III. AUDITION DU GÉNÉRAL FRANÇOIS LECOINTRE, CHEF D'ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES (8 JUIN 2021)
M. Christian Cambon, président . - Nous avons le plaisir d'accueillir le général François Lecointre, chef d'état-major des armées, avec lequel nous allons nous entretenir de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, mon général, de vous remercier de votre présence et, à travers vous, de saluer l'ensemble de nos forces armées, notamment celles et ceux qui, à l'heure où nous parlons, se déploient sur les théâtres d'opérations extérieures et aussi sur le territoire national, parfois au péril de leur vie. J'étais, avant-hier encore, sur le porte-avions Charles de Gaulle qui rentrait de mission ; je veux vous redire notre fierté devant l'exigence et l'engagement de nos forces.
En tant que parlementaire et législateur, nous veillons à ce que ces femmes et ces hommes qui s'engagent pour la France disposent des moyens nécessaires ; notre objectif est donc de les aider à les obtenir. Lors de votre audition devant notre commission en octobre dernier, au moment d'examiner le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, vous aviez présenté un budget de la défense qui s'inscrivait strictement dans la trajectoire prévue par la LPM, soit un montant de 39,2 milliards d'euros. Nous avions également rappelé notre objectif de suivre pas à pas l'actualisation de cette loi pour 2021.
En effet, cette LPM a été construite par le Gouvernement sur la base d'un besoin total de 295 milliards d'euros sur la période 2019-2025. Seules les annuités de 2019 à 2023 avaient été fixées, pour un montant total de 197,8 milliards d'euros courants, avec une augmentation annuelle de 1,7 milliard d'euros entre 2019 et 2022 et une augmentation de 3 milliards d'euros pour atteindre 44 milliards d'euros en 2023. Il reste donc 97 milliards d'euros pour 2024 et 2025, non votés dans le cadre de la LPM ; ce sont ces deux dernières années de programmation qui devaient faire l'objet, selon le Gouvernement, d' « arbitrages complémentaires en 2021 », afin de prendre en compte la situation à cette date.
Nous avons attendu en vain une loi ; le Gouvernement nous a informés qu'il ne comptait pas en déposer une et, suite à nos demandes pressantes, il organise, au nom de l'article 50-1 de la Constitution, un débat suivi d'un vote le 22 juin à l'Assemblée nationale et le 23 juin au Sénat ; j'ai cru comprendre que le Premier ministre viendrait présenter cette communication. Naturellement, mon général, je ne vous demande pas de commenter ces décisions politiques, mais vous imaginez bien qu'aux yeux de nos collègues parlementaires, un débat de quelques heures ne remplace pas un texte de loi.
Dans cette perspective, il était indispensable de vous entendre sur les ajustements à apporter à la LPM compte tenu de l'évolution des menaces décrites par l'actualisation stratégique de 2021, ainsi que sur l'adéquation entre, d'une part, les objectifs de la loi et, d'autre part, les réalisations et les moyens consacrés.
En 2018, nous avions déjà exprimé notre inquiétude de voir renvoyer en fin de LPM les marches les plus hautes d'augmentation budgétaire, au risque que ces engagements ne soient pas tenus. Or, si ce premier objectif vers « l'ambition opérationnelle 2030 » n'est pas atteint, c'est l'ensemble du modèle d'armée qui risque de chavirer et la préparation de nos armées à la haute intensité qui serait remise en cause ; j'ai encore à l'esprit vos affirmations de l'époque, nous expliquant qu'une LPM devait s'exécuter complètement, faute de quoi cela entraînerait des difficultés.
Nous sommes confortés dans cette inquiétude par le fait que les surcoûts nets des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures s'élevant à plus de 600 millions d'euros en 2019 et 2020, sont restés à la charge du seul budget de la défense, alors que la LPM prévoyait qu'il en serait différemment. Il est donc à craindre que d'autres surcoûts ne soient pas financés et que cela implique des renoncements par ailleurs.
Sur les questions budgétaires, mes collègues pourront vous interroger plus précisément. De mon côté, je souhaite vous faire part de trois motifs de préoccupation.
Compte tenu de la crise du covid, l'objectif de 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l'horizon 2025 devient hors sujet. Si l'on s'en tient à l'objectif en valeur de 295 milliards d'euros, les armées pourront-elles mener de front tous les objectifs initiaux de la LPM, avec les nouveaux programmes à effets majeurs dans le renseignement, l'espace, le cyber, la lutte anti-drones ou le financement de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions de nouvelle génération ? Combien va-t-il manquer dans la LPM ? Quels renoncements faudra-t-il assumer ?
Ensuite, s'il faut se féliciter de la décision d'un deuxième pays européen - la Croatie - d'acquérir douze avions de chasse Rafale d'occasion, à l'instar de la Grèce, je souhaite vous interroger sur les limites de ce modèle d'exportation à la fois en termes de coût et en disponibilité opérationnelle. Comment allez-vous gérer le prélèvement de douze Rafale non remplacés en 2025 ? Et ne faudrait-il pas prévoir, comme pour les cessions immobilières du ministère des armées, un retour de l'intégralité du produit de la cession au budget de la défense ?
Enfin, existe-t-il un risque que, lors de ces arbitrages, les petits programmes soient, comme souvent, sacrifiés au profit des gros ? Au-delà des grandes réalisations et des grands équipements, les efforts consentis par la loi au sujet de l'immobilier, de la condition du soldat ou de la préparation opérationnelle de nos troupes seront-ils maintenus ?
Nous allons sortir d'une crise du covid qui va considérablement changer le paysage budgétaire, économique, juridique. Si des choix sont à faire, nous souhaitons qu'ils s'effectuent en transparence et qu'ils soient débattus au Parlement, de telle sorte que cette LPM, que nous avons amendée et soutenue, puisse être portée jusqu'à son terme.
Général François Lecointre, chef d'état-major des armées . - C'est toujours un plaisir d'échanger avec votre commission et de mesurer l'attention sincère que vous portez à toutes nos questions de défense. Cela m'incite à être le plus transparent possible concernant nos orientations. C'est un défi qui, chaque fois, nous oblige à la clarté de l'expression et du raisonnement et à la responsabilité dans les choix que nous proposons ensuite à l'approbation de la ministre des Armées et du Président de la République.
Depuis l'élaboration et le vote de cette LPM, le fil conducteur est la cohérence dans la réflexion que nous menons et dans les décisions que nous prenons, y compris dans les mesures d'ajustement qui font l'objet de notre rencontre aujourd'hui. Les choix capacitaires retenus s'inscrivent en effet en parfaite cohérence avec l'ambition opérationnelle 2030. Ces mesures d'ajustement répondent à une préoccupation essentielle : faire face aux nouveaux besoins identifiés dans le cadre de l'actualisation stratégique publiée au début de l'année 2021 et des évolutions constatées depuis 2017.
Nous tirons beaucoup d'enseignements des engagements de ce qui est une armée d'emploi - sans doute la seule en Europe -, qui adapte sans cesse ses modes opératoires, ses analyses stratégiques et ses besoins capacitaires pour faire face à un environnement de conflictualité qui change en permanence. Si nous devons tenir compte de ces évolutions, nous devons également rester en cohérence avec une vision à plus long terme, par définition spéculative. Il y a une tension entre les enseignements quotidiens de nos engagements et cette ambition qui doit nous porter jusqu'en 2035 ou 2040. Je rappelle, à titre d'exemple, que le porte-avions nouvelle génération sera en service jusqu'en 2080. J'ai espoir que nous soumettons aux responsables politiques les bonnes orientations ; on n'est jamais l'abri de se tromper par excès de conservatisme ou par aveuglement, mais je veille, avec l'ensemble de l'état-major, à éviter ces impasses.
Je voudrai développer mon propos liminaire en deux parties : dans un premier temps, je reviendrai sur les principaux enseignements de l'actualisation de la revue stratégique ; et, dans un second temps, je détaillerai la façon dont nous avons exploité ces enseignements, en traitant certaines fragilités et en prenant en compte les besoins nouveaux identifiés.
Trois éléments-clés sont à retenir de l'actualisation stratégique : la confirmation des tendances identifiées en 2017 ; le constat de l'accélération de la dégradation du contexte stratégique ; l'identification de plusieurs éléments de rupture.
En 2017, nous avions identifié trois menaces principales : le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour à la compétition stratégique entre grandes puissances. Je constate que ces trois grandes menaces se sont confirmées et même aggravées.
Le terrorisme d'inspiration islamiste, malgré son affaiblissement lié à la mort de nombreux cadres des mouvements que nous combattons, poursuit son expansion, son enracinement local et sa dissémination globale, selon un mouvement qui est de nature à nous inquiéter. Les péripéties politiques au Mali et au Tchad posent régulièrement la question de notre engagement au Sahel. Au-delà des réponses immédiates, il s'agit de bien identifier les tendances lourdes de ce terrorisme islamiste.
Certes, au cours des dix dernières années, la relation entre irrédentisme touareg et terrorisme djihadiste algérien a été rompue. Cependant l'irrédentisme touareg s'est étendu dans le sud, en tirant profit d'une mauvaise gouvernance, de la frustration des populations et des tensions ethniques. Il faut donc le reconnaître : nous n'avons pas résolu ce sujet, qui procède autant de questions politiques que de questions militaires. Le danger djihadiste est aux frontières de l'Europe, il s'étend et s'enracine, cette tendance ne fait que se confirmer ces dernières années, malgré notre action pour l'en empêcher.
Ensuite, le retrait d'Afghanistan des États-Unis et de l'OTAN va laisser place à une situation favorable à l'installation de groupes terroristes qui pourront lancer des actions partout dans le monde, y compris sur notre sol. La menace djihadiste s'étend aussi à l'Afrique de l'Est, on le voit au nord du Mozambique avec la création d'une nouvelle wilaya qui rompt l'équilibre des forces en présence. Nous suivons la situation de très près par le biais de nos forces armées stationnées dans la zone sud de l'Océan Indien car il en va de la stabilité de l'ensemble de la région.
Deuxième menace que nous identifiions en 2017, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs continue et la situation en Corée du Nord, en Iran et au Pakistan ne nous rassure guère, je n'insiste pas.
Troisième menace, le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Les États-Unis se focalisent sur la Chine, et dans le vide ainsi créé, des compétiteurs comme l'Iran ou la Turquie s'enhardissent, aspirant à être des puissances régionales, au risque d'un aventurisme militaire qui peut conduire à des escalades inquiétantes. La Méditerranée centrale et orientale est d'ailleurs aujourd'hui un concentré de toutes ces menaces en développement.
Nous constatons que la dégradation des relations internationales s'accélère, avec l'intensification des rivalités entre grandes puissances avec une sorte de continuum contestation-compétition-confrontation qui se traduit par une confrontation dans les zones grises et par une remise en cause des équilibres existants - et plus généralement la contestation de l'ordre d'un monde multipolaire réglé par le droit international. La pandémie de coronavirus a créé une tension supérieure, qui génère des clivages et suscite de nouvelles craintes.
Nous identifions ensuite des éléments de rupture stratégique, en particulier les nouvelles technologies, la généralisation de stratégies hybrides, l'enhardissement des puissances régionales. Dans le stockage et le traitement des données, l'intelligence artificielle, la 5G, l'informatique quantique, l'énergie, apparaissent de nouvelles dépendances en matière de standards, de normes - qui dessinent d'ailleurs un nouveau champ de conflictualité affectant des domaines essentiels de la vie en société - ou d'approvisionnement. Ces nouvelles technologies entraînent l'extension de champs de confrontation, en particulier dans le cyberespace, dans l'espace exo-atmosphérique, dans le champ informationnel ou dans l'espace sous-marin - j'ai confié une mission sur ce dernier thème au chef d'état-major de la Marine.
Des compétiteurs étatiques usent de stratégies hybrides en combinant des modes d'action militaires et civils, directs et indirects, légaux et illégaux, en recourant non seulement à leurs armées mais aussi à des sociétés privées ou des milices, en utilisant des leviers aussi divers et complexes que les flux migratoires, la désinformation, la rétorsion économique, la pression directe sur des acteurs privés. Face à ces stratégies hybrides, nous pourrions être tentés de répondre par une sorte de contre-hybridité : je crois que nous devons résister à cette tentation, car ce serait contraire à nos valeurs et contraire au droit international de plus en plus mis à mal par ces stratégies hybrides ; cependant, nous devons réfléchir aux moyens de contrer ces stratégies, en les identifiant le plus précocement possible.
Nous devons par exemple constamment tenir compte de la désinformation à notre encontre. Nous décryptons ainsi l'affaire de Bounti, au Mali, qui a été l'occasion d'une tentative de déstabilisation de notre action au Sahel et de notre propre information. J'ai constaté récemment, que des propos que j'ai tenus dans un entretien avec un journal français donnaient lieu à des tentatives de désinformation en Estonie - des réseaux prétendant que j'aurais dit que la France se désolidariserait des États-Unis en cas de conflit avec la Chine, ce qui est tout à fait fantaisiste.
Quels enseignements tirer de ces analyses sur l'évolution des menaces ? En premier lieu, qu'elles ne remettent pas en cause la LPM ni l'ambition opérationnelle 2030, qui visent précisément à ce que notre pays dispose d'un modèle d'armée complet pour faire face à un conflit de haute intensité. Au-delà, nous avons un outil mieux adapté, dont le caractère complet relève le seuil d'engagement dans un conflit armé, face à des ennemis qui utilisent une stratégie hybride.
Cela dit, si notre stratégie est la bonne, nous devons renforcer nos capacités d'action dans les nouveaux espaces de conflictualité, en particulier dans le cyberespace, dans le spatial, dans le champ informationnel et dans l'espace sous-marin. Ce renforcement capacitaire est indispensable pour qualifier la menace et identifier les auteurs des attaques, il faut des moyens importants pour contrer les attaques et forcer leurs auteurs à sortir de leur ambiguïté.
Ce contexte stratégique avec des risques nouveaux à nos portes appelle une volonté forte d'y faire face et une réponse adaptée de l'Union européenne. Je reste un défenseur acharné de l'édification d'une Europe-puissance voulue par le Président de la République, pour laquelle nous devons, nous armées françaises, entraîner nos partenaires à agir, pour que l'Europe s'affirme comme un acteur stratégique disposant d'armées puissantes, modernes, aptes à jouer un rôle moteur dans les recompositions en cours.
La LPM n'a donc pas de raison d'être remise en cause dans ses fondements et il n'est pas nécessaire d'en changer le cap. Nos choix conservent leur pertinence, même si nous avons besoin d'un ajustement à la marge. Il est fondamental de maintenir nos grands équilibres capacitaires, en particulier pour garantir notre capacité à intervenir dans tous les milieux ; les Britanniques ne font pas ce choix et sont en train de bâtir un modèle d'armée différent, ce qui me semble risqué.
Les moyens mobilisés pour cet ajustement représentent 1 milliard d'euros sur les 295 milliards d'euros du périmètre de la LPM, nous visons l'efficacité et nous allons accélérer certains programmes et en décélérer d'autres. En réalité, nous faisons chaque année cet exercice d'ajustement de la programmation militaire. Celui que nous faisons cette année est plus important, nous nous projetons plus loin pour prendre en compte les ruptures stratégiques que nous avons identifiées.
Le premier axe d'ajustement vise à mieux détecter les menaces et à mieux attribuer les agressions dans les nouveaux espaces de conflictualité. Nous devons pour cela investir davantage dans les trois domaines que sont le cyberespace, le renseignement et la surveillance. Pour chaque domaine, cela se traduira par l'acquisition de capacités de stockage des données, de calcul et d'algorithmes - les livraisons interviendront à partir de 2023. Dans le cyber, l'accélération représente deux années pour certains programmes, pour obtenir une capacité structurante de traitement des données, de renseignement et de ce qu'on appelle désormais la lutte informatique d'influence - la L2I. Nous devons mieux détecter les faux comptes sur les réseaux, nous investissons aussi en cryptographie avec une nouvelle gamme de chiffreurs qui nous donnera une alternative aux matériels étrangers. En matière de renseignement, nous avons aussi besoin de capacités supplémentaires de stockage et de traitement, qui passeront notamment par le recours à des outils d'automatisation à base d'intelligence artificielle.
Ces changements comportent un enjeu de ressources humaines, car les métiers changent en profondeur et c'est un défi que nous relevons - en réalité, les armées sont en perpétuelle transformation, les nouveaux profils sont intégrés en continu y compris dans les unités combattantes. Cette réalité est méconnue car l'opinion a souvent l'image d'une armée qui n'évoluerait pas alors que, j'en suis convaincu, votre visite au porte-avions Charles-de-Gaulle vous aura montré combien nos métiers ont changé et comment nos équipements intègrent les développements les plus modernes de la technologie.
Dans les domaines de l'interception et de la surveillance, nous avons besoin de renforcer nos capacités d'interception et de localisation des émissions électromagnétiques, de surveillance de l'espace et d'investigation sous-marine. Nous utilisons par exemple des drones pour surveiller les grands fonds marins, un domaine très confidentiel et stratégique, tant les données qui passent par les câbles sous-marins sont devenues stratégiques.
Le deuxième axe vise à mieux se protéger en renforçant la capacité des armées à contribuer à une résilience accrue sur le territoire national, en particulier dans les domaines santé, NRBC et lutte anti-drones. Tout cela se fait dans la perspective de nos engagements sur des théâtres d'opération extérieurs mais aussi dans la perspective de grands événements sur le territoire national.
Dans le domaine nucléaire, radiologique, biologique et chimique, il s'agit de développer des contre-mesures médicales, avec le programme à effet majeur Cinabre, qui sera lancé avant l'été, et le développement d'une filière souveraine de réactifs biologiques. Dans le domaine de la lutte antidrone, nous prévoyons l'acquisition de moyens supplémentaires, notamment de brouillage. Dans le domaine de la santé, il s'agit de développer une capacité pérenne d'évacuation sur avions de transport - A400M et C-130J - et de lancer les premières études en vue du renouvellement des capacités Merope (module de réanimation pour les opérations) et Morphée (module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation) sur MRTT ( Multi Role Tanker Transport ) ; on a recouru à ces capacités lors de la première vague de covid, avec des transferts médicaux entre zones.
J'en arrive à l'interministériel ; nous voulons garantir l'interopérabilité des armées avec les forces de sécurité intérieure, du point de vue des réseaux de transmissions et du commandement, notamment par le raccordement au réseau de radio du futur.
Le dernier axe consiste à mieux se préparer, c'est-à-dire à préparer nos armées à prendre l'ascendant sur des adversaires de plus en plus agiles. Il s'agit surtout de conforter l'effort de préparation opérationnelle des armées, en parallèle de ce qui est conduit en faveur de leur réparation et de leur modernisation. Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de l'élaboration de la LPM, nous avions sous-estimé les besoins en ressources budgétaires dans ces domaines. Aujourd'hui, il nous apparaît nécessaire de les renforcer, en rehaussant la disponibilité des équipements requis pour assurer une plus grande homogénéité de l'entraînement opérationnel, en compensant des fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire dans le domaine du maintien en condition opérationnelle et en améliorant les moyens permettant la valorisation de l'entraînement : simulation, centres de préparation opérationnelle et exercices, qui sont coûteux. Nous prévoyons d'ailleurs d'organiser en 2023 un exercice, dénommé Orion, qui sera multi-milieux, interarmées, interallié, de niveau divisionnaire et qui impliquera 17 000 à 20 000 hommes et 500 véhicules de l'armée de terre, deux porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l'armée de l'Air et de l'Espace. Enfin, il nous faut acquérir des moyens permettant de garantir la cohérence d'ensemble et la maîtrise par les armées de la force dans des environnements moins permissifs.
Il faut donc que nous renforcions les activités notamment de l'armée de terre et de l'armée de l'Air et de l'Espace, en augmentant les heures de vol de chasse et les heures d'entraînement sur blindés, à partir de 2022.
Puisque j'évoque l'exercice Orion, la question que se posent aujourd'hui les armées est celle de la manière de signifier notre détermination. C'est une autre façon de contrer des stratégies hybrides ; dans cette confrontation de volontés, nous devons penser que chacune de nos actions peut être, et doit pouvoir être, interprétée par nos compétiteurs ou par nos ennemis. Être capable de conduire un exercice de haute intensité participe de cette volonté de signifier à nos compétiteurs que nous nous défendons, que nous agissons et que nous sommes capables de contrer ces actions. Tout cela est un champ nouveau, qui passe par le renforcement des moyens de préparation opérationnelle des armées. Les exercices que cette préparation nous amène à réaliser constituent, en eux-mêmes, une forme de démonstration de puissance, donc de confrontation.
En conclusion, je souhaite revenir sur ce qui caractérise l'ensemble des travaux que nous avons conduits au sein des armées : la grande cohérence avec l'ambition d'un modèle complet, qui permet à la France de se défendre, de défendre ses intérêts et de peser sur la scène internationale. Ce modèle conserve, selon moi, toute sa pertinence et si les analyses récentes que nous avons faites nous amènent à quelques modifications, nous ne faisons qu'ajuster la trajectoire, nous ne changeons pas de cap ; il s'agit simplement de mieux prendre en compte des évolutions stratégiques et technologiques que nous observons.
L'ajustement nous paraît indispensable, mais il ne doit pas éclipser la LPM elle-même, qui est organisée autour de quatre axes : la « hauteur d'homme », le renouvellement des capacités opérationnelles, la garantie de l'autonomie stratégique de la France et le soutien à l'émergence d'une autonomie stratégique européenne, ainsi que l'innovation face aux défis futurs. Cette LPM marque un tournant pour les armées ; elle représente objectivement un effort important et elle marque une inflexion très nette par rapport aux deux LPM précédentes, ce n'est pas contestable. Si nous n'avions pas eu cette loi, le haut commandement militaire aurait été contraint de proposer aux politiques un certain nombre de renoncements, qui auraient déclassé la France ; il faut en être tout à fait conscient.
Pour autant, nous suivons avec attention l'exécution de cette LPM. Au-delà, la LPM suivante devra porter l'effort de modernisation des armées pour effectivement atteindre l'Ambition 2030.
M. Christian Cambon, président . - Quels sont les secteurs qui risquent de faire les frais de ces quelques réorientations ? Si l'on dépense plus dans un secteur, on risque de dépenser moins dans un autre. Or le Sénat observe le budget des armées avec attention...
M. Pascal Allizard . - Quels sont les axes de recherche à soutenir en priorité, notamment dans le domaine des industries navales et terrestres, qui représentent, chacune, à peine 5 % des crédits de recherche de l'Agence d'innovation de la défense ? Par ailleurs, la France vous paraît-elle pleinement mobilisée pour tirer le meilleur parti du Fonds européen de défense et diversifier ainsi ses sources de financement de l'innovation ?
M. Jean-Marc Todeschini . - C'est sans lien avec la LPM, mais des mesures ont-elles été prises vis-à-vis des généraux de seconde section qui ont signé une tribune dans la presse ?
En ce qui concerne la LPM, je veux parler du remplacement du Famas ; où en sommes-nous du déploiement du fusil HK416 ? Y a-t-il une échéance prévue pour sa mise en service ? Comment éviter d'acheter à l'étranger le successeur du Famas ? Enfin, pouvez-vous nous parler des investissements et des recrutements ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Je poserai une question au nom de mon collègue Cédric Perrin, qui ne peut être présent, et une en mon nom.
Les ajustements de la LPM ne se limitent pas à des choix assumés - prioriser de nouveaux programmes à effets majeurs tels que la propulsion nucléaire du porte-avions nouvelle génération ou les programmes Ares et Artémis - ; en particulier, des opérations imprévues - le prélèvement de douze Rafale pour la Croatie -, des arbitrages budgétaires défavorables ou des retards industriels altèrent fortement le parc matériel prévu pour fin 2025. En dehors des véhicules blindés légers, trois programmes sont susceptibles de remettre en cause l'Ambition 2030 : le programme de guerre des mines, les futurs bâtiments hydrographiques et la révision à la baisse du nombre de Rafale pour l'armée de l'air, passé de 129 à 117 appareils. Du point de vue opérationnel, comment allez-vous faire ?
Par ailleurs, du point de vue budgétaire, quel est le chiffrage global de ces ajustements ? Faut-il revoir l'enveloppe globale de 295 milliards d'euros de la LPM, au prix de quels surcoûts ou de quels renoncements ?
La LPM 2019-2025 constitue une première étape vers l'Ambition 2030, qui doit garantir à la France l'autonomie d'action nécessaire pour « entrer en première » et la capacité d'intervenir dans des opérations majeures de coercition impliquant des combats de haute intensité, mais la trajectoire de la LPM reste formatée pour projeter des forces de façon ponctuelle et limitée. Faut-il continuer à miser sur des équipements, comme le porte-avions, de très haute technologie, mais disponibles en faible quantité ? Avec notamment une cible de 15 frégates de premier rang pour 2030 et des moyens limités en transports aériens stratégiques et tactiques, ne risque-t-on pas de prendre du retard et de ne pas disposer de la masse critique pour faire face à la multiplication des théâtres d'opérations ?
Pour ce qui concerne le Sahel, comment encourager une implication plus forte de nos partenaires européens, ce que nous souhaitons depuis longtemps, au vu de la dégradation de la situation sécuritaire ?
M. Yannick Vaugrenard . - De nouvelles menaces dues à l'avancée technologique pèsent sur notre avenir, notamment dans le domaine du renseignement. Quels efforts en matière numérique et d'intelligence artificielle sont susceptibles d'être accomplis dans les années qui viennent ? Quel soutien financier supplémentaire faut-il prévoir pour se prémunir contre un conflit spatial ? Enfin, la guerre de la désinformation peut atteindre le coeur de notre crédibilité ; nous savons le rôle de la Russie et de la Chine dans ce domaine, notamment en Afrique ; comment y faire face ?
M. Joël Guerriau . - la LPM prévoyait la création de 6 000 emplois, avec trois priorités : le renseignement, les unités opérationnelles et la cyberdéfense. Nous considérions que le rythme de 450 recrutements au cours des premières années était trop lent et qu'il en fallait plutôt 2 500. Une adaptation de la LPM est nécessaire pour tenir compte du développement de la cyberdéfense, de la généralisation du double équipage dans la marine et de la nouvelle stratégie spatiale. Combien d'emplois le nouveau commandement de l'espace et le centre d'excellence de l'OTAN pour l'espace mobiliseront-ils ? La politique de redéploiement interne n'atteint-elle pas ses limites ? À combien d'effectifs supplémentaires estimez-vous le besoin d'actualisation ?
Mme Vivette Lopez . - Les écoles de Coëtquidan ont changé de nom et une école de formation pour les officiers sous contrat a été créée. Nos officiers sont-ils aptes à relever les défis intellectuels, stratégiques et opérationnels que nos adversaires nous imposent ?
M. Hugues Saury . - Quand le char de combat Leclerc de nouvelle génération sera-t-il livré ? Cela entraînera-t-il des changements importants au sein de nos régiments ?
M. Jacques Le Nay . - Naval Group vient de faire une nouvelle offre à la Grèce : une frégate construite à Lorient, qui sera livrée en 2025, et trois autres construites en Grèce, ainsi que la cession gratuite de deux frégates, après remise en condition. Quel est le montage financier de cette opération intéressante pour le plan de charge de Naval Group ?
Général François Lecointre . - Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur les 2 % du PIB à horizon 2025. Nous tenons à ce que le niveau des ressources qui ont été programmées pour les armées soit maintenu en valeur et non en pourcentage. Sinon, je ne sais pas comment nous remplirons les ambitions fixées. À tout le moins, nous serions conduits à étaler certains programmes, ce qui est en réalité toujours coûteux et qui contraint beaucoup les armées. Il faut tout faire pour éviter de voir redescendre les ressources qui nous seront consacrées. Certes, la situation économique de la France à la sortie de la crise covid, son niveau d'endettement, auront forcément un impact sur la façon dont les finances publiques seront regardées, notamment par Bercy - et par notre opinion publique, qui estimera plus important de se doter de stocks de masques ou de nouvelles capacités de produire des vaccins. Je compte précisément sur vous : nous avons tous le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu'ils vont être rattrapés par cette violence très rapidement, quoiqu'il arrive, qu'ils le veuillent ou non. On ne peut pas faire d'impasse sur la protection de nos intérêts stratégiques et sur le rang de la France dans le monde. Ce travail, il faut que nous le poursuivions tous ensemble.
Il est prévu que la totalité des ressources issues de la vente des avions Rafale d'occasion revienne aux armées. En particulier, ces ressources nous permettront de nous doter des équipements de mission nécessaires, dont nous avons besoin pour remplir la totalité de nos engagements opérationnels. Mais pour l'instant, je n'ai pas la réponse sur la façon dont nous allons faire face aux conséquences de cette vente. Cela pose un certain nombre de difficultés de nature opérationnelle. J'ai un contrat à remplir, les armées doivent être capables de mettre en oeuvre des capacités opérationnelles et de les engager sur tous les théâtres. Aurons-nous ces capacités ? Il faut que nous regardions de près et à quel prix. Par ailleurs, à partir de 2023-2024, les avions Mirage 2000C qui aujourd'hui assurent la posture permanente de sûreté aérienne seront retirés du service. Reste à voir de quelle façon ces avions peuvent être remplacés par des avions Rafale ou si nous pouvons encore les prolonger.
Enfin, la vente de Rafale d'occasion pose un certain nombre de contraintes de nature organique à l'armée de l'Air et de l'Espace. D'une part, le soutien à l'exportation de ces avions nous impose de former des pilotes et des mécaniciens croates. D'autre part, l'armée de l'Air et de l'Espace doit elle-même disposer d'heures de vol, et donc d'avions en nombre suffisant, pour entraîner et former ses pilotes. Cela dit, si nous n'avions pas réussi à atteindre les objectifs d'export du Rafale, la LPM était intenable. Nous verrons précisément si nous les remplaçons nombre par nombre, ou si nous attendons en décalant cette possibilité, pour avoir la version suivante du Rafale. Ce travail est actuellement en cours et je ne peux pas vous dire aujourd'hui ce qui sera fait. En tout cas, nous prendrons en compte à la fois le soutien à l'export, la dimension organique et les contraintes opérationnelles. Je persiste à penser, malgré tout, que c'est une bonne nouvelle.
Vous avez évoqué les petits programmes sacrifiés et la préparation opérationnelle, monsieur le président. Il n'est pas question de sacrifier des petits programmes. Nous en décalons certains, simplement. En tout état de cause, l'ajustement de la LPM cette année permet d'augmenter les ressources consacrées à la préparation opérationnelle des armées. Pour être très précis, nous décalons notamment la mise à niveau de la flotte logistique terrestre, nous retardons le programme de guerre des mines SLAM-F (Système de lutte anti-mines Futur) et nous décalons légèrement la réalisation du système de drone tactique - en réalité, c'est l'industrie qui n'était pas au rendez-vous. Dans la plupart des cas, nous nous sommes appuyés sur la vie des programmes et sur le retard de tel ou tel industriel.
M. Allizard m'interroge sur les axes de recherche de l'industrie notamment navale et terrestre. Nous menons un travail ambitieux sur le système de drone sous-marin ainsi que sur les drones embarqués sur des frégates. En matière d'industrie terrestre, nous sommes essentiellement engagés sur le Main Ground Combat System (MGCS) et sur la numérisation de l'espace de bataille, qui est un sujet ancien mais sur lequel nous continuons à progresser, avec des recherches importantes à l'occasion desquelles nous allons pouvoir tirer profit du Fonds européen de défense, en coopération avec les Allemands, voire d'autres partenaires européens. L'important me paraît être de repenser toutes nos architectures de commandement & contrôle en intégrant de façon native l'idée que nous devons travailler en coalition - ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent -, la volonté française d'être un leader de coalition - ce qui implique beaucoup de contraintes -, et une numérisation de l'espace de bataille qui se fait « tout-milieu », et non pas seulement en milieu terrestre ou aérien. C'est dans ces domaines que nous lançons l'essentiel de nos recherches.
Le remplacement du Famas par le HK-416 s'effectue au rythme de 12 000 pièces par an de 2019 à 2022 puis à environ 8000 armes par an. Il a commencé en 2017 et sera achevé en 2028, où 117 000 armes équiperont la totalité des combattants, y compris les réservistes. Je pense qu'il n'y aura pas de possibilité de relancer une filière nationale d'armement petit calibre. Ce renoncement a d'ailleurs été acté lorsque M. Morin était ministre de la Défense.
Vous m'interrogez sur la tribune des officiers généraux en deuxième section. Ma responsabilité est de préserver à tout prix la cohésion des armées. Ce qui fait la grande qualité et la grande réputation de notre institution au sein de la Nation, c'est sa cohésion - et sa cohésion dépend pour une part essentielle de sa neutralité politique. Il ne peut pas y avoir d'armée qui ne soit pas strictement soumise au pouvoir politique républicain et démocratiquement élu. Tout soupçon qui pourrait porter sur cette stricte subordination au pouvoir politique fait du mal aux armées et fait du mal à la Nation. C'est pourquoi je considère que des tribunes de cette nature ne sont pas acceptables, parce qu'elles fragilisent les armées et la Nation dans son ensemble.
On peut faire de l'exégèse sans fin sur le texte publié par les officiers généraux en deuxième section. Je ne m'y livrerai pas, mais je considère que, quelle que soit la lecture qu'on en fasse, c'est un texte de nature politique dont les rédacteurs pensaient bien qu'il allait être l'objet d'une récupération militante et politique. Je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement. J'ai espéré un temps qu'il n'en serait pas ainsi et qu'on pourrait laisser passer cela sous l'horizon. Malheureusement, ce qui devait arriver est arrivé et ce texte a fait l'objet d'une polémique politique. Je n'ai pas eu d'autre choix, pour garantir la cohésion des armées au service de la Nation, que de réagir. Je l'ai fait en distinguant parmi ceux qui ont signé cette tribune les officiers qui l'ont fait par manque de discernement et ceux qui l'ont fait de façon délibérée, parce qu'ils sont militants sur le plan politique.
Or, que M. Tartemolle soit militant sur le plan politique, c'est son droit le plus strict en tant que citoyen ; mais que le général Tartemolle se prévale de son grade et donc engage les armées pour faire du militantisme politique, c'est inacceptable. Quand je lis dans un journal sous la plume d'un de ces généraux : « Fallait-il que la Grande Muette continue à se taire ? ». Cela signifie que ces officiers généraux continuent donc à prétendre s'exprimer au nom des armées ! Je leur dénie absolument ce droit, en particulier pour des prises de position militantes.
La décision a été prise de déclencher une procédure disciplinaire à l'encontre de ces officiers au terme de laquelle ils pourraient se voir retirer leur position statutaire de généraux en deuxième section. Pour l'essentiel, au-delà du fait qu'elle autorise les officiers généraux qui en bénéficient à porter l'uniforme dans certaines circonstances et qu'elle les rend rappelables à l'activité jusqu'à 67 ans, la deuxième section leur garantit le droit à vie à 75 % de réduction sur les tarifs SNCF. C'est un avantage considérable, je n'en disconviens pas, mais les cartes Vermeil donnent une réduction à peu près équivalente. C'est donc une sanction essentiellement symbolique, qui pourrait être justifiée par le fait que ces officiers ont exprimé, alors qu'ils sont d'active, sans respecter le devoir de réserve qui s'impose à eux, un point de vue politique, militant, en se prévalant de leur grade. En les sanctionnant ainsi, nous leur retirerions la possibilité de le faire de nouveau.
Ces officiers généraux vont être reçus par le Conseil supérieur de l'armée, devant lequel ils auront à expliquer pourquoi ils considèrent qu'ils étaient légitimes à dire cela. Je n'avais pas d'autre choix que de proposer ces sanctions et je pense que les armées n'auraient pas compris que le chef d'état-major des armées ne réagisse pas. Il est inacceptable de s'exprimer et d'exprimer un point de vue de politique militant en se prévalant de son grade, actuel ou passé. Les six officiers généraux qui se sont le plus exprimés publiquement et qui ont le plus revendiqué d'avoir signé cette tribune ont reçu une lettre de convocation devant le Conseil supérieur de leur armée, devant lequel ils vont bientôt passer. Pour que de tels faits ne se reproduisent pas, je ne peux que faire appel au discernement des officiers généraux.
Nos officiers sont-ils bien formés ? La transition est toute trouvée ! Nos officiers sont les mieux formés au monde, évidemment ! Cette question renvoie en fait, d'une part, à la formation initiale, dans nos grandes écoles militaires et, d'autre part, au parcours de nos officiers tout au long de leur carrière, qui font l'exemplarité de notre système militaire. Nous ne constatons pas d'abaissement du niveau de recrutement de nos officiers dans les écoles de formation initiale que sont Saint-Cyr, l'École Navale ou l'École de l'air. Le taux de sélection n'évolue qu'assez peu : c'est une sorte de mystère français. Déjà, le général Crène, quand il était chef d'état-major de l'armée de terre, pointait ce mystère, qu'il ne s'expliquait pas mais qu'il constatait : il y a toujours une part de la jeunesse de France qui est attirée par la vocation militaire, que ce soit chez les officiers, chez les sous-officiers ou chez les militaires du rang. Nous devons bien mesurer, par contraste, les difficultés que rencontrent pour recruter beaucoup de pays en Europe, qui connaissent un effondrement de la qualité de leurs militaires réellement inquiétant. La France est une exception, je ne peux que le constater et m'en féliciter !
En tout cas, le recrutement des officiers ne baisse pas en qualité et se fait toujours après des classes de mathématiques supérieures, d'hypokhâgne-khâgne ou préparatoires aux grandes écoles de commerce. La formation est à mon sens une formation d'excellence, qui mêle formation académique et militaire. Ce qui est remarquable ensuite c'est la formation qui continue tout au long de la carrière. Nos jeunes officiers qui passent par ces grandes écoles commencent par une première expérience de mise en oeuvre à un niveau de technicien, c'est-à-dire qu'ils ont le même niveau de responsabilité qu'un sous-officier. Quand vous êtes lieutenant chef de section dans un escadron, dans une compagnie, vous êtes au même niveau qu'un sergent-chef ou qu'un adjudant ; quand vous êtes officier de quart en sortant de l'École Navale, vous êtes officier de quart de la même façon que le maître principal qui est à vos côtés. Ce dispositif propre au système militaire permet à la fois la transmission d'une expérience - une sorte de compagnonnage entre sous-officiers et officiers - et l'acquisition d'une légitimité extrêmement forte. Nos officiers ont tous exercé le métier de mise en oeuvre et d'exécution avant d'accéder ensuite, dans un deuxième temps de la carrière, à des métiers de conception qui nécessitent une remise en question très importante. Ils ont en effet l'obligation de passer l'École de guerre pour accéder à des niveaux de conception qui leur permettront de devenir officier supérieur. C'est un parcours exigeant, dont essaye de s'inspirer, je pense, la réforme de la haute administration civile.
Il faut mesurer le degré d'exigence qu'il implique. Quand vous avez 33 ans, que vous avez été au combat, que vous avez commandé une compagnie de 180 hommes, que vous avez fait Saint-Cyr et qu'on vous dit d'un coup que tout cela ne vaut plus rien et qu'il faut préparer un concours pendant un an et demi, c'est moyennement drôle ! Il s'agit d'une remise en question difficile, mais qui ne décourage pas nos officiers, ce dont je me félicite - nous y veillons ! Certains, toutefois, chez les officiers de recrutement directs, ont la tentation, après ce premier temps qui les a conduits jusqu'au grade de capitaine ou de lieutenant de vaisseau, au contact du terrain, dans l'exercice d'un commandement très humain, et très valorisant, de quitter l'armée en refusant l'obstacle de ce concours de l'École de guerre. Ils bénéficient d'une formation et d'un parcours exemplaires, très facilement valorisables dans le civil : ils vont offrir leurs services ailleurs.
Vous m'avez posé la question essentielle de la haute technologie et de la masse critique. La question de la masse critique va se poser, j'en suis persuadé, et elle ne peut pas être traitée au détriment de la haute technologie. En effet, ce qui tient la capacité française à produire de l'armement, c'est la capacité à faire de la haute technologie. Notre base industrielle et technologique de défense repose sur l'excellence de nos industries de l'armement, qui nous apporte une supériorité opérationnelle évidente face à un ennemi potentiel et nous garantit une production nationale et européenne qui, par ailleurs, a des effets duaux sur d'autres technologies et permet de tirer l'ensemble de la recherche et des techniques vers le haut.
Pour autant, nous veillons à rechercher un progrès technologique différencié et adapté qui apporte réellement de la supériorité opérationnelle. Sur le char du futur, qu'est-ce qui apportera la supériorité opérationnelle principale ? La qualité du canon, du guidage du tir, la mobilité, la qualité de protection, la numérisation qui permettra de relier l'ensemble des plateformes pour produire des effets de combat ? Je n'en sais rien. Mais j'ai travaillé dans les bureaux qui s'en préoccupent dans les états-majors. Ils fixent les priorités, comme actuellement la capacité à travailler en liaison permanente entre plates-formes et à faire du combat distribué. Nous veillons donc à avoir un progrès technologique différencié. De ce point de vue, les Français sont leaders en Europe. Nous avons une intelligence de compréhension de nos systèmes d'armes - qui deviennent de plus en plus des systèmes de systèmes - qui est assez unique en Europe.
En fait, parmi les nations européennes membres de l'OTAN, peu d'armées font elles-mêmes de la programmation et de la planification. Outre l'armée américaine, il n'y a guère que l'armée britannique et l'armée française. Les autres font la planification et la programmation que leur impose l'OTAN mais ne font pas ce travail de façon autonome. Nous avons cette capacité et nous entraînons nos partenaires à le faire dans de grands projets structurants qui nous paraissent importants. C'est le cas pour le SCAF et le MGCS.
Comment résoudrons-nous le problème de la masse ? Par de la capacité à créer des coalitions et à les diriger. D'où l'importance majeure du commandement & contrôle. Nous devons penser nativement nos équipements, nos structures et nos systèmes de commandement & contrôle pour être capables de diriger des coalitions. C'est un levier de puissance et de création de masse important pour les Européens, face à des compétiteurs comme la Russie, la Chine ou la Turquie, qui ne sont pas capables de créer des coalitions. Certes, la coalition est aussi une faiblesse et le Maréchal Foch, qui s'y connaissait en la matière, disait : « Depuis que je sais ce que c'est qu'une coalition, j'ai beaucoup moins d'admiration pour Napoléon » ! Et, en effet, il est difficile de conduire des coalitions, mais je ne vois pas tellement d'autre solution que de prendre en compte cette nécessité. C'est ce que nous faisons aujourd'hui au Sahel et nous continuerons à le faire.
Cela ne suffira sans doute pas, ce qui pose la question de la montée en puissance. Comment un pays, ou un groupe de pays, peut-il parvenir à voir que la menace est à ce point prégnante que, au-delà du fait qu'il a su conserver un modèle d'armée complet, avec la totalité des capacités, il lui faut désormais passer à une production en plus grande quantité de ce modèle pour augmenter ses capacités de combat ? Ce problème est d'abord entre vos mains, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est un problème politique, pas un problème militaire. Et c'est un problème industriel. C'est la question qui se posait, par exemple, au généralissime Joffre en 1913. Le Gouvernement tenait surtout à ne pas passer pour belliciste, mais il fallait être capable de réaliser une mobilisation générale suffisamment rapide pour faire face à un envahisseur ou un ennemi qui occupait déjà le territoire national. Joffre savait que la décision de mobilisation générale serait extrêmement tardive, précisément parce que le Gouvernement français ne voulait pas passer pour belliciste. Il avait donc organisé la capacité de regroupement et de mobilisation des armées de façon à pouvoir, en de très brefs délais, réaliser cette montée en puissance. Au départ, en tout cas, il faut une volonté politique et une capacité à déceler les signaux et à entraîner une opinion publique dans la prise de conscience de ce que le danger est là. En coalition, c'est encore plus complexe.
Vous m'avez interrogé sur l'engagement des partenaires de l'Union européenne au Sahel. J'ai la faiblesse de regarder le verre à moitié plein. Les progrès que nous avons faits en cinq ou six ans sont absolument considérables. Ce n'est pas suffisant, sans doute, et c'est trop lent, mais nous sommes en train d'obtenir la transformation de la mission EUTM au Mali. J'ai évoqué l'autre jour avec M. Borrell la nécessité de transformer encore cette mission EUTM pour passer d'une mission d'entraînement et de formation à une véritable coopération structurelle de l'Union européenne avec des partenaires africains en matière de reconstruction de leurs armées. M. Borrell m'a répondu que nous risquerions d'être accusés de colonialisme ou néocolonialisme. Je trouve extraordinaire l'espèce de réticence qu'a l'Union européenne à s'affirmer en tant que puissance, au risque de se voir taxer de néocolonialisme ! Je lui ai dit que le risque est moins grand que l'Union européenne se fasse taxer de néocolonialisme si elle propose une coopération structurelle à ces États africains que si c'est la France qui le fait. Il en a convenu.
Je pense que les mentalités sont en train de se transformer dans l'Union européenne et que la prise de conscience de la crise migratoire qui est devant nous est aujourd'hui de plus en plus nette chez les politiques européens et les gouvernements de l'Union européenne. Les échanges que j'ai eus récemment avec les membres du Bundestag me font vraiment mesurer cette évolution. Le principal déterminant dans l'engagement des armées européennes, de leurs gouvernements et de leurs parlementaires au Sahel, c'est la prise de conscience de la crise démographique. Celle-ci atteint d'une part l'Europe par vieillissement et d'autre part le Sahel par l'explosion qui est devant nous, et qui impose une stabilisation et un développement de ces régions qui permettront d'encaisser cette augmentation démographique. Il y a là un enjeu majeur, que les Européens doivent impérativement prendre en compte. Et il y a une dimension militaire dans cette prise en compte, mais ce n'est qu'une des dimensions.
Est-ce que je considère encore que, dans dix ou vingt ans, nous serons toujours en Afrique ? On peut ne pas y être dans 20 ans. Si cela signifie que, brutalement, la situation se sera stabilisée, et que le Sahel et l'Afrique de l'Ouest seront un sous-continent définitivement apaisé, modernisé, développé et sans aucune crise, tant mieux ! Mais je n'y crois pas. Sinon, si nous n'y sommes plus, cela veut dire que nous aurons abandonné notre responsabilité, qui est la responsabilité de notre destin, puisque celui-ci est indissolublement lié à celui de l'Afrique. Ce serait un renoncement dramatique. Nous n'avons pas d'autre solution que d'être encore présents, Français comme Européens, dans dix ans, dans vingt ans, au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Sous quelle forme ? De quelle manière ? Les choses vont évoluer, bien sûr, et c'est souhaitable. La dimension militaire de nos interventions n'est qu'une petite dimension. On ne porte jamais au crédit des militaires le fait que le pire ait été évité mais, dans les crises que nous gérons aujourd'hui, nous ne pouvons faire que cela. Ce qui emportera la décision, ce n'est pas l'action militaire, qui est là pour éviter la dégradation absolue de ces crises, c'est l'action de développement et de gouvernance.
Vous avez évoqué le risque d'un conflit spatial. Comment s'en préserver ? Avec la création du Commandement de l'Espace, par association avec le CNES et en coopération avec les Américains, nous sommes en train de nous doter de capacités et de compétences pour surveiller l'espace, ce qui est essentiel pour comprendre ce qui s'y passe. Nous devons aussi comprendre ce que des compétiteurs sont capables de faire à partir de l'espace. Nous sommes en train de rattraper un retard que nous avions pris et nos capacités de surveillance de l'espace vont continuer d'augmenter. Par ailleurs, nous devons promouvoir la production de normes internationales qui évitent le développement de la conflictualité dans l'espace. C'est un vrai combat que nous avons à mener face à des puissances qui n'ont pas nos scrupules et qui ont bien l'intention, elles, quoiqu'elles en disent, d'utiliser l'espace comme un champ de bataille.
Le Commandement de l'Espace comptait 250 personnes fin 2020 et en comptera 470 en 2025. Dans le centre d'excellence de l'OTAN à Toulouse, 50 personnes seront employées en 2025. On peut toujours souhaiter une augmentation des effectifs plus rapide que ce qui est aujourd'hui réalisé. Qu'il s'agisse de recrutements bruts ou de redéploiements internes, il y a une difficulté de formation et d'attractivité. Il s'agit de métiers qui sont soumis à une forte concurrence, sur des compétences qui sont très recherchées, autant dans le civil que dans les armées. Nous n'avons pas les moyens d'aller plus vite que ce que nous avons prévu de faire. Si nous allions plus vite, nous courrions un autre risque, celui d'une civilianisation subie d'une partie de ces emplois. Il est plus facile, en effet, d'aller recruter des contractuels civils pour peu de temps que de réellement mettre en place des militaires formés à certains emplois. Je veille à ce que nous évitions cette civilianisation subie des emplois, dont personne ne veut au ministère.
En 2022 auront lieu les premières livraisons des Leclerc rénovés. Sur le successeur du Leclerc, le MGCS, nous n'avons pas fait de grand pas en avant car nous sommes soumis à des impératifs industriels de notre partenaire allemand. Malgré tout, il devrait y avoir un déblocage de cette situation car, à partir des années 2030-2035, toute la communauté Leopard va devoir remplacer ses propres engins. Dès lors, nos partenaires allemands devront faire l'effort de débloquer la situation et de lancer un vrai successeur au Leopard et au Leclerc. Nous cherchons actuellement à éviter une coopération étendue tous azimuts à des partenaires notamment tchèques, polonais ou autres, avant d'avoir réussi à bien construire le partenariat franco-allemand sur ce thème-là. Nous apportons aux Allemands une compétence qu'ils n'ont pas, qui est celle de la numérisation de l'espace de bataille. Dans ce domaine, la France a une avance tant technique et technologique que conceptuelle.
M. Philippe Folliot . - Merci de vos propos, et bravo pour votre action. Quels que soient les moyens et les matériels, ce sont les hommes et les femmes qui les mettent en oeuvre qui sont au coeur du dispositif. C'est un enjeu majeur et essentiel car, au bout de l'engagement, il y a le sacrifice suprême, celui de la vie. La LPM avait été décrite comme étant à hauteur d'homme, avec des engagements quantitatifs sur les effectifs, mais aussi en termes qualitatifs, notamment pour les perspectives de carrière : sous-officiers pouvant devenir officiers, revalorisations indiciaires, conditions de vie en casernement, éléments d'accompagnement par rapport aux familles, etc. Jugez-vous l'application de cette LPM conforme aux attentes ? Comment la crise de la covid a-t-elle été gérée ? Après le cluster du Charles-de-Gaulle, nous n'en avons plus entendu parler dans les armées. Quelle a été la stratégie de vaccination des personnels ?
M. Richard Yung . - Vous n'avez pas beaucoup parlé des coopérations internationales, au sein de l'OTAN ou de l'Union européenne. Pourtant, il y a là quelques marges de manoeuvre. Vous avez évoqué un milliard d'euros... Vous avez évoqué des choix stratégiques des Britanniques qui semblaient vous poser problème. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Sont-ils en train de courir se jeter dans les bras de leur grand allié de l'autre côté de l'Atlantique ?
M. Olivier Cadic . - Il y a un an, dans un rapport sur la désinformation et les cyberattaques, nous avions recommandé de mettre en oeuvre une « force de réaction cyber », afin de répondre aux fausses informations et de lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a annoncé la création d'une nouvelle agence de lutte contre les manipulations de l'information en septembre prochain. Quel fut votre rôle dans la création de cette agence ? Notre armée sera-t-elle partie prenante dans le fonctionnement ? Avons-nous prévu une capacité offensive, de manière à retourner cette arme contre ceux qui s'en servent contre nous ?
Mme Marie-Arlette Carlotti . - Ma première question porte sur le programme 212 et le secteur de la santé. Je souhaite vous interroger sur la situation des agents militaires et civils qui travaillent dans les hôpitaux militaires. Il a été décidé qu'un complément de traitement indiciaire leur serait versé en 2021. Va-t-on tenir cet engagement ? Quel sera le montant de ce complément ?
Ma seconde question concerne la condition de vie de nos militaires. Vous avez indiqué, à plusieurs reprises, que le cap serait maintenu ; sera-t-il également maintenu dans ce domaine ? Pourrait-on envisager des investissements en matière d'hébergement et de logement ?
Mme Michelle Gréaume . - L'actualisation de la LPM devait permettre de vérifier l'amélioration de la préparation opérationnelle, la disponibilité technique des équipements, les réalisations et les moyens consacrés. Dans certains domaines, nous restons à des niveaux inférieurs aux normes de l'OTAN. Quels sont vos objectifs de progression entre 2021 et 2023, puis jusqu'en 2025 ?
Ma seconde question porte sur le surcoût global du programme 178. La précédente actualisation de la LPM 2014-2019 avait permis d'ajouter, sur la fin de la programmation, 500 millions d'euros au profit de l'entretien programmé des matériels. Les retards capacitaires engendrent des surcoûts au niveau de l'entretien. Suite à la prolongation de la durée de vie de certains équipements majeurs et à la montée en puissance des contrats de verticalisation pour le maintien en condition opérationnelle, ne faudrait-il pas revoir à la hausse - de l'ordre de 1 milliard ou plus - le surcoût global du programme 178 non prévu en LPM ?
Général François Lecointre . - Pour répondre à la question de M. Folliot, je considère que l'on maintient le cap et que l'on atteint les objectifs fixés. Des choses sont faites en termes de perspectives de carrière, pour rendre plus fluides les passages d'un niveau à un autre ; ce travail s'effectue de manière constante.
Un sujet est plus spécifique à cette LPM : le casernement. Les armées ont accumulé, depuis au moins 20 ans, une dette importante liée aux infrastructures. Aujourd'hui, nous sommes obligés de prendre en compte cette dette, notamment pour ce qui concerne l'infrastructure opérationnelle et la qualité du casernement. Pendant des années, durant la période précédant la loi organique relative aux lois de finances, alors que les chefs d'état-major d'armée avaient la main sur leurs ressources, on sacrifiait les flux d'infrastructure pour préserver les flux d'acquisition de capacités opérationnelles. Nous sommes en train de rectifier le tir mais cela prend du temps.
Un autre effort spécifique concerne l'hébergement et le logement pour les familles. De grands programmes ont été lancés ; là encore, cela prend du temps. Pour répondre à ces besoins, nous devons tenir compte des nouveaux modes de fonctionnement et de vie de nos armées, en particulier depuis la crise covid. Je suis très attentif à ce qui atteint le plus directement la condition militaire, à savoir la mobilité géographique, qui touche en particulier les officiers ; celle-ci a un impact direct sur l'accès à la propriété, l'emploi du conjoint et la scolarité des enfants ; j'en suis, pour ma part, à 15 déménagements, pour ma seule carrière d'officier.
La limitation de la mobilité doit passer par la définition de parcours régionalisés ; on doit aussi penser au télétravail et au travail déporté. Tout cela doit être réfléchi au-delà des ressources budgétaires affectées à l'hébergement ou à l'amélioration de l'accès à la propriété.
Dans cette LPM, nous avons fixé une nouvelle politique de rémunération des militaires qui répond en partie à cette difficulté d'accès à la propriété. Nous attendons beaucoup de la mise en oeuvre de cette mesure. Par ailleurs, nous observons systématiquement un décalage entre les mesures dont bénéficie la fonction publique civile et celles dont bénéficie la fonction militaire ; cela n'est pas acceptable. Dans les années à venir, la fonction publique civile bénéficiera d'un certain nombre de rattrapages d'avantages ; il faudra que vous soyez attentifs à ce que ces mesures soient bien répercutées sur la fonction militaire.
Nous avons beaucoup agi pour les familles et nous continuerons de le faire avec des crèches et autres services, mais ce qui me paraît important c'est de reconnaître la singularité de la situation des conjoints et familles de militaires. Une personne qui suit son conjoint affecté dans le cadre de l'obligation de mobilité géographique doit pouvoir bénéficier d'une priorité pour, par exemple, accéder à un emploi dans la fonction publique. Il y a un véritable travail de conviction à mener en la matière, quelles que soient les oppositions.
Sur la vaccination, nous avons convaincu le ministère de la Santé que les armées devaient être traitées à part ; ainsi, les militaires participant au déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, du porte-avions ou de la mission Jeanne d'Arc ont été vaccinés en priorité afin de pouvoir accomplir leur mission. Ensuite les militaires engagés en opération bénéficient d'une vaccination prioritaire.
En matière de coopération internationale, monsieur Yung, il y a, au sein de l'Union européenne, le Fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros, ainsi qu'une facilité européenne pour la paix, dotée de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ainsi, tant du point de vue opérationnel que du point de vue de la construction de capacités, les choses se structurent autour de projets intéressants. La France est très investie pour faire des propositions.
Nous travaillons également au développement de l'état-major de l'Union européenne. Cet état-major existe déjà, mais il doit avoir des responsabilités dans la gestion de crise, dans la planification et la conduite d'opérations, dans l'élaboration de modèles capacitaires et de doctrines. Il s'agirait, en clair, d'un état-major ayant à peu près, au sein du Service européen pour l'action extérieure, les mêmes attributions qu'un état-major comme le nôtre et qui pourrait donc construire une défense européenne de manière plus efficace.
Au sein de l'OTAN, les coopérations se passent normalement, mais nous sommes attentifs à ne pas être entraînés à des dépenses excessives. Nous assumons pleinement notre participation à l'OTAN, nous sommes opérationnellement très engagés dans ses différentes missions - la mission « Althéa » qui se fait dans le cadre des accords « Berlin Plus », « Enhanced Forward Presence », « Enhanced Air Policy », etc. - et nous sommes un partenaire important, extrêmement attentif à assurer le respect de nos engagements.
Ce qui interroge dans les choix stratégiques des Britanniques, c'est qu'ils sont en train de déséquilibrer leur modèle. Ils avaient un modèle complet comme le nôtre, et ils font le choix de la puissance maritime, avec l'ambition affichée de prendre la direction de coalitions. Le fait d'abandonner un modèle complet équilibré, comme celui que nous prétendons consolider et préserver ne risque-t-il pas de mettre le Royaume-Uni en situation de dépendance par rapport à certains partenaires et de l'empêcher d'assumer ses engagements dans l'OTAN ? La question mérite d'être posée.
Monsieur Cadic, vous m'avez interrogé sur la lutte contre la manipulation de l'information. Nous sommes partie prenante de cette réflexion. Vous avez évoqué la création d'un service à compétence nationale au sein du SGDSN. Nous affectons à ce service un ou deux militaires et nous serons actifs dans le champ cyber, contre la manipulation de l'information. Nous-mêmes avons rédigé une doctrine qui décrit nos actions en la matière et nous nous dotons des moyens permettant de mieux discerner les tentatives de manipulation de l'information contre nous. C'est un champ dans lequel nous serons de plus en plus actifs.
Je reviens sur la nécessité de développer la communication stratégique, en interministériel. Il ne s'agit pas de faire de la « contre-hybridité » ; il s'agit d'être capable de bien déceler les objectifs des auteurs des stratégies hybrides. Détecter les objectifs et la stratégie de tel ou tel compétiteur est indispensable. Ensuite, il faut savoir comment s'y opposer, dans les différents champs - réglementation, économie, action militaire -, à l'échelon national et européen. La réponse à ces stratégies hybrides comporte une part de communication stratégique. Nous avons de grands progrès à faire en cette matière.
Au-delà de la lutte contre la manipulation informationnelle, nous devons savoir établir une vision globale, partagée entre partenaires européens, et définir, dans l'arsenal des moyens à mobiliser contre cette stratégie hybride, une communication stratégique qui passe par la capacité à conduire ces exercices multinationaux, qui sont autant de démonstrations de puissance et de volonté.
En ce qui concerne le complément traitement indiciaire de soignants, nous nous sommes engagés à transposer les décisions du Ségur en 2021. Ce sera fait intégralement au sein des hôpitaux d'instruction des armées, nous sommes très attentifs à notre système hospitalier militaire. La mise en oeuvre se fera, par ailleurs, progressivement au sein de la médecine des forces.
Je veux tout de même faire une mise au point au sujet de ce système, qui a profondément changé en vingt ou trente ans ; on est passé d'hôpitaux destinés à traiter, à l'arrière, des masses importantes de blessés revenant du front - avec beaucoup d'hôpitaux militaires un peu partout en France - à un service de santé essentiellement tourné vers l'appui à la projection des forces, donc réduit en quantité et renforcé en qualité. Nous avons développé une médecine de l'avant extrêmement performante, spécifiquement française et remarquable, qui nous permet de limiter considérablement nos pertes. Nos hôpitaux militaires nous servent donc surtout à conserver la compétence des médecins, car, s'ils n'exercent pas, ils perdent rapidement leurs compétences. C'est pourquoi ils traitent principalement des civils.
Madame Gréaume, vous m'avez posé la question des objectifs de préparation opérationnelle ; je vous répondrai par écrit, car je ne dispose pas ici de l'ensemble des éléments qui me permettraient de répondre précisément. Nous nous dirigeons vers les normes OTAN ; c'est un objectif et cela nous permet de mesurer notre progression, qui tient à la disponibilité de nos équipements. Notre travail, notamment en matière aérienne - création de la direction de la maintenance aéronautique et verticalisation des contrats -, vise à rendre ces équipements plus disponibles. Nous continuerons de progresser, tout cela étant régulièrement bouleversé par des évènements comme la cession de nos Rafale à des partenaires étrangers. Cela fait partie de la vie des armées et l'ajustement de la LPM vise à accroître les moyens de la préparation opérationnelle. Au-delà de l'augmentation des moyens de simulation et des stocks de pièces, cela passera par la réalisation d'exercices importants et par la remontée de nos stocks de munitions. Nos munitions sont de plus en plus sophistiquées et chères, mais nous devons pouvoir les tirer, sans nous limiter aux préparations sur simulateur.
M. Christian Cambon, président . - Merci d'avoir fait progresser notre réflexion en vue du débat du 23 juin prochain sur l'actualisation de la LPM. Vous nous avez bien expliqué les enjeux. Nous sommes bien convaincus que, après trois années, des évolutions soient requises.
Le second message, c'est de passer à la réalisation dans la transparence et la confiance avec le Parlement. La LPM est appliquée, conformément à nos voeux, les changements que nous demandions sont en cours, c'est une très bonne chose - que nous devons à la volonté du Président de la République, je lui donne acte très volontiers. Le Gouvernement applique la LPM, nous ne méconnaissons pas les difficultés qui peuvent se produire, mais le message que je tiens à faire passer, c'est que nous ne voulons qu'on nous dise les choses telles qu'elles sont.
Pour le cas où il adviendrait que vous ayez à quitter votre poste, nous voulons vous dire notre profonde reconnaissance pour les quatre années passées ensemble, vous nous avez dit et fait sentir le drame qui avait frappé nos armées pendant vingt ans et qui faisait que notre discours politique ne pouvait en réalité pas être suivi d'effet, faute de capacités militaires - vous nous avez parlé très directement et je vous en remercie. Vous pouvez être fier de ce que vous avez accompli, vous avez rempli vos missions en étant animé de valeurs qui sont aussi les nôtres, nous avons eu les mêmes objectifs, je le dis alors que nous ne sommes pas à l'abri d'un retour d'opinion qui demanderait à stopper l'effort. Pourtant, il faut aller au bout de cette LPM, en en conservant l'esprit et le fond. Vous avez fait votre devoir en pleine conscience de cet enjeu majeur et je vous remercie d'y avoir associé le Parlement, c'est à la hauteur de nos engagements - car je n'oublie pas qu'en votant par exemple la prolongation de nos opérations extérieures, nous sommes pleinement responsables et je me sens à titre personnel responsable chaque fois que l'un de nos soldats meurt en opération. C'est donc en notre nom à tous, que je vous remercie chaleureusement.
Général François Lecointre. - Vos propos me touchent particulièrement et je vous en remercie. Tout au long de ma carrière militaire, et particulièrement ces dernières années, j'ai voulu porter le message de la singularité de la condition militaire. La France est une grande nation militaire, parce que son armée est une grande armée qui, quelles que soient les vicissitudes, a su conserver une identité très forte, très singulière. Cela n'en fait pas une armée séparée de la Nation mais une armée capable d'inspirer la Nation - et vous êtes les gardiens de cette singularité. Il court dans notre société bien des visions fausses de ce qu'est l'autorité militaire, où l'on imagine par exemple qu'il faudrait créer des maisons de correction encadrées par des militaires. C'est une vision dénaturée de ce qu'est l'autorité militaire - laquelle se fonde, en réalité, sur la dépendance assumée des uns aux autres, qui se comprend dans ce qu'on vit au combat, sur un porte-avions ou dans un sous-marin, où chacun dépend des autres. Cette autorité-là, celle de nos armées, naît de la fraternité au combat. Cette vision de l'autorité, que pratiquent nos armées, gagnerait à inspirer notre Nation comme elle a su déjà le faire. Vous qui connaissez ce qu'est l'armée, nos soldats, nos marins, nos aviateurs, continuez s'il vous plaît d'être les ambassadeurs de cette singularité et veillez à la préserver comme un bien extrêmement précieux et dont dépend fortement notre identité nationale.