 20 juillet 2020, les représentants tant des collectivités territoriales que des associations de riverains membres de la commission de suivi de site ont regretté l' absence de véritable concertation dans l'élaboration de ce plan .
En l'absence de consensus sur le contenu et les modalités de mise en oeuvre d'un tel plan, la défiance entre l'État, les collectivités territoriales et les associations de riverains perdurera. Par ailleurs, à défaut d'obligation législative, la définition d'un tel plan reste facultative, laissée à la libre appréciation du préfet concerné.
Les commissions de suivi de site (CSS) s'imposent comme le cadre de concertation le plus pertinent pour l'élaboration d'un tel plan. Dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale de la santé rappelle ainsi que Santé publique France a conduit trois études de santé visant à décrire la situation sanitaire sur le bassin industriel de Lacq, ancien gisement de gaz fortement pollué par des hydrocarbures, dont une spécifiquement consacrée à l'analyse du contexte et des attentes locales. Cette étude 157 ( * ) a permis de montrer que la commission de suivi de site est utile pour développer la confiance avec les parties prenantes , notamment lorsque des études de santé sont mises en place, en y présentant les résultats des études en toute transparence et en permettant des échanges avec l'ensemble des acteurs sur les protocoles d'étude dans le cadre d'une démarche participative.
Dans les conclusions de cette étude, Santé publique France confirme également la nécessité de renforcer de manière significative la démarche participative dans l'élaboration de la stratégie de gestion des risques sanitaires, en s'engageant à :
- présenter les résultats des études de santé « dans les instances de gouvernance des projets incluant les structures associées au site industriel », notamment au niveau de la commission de suivi de site, et « à rendre publics sur son site internet les résultats de ces travaux dès lors qu'ils auront été validés par les différentes instances concernées » ;
- développer des études basées « sur des échanges pluriels et contradictoires », organisés au sein, d'une part, « de ses comités d'appui thématiques associés aux études sociologiques et épidémiologiques mobilisant des scientifiques de différentes institutions (universités, CNRS 158 ( * ) , Inserm 159 ( * ) ...) », et, d'autre part, « de ses comités d'interface où se développe un dialogue avec l'ensemble des acteurs du territoire notamment au niveau du bureau de la CSS et de la CSS où les protocoles d'études sont présentés, discutés et, le cas échéant, amendés. Cette approche participative peut être encore améliorée en associant des acteurs locaux en amont de la CSS dans le cadre du comité d'appui thématique selon des modalités qui restent à définir » ;
- s'appuyer sur le bureau de la CSS pour proposer et débattre des modalités d'amélioration de la diffusion des informations à destination des professionnels de santé et des riverains.
Toutefois, la commission d'enquête relève qu'aux termes de l'article L. 125-2-1 du code de l'environnement, la mise en place d'une commission de suivi de site autour d'une ou plusieurs ICPE reste une faculté exercée à la discrétion du préfet. Elle estime, par conséquent, nécessaire de rendre obligatoire, dans le code de l'environnement, la mise en place d'une commission de suivi site pour tout site industriel ou minier, en activité ou en arrêt, occasionnant une pollution des milieux présentant un risque avéré pour la santé et recensé, à ce titre, sur la liste des sites pollués mise en ligne par Santé publique France conformément à la recommandation de la commission d'enquêté présentée plus tôt.
Dans un souci de co-construction avec les élus locaux et la population de la réponse sanitaire à apporter face à des sites et sols pollués, la commission d'enquête propose que, chaque fois qu'un risque sanitaire est identifié pour un site, la commission de suivi de site comporte un comité d'interface dédié à la gestion des risques sanitaires , permettant aux parties prenantes, aux représentants des autorités sanitaires (Santé publique France, ARS, et aux experts (centres antipoison et de toxicovigilance, professionnels de santé, chercheurs...). Dans une logique participative , ce comité d'interface constituera le lieu pertinent pour des échanges réguliers avec les représentants des élus locaux et des associations de riverains sur la pertinence de la mise en place d'études de santé et épidémiologiques et leur portée et leurs éventuelles limites. Il offrira également la possibilité aux différentes parties prenantes d' amender les protocoles d'études et les mesures de gestion du risque sanitaire envisagés .
En complément, la commission recommande d'inscrire dans la loi l'obligation pour le préfet d'élaborer, après consultation du directeur général de l'ARS, un plan d'action pour chaque site dont la pollution présente un danger pour la santé des populations. Afin de garantir la concertation des différentes parties prenantes, ce plan devra être soumis pour avis aux membres de la commission de suivi de site afin de garantir l'adhésion des différentes parties prenantes en leur reconnaissant la possibilité d'amender ce plan : une majorité absolue d'avis négatifs pourrait ainsi contraindre le préfet à réviser sa proposition de plan d'action. L'institution d'un tel plan d'action devrait, en outre, garantir la cohérence et la continuité, sur une période longue, de la mise en oeuvre par les autorités de l'État de mesures de gestion des risques sanitaires, en dépit des éventuels changements des titulaires des fonctions impliquées (préfets, directeurs de la Dreal, directeurs généraux des ARS...).
Proposition n° 23 : Rendre obligatoire la mise en place par le préfet d'une commission de suivi de site pour tout site industriel ou minier, en activité ou en arrêt, présentant un risque avéré pour la santé.
Proposition n° 24 : Rendre obligatoire la mise en place, au sein de chaque commission de suivi de site, d'un comité d'interface dédié à la gestion des risques sanitaires.
Proposition n° 25 : Rendre obligatoire l'élaboration par le préfet d'un plan d'action détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé, soumis à l'avis des membres de la commission de suivi de site et faisant l'objet d'un bilan annuel de sa mise en oeuvre.
La coordination entre les différentes administrations territoriales de l'État intervenant en matière de gestion des sites et sols pollués mérite également d'être renforcée. L'instruction interministérielle du 27 avril 2017 précitée avait notamment recommandé aux préfets de créer des comités de coordination entre la Dreal, l'ARS et, le cas échéant, la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), la direction départementale des territoires (DDT) et la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP).
Les ministères interrogés par la commission d'enquête n'ont pas été en mesure de préciser le nombre de comités de coordination mis en place par des préfets pour améliorer l'action des services de l'État dans la gestion des sites et sols pollués. Toutefois, certaines initiatives régionales montrent que ces comités participent bien d'une meilleure articulation des interventions des différents services de l'État.
À titre d'exemple, la direction générale de la santé indique qu'en Île-de-France, la rédaction d'un protocole entre l'ARS et la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (Driee) , intitulé « Gestion des sites et sols pollués liés à l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) présentant des risques sanitaires avérés ou suspectés en Île-de-France » devrait être signée d'ici la fin 2020. Ce protocole définit les rôles respectifs de l'ARS et de la Driee dans l'organisation de l'appui aux préfets des départements dans le pilotage technique et la gestion des sites et sols pollués issus d'anciennes ICPE ou d'ICPE en activité présentant des risques sanitaires pour les populations. Il précise notamment la mise en place des instances de gouvernance et technique le cas échéant.
La commission d'enquête estime que ce type de protocole de coordination entre les ARS, la Dreal et d'éventuels autres services de l'État présente une véritable valeur ajoutée en permettant une réponse de l'État mieux coordonnée et cohérente , tant en amont de l'analyse des risques sanitaires et environnementaux par le lancement de diverses études qu'en aval par la définition de mesures de gestion des risques et l'établissement d'un plan de communication. Elle recommande par conséquent la conclusion, dans chaque région hexagonale et ultramarine, de protocoles de coordination entre les ARS, les Dreal, les Draaf - au titre de la sécurité sanitaire de l'alimentation - et, le cas échéant, d'autres services de l'État, afin de préciser et mieux articuler les rôles respectifs de ces services dans la prévention et la gestion des risques sanitaires et environnementaux en lien avec des sites et sols pollués.
Le risque de maximisation de l'exposition des populations à des substances polluantes par des phénomènes climatiques majeurs, tels que des inondations ou des épisodes venteux, requiert également un renforcement de de la réactivité des services de l'État dans la mise en place d'une surveillance environnementale effective de la dispersion dans les milieux de vie extérieurs et intérieurs de ces substances. À titre d'exemple, à la suite des inondations de l'automne 2018 dans la vallée de l'Orbiel, Santé publique France a préconisé la « mise en place d'une surveillance environnementale systématique et réactive en cas de nouvelles inondations selon un protocole type préalablement établi en adaptant le choix des zones et points de prélèvements suivant l'onde de crue (liste de polluants recherchés non restrictive dans ce cas). » 160 ( * )
La commission d'enquête considère que cette recommandation devrait être généralisée à l'ensemble des sites présentant un risque de diffusion inter-milieux de substances polluantes avec l'inclusion, dans chaque plan d'action des services de l'État pour la gestion de sites pollués sensibles, d'un dispositif de surveillance environnementale systématique des risques de dispersion et de transfert inter-milieux de substances polluantes en cas d'événements climatiques majeurs , sous la forme de « plans de gestion du risque inondation » ou de « plans de gestion du risque vents » 161 ( * ) .
• Au niveau des communes et intercommunalités
Par ailleurs, si plusieurs dispositifs existent pour organiser les interventions respectives de l'exploitant, de l'État et des collectivités territoriales pour faire face à un danger sanitaire d'une exceptionnelle gravité, ils restent essentiellement destinés à gérer les conséquences d'accidents industriels graves et ponctuels, et n'offrent pas une réponse adaptée et opérationnelle aux risques posés par une pollution des sols chronique ou historique, « réveillée », le cas échéant, par des événements climatiques majeurs. Il s'agit en effet de dispositifs visant principalement des installations en activité soumises à des obligations renforcées de gestion des risques.
Ces dispositifs mobilisent l'exploitant, le maire de la commune d'implantation de l'établissement industriel et le représentant de l'État dans le département, selon un principe de gradation des risques :
- le plan d'opération interne (POI) , prévu par l'article L. 515-41 du code de l'environnement, est élaboré par l'exploitant d'une installation présentant des dangers particulièrement importants pour la sécurité et la santé des populations voisines et pour l'environnement 162 ( * ) afin de « contenir et maîtriser les incidents de façon à en minimiser les effets et à limiter les dommages causés à la santé publique, à l'environnement et aux biens » et de « mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour protéger la santé publique et l'environnement contre les effets d'accidents majeurs ». Il correspond au plan d'urgence défini par l'article 9 de la directive Seveso du 9 décembre 1996 ;
- le plan particulier d'intervention (PPI) , prévu par l'article L. 741-6 du code de la sécurité intérieure, correspond au plan d'urgence externe prévu par l'article 9 de la directive Seveso du 9 décembre 1996 et constitue un volet du plan Orsec 163 ( * ) élaboré par le préfet ;
- le plan communal de sauvegarde (PCS) , prévu par l'article 13 de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile 164 ( * ) et codifié à l'article R. 731-1 du code de la sécurité intérieure, permet de déterminer, sous l'autorité du maire , les mesures immédiates de sauvegarde et de protection des personnes et d'organiser la diffusion de l'alerte et des consignes de sécurité face à des risques connus. Le PCS est obligatoire pour les communes dotées d'un plan de prévention des risques naturels ou situées dans le champ d'un PPI.
Une circulaire du 12 janvier 2011 165 ( * ) précise l'articulation entre le POI et le PPI et clarifie la répartition des responsabilités entre l'exploitant d'une ICPE soumise à POI et les pouvoirs publics, en précisant notamment les modalités d'intervention opérationnelle des services d'incendie et de secours. Pour autant, cette circulaire ne fait aucune mention de l'articulation de ces dispositifs avec le plan communal de sauvegarde et de la coordination de la réponse de l'exploitant et des pouvoirs publics avec celle que doit mettre en oeuvre le maire de la commune d'implantation de l'installation. En outre, ces dispositifs ne s'appliquent qu'aux sites des installations encore en activité en situation accidentelle et n'offrent pas de cadre de réponse pour la gestion des risques posés par des sites dont l'exploitation a cessé mais dont la pollution est ravivée par des événements climatiques tels que des inondations ou des épisodes venteux de forte intensité.
Afin de faciliter la coordination des interventions respectives des services de l'État et des collectivités territoriales en situation de pollution des sols, il convient de généraliser l'insertion dans le plan communal de sauvegarde de chaque commune d'un volet spécifique consacré à la gestion des risques sanitaires posés par des sites exploités pour une activité industrielle ou minière , tant en activité qu'à l'arrêt. Les communes concernées devraient ainsi être celles pour lesquelles un site situé dans leur périmètre a été recensé dans la base Basol. Ce volet pourra être élaboré au niveau intercommunal pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d'urbanisme.
Un guide méthodologique pour l'élaboration de ce volet de gestion des risques sanitaires liés à une pollution industrielle ou minière des sols à destination des communes pourrait ainsi être établi par Santé publique France, l'ANSéS et le HCSP afin de permettre à chaque commune d'identifier les grandes catégories d'information à renseigner dont :
- la description du risque et sa caractérisation sur le territoire de la commune ;
- les éventuels facteurs aggravants du risque (tels que des conditions climatiques exceptionnelles) ;
- les conséquences du risque pour la population ;
- la liste des actions possibles que la commune peut déployer et leur articulation avec l'intervention des services de l'État ;
- les types de recommandations générales à l'intention de la population (mesures hygiéno-diététiques, restrictions d'usage...).
Proposition n° 26 : Intégrer dans le plan communal de sauvegarde des communes comportant sur leur territoire un site recensé dans la base Basol un volet spécifique consacré à l'alerte, l'information, la protection et le soutien de la population en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols.
En outre, la commission d'enquête recommande la mise en réseau des collectivités territoriales accueillant sur leur territoire des sites ou sols pollués afin que leurs responsables disposent d'un cadre de travail où ils pourraient partager leurs expériences respectives et échanger des bonnes pratiques dans la gestion des risques sanitaires et écologiques associés aux pollutions des sols. Ce réseau pourrait prendre la forme d'une association de collectivités territoriales, sur le modèle de l'association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris) qui rassemble des « communes, intercommunalités et régions accueillant sur leurs territoires des activités industrielles ou des canalisations de transport de matières dangereuses. » 166 ( * )
Afin de favoriser les initiatives de collectivités de constitution d'un tel réseau, il conviendrait alors de prévoir l'attribution d'une subvention nationale par le ministère chargé de l'environnement à une association de collectivités territoriales accueillant des sites et sols pollués.
Proposition n° 27 : Soutenir, notamment par l'attribution d'une subvention nationale, la constitution d'un réseau associatif de collectivités territoriales accueillant des sites pollués afin de favoriser le partage d'expériences et de bonnes pratiques dans la gestion des risques sanitaires et écologiques associés aux pollutions des sols.
Par ailleurs, la commission d'enquête plaide pour un renforcement des moyens humains et financiers des unités interdépartementales des Dreal et des délégations départementales des ARS . De ses travaux ressort en effet le besoin d'une plus grande proximité entre les services de la Dreal et de l'ARS avec les responsables des collectivités territoriales accueillant sur leur territoire des sites industriels ou miniers en activité ou à l'arrêt. Compte tenu du périmètre désormais très étendu des régions à la suite de la dernière réforme territoriale de 2015 167 ( * ) , les unités interdépartementales des Dreal et les délégations départementales des ARS apparaissent comme l'échelon le mieux à même de tenir compte des spécificités des bassins de vie et d'emploi et de leurs problématiques sanitaires et environnementales .
Lors de son audition par la commission d'enquête, le ministre des solidarités et de la santé a ainsi concédé que « c'est à l'échelon territorial qu'il y a des progrès à faire, ce qui milite pour le renforcement de l'échelon départemental des ARS et des structures qui existent », en rappelant que « les élus [...] se plaignent d'un accès trop difficile au directeur général de l'ARS : ils soulignent que même le préfet est plus accessible -mais le préfet n'a qu'un département à gérer, quand l'ARS est compétente pour la région tout entière, c'est bien le signe qu'il faut renforcer l'échelon départemental des ARS, pour plus de congruence et d'information réciproques. »
Par ailleurs, il convient de rappeler qu'en application de l'article R. 1435-2 du code de la santé publique, le préfet et le directeur général de l'ARS de chaque département doivent établir un protocole départemental relatif aux actions et prestations mises en oeuvre par l'agence pour le préfet , notamment en matière de « protection contre les risques sanitaires liés à l'environnement, y compris les risques liés à l'habitat ». Aux termes de l'article R. 1435-3 du même code, ce protocole doit préciser les actions confiées par le directeur général de l'ARS au directeur de la délégation départementale.
Afin de favoriser la prise en compte effective des spécificités du contexte sanitaire et environnemental propre à bassin de vie, il serait opportun qu'il soit précisé, par voie réglementaire, que le protocole départemental établi par le préfet et le directeur général de l'ARS prévu par l'article R. 1435-2 du code de la santé publique définisse, sur proposition du directeur de la délégation départementale de l'ARS, l'ensemble des actions de protection contre les risques sanitaires liés aux pollutions des milieux de vie consécutives aux activités économiques, à la fois industrielles, minières et agricoles.
En outre, les compétences techniques des conseils départementaux de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) dans la gestion des risques sanitaires liés aux pollutions des sols mériteraient d'être renforcées, notamment par le recours à des personnalités qualifiées dans le traitement des problématiques sanitaires en lien avec les sites et sols pollués ou encore en toxicovigilance, qui seraient inscrits sur une liste ou un annuaire national d'experts en sites et sols pollués.
En application des articles L. 1416-1 et R. 1416-6 du code de la santé publique, le Coderst est en effet associé « à l'élaboration, à la mise en oeuvre et au suivi, dans le département, des politiques publiques dans les domaines de la protection de l'environnement, de la gestion durable des ressources naturelles et de la prévention des risques sanitaires et technologiques ». Dans la mesure où le Coderst comprend des représentants de collectivités territoriales et des associations de protection de l'environnement et de défense des consommateurs, ainsi qu'au moins un médecin, son avis peut apporter un éclairage pertinent aux projets d'actes réglementaires ou individuels du préfet en matière de gestion des sites et sols pollués, notamment lorsqu'il s'agit d'imposer par arrêté préfectoral des exigences accrues de surveillance des sols ou des travaux de mise en sécurité ou de remise en état.
2. Améliorer la qualité des évaluations quantitatives des risques sanitaires
Comme en matière de dépollution, l'approche française de la gestion du risque sanitaire associé à une pollution des sols n'est pas fondée sur une notion de seuil dont le dépassement déclencherait automatiquement un suivi sanitaire et la mise en oeuvre de mesures de gestion du risque. Elle privilégie l'évaluation d'un potentiel d'exposition des populations en fonction des usages du sol et des paramètres de transfert des polluants dans les milieux.
Les méthodes de calcul du risque sanitaire empruntées par l'évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS), utilisées tant par l'Ineris et GEODERIS que par les bureaux d'études spécialisés en diagnostic des sols, supposent ainsi de définir différents scenarii d'exposition des populations qui tiennent compte notamment :
- des voies possibles d'exposition identifiées (inhalation, ingestion...) et des quantités de substances polluantes susceptibles d'être diffusées par ces voies ;
- de la sensibilité de certaines catégories de populations à l'exposition en fonction de leurs caractéristiques physiologiques (enfants, femmes enceintes, personnes âgées, personnes atteintes de maladies chroniques...) ;
- des types d'activité susceptibles de maximiser l'exposition.
La mesure et la gestion du risque sanitaire lié à une exposition à une substance polluante s'appuient sur des valeurs toxicologiques de référence (VTR). À partir d'une VTR et d'un scénario d'exposition donnés, est alors définie une valeur de gestion du risque pour un milieu déterminé : fixée par référence à une VTR, cette valeur de gestion du risque est censée correspondre à un seuil protecteur dès lors qu'elle se fonde sur un scénario d'exposition maximaliste, en partant de l'hypothèse que les populations seraient exposées en permanence à une quantité continue de substance polluante.
Les VTR sont établies, en France comme à l'étranger, par des agences scientifiques nationales ou internationales. En France, deux institutions jouent un rôle déterminant dans la définition et le recueil des VTR :
- l'ANSéS : en application de l'article L. 1313-1 du code de la santé publique, elle « contribue principalement à assurer la sécurité sanitaire humaine dans les domaines de l'environnement, du travail et de l'alimentation » et a pour mission, dans son champ de compétence, « de réaliser l'évaluation des risques, de fournir aux autorités compétentes toutes les informations sur ces risques ainsi que l'expertise et l'appui scientifique et technique nécessaires à l'élaboration des dispositions législatives et réglementaires et à la mise en oeuvre des mesures de gestion des risques. » L'établissement de VTR constitue ainsi une mission pérenne de l'ANSéS : à ce titre, l'agence a mis à disposition sur son site Internet une base de données récapitulant plus de 500 VTR issues des différentes bases de données internationales disponibles, dont une soixantaine spécifiquement construites par l'agence pour près de 40 substances dans le cadre de son programme national sur les VTR qui s'appuie sur un comité d'experts spécialisés « Valeurs sanitaires de référence » ;
- l'Ineris : en application de l'article R. 131-36 du code de l'environnement, il a pour mission « de réaliser ou de faire réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, ainsi que sur l'environnement » et participe ainsi « à l'élaboration de normes et de réglementations techniques nationales ou internationales ». À ce titre, l'Ineris publie sur son portail des substances chimiques (PSC) une liste de choix de VTR , régulièrement révisés en fonction de l'évolution de l'état des connaissances scientifiques. En appui à la politique de gestion des sites et sols pollués, l'Ineris propose ainsi des VTR pour une soixantaine de substances courantes dans les sols pollués, utilisables pour les évaluations de risques sanitaires. Les choix de VTR sont réalisés selon une méthodologie 168 ( * ) établie par l'Ineris et conformément aux recommandations établies par une instruction interministérielle du 31 octobre 2014 169 ( * ) relative aux modalités de sélection des substances chimiques et de choix de valeurs toxicologiques de référence pour mener les évaluations de risques sanitaires dans le cadre des études d'impact et de gestion des sites et sols pollués. Ces choix sont ainsi soumis à un comité d'experts externe à l'institut. Au début de l'année 2020, ce portail recense des VTR pour 61 substances et leurs dérivés , étant entendu que chaque substance peut se voir attribuer plusieurs VTR en fonction des différentes voies d'exposition possibles ;
a) Perfectionner le système des valeurs toxicologiques de référence
(1) Rationaliser la construction des valeurs toxicologiques de référence et maximiser l'accès aux données sur ces valeurs
La note interministérielle du 31 octobre 2014 précitée recense huit bases de données sur les VTR , dont :
- une tenue par l'ANSéS ;
- deux tenues par des agences fédérales américaines (l'agence de protection de l'environnement - Environmental Protection Agency - EPA - et l'agence pour le registre des substances toxiques et des maladies - Agency for Toxic Substances and Disease Registry - ATSDR -) ;
- une tenue par l'agence fédérale canadienne de santé - Santé Canada ;
- une tenue par l'institut national de la santé publique et de l'environnement des Pays-Bas ( Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu - RIVM) ;
- une tenue par l'organisation mondiale de la santé (OMS), qui se décline, d'une part, dans le cadre des « résumés succincts internationaux sur l'évaluation des risques chimiques » ( Concise International Chemical Assessment Documents - CICADs), et, d'autre part, dans le cadre du programme international sur la sécurité des substances chimiques (PISSC) ;
- une tenue par l'agence européenne de la sécurité des aliments ( European Food Safety Authority - EFSA) ;
- une tenue par l'office de l'évaluation des risques sanitaires liés à l'environnement ( Office of Environmental Health Hazard Assessment - OEHHA) de l'agence californienne de la protection de l'environnement.
La coexistence de plusieurs sources de données en France sur les VTR , au travers de la base de données de l'ANSéS et du portail des substances chimiques de l'Ineris, alimentées par les expertises distinctes conduites par ces deux organismes dans le cadre de comités d'experts également distincts, peut être source de confusion , tant pour les exploitants pétitionnaires devant réaliser des études d'impact que pour les responsables des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales, de même que pour le grand public. En outre, la mise en place de comités d'experts distincts pour la construction de VTR par ces l'ANSéS et l'Ineris ne permet pas d'écarter le risque de valeurs différentes choisies pour une même substance, selon la date des expertises conduites.
Pour le choix des VTR en cas d'existence de plusieurs VTR pour une voie et une durée d'exposition données, la note interministérielle du 31 octobre 2014 donne du reste la primauté à la base de données de l'ANSéS et renvoie, dans l'hypothèse de l'absence de VTR construite par l'ANSéS, aux VTR retenues par une expertise collective nationale, puis, à défaut, aux VTR recensées dans les bases de données de l'EPA, de l'ATSDR et de l'OMS, et enfin, à défaut, aux VTR recensées dans les bases de données de Santé Canada, de RIVM, de l'OEHHA et de l'EFSA.
Logigramme de choix des VTR lorsqu'il existe plusieurs
VTR
pour une voie et une durée d'exposition
Source : Note d'information n° DGS/EA1/DGPR/2014/307 du 31 octobre 2014
Dans un souci de lisibilité des données existantes relatives aux VTR , la commission d'enquête plaide dès lors pour la consolidation dans une seule base de données de l'ensemble des informations disponibles sur les VTR , administrée par l'ANSéS et qui serait alimentée par des VTR co-construites par l'ANSéS et l'Ineris et validées par un seul comité d'experts commun à ces deux organismes , afin de garantir la cohérence des choix nationaux de VTR. Cette base de données nationale serait complétée, le cas échéant, par les données issues des registres étrangers pour les VTR non construites par les agences françaises.
Enfin, la commission d'enquête insiste sur la nécessité pour l'ANSéS et l'Ineris de mieux communiquer, dans un langage plus pédagogique et accessible , tant auprès des exploitants que du grand public sur la signification des VTR et les effets qu'emportent sur la santé le dépassement d'une VTR ou une teneur qui s'en approcherait .
(2) Développer la construction de nouvelles valeurs toxicologiques de référence pour des substances polluantes dont la toxicité est scientifiquement établie
En outre, lors de son audition par la commission d'enquête, Mme Martine Ramel, responsable de l'unité « Risques et technologies durables » de l'Ineris, a rappelé que, selon elle, « il existe bien plus que 500 substances susceptibles de polluer un sol . Leur nombre doit plutôt atteindre plusieurs milliers. Il existe en réalité environ 500 VTR au niveau international » 170 ( * ) . Pour sa part, la direction générale de la santé souligne que la réglementation européenne REACH 171 ( * ) évalue à 30 000 le nombre de substances chimiques sur le marché pour lesquelles aucune VTR n'existe, en précisant qu'un total de 2 000 VTR seraient aujourd'hui disponibles.
Le directeur général de l'Ineris a pour sa part insisté, lors de son audition, sur le fait que « l'absence de VTR ne signifie pas que nous ne savons rien de la toxicité de la substance. Cela signifie simplement qu'aucun organisme n'a proposé de valeur permettant de calculer un risque » 172 ( * ) . L'absence de VTR ne permet pas en effet d'écarter de façon certaine l'existence d'un risque sanitaire pour une substance potentiellement polluante. Dans ses réponses adressées à la commission d'enquête, l'Ineris rappelle ainsi, à titre d'exemple, que ce n'est que très récemment, dans le cas d'un ancien site minier, qu'une VTR a été validée au niveau national pour le tungstène.
Une meilleure connaissance des risques sanitaires liés aux substances polluantes présentes dans le sol requiert donc une intensification de l'effort de construction de VTR par l'Ineris et l'ANSéS. La commission d'enquête invite donc les tutelles de ces deux organismes à leur fixer une cible annuelle commune de construction de nouveaux choix de VTR pour des substances polluantes dont la toxicité est déjà étayée par la littérature scientifique, qui seraient validés par un comité d'experts commun à ces deux organismes.
Proposition n° 28 : Fixer à l'ANSéS et l'Ineris une cible annuelle commune de co-construction de nouveaux choix de VTR pour des substances polluantes dont la toxicité est étayée par la littérature scientifique, validés par un comité d'experts commun à ces deux organismes.
b) Parfaire le référentiel de l'évaluation quantitative des risques sanitaires
La démarche de l'EQRS est inscrite dans la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, figurant dans la note ministérielle du 8 février 2007 ayant pour objet les sites et sols pollués et relative aux modalités de gestion et de réaménagement des sites pollués, et mise à jour en avril 2017. Par définition, une EQRS doit composer avec un certain nombre d' incertitudes , qu'il s'agisse des sources de pollution identifiées, de l'échantillonage, des VTR retenues ou encore des paramètres et des résultats des analyses effectuées... La conduite d'une EQRS constitue une obligation de moyens et non de résultat , une EQRS ne permettant pas de prédire ou d'expliquer une situation sanitaire observée a posteriori . À ce titre, le rapport de contrôle produit par un bureau d'études doit comporter un chapitre dédié à l'analyse des incertitudes .
Cette part d'incertitudes est en principe compensée par une approche « majorante » de l'analyse du risque sanitaire : les EQRS réalisées par les bureaux d'études se fondent en effet généralement sur des hypothèses destinées à garantir un haut niveau de sécurité de la santé des populations -que ce soit dans le choix des scenarii , des valeurs toxicologiques de référence et des modèles, ou encore dans l'additivité quasi -systématique des risques-. Dans ses réponses adressées à la commission d'enquête, la Coprec relève néanmoins que les outils de modélisation des transferts multi-milieux restent très hétérogènes d'un bureau d'études à l'autre .
Dans ces conditions, la commission d'enquête prône une révision du référentiel de l'EQRS permettant d'harmoniser les pratiques des bureaux d'études dans leurs choix et usages des outils de modélisation des transferts multi-milieux , sur la base d'un guide des bonnes pratiques dans ce domaine qui serait élaboré par l'Ineris . Pour mémoire, l'Ineris a déjà validé, en octobre 2016, un guide de bonnes pratiques pour la réalisation de modélisations 3D pour des scenarii de dispersion atmosphérique en situation accidentelle.
3. Garantir un suivi sanitaire réactif et proportionné des populations exposées
Lors de son audition par la commission d'enquête, la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé a rappelé que « les expositions aux polluants sont à 80 % issues de l'alimentation et 20 % par d'autres voies - aériennes notamment » 173 ( * ) .
Comme le souligne l'ANSéS dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, il convient de distinguer deux types de substances chimiques susceptibles de présenter un effet sur la santé , selon leurs caractéristiques de dangers : les substances dont la toxicité n'apparaît qu'au-delà d'un certain seuil de dose 174 ( * ) , pour lesquelles sont construites des VTR à seuil , et celles dont l'exposition entraîne un risque individuel accru, même très légèrement, dès les premières niveaux d'exposition et pour lesquelles sont construites des VTR sans seuil . C'est notamment le cas d'un certain nombre de substances cancérogènes 175 ( * ) , comme l'arsenic.
Pour autant, l'existence d'une VTR à seuil ou sans seuil pour une substance polluante dont la présence est identifiée dans un sol ne suffit pas à déclencher la mise en place d'un suivi des populations exposées. Au-delà des études quantitatives des risques, qui permettent, en croisant les données de diagnostic des sols et d'études épidémiologiques, de mesurer l'ampleur globale du risque, une réflexion commune entre les autorités sanitaires, les élus locaux et les associations de riverains, faisant intervenir les experts, est nécessaire afin de définir la démarche de protection sanitaire et sa gradation, afin qu'elle reste proportionnée au risque mais tienne également compte des incertitudes : cette démarche peut prendre la forme de recommandations destinées à éviter les surexpositions, notamment au travers de restrictions d'usage et de mesures hygiéno-diététiques, jusqu'à un suivi médical périodique, incluant des suivis biologiques et épidémiologiques.
a) Créer un dispositif national de surveillance des substances polluantes dangereuses présentes dans les sols
La France a été l'un des premiers pays à introduire dans sa législation, à l'occasion de l'adoption de la loi du 26 janvier 2016 176 ( * ) de modernisation de notre système de santé, dite loi « Santé » de 2016, la notion d' exposome que l'article L. 1411-1 du code de la santé publique définit comme « l'intégration sur la vie entière de l'ensemble des expositions qui peuvent influencer la santé humaine ». Ce concept s'impose désormais de plus en plus largement dans les travaux d'épidémiologie et les actions de prévention, et c'est à ce titre que l'article L. 2111-1 du même code inclut dans la politique de protection et de promotion de la santé maternelle et infantile « des actions de prévention et d'information sur les risques pour la santé liés à des facteurs environnementaux, sur la base du concept d'exposome. »
La loi « Santé » de 2016 comporte également un chapitre V spécifiquement dédié à l'information et la protection des populations face aux risques sanitaires liés à l'environnement. Toutefois ce chapitre ne comprend que des dispositions relatives à la pollution atmosphérique et de l'air intérieur 177 ( * ) , à la lutte contre plomb, à la salubrité des habitations ou encore à l'exposition aux fibres d'amiante. Il ne comporte, en revanche, aucune disposition relative à la prévention des risques sanitaires liés à une pollution des sols.
Par conséquent, la commission d'enquête estime indispensable d' introduire dans le code de l'environnement des dispositions relatives à la surveillance de la qualité des sols et des sous-sols et l'information du public sur les effets sur la santé de la présence de certaines substances dans ces milieux , qui pourrait utilement s'inspirer des dispositions relatives à la surveillance de la qualité de l'air. Le livre II du code de l'environnement, consacré aux « Milieux physiques », ne comprend en effet qu'un titre I dédié à l'eau et aux milieux aquatiques et marins et un titre II dédié à l'air et à l'atmosphère.
La commission d'enquête propose dès lors de compléter le livre II du code de l'environnement par un titre III consacré à la surveillance de la qualité des sols et sous-sols qui viserait à mettre en place, sous l'égide de l'ANSéS, un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires susceptibles d'être présentes dans les sols, dont la liste serait définie par décret en Conseil d'État pris après avis de l'ANSéS et de l'Ineris.
Cette liste serait soumise, dans le cadre d'une conférence nationale biannuelle sur la prévention des risques liés à la pollution des sols , à l'avis de l'ensemble des parties prenantes dont : l'Ademe, les agences et institutions sanitaires telles que Santé publique France, la HAS et le HCSP, les opérateurs de la prévention des risques liés à l'activité minière tels que le BRGM, l'Ineris et Geoderis, et les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements et des associations de riverains et de victimes des expositions environnementales.
Un tel programme permettra de renforcer la vigilance des inspections et contrôles d'installations susceptibles de libérer des substances polluantes identifiées comme prioritaires en termes de maîtrise du risque sanitaire, notamment en raison de leur persistance dans les milieux. Il offrira également un cadre opérationnel pour le lancement et l'évaluation de campagnes nationales d'occurrence de substances polluantes dans les sols et sous-sols .
La liste des substances polluantes prioritaires à surveiller pourrait ainsi s'inspirer des substances dangereuses identifiées comme polluants organiques persistants inscrits dans la liste de la convention de Stockholm 178 ( * ) de 2001.
À titre d'exemple, pourraient être concernés par les campagnes nationales d'occurrence de ce programme national de surveillance :
- les hydrocarbures aromatiques polycycliques , notamment issus de l'activité des stations-service, compte tenu de leur forte présence dans les sols et de leur capacité à facilement passer d'un milieu - sol, air, eau - à l'autre ;
- les hydrocarbures , les solvants chlorés et le perchloroéthylène , notamment issus de l'activité des blanchisseries mais aussi présents dans des applications domestiques ou de sécurité anti-incendie. Lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur de Veolia Technologies & Contracting a ainsi rappelé que « les pollutions les plus difficiles à traiter impliquent des solvants chlorés, qui sont beaucoup moins répandus aujourd'hui dans la vente, mais qui restent très longtemps dans les nappes phréatiques. Ces solvants ne sont pas solubles et certains sont difficilement biodégradables. Je pense aussi aux composés fluorés que l'on trouve dans les mousses anti-incendie, qui sont très stables et non biodégradables. Il s'agit de molécules très difficiles à dépolluer, parfois cancérigènes, qui engendrent une vraie défiance » 179 ( * ) ;
- les alkyls perfluorés libérés dans le cadre d'applications industrielles et domestiques ;
- les micro-plastiques dont la présence constitue, selon l'Ineris, un sujet émergent en matière de prévention et d'évaluation des risques et fait désormais l'objet d'une programme de recherche européen, financé par l'Ademe au niveau français, dont l'objectif est de dresser un état des lieux des connaissances sur la présence des micro-plastiques dans les sols.
Ce programme national de surveillance favoriserait alors la recherche des substances polluantes identifiées comme prioritaires dans l'analyse des sols dans le cadre des inspections réalisées par les Dreal et des contrôles effectués par les bureaux d'études. Il permettrait également d' harmoniser les mesures de gestion du risque sanitaire à envisager et proposées par les études sanitaires et EQRS , lorsque la découverte de ces substances serait mise en évidence dans les sols.
La mise en place de ce programme national de surveillance s'inscrirait en outre dans le sens d'une proposition du comité de la prévention et de la précaution qui appelait, déjà dans une recommandation du 19 juillet 2000, à « se doter d'un référentiel sur le « bruit de fond » naturel des sols français, notamment en métaux et métalloïdes toxiques, périodiquement actualisé dans le cadre d'un programme de surveillance adapté. La surveillance doit se construire à différentes échelles géographiques » 180 ( * ) . Il importe en effet de tenir compte de la présence naturelle dans les sols , compte tenu de leur composition géochimique, de polluants à l'état naturel et auxquels l'exposition de la population a pu être maximisée par des activités industrielles ou minières ou par des phénomènes climatiques. D'une manière générale, un tel programme national de surveillance permettra, notamment à partir des données d'exposition et des études de biosurveillance, d'évaluer un bruit de fond d'imprégnation de la population française à des substances polluantes dont la maîtrise de l'impact sur la santé est identifiée comme prioritaire.
Proposition n° 29 : Mettre en place un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires susceptibles d'être présentes dans les sols élaboré au sein d'une conférence nationale biannuelle sur la prévention des risques liés à la pollution des sols.
b) Clarifier les mécanismes de traitement des alertes sanitaires
Le déclenchement d'un suivi sanitaire des populations potentiellement exposées à des substances polluantes présentes dans les sols suit un circuit de décision complexe qui fait intervenir différents acteurs nationaux et territoriaux. En dépit de plusieurs instructions interministérielles et ministérielles sur la prise en charge par les services de l'État d'une problématique sanitaire liée à des sites et sols pollués, l'absence d'une procédure formalisée et d'un guichet unique de traitement de ce type d'alerte sanitaire peut conduire à une hétérogénéité des réponses apportées par les autorités sanitaires et, par suite, à une certaine défiance de la part des populations concernées.
• Le traitement des alertes sanitaires au niveau national
Créée par la loi du 16 avril 2013 181 ( * ) relative à l'indépendance de l'expertise et à la protection des lanceurs d'alerte en matière de santé publique et d'environnement, la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (cnDAspe) , opérationnelle depuis 2017, peut être saisie d'alertes concernant les risques sanitaires ou écologiques associés à une pollution des sols. Son site Internet 182 ( * ) de signalement sécurisé d'alerte a été mis en place en avril 2019. Depuis lors, la commission indique qu'une vingtaine de signalements complets ont été enregistrés sur son site et plus d'une cinquantaine de messages ont été déposés sur sa boîte de contact, dont un a trait au constat de pollution d'un cours d'eau potentiellement en lien avec d'anciennes activités minières.
La cnDAspe a élaboré un protocole pour l'instruction d'une alerte, détaillé dans son rapport d'activité de 2019 183 ( * ) , qui l'amène, dans un premier temps, à vérifier les faits décrits dans le signalement en interrogeant les autorités compétentes sur le territoire concerné (Dreal, agence de la biodiversité, ARS, le cas échéant mairie ou intercommunalité, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi - Dirrecte - en cas d'enjeux de santé au travail). Cette étape permet à la commission d'établir la réalité et l'ampleur du dossier et de déterminer notamment s'il est déjà connu et traité. Sur cette base, la commission statue s'il y a lieu de transmettre une alerte aux ministres concernés. Si le dossier est géré localement dans des conditions jugées satisfaisantes, il s'agira alors d'une information des ministères concernés et non pas d'une alerte.
L'instruction d'une alerte sanitaire par la cnDAspe présente l'intérêt majeur de la transparence puisque la commission informe systématiquement l'auteur du signalement de l'évolution du traitement de son dossier . Dans ses réponses adressées à la commission d'enquête, la cnDAspe souligne néanmoins que ce processus peut prendre du temps si les administrations territoriales ou ministérielles ne répondent pas dans les délais, voire ne répondent pas du tout.
Convaincue de l'intérêt d'une procédure indépendante nationale transparente de traitement des alertes sanitaires, la commission d'enquête appelle à un renforcement de la communication sur l'existence de la cnDAspe pour l'instruction d'alertes en lien avec la santé environnementale . Il convient également d'inciter les administrations territoriales et ministérielles à répondre aux sollicitations de la commission dans des délais raisonnables.
À l'instar des pouvoirs reconnus par la loi au Défenseur des droits et au contrôleur général des lieux de privation de liberté pour mettre en demeure les personnes intéressées de leur fournir des informations dans des délais qu'ils fixent, la commission d'enquête plaide pour l' inscription dans la loi du 16 avril 2013 précitée de la possibilité pour la cnDAspe de mettre en demeure les personnes et administrations concernées de lui transmettre tout renseignement utile dans les délais qu'elle définit elle-même .
Ce délai pourrait, par exemple, être d'un mois pour toute demande d'information adressée à un ministre, par analogie avec les pouvoirs reconnus par la loi au contrôleur général des lieux de privation de liberté des informations dans ses sollicitations de niveau ministériel.
Dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale de la santé rappelle que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II », a institué, à son article 8, une procédure d'alerte graduée dans laquelle les pouvoirs publics -l'autorité judiciaire, l'autorité administrative ou les ordres professionnels- ne sont saisis qu'en deuxième intention, si le premier échelon -l'employeur ou le référent qu'il désigne- n'a pas fait preuve de diligence, ou en cas de danger grave et imminent ou encore de risque de dommages irréversibles. Le troisième échelon de cette procédure consiste en une divulgation publique, à défaut de traitement de l'alerte par l'autorité administrative dans un délai de trois mois . Bien que les secteurs concernés par cette procédure d'alerte ne soient pas énumérés par la loi, la protection de la santé et de l'environnement semblent entrer pleinement dans son champ.
Dans ces conditions, la commission d'enquête estime nécessaire, dans une logique de responsabilisation des pouvoirs publics, que la cnDAspe procède, conformément à ces dispositions, à une divulgation publique de l'absence de traitement d'une alerte en lien avec un risque sanitaire ou environnemental dès lors que l'autorité administrative n'a pas traité le signalement dans un délai de trois mois à compter de la transmission de l'alerte par la cnDAspe.
• Le traitement des alertes sanitaires au niveau local
Au système national de traitement des alertes sanitaires par la cnDAspe, s'ajoute un traitement territorial des alertes sanitaires au niveau des ARS , certes moins formalisé mais plus souvent mobilisé par les préfets, les élus locaux ou les associations.
Au niveau des ARS, le traitement des alertes sanitaires est assuré par un dispositif spécifique articulé autour de cellules régionales de veille, d'alerte et de gestion sanitaire (CRVAGS) , qui se déclinent en cellules départementales. Il revient ensuite, au niveau national, à la sous-direction de la veille et de la sécurité sanitaire de la direction générale de la santé, de recevoir et de traiter les signaux. Si cette organisation est jugée « robuste » 184 ( * ) par la direction générale de la santé, l'absence de transparence sur le circuit décisionnel présidant au lancement d'un suivi sanitaire (dépistage, études d'imprégnation, études épidémiologiques...) suscite bien souvent la perplexité, voire la défiance des responsables locaux et des associations de riverains au sein des commissions de suivi de site .
Par ailleurs, les ARS, aujourd'hui très largement focalisées sur l'organisation territoriale des soins, ne peuvent consacrer une expertise réellement approfondie à la prise en charge des situations sanitaires liées à des expositions environnementales . Si certaines ont lancé des initiatives prometteuses sur l'évaluation et la prévention des effets sur la santé de l'exposition à certains polluants, comme l'ARS de Nouvelle-Aquitaine pour les perturbateurs endocriniens, cette expertise reste bien souvent limitée à certains types de substances et s'avère inégale entre ARS.
Dans ces conditions, la commission d'enquête estime incontournable la création d'un guichet unique territorial d'analyse et de traitement des situations d'expositions environnementales présentant un danger pour la santé , par la mise en place de centres régionaux de santé environnementale qui constitueraient un premier échelon territorial de proximité pour le traitement d'alertes ou signalements sanitaires liées à des expositions environnementales de toute nature et pour tout milieu (air, eau, sol, alimentation...). Ces centres pourraient, à ce titre, être saisis d'alertes ou de signalements tant par le préfet, les directeurs généraux d'ARS et les directeurs des délégations départementales d'ARS, que par des élus locaux ou encore des associations de riverains.
Ces centres seraient constitués, dans chaque région, sous la forme d'un réseau territorial d'experts en santé environnementale et en toxicovigilance dont :
- les organismes chargés de la toxicovigilance territorialement compétents, dont les centres antipoison 185 ( * ) des centres hospitaliers universitaires (CHU) régionaux et les établissements de santé de référence en toxicovigilance figurant sur une liste établie par le ministre chargé de la santé ;
- les centres régionaux des pathologies professionnelles et environnementales , dont l'existence a été formalisée par un décret du 26 novembre 2019 186 ( * ) , implantés dans chaque région dans un établissement public de santé désigné par le directeur général de l'ARS ;
- les CIRe de Santé publique France ;
- des professionnels de santé référents en toxicovigilance et en suivi des expositions environnementales, le cas échéant désignés par les sociétés savantes 187 ( * ) pertinentes.
Dans un souci d'homogénéisation des pratiques, le traitement par ces centres des alertes et signalements sur d'éventuels risques sanitaires associés à des expositions environnementales pourrait être guidé par un référentiel national de traitement des alertes sanitaires liées à des expositions environnementales établi conjointement par Santé publique France, l'ANSéS, le HCSP et la HAS.
Proposition n° 30 : Créer des centres régionaux de santé environnementale chargés d'examiner les demandes d'évaluation de l'impact sanitaire d'expositions environnementales sur saisine du préfet, du directeur général de l'ARS ou d'un directeur de délégation départementale de l'ARS, d'élus locaux ou d'associations de riverains.
À défaut d'une procédure formalisée de co-construction avec les associations de riverains et les élus locaux de la réponse sanitaire aux risques d'exposition environnementale, persiste le sentiment d'un traitement hétérogène des situations qui reste tributaire de l'activisme et de l'engagement local des populations. À cet égard, le fait que des familles aient dû d'elles-mêmes prendre l'initiative de demander un dépistage à leurs frais de leur imprégnation par l'arsenic dans la vallée de l'Orbiel est révélateur de l'absence de confiance d'une part de la population dans notre système de surveillance des expositions environnementales.
Afin de favoriser cette indispensable logique de co-construction de la réponse sanitaire avec les associations de riverains et les élus locaux, il conviendra de soumettre les protocoles d'évaluation de l'impact sanitaire et de suivi épidémiologique élaborés par l'ARS, sur la base des avis des centres régionaux de santé environnementale, à l'avis des comités d'interface créés au sein des commissions de suivi de site ou des commissions locales d'information afin de permettre aux représentants des élus locaux et des associations de riverains d'amender, le cas échéant, ces protocoles.
Par ailleurs, le traitement réactif des alertes sanitaires émises par des particuliers, des associations ou des élus locaux ne peut suffire à garantir la mise en oeuvre d'une réponse efficace des pouvoirs publics aux risques sanitaires identifiés. Un renforcement de la vigilance des services de l'État à l'égard des sites pour lesquels des non-conformités majeures auraient été relevées à l'occasion de contrôles périodiques s'impose également.
Un certain nombre d'informations relatives à la présence de polluants, problématiques sur le plan sanitaire, dans les sols de sites industriels, contenues dans les études réalisées par les bureaux d'études, restent en effet la propriété des exploitants qui ont mandaté ces études. Dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale de la santé relève ainsi qu'à la suite d'une consultation restreinte, une ARS l'a informée qu'elle souhaiterait également être consultée lorsque l'étude réalisée par le bureau d'études certifié a conclu à des risques sanitaires inacceptables et à la nécessité de mettre en oeuvre des mesures de gestion.
Il convient de rappeler qu'en application de l'article R. 512-59 du code de l'environnement, l'exploitant d'une ICPE soumise à déclaration doit tenir les deux derniers rapports de visite réalisés par des bureaux d'études à la disposition de l'inspection des installations classées. Comme le rappelle la Coprec dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, lorsque le rapport relève des non-conformités majeures, le bureau d'études n'est tenu d'informer le préfet que dans trois situations :
- en cas d'absence d'envoi par l'exploitant d'un échéancier de remédiation des non-conformités : si le bureau d'études ne reçoit pas l'échéancier de remise en conformité, permettant de pallier les non-conformités majeures, que l'exploitant est tenu de transmettre dans un délai de trois mois après transmission du rapport d'inspection initiale, la liste des non-conformités constatées est transmise par le bureau d'études à la préfecture ;
- en cas de non réalisation d'un nouveau contrôle : si le bureau d'études ne reçoit pas de la part de l'exploitant une demande d'inspection complémentaire, obligatoire en cas de non-conformité majeure détectée lors de l'inspection initiale, au plus tard douze mois après la transmission du rapport d'inspection initial, le plan d'action prévu par l'exploitant pour pallier les non-conformités constatées est transmis à la préfecture ;
- en cas de persistance de non-conformités majeures à l'issue de l'inspection complémentaire : dans ce cas, la liste de ces non-conformités est également transmise par le bureau d'études à la préfecture.
Il est à noter, en outre, que l'ARS ou la Dreal ne sont pas directement destinataires des informations transmises, dans ces situations, par le bureau d'études qui n'est censé, au regard de la loi, ne s'adresser qu'au préfet sur l'existence et, le cas échéant, la persistance de non-conformités majeures.
Dans ces conditions, la commission d'enquête estime indispensable d' imposer à tout bureau d'études mandaté par un exploitant industriel ou minier de déclarer au préfet, à la Dreal et au directeur général de l'ARS toute information, recueillie à l'occasion d'une étude, concluant à des risques sanitaires inacceptables et justifiant la mise en oeuvre de mesures de gestion , et ce avant même l'élaboration et la mise en oeuvre par l'exploitant d'un échéancier de mesures de remédiation. Quand bien même les défauts constatés ont vocation à être résolus par l'exploitant, cet exercice de transparence vis-à-vis des services de l'État apparaît indispensable afin de garantir que ces derniers disposeront d'un niveau d'information suffisant pour exercer une vigilance accrue dans le traitement et le suivi de non-conformités susceptibles de présenter un risque pour la santé humaine et l'environnement et leur garantir ainsi une plus grande capacité d'anticipation des situations potentiellement problématiques.
Cette vigilance semble d'autant plus justifiée que la réglementation actuelle ne prévoit pas que l'échéancier de remédiation des non-conformités majeures établi par l'exploitant fasse obligatoirement l'objet d'une co-construction entre l'exploitant et le bureau d'études, ce qui ouvre le risque que les mesures de remédiation n'interviennent pas à temps ou soient insuffisantes pour prévenir les éventuels risques sanitaires ou écologiques associés. La connaissance de l'existence de ces non-conformités et des risques sanitaires ou écologiques posés permettrait alors de mieux positionner l'ARS et la Dreal pour faire face aux situations où ces non-conformités n'auraient pas été résolues dans des conditions optimales, en renforçant leur capacité d'anticipation de la gestion du risque sanitaire ou écologique et en permettant à l'inspection des installations classées d'exercer son pouvoir de police de la façon la plus réactive et la plus pertinente possible.
Proposition n° 31 : Rendre obligatoire la transmission par le bureau d'études et par l'exploitant au préfet, à la Dreal et au directeur général de l'ARS toute information recueillie à l'occasion du contrôle d'une installation concluant à des risques sanitaires inacceptables et justifiant la mise en oeuvre par l'exploitant de mesures de gestion.
4. Renforcer la connaissance scientifique des effets des pollutions des sols sur la santé et la biosphère
a) Renforcer les moyens de la recherche sur l'impact sanitaire des expositions environnementales
L'impact à long terme sur la santé des expositions à des polluants reste difficile à évaluer en raison de la difficulté pour les agences sanitaires et les professionnels de santé de croiser les données de santé, notamment celles relatives aux pathologies chroniques, et les données relatives à la présence effective dans les milieux de substances toxiques liées aux activités industrielles et minières , notamment les bases de données recensant les sites potentiellement pollués (Basol en particulier) qui restent lacunaires sur les types de polluants et les teneurs en cause. L'évaluation du « fardeau sanitaire » (« burden of disease ») des zones polluées, notamment par la mise en évidence de « clusters » de maladies à facteurs environnementaux, est en effet délicate compte tenu d'une série de difficultés :
- les connaissances épidémiologiques sont encore limitées sur les liens de causalité entre des expositions environnementales, dont la complexité est accentuée par la multiplicité des paramètres d'exposition à prendre en compte (caractéristiques géochimiques des milieux, biodisponibilité des polluants, voies d'exposition...), et des pathologies qui, bien souvent, sont d'origine plurifactorielle et peuvent faire intervenir non seulement plusieurs déterminants environnementaux mais également des caractéristiques propres aux personnes (déterminants génétiques, sexe, âge...) ;
- les effectifs de personnes présentant des pathologies chroniques et vivant à proximité d'un site pollué sont généralement trop restreints pour que des conclusions puissent en être tirées conformément à la méthodologie de la recherche médicale ;
- le temps de latence entre l'exposition et l'apparition de la pathologie peut être long, de plusieurs années à quelques dizaines d'années, ce qui rend d'autant plus difficile l'établissement d'un lien de causalité ;
- l'impact sanitaire de l'exposition concomitante à plusieurs nuisances environnementales, combinées au travers d'effets « cocktail », reste aujourd'hui encore mal appréhendé.
La France s'investit néanmoins de plus en plus dans le développement de la recherche sur l'impact sanitaire des expositions environnementales . Elle participe ainsi au consortium européen de biosurveillance HBM4EU 188 ( * ) , initiative coordonnée par l'agence allemande pour l'environnement au niveau européen et par l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) au niveau français, qui vise à mieux connaître l'exposition des populations européennes aux substances chimiques mais aussi à mieux identifier les liens entre l'exposition aux substances chimiques et des effets sanitaires. D'autres initiatives de recherche dans le domaine des expositions environnementales sont prises en charge par le programme-cadre européen Horizon 2020, notamment dans le cadre du programme COST 189 ( * ) .
Dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale de la santé rappelle que l'ANSéS, notamment dans le cadre du consortium HBM4EU, construit des valeurs toxicologiques de référence internes 190 ( * ) : ces valeurs permettront l'interprétation sanitaire des données d'imprégnation -ce que les études de biosurveillance ou d'imprégnation seules ne permettent pas-. Ces valeurs n'existent que pour un très petit nombre de substances aujourd'hui, notamment le plomb concernant les substances susceptibles de se trouver dans les sols. Comme le souligne la direction générale de la santé, le développement de ces valeurs toxicologiques de référence interne est très important pour pouvoir interpréter les résultats des études d'imprégnation.
Santé publique France a également lancé en 2019 une grande étude nationale de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition, dénommée cohorte « Esteban » . Cette cohorte vise à mesurer l'exposition des populations à différentes substances potentiellement nocives 191 ( * ) , les habitudes et consommations alimentaires, le niveau d'activité physique et l'importance de plusieurs pathologies chroniques, dont l'asthme, les allergies, le diabète, l'hypertension artérielle l'hypercholestérolémie...
Toutefois, le développement d'études multicentriques , permettant d'évaluer l'impact sanitaire de certaines expositions par la collecte de données sur plusieurs milliers de patients, suppose de pouvoir s'appuyer à la fois sur un échantillon représentatif de la population française et sur des zones homogènes en termes de contamination environnementale . Ces études nécessitent en particulier la collecte de données de santé pour des populations vivant à proximité de sites miniers ou d'ICPE présentant les mêmes types de pollution, ce qui implique l'accès de Santé publique France aux informations relatives aux substances polluantes détectées dans les sols à l'occasion de diagnostics, que ces diagnostics aient été effectués par l'inspection des installations classées ou par des bureaux d'études. Santé publique France a ainsi insisté auprès de la commission d'enquête sur l' insuffisante interopérabilité des bases de données sanitaires et environnementales .
D'une part, les données disponibles dans les bases Basol et Basias ne permettent pas de disposer d'une vision consolidée de la présence de différentes substances polluantes sur le territoire et donc de caractériser l'exposition environnementale des populations. D'autre part, les données de santé disponibles relatives aux pathologies chroniques portant sur des effectifs significatifs de patients restent limitées : seuls deux types de registres existent en France , celui des malformations à déclaration obligatoire et celui des cancers pour les adultes et les enfants.
Dans ces conditions, il apparaît indispensable de réunir les conditions d'un croisement des données de santé et des données environnementales par :
- la création d'un outil, prenant la forme d'une plateforme, centralisant l'ensemble des données de caractérisation de l'environnement des zones identifiées dans les SIS et des données relatives à la présence de substances polluantes dans les milieux issues des diagnostics environnementaux et sanitaires réalisés par l'État, les collectivités territoriales ou les exploitants, que ces diagnostics aient conclu ou pas à la nécessité de la mise en oeuvre de mesures de gestion sanitaire. Cette base de données de données serait alors accessible à Santé publique France qui pourrait utiliser ces données pour caractériser des situations d'exposition des populations et constituer des échantillons suffisamment robustes pour conduire des études multicentriques ;
- la création d'un programme de croisement des données d'expositions environnementales issues de l'outil précité et des données de santé dans le cadre de la plateforme nationale des données de santé, également appelée « Health Data Hub » .
Enfin, la commission d'enquête considère que l'application du principe pollueur-payeur devrait conduire à faire participer au financement des études d'imprégnation et des études épidémiologiques les exploitants dont l'activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé . Ces études restent, en effet, financées pour l'heure que par le fonds d'intervention régional (FIR) géré par l'ARS 192 ( * ) . Cette participation pourrait notamment être couverte par une assurance obligatoire pour dommages causés à des tiers . La direction générale de la santé a indiqué qu'une réflexion était en cours pour l'inscription dans la loi de ce principe de participation financière des exploitants responsables aux études de santé contribuant à la gestion de la situation sanitaire.
Proposition n° 32 : Inscrire dans la loi la participation au financement des études d'imprégnation et des études épidémiologiques des exploitants dont l'activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé, le cas échéant via une assurance obligatoire pour dommages causés à des tiers.
La structuration de la recherche en santé environnementale requiert également, selon la commission d'enquête, l'identification d'un organisme dédié capable, à l'instar de l'Inserm pour la recherche médicale, de piloter les différentes initiatives dans ce domaine, notamment sur la toxicité des substances polluantes d'origine industrielle ou minière , sur le modèle de l'institut national des sciences de la santé environnementale américain (« National Institute of Environmental Health Sciences » - NIEHS) qui organise et finance une recherche de premier plan sur l'interconnexion entre l'environnement et la santé : la revue du NIEHS fait ainsi autorité sur le plan mondial dans le domaine de la santé environnementale.
La commission d'enquête relève ainsi que, le 15 janvier 2009, a été lancé, au sein de l'Ineris, un pôle national applicatif en toxicologie et écotoxicologie chargé de mettre en réseau les opérateurs et acteurs de l'évaluation de la toxicité pour l'homme et l'environnement de différentes substances, afin de permettre l'émergence en France d'un pôle de recherche atteignant une taille critique de niveau international dans ce domaine. Les moyens et la structuration de ce pôle pourraient utilement être renforcés afin de favoriser l'émergence d'un réseau français bien identifié de recherche, publique et privée, en toxicologie.
Par ailleurs, la commission d'enquête plaide pour une meilleure prise en compte de la problématique des sites et sols pollués dans le plan national santé-environnement (PNSE), notamment dans la perspective du 4 e PNSE en cours d'élaboration. Selon Mme Laura Verdier 193 ( * ) , le 3 e PNSE pour la période 2015-2019 ne prévoyait en effet que trois actions spécifiques sur ce sujet, sur un total de 107 actions, dont deux actions de recherche (les actions 60 et 84) et une seule de prévention relative à l'analyse des sols des établissements sensibles (action 61).
b) Mieux associer les patients et les professionnels de santé à la recherche en santé environnementale
Aux termes d'un arrêté en date du 6 novembre 1995 194 ( * ) , un registre de santé est défini comme « un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées. » Jusqu'en 2013, la constitution et l'évaluation des registres de santé étaient supervisées par un comité national des registres placé auprès des ministres chargés de la recherche et de la santé. Ce comité a néanmoins été supprimé par le décret n° 2013-420 du 23 mai 2013 qui a abrogé l'arrêté du 6 novembre 1995 précité.
Depuis 2014, l'évaluation scientifique des registres est désormais assurée par le comité d'évaluation des registres, comité indépendant dont le secrétariat est assuré par Santé publique France, l'institut national du cancer (INCa) et l'Inserm. Selon les données disponibles sur le site de l'Inserm, il existait, en 2016, 62 registres de morbidité en France dont :
- 18 registres de cancer généraux ;
- 13 registres de cancer spécialisés ;
- 6 registres de maladies cardio- ou neuro-vasculaires ;
- 6 registres de malformations congénitales ;
- 7 registres portant sur des pathologies diverses ;
- 12 registres de maladies rares.
Les registres sont bien souvent créés sur la base d'initiatives locales et généralement administrés par des équipes pluridisciplinaires dans le cadre d'une association loi 1901. La création de registres spécifiques de maladies potentiellement liées à une exposition environnementale donnée apparaît peu pertinente en raison de l'origine plurifactorielle de ces maladies et de la difficulté à identifier la prééminence d'une exposition par rapport à d'autres , notamment en cas d' effets « cocktail » dans des situations de pluri-expositions et de la nécessaire prise en compte de facteurs non-environnementaux (prédispositions génétiques, traitements médicamenteux...), d'autant que l'établissement du lien entre l'exposition et la maladie est complexifiée par le temps de latence entre l'exposition et l'apparition des symptômes.
Dans ces conditions, l'amélioration du suivi des conséquences d'une exposition environnementale tout au long de la vie d'un patient apparaît comme la voie la plus pertinente pour repérer au mieux et le plus tôt possible les conséquences sanitaires d'une telle exposition. Le dossier médical partagé (DMP) s'impose, à cet égard, comme l'outil le plus opérationnel pour assurer un suivi réactif et anticiper la mise en oeuvre d'une prise en charge optimale.
Le DMP, dont la création pour tout assuré deviendra automatique à compter du 1 er juillet 2021, a vocation à conserver tous les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge et reportés par chaque professionnel de santé 195 ( * ) . Toutefois, il n'est pas fait aucune mention, dans son contenu, des éléments relatifs aux expositions auxquelles la personne a pu être soumise tout au long de sa vie, à la différence du dossier médical en santé au travail 196 ( * ) au sein duquel le médecin du travail doit retracer l'ensemble des informations relatives aux expositions auxquelles un travailleur a été soumis 197 ( * ) .
En conséquence, la commission d'enquête propose l' inscription systématique dans le DMP, sous réserve du consentement préalable du patient ou de son représentant légal s'il s'agit d'une personne mineure, de l'ensemble des données d'exposition environnementales à des substances polluantes . Ces informations seront cruciales pour améliorer le suivi de santé des personnes exposées, tout particulièrement des femmes enceintes et des enfants exposés in utero , et faciliteront la collecte de données épidémiologiques des effets des expositions environnementales sur la santé des populations. Ces données pourront ainsi être utilisées afin d'alimenter des registres de morbidité existants ou à créer pour des affections en lien avec des expositions environnementales, notamment des registres de cancers et de malformations congénitales.
Proposition n° 33 : Prévoir l'inscription systématique dans le dossier médical partagé par tout professionnel de santé, sous réserve du consentement du patient ou de son responsable légal, de l'ensemble des données d'exposition environnementale à des substances polluantes.
La commission plaide, par ailleurs, pour la création de registres de morbidité au niveau de chaque département pour lequel un faisceau d'indices de santé environnementale (études de santé et épidémiologiques dont des enquêtes d'exposition et de mortalité ; données environnementales relatives à la présence dans les sols, les eaux, l'air ou l'alimentation de substances toxiques ; état des données de la littérature scientifique sur la toxicité des substances polluantes en cause...) suggère une présomption raisonnable de lien entre une maladie -en particulier, un cancer ou une malformation congénitale- et l'exposition à une substance polluante. Les déterminants de ce faisceau d'indices pourraient être précisés par le comité d'évaluation des registres hébergé par Santé publique France.
Comme l'ont rappelé Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy dans leur rapport de juin 2020 fait au nom de la commission d'enquête sur l'incendie de l'usine de Lubrizol, de tels registres, qui permettent de mesurer la prévalence ou l' incidence d'une pathologie donnée au sein d'un territoire circonscrit , présentent en effet l'avantage « de l' absence de biais dans la sélection des données », en recensant notamment, outre des données d'exposition, de morbidité ou de comorbidité, des « données relatives aux antécédents personnels et familiaux ainsi que les données cliniques et paracliniques. » 198 ( * ) L'établissement de registres de morbidité permettrait alors de disposer de données précieuses, plus complètes et donc plus robustes pour lever, le cas échéant, les incertitudes qui persistent dans l'état des connaissances scientifiques sur le degré de toxicité et les conséquences concrètes pour la santé humaine de l'exposition à des substances polluantes. Au vu de la diversité des données collectées, ces registres permettraient également de mieux évaluer l'impact sanitaire d'éventuels « effets cocktails » en cas d'exposition à plusieurs substances chimiques potentiellement toxiques.
À titre d'exemple, des registres de cancers pourraient être ouverts pour mieux évaluer le lien entre l' apparition de certains cancers et :
- l' exposition à l'arsenic , en particulier dans l'Aude dont une partie de la population, et notamment un grand nombre d'enfants, ont pu être exposés à cette substance cancérigène non seulement en raison de l'exploitation des mines de Salsigne mais également de la présence naturelle importante de l'arsenic dans les milieux. Dans ses réponses au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale de la santé a rappelé que « selon les études répertoriées par la Haute Autorité de santé, l'ingestion répétée d'arsenic inorganique, du fait de traitements médicamenteux ou de la consommation d'eau contaminée, a induit des carcinomes cutanés basocellulaires et épidermoïdes (spinocellulaires), des cancers broncho-pulmonaires et des cancers de l'arbre urinaire », tout en tenant à préciser que « les preuves scientifiques sont limitées pour ce qui concerne l'induction de cancers hépatiques (tous types confondus), d'hémangiosarcomes hépatiques, de cancers rénaux (tous types confondus) et de cancer de la prostate par l'ingestion répétée d'arsenic inorganique. » Il semble par conséquent plus qu'opportun d'ouvrir des registres pour assurer l'enregistrement des cas de cancers hépatiques, rénaux ou de la prostate dans ce territoire, afin notamment de contribuer à la production de données scientifiques sur le lien entre l'exposition à l'arsenic et l'apparition de ces pathologies ;
- l' exposition à plusieurs métaux lourds pour laquelle il serait intéressant d'évaluer l'impact sanitaire d'un effet cocktail , en particulier dans le Gard où l'exploitation minière a pu maximiser l'exposition des populations à des métaux lourds ou des métalloïdes déjà naturellement présents dans les sols : le plomb, le cadmium et l'arsenic. À titre d'exemple, le plomb et le cadmium sont supposés augmenter les risques de maladies rénales chroniques, et l'arsenic et le cadmium pourraient être impliqués dans l'apparition de cancers des poumons et d'atteintes pulmonaires.
Proposition n° 34 : Créer des registres de cancers ou de malformations congénitales dans les départements pour lesquels une pollution a entraîné la présence dans les milieux de substances chimiques toxiques, notamment pour mieux évaluer l'impact sur la santé humaine d'effets cocktail.
Comme l'a souligné la cheffe du bureau « Environnement extérieur et produits chimiques » de la direction générale de la santé lors de son audition par la commission d'enquête, une compétence médicale en santé-environnement maîtrisée par l'ensemble des professionnels de santé et tout particulièrement par les médecins traitants fait encore défaut : « la toxicologie était jusqu'à présent peu enseignée dans le cursus universitaire des médecins généralistes, qui peuvent se retrouver désarmés lorsqu'ils doivent prendre en charge une situation individuelle d'exposition, a fortiori d'imprégnation voire d'intoxication. Or ce sont les médecins qui sont au plus de la près de la population qui auront à répondre aux questions posées par les personnes exposées. » 199 ( * )
Depuis un arrêté en date du 31 juillet 2019 200 ( * ) , la prévention et la prise en compte « des pathologies imputables à l'environnement (saturnisme, mésothéliome, intoxication par le CO...) et des facteurs environnementaux pouvant avoir un impact sur la santé (pollution de l'air intérieur et extérieur, perturbateurs endocriniens, changements climatiques, champs électromagnétiques et électro sensibilité...) » constituent désormais une des orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu pour les professionnels de santé pour les années 2020 à 2022.
Si la commission d'enquête se félicite de ces évolutions favorables dans le sens d'une plus grande prise de conscience par la communauté scientifique et médicale de l'impact sanitaire des expositions environnementales, elle considère indispensable d'aller encore plus loin par la création d'un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) de médecine en toxicologie environnementale . En effet, cette spécialité n'est pas encore répertoriée dans la liste des DESC fixée par l'arrêté du 22 septembre 2004 fixant la liste et la réglementation des diplômes d'études spécialisées complémentaires de médecine.
Compte tenu des éléments qui précèdent, le dispositif envisagé par la commission d'enquête pour la réponse sanitaire face à des pollutions des sols pourrait être résumé par le schéma suivant :
Source : Commission d'enquête
* 144 Auditions respectivement des 3 juillet et 17 juillet 2020.
* 145 En application de l'article R. 1413-44 du code de la santé publique.
* 146 Prévu par l'article L. 1411-5-1 du code de la santé publique.
* 147 Instruction interministérielle n° DGS/EA1/DGPR/DGAL/2017/145 du 27 avril 2017 relative à la gestion des sites pollués et de leurs impacts nécessitant la mise en oeuvre de mesures de gestion sanitaire et d'études de santé et/ou de mesures de gestion sanitaire des productions animales et végétales.
* 148 Fusionné en 2016 avec d'autres organismes au sein de Santé publique France.
* 149 En application de l'article R. 181-18 du code de l'environnement.
* 150 Instruction n° DGS/EA1/2019/43 du 13 juin 2019 précisant les missions des agences régionales de santé dans la gestion sanitaire des sites et sols pollués.
* 151 La salubrité peut être définie comme la réunion de conditions garantissant le maintien d'un environnement sain pour les populations. En application du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, la police municipale comprend notamment « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ».
* 152 Au niveau du bureau du sol et du sous-sol de la DGPR.
* 153 Au niveau du bureau de l'environnement extérieur et des produits chimiques de la DGS.
* 154 Au niveau du bureau de la coordination en matière de contaminants chimiques et physiques de la DGAl.
* 155 Instruction interministérielle n° DGS/EA1/DGPR/2016/120 du 14 avril 2016 relative au recensement des sites pollués présentant une gestion environnementale et sanitaire complexe.
* 156 Qui, aux termes de l'instruction interministérielle du 14 avril 2016, a été « mis en évidence par une étude d'interprétation de l'état des milieux (il s'agit des sites sur lesquels, au vu des données environnementales, il existe un risque de voir apparaître des pathologies), pouvant présenter une gestion environnementale et sanitaire complexe et le cas échéant une gestion médiatique sensible ».
* 157 Perrey C, Coquet S, Le Barbier M., Analyse des attentes et du contexte local autour du bassin industriel de Lacq , rapport d'analyse, Santé publique France, Saint-Maurice, mai 2019.
* 158 Centre national de la recherche scientifique.
* 159 Institut national de la santé et de la recherche médicale.
* 160 Santé publique France, Réponse aux saisines de l'ARS Occitanie concernant la vallée de l'Orbiel à la suite des inondations d'octobre 2018 - Note de propositions d'aide pour la gestion , octobre 2019.
* 161 Afin de prévenir les risques de dispersion par envol de poussières.
* 162 Il s'agit des installations classées définies par le décret prévu à l'article L. 515-36 du code de l'environnement, dont notamment les sites Seveso seuil haut.
* 163 Organisation de la réponse de sécurité civile.
* 164 Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.
* 165 Circulaire du 12 janvier 2011 relative à l'articulation entre le plan d'opération interne, l'intervention des services de secours publics et la planification Orsec afin de traiter les situations d'urgence dans les installations classées (NOR : DEVP1020295C).
* 166 Présentation des missions d'Amaris sur son site : http://www.amaris-villes.org/amaris/nos-missions/ .
* 167 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 168 Méthodologie de renseignement des fiches de données toxicologiques et environnementales (DRC-14-142371-00773A - Version n° 4-avril 14) et guide méthodologique relatif aux choix de valeurs toxicologiques de référence de l'INERIS (DRC-16-156196-11306A - version 1).
* 169 Note d'information n° DGS/EA1/DGPR/2014/307 du 31 octobre 2014 relative aux modalités de sélection des substances chimiques et de choix des valeurs toxicologiques de référence pour mener les évaluations des risques sanitaires dans le cadre des études d'impact et de la gestion des sites et sols pollués.
* 170 Audition du 26 mai 2020.
* 171 « Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of CHemicals ».
* 172 Audition du 26 mai 2020.
* 173 Audition du 2 juin 2020.
* 174 De quantité de substance absorbée.
* 175 Toutes les substances cancérogènes n'étant cependant pas sans seuil.
* 176 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
* 177 Dont des dispositions relatives à la création d'une objectif pluriannuel de diminution de la moyenne annuelle des concentrations journalières de pollutions atmosphériques après avis de l'ANSéS, à ka surveillance des pollens et des moisissures, à l'établissement de valeurs-guide pour l'air intérieur et de niveaux de référence pour le radon.
* 178 Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants signée le 22 mai 2011 et entrée en vigueur le 17 mai 2004.
* 179 Audition du 19 mai 2020.
* 180 Recommandation comité de la prévention et de la précaution du 19 juillet 2000 relative à la surveillance des risques sanitaires liés aux sols pollués par une activité industrielle.
* 181 Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.
* 182 https://www.alerte-sante-environnement-deontologie.fr .
* 183 https://www.alerte-sante-environnementdeontologie .
fr/travaux/rapports-annuels/article/rapport-d-activite-2019
* 184 Audition par la commission d'enquête de représentants de la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé du 2 juin 2020.
* 185 Mentionnés à l'article L. 6141-4 du code de la santé publique.
* 186 Décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales.
* 187 Dans le domaine de la toxicologie, peuvent notamment être mentionnées : la société de toxicologie clinique, la société française de toxicologie analytique, la société française de toxicologie génétique...
* 188 « European Human Biomonitoring Initiative ».
* 189 Coopération européenne en science et technologie.
* 190 « Human Biomonitoring Health Based Guidance Value ».
* 191 Telles que les pesticides, les phtalates, le bisphénol A...
* 192 L'instruction de la direction générale de la santé du 13 juin 2019 précise ainsi que l'ARS peut notamment « notamment être amenée à contribuer au financement de certaines études sanitaires, ou à la réalisation d'actes médicaux, en mobilisant le fonds d'intervention régional (FIR) de l'agence. »
* 193 Audition du 10 juin 2020.
* 194 Arrêté du 6 novembre 1995 relatif au comité national des registres.
* 195 En application de l'article L. 1111-15 du code de la santé publique.
* 196 Qui constituera, à compter du 1 er juillet 2021, un volet intégré au DMP.
* 197 En application de l'article L. 4624-8 du code du travail.
* 198 Risques industriels : prévenir et prévoir pour ne plus subir , rapport n° 480 (2019-2020) de Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy, fait au nom de la commission d'enquête sur l'incendie de l'usine Lubrizol, déposé le 2 juin 2020.
* 199 Audition du 2 juin 2020.
* 200 Arrêté du 31 juillet 2019 définissant les orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu pour les années 2020 à 2022.