C. DES INSPIRATIONS INTERNATIONALES POUR LE SYSTÈME ÉDUCATIF FRANÇAIS
1. Vers davantage de collaboration des enseignants
a) Un sentiment d'isolement et d'absence de collaboration qui limite la performance des professeurs français
La France fait partie des pays de l'Union européenne où les enseignants collaborent le moins entre eux . En moyenne, dans l'UE, les enseignants ont déclaré avoir participé, dans le cadre de leur développement professionnel, à des activités de collaboration et d'entraide entre collègues (37,9 %) ou d'un réseau d'enseignants (32,8 %) ou à des visites d'études dans d'autres établissements (19,8 %). L'étude Talis 2018 indique qu'un quart seulement des professeurs français déclare appartenir à une communauté apprenante, soit une proportion nettement en-deçà de la moyenne de OCDE (40 %).
Plus inquiétant, 32 % des enseignants français du second degré déclarent ne jamais assister à une réunion d'équipe, contre 1 à 2 % des enseignants dans la majorité des autres pays de l'OCDE.
Part des enseignants de collège qui déclarent se livrer au moins une fois par mois à des activités de collaboration dans leur établissement, en 2018
Source : DEPP, L'Europe de l'éducation en chiffres
Le rapporteur spécial déplore la faiblesse de ces chiffres. Les comparaisons européennes, et en particulier l'OCDE, ont montré à de nombreuses reprises que la collaboration entre enseignants contribue à l'amélioration du climat scolaire, au bien-être des enseignants et à l'amélioration de la performance des professeurs en matière pédagogique .
Recommandation n° 11 : s'inspirer des expériences d'autres systèmes scolaires européens pour développer les activités de coopération entre enseignants.
Le renforcement de la collaboration entre enseignants implique également la création d'espaces d'échanges , au-delà de la seule « salle des professeurs ». La création de laboratoires de mathématiques dans le cadre du Plan mathématiques constitue à cet égard une première étape qui gagnerait à être étendue à d'autres disciplines. Il est dans cette optique impossible de se passer d'une refondation en profondeur du bâti scolaire, ce qui, le rapporteur spécial en est bien conscient, ne peut se concevoir qu'à moyen et long terme . Il importe toutefois d'avoir à l'esprit cet aspect lors de toute nouvelle construction de bâtiments scolaires.
Recommandation n° 10 : intégrer lors de toute nouvelle construction de bâtiments scolaires la création d'espaces d'échange et de collaboration entre professeurs.
b) Une réponse aux abandons au cours des premières années d'enseignement : mettre l'accent sur l'accompagnement des professeurs débutants
La majorité des systèmes éducatifs de l'UE imposent une phase d'insertion dans la profession (phase dite d' induction dans les comparaisons internationales) aux nouveaux ou aux futurs enseignants, dont la durée est en général d'un an (à l'exception notable de l'Angleterre où elle dure désormais deux ans). La France faisait partie des rares pays d'Europe où le stage en responsabilité des professeurs stagiaires fait partie intégrante de la formation initiale, en étant jusqu'à récemment intégré en deuxième année de master.
S'agissant de la nature de cet accompagnement, la France fait partie des pays européens où les jeunes enseignants bénéficient, en plus des cours qu'ils assurent, d'un tutorat, d'un temps de d'enseignement réduit et d'un co-enseignement avec des enseignants expérimentés 25 ( * ) .
À l'inverse, cette phase d'accompagnement à la prise de fonction n'est pas règlementée dans sept systèmes éducatifs (Communautés française et germanophone de Belgique, Bulgarie, Danemark, Lettonie, Pays-Bas et République tchèque).
Exemples de composantes obligatoires dans le cadre des
programmes d'accompagnement à la prise de fonction dans le premier
cycle
de l'enseignement secondaire, 2019-2020
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Soutien d'un tuteur |
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Cours / séminaires en présentiel ou en ligne |
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Diminution de la charge de travail / d'enseignement |
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Co-enseignement avec des enseignants plus expérimentés |
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Source : Eurydice, 2021
Cet accompagnement reste malheureusement trop souvent limité et surtout, uniquement centré sur l'année de stage. Ainsi, selon l'étude Talis 2018, seuls 46 % des jeunes enseignants déclaraient être accompagnés aux cours de leurs premières années par d'autres enseignants, une proportion très faible comparée à la moyenne de l'OCDE (71 %) et 23 % d'entre eux déclaraient que leur charge de travail avait été aménagée.
Recommandation n° 2 : étendre l'accompagnement des professeurs débutants au-delà de leur seule année de stage, pendant les deux ou trois premières années d'enseignement, en particulier au travers du mentorat.
Le rapporteur spécial insiste également sur le fait que l'accompagnement financier des jeunes enseignants constitue une réponse au déficit d'attractivité . Le Grenelle de l'environnement a permis d'accorder aux jeunes professeurs une prime d'attractivité d'un montant de 100 euros net par mois lors des deux années suivant la titularisation puis dégressive pour atteindre 36 euros à la fin des quinze premières années de carrière, ce qui constitue une réponse positive. La première année, les jeunes enseignants touchent également une prime de 1 500 euros versée lors de la titularisation et une prime d'installation comprise entre 2 000 et 2 100 euros .
Enfin, se pose la question de l'affectation des enseignants débutants dans des zones réputées difficiles . De nombreuses études ont été consacrées à cet aspect, dont une analyse détaillée de la Cour des comptes 26 ( * ) , soulignant à quel point le mode d'affectation des enseignants peut s'avérer désincitatif et constituer un véritable frein à l'attractivité du métier .
2. Quelles modalités pour l'indispensable évolution de la rémunération des enseignants ?
a) Une nécessaire rationalisation du mode de calcul de la rémunération des enseignants
En dépit de niveaux de rémunération peu élevés par rapport à l'OCDE, la France est le pays qui prévoit le plus de primes (13 indemnités et primes sur les 14 comptabilisées par l'OCDE) en plus de la part indiciaire de traitement, suivi de la Slovaquie et de la Croatie (12 indemnités et primes). Dans certains pays, comme l'Ecosse ou l'Allemagne, les compensations financières sont directement intégrées au salaire des enseignants.
Les primes attribuées aux enseignants français
Certaines primes concernent en réalité l'ensemble des enseignants.
Pour les professeurs des écoles titulaires, c'est le cas de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE) qui s'élève à 100 euros bruts mensuels. Dans le second degré, il s'agit de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE) dont la part fixe s'élève à 101 euros bruts mensuels.
En outre, depuis 2021, les enseignants touchent les primes dites « Grenelle » dont 150 euros par an net par enseignant pour l'informatique ou une prime d'attractivité allant jusqu'à 100 euros net par mois pour les enseignants en début de carrière.
Au-delà de ces primes « générales », plusieurs types de bonifications sont intégrés à la rémunération des enseignants français. Le premier type de prime inclut les indemnités relatives aux tâches et responsabilités autres que l'enseignement :
- responsabilité de direction ou autres en plus de celles d'enseignement : l'indemnité pour mission particulière varie de 312 euros à 3 750 euros. Par ailleurs, pour les enseignants du premier degré qui assurent la fonction de directeur d'école, l'indemnité de sujétion spéciale de direction varie de 1 795 euros à 2 195 euros (hors éducation prioritaire) selon le nombre de classes de l'école ;
- Conseil aux élèves (orientation professionnelle, supervision des élèves, prévention de la délinquance...) : 1 200 euros dans le premier degré (ISAE) et 1 214 euros dans le second degré (ISOE) ;
- Contribution aux activités extrascolaires : entre 22 euros et 27 euros par heure dans le premier degré ;
- Formation des futurs enseignants et soutien aux collègues enseignants : les professeurs maîtres formateurs (1 er degré) touchent 1 250 euros brut par an, et les professeurs formateurs académiques (2 nd degré) 834 euros par an ;
- Mission de professeur principal : les professeurs principaux du secondaire bénéficient de la part variable de l'ISOE (de 906 euros à 1 426 euros, hors éducation prioritaire).
- Participation à des programmes de tutorat ou de soutien aux enseignants nouvellement diplômés : 1 250 euros brut par an ;
- Paiement des heures supplémentaires . Dans le second degré, les heures supplémentaires années (HSA) constituent une part conséquente de la rémunération : le montant de la 1 ère HSA accomplie par les enseignants au-delà de leur volume d'heure obligatoire est majoré de 20 %. Les heures supplémentaires effectives (HSE) sont rétribuées à raison de 1/36 e d'HSA, majoré de 25 %.
La France figure en revanche parmi les pays d'Europe qui accordent le moins de primes relatives aux qualifications, aux formations et aux performances des enseignants . Seule entre dans cette catégorie l'allocation de formation qui rémunère les jours de formations suivis par les enseignants pendant les vacances scolaires, plafonnée à 120 euros par jour et dans la limite de cinq jours par année scolaire.
Il existe par ailleurs plusieurs types d'indemnités liées aux conditions d'enseignement :
- Enseigner à des élèves à besoins éducatifs particuliers ( élèves en situation de handicap ) dans des classes ordinaires : 2 500 euros brut par an dans le 1 er degré. Les professeurs spécialisés bénéficient en revanche de 844 euros à 2 609 euros brut par an (tous niveaux confondus) ;
- Enseigner dans une zone défavorisée, reculée ou avec un coût de la vie élevé : la prime REP s'élève à 1 734 euros par an, et la prime REP+ à 5 114 euros bruts auxquels s'ajoute une part variable visant à reconnaître l'engagement collectif des équipes et des établissements comprise entre 200 euros et 600 euros nets par an.
Enfin, les enseignants peuvent percevoir des indemnités et allocations liées à leur situation familiale ou leur lieu de résidence.
Cela conduit à ce que, bien que la grille de rémunération indiciaire des enseignants du premier degré et des enseignants certifiés du second degré soit identique , la rémunération moyenne est plus élevée dans le second degré du fait du poids des enseignants certifiés et des heures supplémentaires. Les primes représentent en moyenne 9,2 % du salaire brut des enseignants du premier degré et 15,6 % de celui des enseignants du second degré.
Le calcul de la rémunération des enseignants constitue donc un exercice extrêmement complexe , sur lequel les professeurs eux-mêmes ont peu de visibilité. Cela conduit à une forme d'opacité des dépenses de personnel, les primes concernant parfois l'ensemble des enseignants. Le rapporteur spécial considère qu'il serait opportun à moyen terme de réfléchir à une remise à plat du système de primes superposées .
Recommandation n° 4 : rationaliser et simplifier le calcul de la part non indiciaire de la rémunération des enseignants.
b) Mieux articuler carrière enseignante et rémunération
Au-delà du nombre de primes et d'indemnités, se pose également la question de leur nature et de leur finalité. Le rapporteur spécial considère que la nature des primes accordées aux enseignants français est trop souvent peu incitative .
Dans de nombreux pays européens, l'évaluation des enseignants est prise en compte pour l'attribution de primes ou autres récompenses financières : c'est le cas de l'Espagne, l'Italie, la Suisse ou encore la République Tchèque. C'est également le cas du Portugal, comme cela sera développé plus bas.
En outre, dans la moitié des pays de l'UE, une compensation financière est allouée aux enseignants avec des qualifications plus élevées que le minimum requis pour entrer dans la profession . C'est le cas par exemple en Communauté française de Belgique : les enseignants débutants du premier degré et du premier cycle de l'enseignement secondaire perçoivent un salaire de 39 817 euros par an s'ils détiennent un master, et de 32 010 euros par an s'ils détiennent uniquement une licence.
Le rapporteur spécial a souligné dans son dernier rapport budgétaire la nécessité d'une hausse d'ampleur de la rémunération des enseignants et centrée sur les débuts de carrière, afin de parvenir à l'indispensable rattrapage de nos voisins européens. Cette hausse ne peut faire l'économie de la prise en compte de nouveaux facteurs dans l'évolution de la carrière des enseignants .
Plutôt que pour la mise en place de primes supplémentaires liées à l'évaluation de la performance des enseignants ou à l'exercice de missions complémentaires, le rapporteur spécial considère qu'il serait plus pertinent de le valoriser dans le parcours de carrière des enseignants .
Les carrières enseignantes en France se caractérisent par « un avancement globalement indifférencié dont le critère dominant demeure l'ancienneté » 27 ( * ) . En France, la performance est théoriquement prise en compte dans les rendez-vous de carrière , qui influencent l'avancement et donc l'évolution de la rémunération des enseignants. Cependant, dans le cadre du plan « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), la fréquence et le nombre de rendez-vous de carrières restent très faibles. Ainsi, la fréquence moyenne des rendez-vous de carrière est de 7 ans en moyenne.
D'autres pays européens ont fait le choix de valoriser les performances professionnelles de leurs enseignants dans le cadre de leur promotion salariale. C'est le cas du Portugal 28 ( * ) ou de l'Angleterre.
Il semble donc indispensable de développer l'évaluation des enseignants, sans toutefois donner l'impression que celle-ci ne se limite à une inspection ponctuelle qui ne traduirait qu'une vision « d'en haut » , déconnectée des conditions réelles d'exercice du métier. Le rapporteur spécial souligne les inspirations que peuvent à cet égard constituer d'autres pays européens, en particulier en matière de développement de l'autoévaluation et surtout de l'évaluation par les pairs , comme cela sera développé plus bas dans le cas spécifique du Portugal. L'évaluation interne, par les pairs ou le chef d'établissement, est obligatoire dans 27 systèmes éducatifs européens.
Le rapporteur spécial souligne que la prise en compte de l'évaluation dans la carrière des enseignants ne peut se faire sans de nombreux garde-fous, et en particulier une association constante des enseignants à la construction de cette évaluation .
Recommandation n° 5 : s'inspirer d'autres expériences européennes pour développer l'autoévaluation des enseignants ou l'évaluation par leurs pairs, préalable à une prise en compte de ces évaluations dans leur parcours de carrière.
c) Ouvrir la réflexion sur une bonification de rémunération dans les disciplines et les territoires où le recrutement est le plus tendu
Le rapporteur spécial estime qu'il est aujourd'hui nécessaire d'ouvrir une réflexion sur les possibilités de modulation de la rémunération dans les disciplines et les territoires les moins attractifs.
Il souligne l'intérêt que peuvent représenter les initiatives anglaises mentionnées plus haut 29 ( * ) , en particulier s'agissant de la rémunération. La modulation de la rémunération ne pourrait a priori passer que par une prime. Le rapporteur spécial est toutefois conscient des difficultés juridiques qui pourraient résulter des différences de rémunération entre deux enseignants de deux disciplines différentes . Il serait sans doute complexe d'envisager que les enseignants titulaires soient concernés, dans la mesure où les enseignants d'un même corps et de mêmes grade et échelon devraient juridiquement avoir le même traitement. En revanche, le rapporteur spécial souligne qu'une prime pour les contractuels permettrait de répondre en partie à la pénurie de contractuels qualifiés qui touche certaines académies, sans constituer une réponse globale au problème.
S'agissant de la modulation géographique, les primes REP et REP+ ainsi que les primes accordées aux enseignants d'outre-mer constituent une première étape. Mais les pénuries d'enseignants ne correspondant pas uniquement aux territoires REP et REP +, il serait envisageable de permettre aux académies de distinguer finement les territoires les moins attractifs.
Recommandation n° 3 : étudier les possibilités juridiques permettant de mettre en place une bonification de la rémunération pour les enseignants dans les disciplines et les territoires où le déficit de professeurs est le plus important.
* 25 Commission européenne, Eurydice, Teachers in Europe: Careers, Development and Well-being , 2021.
* 26 Cour des comptes, Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire, 2017.
* 27 Rapport d'information n° 690 (2017-2018) de M. Max Brisson et Mme Françoise Laborde, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, juillet 2018.
* 28 Cf. infra.
* 29 Cf. supra « Lutter contre les pénuries d'enseignants : quelques exemples internationaux ».