C. LE VERSEMENT AVANCÉ DE LA COMPENSATION CARBONE : UNE RUSTINE D'URGENCE FACE AUX INTERROGATIONS SUR LE MODÈLE ÉNERGÉTIQUE

La mission « Économie », et plus particulièrement l'action 23 « Industrie et services » du programme 134 « Développement des entreprises et régulations », porte les crédits dédiés à la compensation des coûts indirects de l'électricité subis par les industries électro-intensives , dite compensation carbone. Il s'agit de l'un des principaux postes de dépenses de la mission « Économie », représentant environ 15 à 35 % du budget hors personnel selon les années.

Cette compensation vise à prévenir les risques de fuite carbone
- c'est-à-dire de délocalisation en raison d'un plus faible coût du carbone - des entreprises européennes, en particulier celles dont les procédés sont plus consommateurs d'électricité. Au sein du cadre fixé par l'Union européenne, elle permet aux États membres de verser aux entreprises concernées, au nombre de 450 en France, une aide correspondant à 75 % du prix du volume d'électricité consommé, fixé en fonction du prix moyen annuel des quotas carbone.

La forte hausse des prix du carbone (multipliés par deux depuis la fin de l'année 2019) et, par ricochet, de l'électricité (multipliés par 4) aura deux effets majeurs. D'abord, elle pèse plus lourdement sur les entreprises électro-intensives et remet en question leur capacité à s'approvisionner et la rentabilité de leur activité - certaines envisageant même des arrêts temporaires de production. D'autre part, elle impliquera, avec un effet décalé dans le temps, une répercussion budgétaire pour l'État . Tandis que la compensation carbone est d'un montant plus faible cette année (344 millions d'euros en 2022 contre 403 millions d'euros en 2021), reflétant le « creux » lié à la pandémie de Covid-19, son montant devrait fortement augmenter dans les années à venir sous l'effet combiné de la hausse des prix de l'énergie (gaz et carbone) et du fait de la reprise économique.

Les règles européennes imposent en fait une double contrainte : outre la poursuite encouragée de la hausse du prix du carbone, en période de tension sur les intrants énergétiques, le système de tarification (qui retient la dernière production appelée) ne permet pas à la France de bénéficier du « retour sur investissement » de sa politique de développement de l'énergie nucléaire , qui lui permet de disposer d'un mix énergétique plus décarboné. Bien que ce mix lui permette des émissions réduites de 10 kt de CO 2 par GWh en comparaison avec ses voisins européens, ce prix plus compétitif n'est que partiellement répercuté.

Les incertitudes conjoncturelles, ainsi que les biais structurels du cadre européen sont source d'insécurité pour les entreprises industrielles électro-intensives. Une telle volatilité pourrait aussi mettre en péril les investissements dans la décarbonation , ceux-ci nécessitant une longueur de vue et une rentabilité sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d'années.

Alors qu'un bouclier budgétaire a été mis en place à destination des ménages français, de telles mesures d'amortissement n'avaient pas été prévues pour les entreprises, qui souffriraient de l'effet cumulé d'une fiscalité énergétique plus pesante et d'une compensation carbone bien moindre que l'impact réel de la flambée des prix sur leur budget.

Lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté un amendement visant à prévoir, à compter de 2022, une semi-contemporéanisation partielle du versement de la compensation carbone. Cette avance représenterait en 2022 un montant de 150 millions d'euros , déduit du versement opéré l'année suivante. Cette mesure, à impact budgétaire perceptible uniquement cette année, est un soutien bienvenu à la trésorerie et à la production de centaines d'entreprises industrielles en France. Toutefois, il ne règle pas les sujets de long terme : le défi que pose l'augmentation du prix du carbone, et donc l'augmentation de la compensation pour les budgets publics européens, ainsi que l'insuffisance parfois subie de l'innovation industrielle qui permettrait d'accélérer la décarbonation.

Il faut rappeler que l'industrie est le secteur économique français qui s'est le plus décarboné au cours des trente dernières années (- 12 % pour l'ensemble de l'économie contre - 44 % pour l'industrie), quasiment exclusivement grâce aux progrès de leurs procédés et à l'amélioration de l'efficacité carbone - parfois au prix de sa compétitivité et de l'abandon de certains secteurs d'activité. En effet, si les émissions françaises ont diminué, tous secteurs confondus, de 17 % entre 1995 et 2015, l'empreinte carbone du pays a, dans le même temps, augmenté de 18 %, en partie en raison des importations industrielles.

À défaut de véritable accentuation des dispositifs de soutien à l'investissement dans le verdissement des procédés, le versement anticipé de la compensation carbone, aussi bienvenu soit-il, ne restera qu'une rustine d'urgence , apportant un soutien très temporaire face à la flambée des prix de l'énergie.

Facteurs de réduction des émissions de gaz à effet de serre
dans l'industrie française entre 2000 et 2018 (en MtCO2eq)

Source : DG Trésor Working Paper, n° 2021/3.

Il appartient ainsi au Gouvernement de défendre auprès de l'Union européenne non seulement l'amélioration du caractère incitatif des règles de tarification, afin de favoriser les mix énergétiques décarbonés, mais aussi la mise en place rapide du « mécanisme d'inclusion carbone aux frontières » qui, seul, permettra réellement de restaurer une forme de compétitivité écologique de l'industrie française .

Le projet de loi de finances ne propose aucune avancée en ce sens, exception faite des annonces floues du plan « France 2030 ». Les crédits du Plan de relance, dont la mobilisation touche à sa fin, ne suffiront pas à mener à terme la décarbonation de l'industrie française. Aucune des recommandations du CGE, dans son rapport récent (« La décarbonation des entreprises en France », février 2021), qui propose par exemple un crédit d'impôt au verdissement de l'industrie, tel que l'a déjà proposé le Sénat, ou un « Clean Energy Fund » à effet de levier sur l'investissement sur le modèle australien, n'a été reprise à ce stade. Insuffisance sectorielle des moyens financiers et manque d'ambition stratégique caractérisent le budget de la mission « Économie » pour 2022 .

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