B. L'ENJEU MAJEUR DE LA RÉACTIVITÉ

Le conflit du Haut-Karabagh s'est déroulé dans un cadre d'espace et de temps réduit, selon une stratégie du fait accompli. Cette réduction du rapport au temps concerne également les évolutions technologiques, qui doivent pouvoir être prises en compte rapidement dans les programmes d'armement.

1. Des conflits brefs et sans préavis

Le passé récent a illustré à plusieurs reprises la notion de « surprise stratégique » : prise de Mossoul par Daech, annexion de la Crimée (2014), engagement russe en Syrie (2015)... des offensives courtes, préparées discrètement, permettent d'avancer rapidement avant que la communauté internationale n'ait le temps de réagir.

La notion de surprise dans la conduite de la guerre n'a rien d'une nouveauté. Elle a toujours été au coeur de la stratégie militaire. La surprise et la rapidité d'exécution donnent l'avantage à celui qui prend l'initiative, lui permet de s'imposer par le fait accompli. La réussite de ce type de stratégie, ainsi que le franchissement non sanctionné de « lignes rouges », créent des précédents déstabilisateurs pour l'ordre international.

Le conflit du Haut-Karabagh interroge ainsi, en premier lieu, la notion de montée en puissance. Les hypothèses d'engagement majeur, dans les schémas de l'OTAN, permettent une montée en puissance sur une durée de six mois. Or, ce conflit s'est déclenché quelques semaines après les premiers signaux d'alerte (juillet 2020). Ce rapport au temps donne une prime à l'attaquant, la défense ayant très peu de temps pour s'organiser.

Les hypothèses d'engagement majeur doivent prendre en compte la possibilité d'un préavis très court et donc d'une montée en puissance très rapide.

Pour contrer ce phénomène de surprise, la fonction « connaissance et anticipation » est essentielle. La Revue stratégique de 2017 et son Actualisation de 2021 en ont bien souligné l'importance.

L'exemple du conflit du Haut-Karabagh milite pour un approfondissement de nos efforts en matière de renseignement et d'anticipation , s'agissant non seulement des « capteurs » mais aussi des moyens d'analyse , notamment en termes de ressources humaines. Rien ne sert en effet de collecter massivement du renseignement si le travail d'analyse et de recherche est insuffisant ou si des blocages d'ordre culturel ou bureaucratique empêchent sa prise en compte.

Ce conflit doit aussi nous inciter à nous interroger sur les conflits dits « gelés », post-guerre froide, de même que sur les conflits hybrides, sous le seuil de la riposte. La dégradation du contexte international et le retour des « États puissances » sont susceptibles de raviver ces conflits et de les transformer en conflits ouverts. Des situations qui paraissent stabilisées depuis des décennies peuvent brusquement s'enflammer.

2. Une nécessaire souplesse dans la conduite des programmes d'armement

Pour intégrer les enseignements des conflits récents ou en cours, la conduite des programmes et opérations d'armement doit rester suffisamment souple, malgré les contraintes inhérentes au temps long.

Il s'agit de pouvoir :

- prendre en compte les modes opératoires nouveaux de nos adversaires potentiels en adaptant rapidement nos défenses ;

- être en mesure d'acquérir rapidement des équipements nouveaux « sur étagère » si cela se révèle nécessaire ;

- démarrer rapidement les nouveaux programmes, réduire les délais administratifs pour se concentrer sur les enjeux opérationnels, technologiques et industriels ;

- adapter nos programmes en cours de réalisation, notamment pour y intégrer de l'innovation, en privilégiant l'expérimentation et en favorisant les retours d'expérience du terrain et de l'industrie.

Cet enjeu de l'agilité a déjà été souligné à plusieurs reprises par la commission 40 ( * ) : afin de réduire les effets d'inertie des programmes, il faut renforcer leur capacité à intégrer rapidement des modifications de l'environnement stratégique ou technologique . Ceci vaut tant pour la conduite des programmes nationaux que pour celle des programmes internationaux dont la gouvernance est particulièrement complexe.

Des simplifications ont été apportées, notamment par une instruction relative à la politique d'achat du 28 janvier 2019, deux instructions du 15 février 2019 sur la conduite des opérations d'armement et une instruction du 7 mai 2020 sur l'innovation. Ces simplifications sont bienvenues mais le processus doit se poursuivre : « Le travail réalisé par le ministère des Armées pour refondre le corpus des instructions de gestion des opérations d'investissement montre la très grande maturité atteinte par le ministère dans son organisation et sa gestion des projets. C'est néanmoins un chantier permanent où l'innovation et l'anticipation doivent également avoir leur place. Il faudra donc poursuivre le chantier en traitant les points faibles de ce nouveau corpus à savoir le management des systèmes, la gestion de l'innovation dans les phases réalisation et utilisation et l'intégration des industriels aux solutions. Il est indispensable également de lancer rapidement une réflexion européenne à 27 sur le sujet afin de faciliter les convergences procédurales et organisationnelles. » 41 ( * )


* 40 « Innovation de défense : dépasser l'effet de mode » , Rapport d'information de MM. Cédric PERRIN et Jean-Noël GUÉRINI, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 655 (2018-2019) - 10 juillet 2019.

* 41 L'évolution de la conduite des programmes d'armement, Jean-Pierre Devaux, DEFENSE&Industries n° 14, Fondation pour la Recherche stratégique, juin 2020.

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