D. LES NÉGOCIATIONS PLUS ÉQUILIBRÉES DU PLAN D'INVESTISSEMENT AUTOROUTIER (PIA) GRÂCE À L'INTERVENTION DE L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TRANSPORTS
1. Un plan d'investissement portant sur des aménagements d'une ampleur limitée
Annoncé le 28 juillet 2016 par le Président de la République François Hollande, le plan d'investissement autoroutier (PIA) visait à répondre aux demandes de nombreux élus locaux qui souhaitaient obtenir des aménagements autoroutiers d'une ampleur souvent limitée, mais destinés à faciliter les déplacements du quotidien et à améliorer la desserte de leurs territoires. Il devait, en outre, comporter un important volet environnemental .
L'État a demandé à l'Association française des sociétés d'autoroutes (ASFA) de lui soumettre une liste de projets susceptibles d'être financés par des hausses additionnelles de péage 206 ( * ) , d'une maturité suffisante et proposant, pour les projets d'initiative locale, un co-financement substantiel par les collectivités territoriales bénéficiaires .
2. Des négociations qui ont conduit à la sélection de 57 projets pour un montant de 800 millions d'euros
a) Un tri parmi 300 projets proposés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes
La liste présentée le 1 er septembre 2016 par l'ASFA comportait près de 300 projets, pour un montant de 11,6 milliards d'euros .
Selon les informations qu'elle a fournies à la commission d'enquête, la DGITM a rapidement écarté les projets susceptibles de contrevenir au droit de la commande publique (adossements), ceux jugés étrangers à l'objet du plan (opérations d'élargissement), les opérations faisant déjà partie des obligations contractuelles des SCA, ainsi que les projets qui n'apparaissaient pas susceptibles d'être cofinancés par une ou plusieurs collectivités territoriales .
La DGITM a ensuite établi, pour chaque concession, une première sélection écartant les projets insuffisamment avancés pour pouvoir être retenus .
Cette sélection a fait l'objet de nouvelles discussions avec les SCA de septembre à décembre 2016 afin d'arrêter la liste finale des opérations compensables et d'aboutir à un accord sur leur contenu et leurs coûts.
À l'issue de cette négociation, environ un sixième des projets figurant sur la liste initiale de l'ASFA ont été retenus , représentant un quinzième de l'enveloppe globale proposée par les SCA .
57 opérations ont ainsi été inscrites dans la première version du PIA, pour un coût prévisionnel d' un peu plus de 800 millions d'euros .
Les 57 opérations initialement envisagées dans le PIA
SCA concernée |
Nombre d'opérations |
Montant des travaux |
Sanef |
7 |
99,6 millions d'euros |
SAPN |
5 |
47,4 millions d'euros |
Cofiroute |
5 |
125,3 millions d'euros |
APRR |
10 |
156,2 millions d'euros |
AREA |
5 |
65,9 millions d'euros |
ASF |
16 |
247,8 millions d'euros |
Escota |
9 |
59,5 millions d'euros |
Total |
57 |
801,7 millions d'euros |
Source : Autorité de régulation des transports (ART)
Ces opérations portaient, dans leur majorité, sur la création ou l'aménagement d'échangeurs et de diffuseurs autoroutiers ( 484 millions d'euros ) et sur des travaux d'amélioration d'insertion environnementale tels que des murs anti-bruit ou des passages à faune ( 237 millions d'euros ).
b) Un TRI finalement négocié à 6,5%
L'éventualité d'un nouvel allongement de la durée des concessions ayant été rapidement écartée, les 800 millions d'euros d'investissements prévus au PIA devaient nécessairement être compensés par des hausses des tarifs de péages .
Or, comme lors de la négociation des avenants précédents, et en particulier du plan de relance autoroutier, le PIA présentait l'inconvénient majeur de reposer sur un processus de négociation de gré à gré entre l'État et les SCA , c'est-à-dire sans mise en concurrence et donc sans régulation spontanée par le marché .
Toute la difficulté consistait à déterminer le niveau de rentabilité des fonds propres que pouvaient légitimement exiger les actionnaires des sociétés d'autoroute pour investir dans le plan proposé.
Une note fournie à la commission d'enquête par la DGITM permet de mieux comprendre la négociation qui s'est tenue entre elle et les SCA sur ce point essentiel .
Invitées à s'exprimer sur leur cible de TRI, les SCA ont avancé, sans fournir de justifications, qu'elles souhaitaient bénéficier d'un TRI de 7 % à 8%, analogue à celui qu'elles avaient obtenu pour le plan de relance autoroutier , dont on a vu qu'il était particulièrement élevé et qu'il avait été négocié dans un contexte économique beaucoup moins favorable .
La DGITM , pour sa part, considérait qu'un TRI proche de 4 % serait en mesure de fournir une rémunération raisonnable des capitaux investis. En majorant les périmètres choisis pour le coût de la dette et la part des fonds propres, elle estimait envisageable d'accepter un TRI s'élevant au maximum à 5,5 % , même si cela risquait de susciter un avis négatif de la part de l'ART.
À l'issue des négociations avec les SCA, la DGITM a finalement accepté un TRI de 6,5% , soit u n niveau beaucoup plus élevé que celui qu'elle jugeait justifié au départ, venant ainsi une nouvelle fois confirmer l'hypothèse d'un rapport de force structurellement favorable aux SCA .
Sur la base de ce TRI de 6,5 %, les investissements réalisés dans le cadre du PIA devaient être financés par des hausses de péages comprises entre 0,1 % et 0,4 % par an sur les années 2019, 2020 et 2021 et par des subventions des collectivités territoriales représentant 220 millions d'euros .
La prise en compte d'un TRI de 6,5% au lieu de 4 % aurait généré un surplus de revenus de l'ordre de 20 millions d'euros par an pour les sociétés concessionnaires jusqu'à la fin de leur concession, soit de l'ordre de 300 millions d'euros .
3. L'avis de l'ART, qui n'a pas été entièrement suivi d'effet, a permis de rééquilibrer significativement les négociations
Alors que l'Autorité de régulation des transports (ART) ne disposait pas encore de compétences en matière autoroutière lors de la conclusion du plan de relance autoroutier, la situation avait profondément évolué depuis le 1 er février 2016 .
Depuis cette date en effet, l'article L. 122-8 du code de la voirie routière prévoit que l'ART est consultée sur tout projet de contrat modifiant un contrat de concession d'autoroute dès lors qu'il a une incidence sur les tarifs de péage ou sur la durée de la concession.
Le financement du PIA reposant principalement sur une hausse additionnelle des tarifs de péages , l'ART a donc été saisie le 13 mars 2017. Elle a rendu ses avis sur les avenants qui concrétisaient le PIA le 14 juin 2017, avis dans lesquels elle recommandait une importante révision du programme de travaux résultant des négociations entre les SCA et la DGITM.
a) Un périmètre réduit à 700 millions d'euros
L'ART a, en premier lieu, suggéré d' écarter un certain nombre de projets dont la nécessité ou l'utilité pour l'exploitation de l'autoroute n'étaient pas démontrées .
Pour tenir compte de cet avis, et avant même de consulter le Conseil d'État, la DGITM a modifié les projets d'avenant en réduisant le périmètre d'une opération et en en retirant sept autres qui, en phase d'étude ou en phase de travaux, se caractérisaient par une trop grande incertitude quant à leurs coûts .
Les opérations prévues au PIA
écartées
à l'issue de l'avis de l'ART
Opération |
SCA concernée |
Montant (millions d'euros) |
Avis ART |
Étude préalable sur le raccordement de la déviation de Baillargues-Saint-Brès (RN113) |
ASF |
0,3 |
Utilité pour la concession non établie |
Étude préalable sur le raccordement du contournement ouest de Montpellier au réseau concédé |
ASF |
0,3 |
Utilité pour la concession non établie |
Étude relative à l'amélioration de l'insertion environnementale de l'A7 dans la traversée de Valence |
ASF |
0,3 |
Utilité pour la concession non établie |
Aménagement de 2 écoponts (sur 5 prévus initialement) |
Cofiroute |
9,0 |
Utilité pour la concession non établie |
Étude préalable relative à l'aménagement d'un itinéraire entre Villeneuve-Loubet Plage et Antibes Est |
Escota |
0,2 |
Utilité pour la concession non établie |
Étude préalable relative au raccordement de la RM 6202 bis à l'A8 |
Escota |
0,2 |
Utilité pour la concession non établie |
Dédoublement de la sortie de Villeneuve-Loubet |
Escota |
12,5 |
Utilité pour la concession non établie |
Reprise de la brelle des Mureaux vers Paris sur l'autoroute A13 |
SAPN |
4,5 |
Possible obligation contractuelle |
Total |
27,2 |
Source : Autorité de régulation des transports (ART)
Cette première réduction du nombre d'opérations retenues a permis de réduire le montant du PIA de 27,2 millions d'euros .
Dans ses avis, l'ART a également préconisé d' écarter un certain nombre d'opérations qui étaient déjà prévues dans les contrats de concession, comme par exemple des diffuseurs déjà contractualisés mais non encore réalisés .
Elle a également préconisé d' écarter les opérations qui relevaient d'une obligation ordinaire du concessionnaire de mettre à disposition des ouvrages fonctionnant correctement, comme par exemple la remise en état d'une aire d'autoroute existante.
Si la DGITM a fait le choix de maintenir dans le cadre du PIA les opérations que l'ART avait conseillé d'écarter pour l'un ou l'autre de ces deux motifs, le Conseil d'État a fort heureusement donné raison à l'ART en estimant qu'il n'était pas acceptable de financer par des hausses de péages supplémentaires des opérations relevant d'obligations contractuelles antérieures .
Les opérations prévues au PIA
écartées par l'ART
puis par le Conseil
d'État
Opération |
SCA |
Montant (en millions d'euros) |
Avis ART |
Demi-diffuseur de Genlis sur l'A39 |
APRR |
10,5 |
Remplacement d'un ouvrage prévu dans le cahier des charges |
Demi-diffuseur orienté vers Lyon à Quincieux sur l'A46 - (projet initial d'un diffuseur complet) |
APRR |
9,2 |
Déjà prévu au cahier des charges |
Réduction du risque d'inondation à Burnhaupt-le-Bas (A36) |
APRR |
2,5 |
Possible obligation contractuelle |
Requalification de 42 aires de repos |
APRR |
21,8 |
Possible obligation contractuelle |
Diffuseur de Morlaas sur l'A64 |
ASF |
9,3 |
Déjà prévu au cahier des charges |
Demi-diffuseur complémentaire B.A.R.O/RD19 sur l'A641 |
ASF |
3,0 |
Déjà prévu au cahier des charges |
Programme d'amélioration de la durée de vie des ouvrages d'art du Boulonnais sur l'autoroute A16 |
Sanef |
8,6 |
Possible obligation contractuelle |
Programme d'amélioration de la qualité de service des aires |
SAPN |
12,1 |
Possible obligation contractuelle |
Total |
77,0 |
Source : Autorité de régulation des transports (ART)
À la suite l'avis conforme du Conseil d'État, la DGITM a été contrainte de supprimer une opération et d'en écarter sept autres relevant d'obligations contractuelles préexistantes , ce qui a permis de réduire le montant du PIA de 77 millions d'euros , les opérations écartées devant être réalisées sans compensation .
Au total, le PIA, après examen par l'ART et par le Conseil d'État, comprend finalement 43 opérations (au lieu de 57 initialement), pour moins de 700 millions d'euros de coûts prévisionnels de travaux (au lieu de 800 millions d'euros).
La réduction des travaux pris en compte dans le
PIA
à la suite de l'intervention de l'ART (ex-Arafer)
Source : Autorité de régulation des transports (ART)
b) L'intervention de l'ART a permis à l'État d'obtenir une baisse du TRI
(1) Si l'ART n'a pas obtenu gain de cause sur les coûts des travaux...
En ce qui concerne le coût des travaux, l'ART a comparé les dépenses prévisionnelles liées à chacune des opérations aux coûts habituellement constatés , compte tenu de la nature et des caractéristiques de celles-ci. Elle a constaté que les dépenses envisagées étaient « plutôt élevées » pour 17 % de l'enveloppe des opérations (soit 430 millions d'euros), « élevées » pour 24 % d'entre elles et « très élevées » pour 41 % d'entre elles 207 ( * ) .
Compte tenu de cette alerte, la DGITM a fait procéder à des expertises des coûts de travaux par le Cerema et par le bureau d'études suisse Nibuxs . Ceux-ci ont validé les coûts négociés avec les SCA et la DGITM a considéré que l'ART n'avait pas suffisamment justifié ses observations sur ce point.
De son côté, tout en relevant les critiques de l'ART, le Conseil d'État a simplement pris acte de l'existence de contre-expertises , sans écarter l'hypothèse de contentieux devant les juridictions compétentes.
(2) ... ni sur le partage des risques...
Dans ses avis, l'ART a également étudié l'encadrement contractuel envisagé des opérations sous l'angle du partage des risques entre le concédant et le concessionnaire , lequel ne doit pas porter indûment atteinte aux intérêts des usagers.
Elle a estimé :
- que la clause visant à minorer l'indu financier dont bénéficie une SCA en cas de décalage dans le temps de l'échéancier des dépenses d'investissement résultant d'un retard imputable à l'État pour l'obtention de la déclaration d'utilité publique se traduisait par un risque de surcompensation tarifaire en faveur des SCA ;
- que la clause visant à compenser SAPN pour une éventuelle perte de recettes liée à l'ouverture du contournement Est de Rouen limitait la portée de l'article 3.4 de la convention de concession selon lequel « l'État conserve toute liberté de réaliser ou d'améliorer tout ouvrage routier non compris dans la présente concession » et modifiait le partage normal des risques entre l'autorité concédante et la société concessionnaire .
En dépit des arguments de l'ART, la DGITM n'a pas apporté de modifications aux avenants sur ces deux points . Quant au Conseil d'État, il ne s'est pas prononcé sur cette question.
(3) ... elle a en revanche obtenu une réduction limitée du taux de rémunération du capital
Si l'ART, dans ses avis, a validé les estimations des principaux paramètres économiques impactant la rémunération des SCA (hypothèses d'inflation, indice général des travaux publics, trafic), elle a en revanche estimé que le TRI de 6,5 % proposé par l'administration était trop élevé et que le niveau supérieur admissible du TRI , au regard des niveaux de risque pris par les SCA et de la conjoncture économique, était plutôt de 5,6 % .
Forte de cette analyse, la DGITM a repris les négociations avec les SCA pour aboutir finalement à un taux de rémunération du capital de 5,9% . Si cette baisse est significative, elle est malgré tout en deçà de ce que préconisait l'ART, ce qui laisse à penser que le PIA demeure une opération très rentable pour les SCA .
Pour autant, l'intervention de l'ART aura permis de diminuer les hausses tarifaires d'environ 5% par rapport au projet qui lui avait été soumis par la DGITM.
La réduction des hausses tarifaires
prévues par le PIA
à la suite de l'intervention de l'ART
(ex-Arafer)
Source : Autorité de régulation des transports (ART)
Au total, et comme l'a résumé Bernard Roman, président de l'ART, devant la commission d'enquête, « pour le PIA, nous sommes passés d'environ 800 millions d'euros à moins de 700 millions d'euros et de 57 opérations à 43 , avec une hausse des péages moins forte qu'initialement prévue , de même que pour les revenus des sociétés. L'Autorité a une véritable utilité sur cet aspect . Il y a en effet une inégalité de moyens entre les SCA et le concédant . Le législateur a jugé qu'un tiers neutre était nécessaire. Le PIA a démontré cette nécessité » 208 ( * ) .
De fait, si beaucoup reste à faire pour parvenir à une relation équilibrée entre les SCA et l'État concédant, l'ART a fait la preuve lors de l'examen du PIA qu'elle était désormais indispensable et qu'elle devait être confortée dans son rôle d'arbitre protecteur des intérêts des usagers .
c) Une exécution à peine entamée
La DGITM a indiqué au rapporteur qu'à la fin du 1 er trimestre 2020, l'avancement constaté de la mise en oeuvre du PIA est d'environ 3 %, soit 17 millions de travaux sur les 700 millions prévus par le plan.
Cet avancement est conforme aux engagements contractuels. En effet, les avenants aux contrats découlant du PIA n'ont été approuvés qu'en août et novembre 2018. Le démarrage des opérations cofinancées par les collectivités était par ailleurs tributaire de la signature de conventions de financement qui ont pour la plupart été mises en place depuis lors.
Ceci explique que les opérations les plus avancées correspondent en grande partie à celles qui sont à la charge exclusive du concessionnaire (passages à faune, travaux hydrauliques, etc.), en plus des études opérationnelles. Une grande partie des opérations sont en phase d'études préalables ou de procédure.
* 206 Cela impliquait d'une part que les opérations soient exclusivement situées sur le domaine public autoroutier concédé et qu'elles présentent un intérêt pour les usagers de l'autoroute justifiant d'être mises au moins partiellement à leur charge.
* 207 L'ART estimant ne pas être en mesure de se prononcer sur 4 % de l'enveloppe.
* 208 Audition de M. Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports (ART) et de Mme Stéphanie Druon, secrétaire générale, le 4 mars 2020.