CONCLUSION
Les enseignements de la guerre d'Ukraine couvrent de nombreux domaines doctrinaux, capacitaires et même sociétaux. Ce retour d'expérience évolue avec le conflit lui-même : celui-ci entrera bientôt dans sa deuxième année et n'a probablement pas encore livré tous ses enseignements.
L'expression « guerre de haute intensité » est devenue d'usage courant, au cours des derniers mois, y compris dans les médias et l'opinion, sans que les limites entre haute, moyenne et basse intensité soient d'ailleurs très précisément définies. Cette expression est pour partie un pléonasme rendu nécessaire par l'apparition de notions telles que la « guerre hybride », et par un emploi de plus en plus répandu et inapproprié du mot « guerre », à tout propos : « guerre sanitaire », « guerre économique », « économie de guerre »... Mais les mots ont un sens : la ministre allemande des affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock, s'en est récemment rendu compte à ses dépens, après avoir affirmé à tort que l'Europe « menait une guerre contre la Russie ».
La guerre d'Ukraine nous oblige à revenir à certaines réalités fondamentales , que nous avons eu la chance de pouvoir oublier pendant quelques décennies.
La prochaine loi de programmation militaire constituera une étape importante de ce retour au réel . Elle doit consolider des capacités militaires clefs, pour redonner des marges de manoeuvre au politique, faire de la France un allié ou un partenaire qui reste crédible, et, fondamentalement, assurer la sécurité des Français, dans l'Hexagone comme outre-mer.
Pour être à la hauteur des enjeux, la LPM doit proposer un cadre stratégique clair, articulant les enjeux géostratégiques, les missions et les besoins capacitaires . La récente Revue nationale stratégique n'a fait qu'ébaucher cette réflexion. Ces différentes dimensions devront être cohérentes entre elles : les missions doivent être adaptées au contexte, et les moyens doivent être proportionnés aux missions.
Le Sénat sera particulièrement attentif à cette cohérence lors de l'examen du texte. Les défis à relever sont d'ampleur. Ils méritent un débat pleinement démocratique.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 février 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini sur : « Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ? »
M. Christian Cambon, président . - Nous examinons le rapport de nos collègues sur les enseignements de la guerre en Ukraine. Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Monsieur le président, mes chers collègues, il y a un an, en février 2022, nous auditionnions des diplomates et des chercheurs sur ce que l'on appelait alors la « crise ukrainienne ». La Russie avait déployé plus de 100 000 soldats. Tout était prêt pour une intervention. Le renseignement américain nous alertait depuis plusieurs semaines. Pourtant, la plupart d'entre nous ne croyaient pas, alors, à la possibilité d'un assaut sur Kiev.
C'est le premier enseignement de la guerre d'Ukraine : il nous faut désormais changer de logiciel, sortir définitivement de l'illusion des dividendes de la paix. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où le rapport de force a malheureusement retrouvé toute sa place dans les relations internationales.
Pour commencer, je rappellerai deux évidences :
- en premier lieu, la France n'est pas l'Ukraine, ni dans son environnement géostratégique, ni dans les moyens dont elle dispose. Je pense notamment à la dissuasion nucléaire. Construire l'avenir uniquement à partir de ce conflit n'aurait pas de sens ;
- en second lieu, la guerre d'Ukraine ne concentre pas tous les enjeux qui s'imposent à la politique étrangère et de défense de la France. C'est à un ensemble de problématiques complémentaires que la loi de programmation militaire (LPM) devra répondre.
Ces préalables étant posés, il n'en reste pas moins que la guerre d'Ukraine marque peut-être l'entrée dans une ère de guerres subies, plutôt que choisies. La différence est fondamentale.
Le rapport tire dix enseignements de la guerre d'Ukraine, répartis en trois thématiques : des enseignements nouveaux, un retour à certains fondamentaux et des enseignements concrets pour la LPM.
En premier lieu, la guerre d'Ukraine est un tournant.
Je l'ai dit en commençant, elle nécessite de changer de logiciel dans notre analyse des relations internationales. Plutôt qu'une surprise stratégique, c'est une prise de conscience brutale qui nous a été imposée.
Une étude britannique explique que la Russie avait prévu de mener à bien l'invasion de l'Ukraine en 10 jours, en saisissant rapidement Kiev, pour annexer le pays à l'été. Le renseignement français a péché par l'interprétation : toutes les informations étaient là, mais nos biais cognitifs nous ont trompés.
Cette expérience doit nous servir pour l'analyse du comportement futur de la Russie, de la Chine ou de tout État contestataire, surtout si l'agression russe se révèle payante, ce qui donnerait une sorte de « feu vert » à toutes les tentatives de déstabilisation de l'ordre international.
Cette guerre est ensuite un tournant pour la dissuasion nucléaire. Les Russes utilisent leur dissuasion dans un but offensif, pour sanctuariser des territoires conquis. Ils l'ont fait dès 2014 après l'annexion de la Crimée. Le signalement nucléaire russe s'est révélé d'autant plus virulent, au cours de cette guerre d'Ukraine, que les Russes étaient en difficulté sur le plan conventionnel.
C'est un enseignement que nous devons méditer : la dissuasion nucléaire n'a rien perdu de son actualité comme garantie ultime de sécurité mais elle ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel. C'est toute l'articulation entre le conventionnel et le nucléaire qui doit être repensée. La dissuasion ne répond pas à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot.
Le troisième enseignement, c'est la résurrection de l'OTAN. En matière d'autonomie stratégique aussi, il faut revenir au réel. En tant qu'unique puissance nucléaire de l'Union européenne, nous avons une vision nécessairement différente de celle de nos partenaires, pour qui la garantie de l'OTAN est fondamentale.
La France s'est pleinement investie dans les missions de l'alliance cette année : dans les pays baltes, en Pologne, en Roumanie, nos armées ont fait preuve d'une grande réactivité pour renforcer la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc oriental. Nous devons poursuivre cet effort d'investissement dans l'OTAN, notamment sur le plan des doctrines et des normes. Mais être un allié exemplaire, c'est aussi disposer de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir en coalition. J'y reviendrai.
Enfin, le quatrième enseignement nouveau de cette guerre concerne le numérique. C'est une guerre de la donnée.
La grande force des Ukrainiens est d'avoir intégré des capacités à la fois militaires et civiles, publiques et privées, nationales et internationales. On estime qu'environ 80 % du renseignement exploité par les Ukrainiens est de source ouverte. Chaque citoyen, équipé d'un smartphone, peut ainsi signaler le passage d'un aéronef, d'un missile ou d'un drone à la défense antiaérienne pour faciliter son interception.
Exploiter toutes ces sources nécessite une grande souplesse des procédures. Le modèle fermé, centralisé, vertical est dépassé. Il s'agit d'exploiter des flux divers, d'assurer des redondances et des contrôles, tout en maîtrisant la communication car le terrain informationnel est aussi majeur. Tout cela ne s'improvise pas.
J'en viens maintenant aux enseignements qui traduisent un retour aux fondamentaux de la guerre
À force d'utiliser le mot « guerre » à tout propos, pour parler de guerre hybride ou même de guerre sanitaire, de guerre économique, ou d'économie de guerre, nous en sommes venus à oublier ce que signifiait le mot « guerre ». On parle donc maintenant de « guerre de haute intensité ».
Il s'agit en fait d'un retour à l'essence de la guerre, affrontement de volontés pour la conquête d'un territoire et la soumission de populations. Le combat terrestre y est central. En l'absence de supériorité aérienne, les feux de longue portée jouent un rôle majeur.
Les pertes humaines sont considérables, de même que l'attrition matérielle. Les Russes ont par exemple perdu au moins 1 600 chars de combat, 70 avions, 170 drones, etc.
Dans ce contexte, la défense de proximité du combattant est un impératif de survie. Toutes les unités terrestres doivent bénéficier de bulles de protection mobiles, incluant des capacités de détection et de défense autonomes, ne dépendant pas seulement de la manoeuvre interarmées.
Ce constat sur la masse ne disqualifie en rien la haute technologie. Celle-ci reste déterminante pour l'entrée en premier, et pour garantir la précision des frappes, donc maîtriser les dommages. La rapidité et la précision peuvent compenser au moins partiellement l'absence de volumes lorsqu'un seul tir suffit pour atteindre la cible.
Mais c'est aussi notre agilité technologique qu'il faut développer. L'innovation de masse, duale, de rupture, en cycle court doit être mieux valorisée. Je pense ici bien sûr aux drones, dont la guerre d'Ukraine confirme le rôle prééminent, notamment les munitions télé-opérés que j'ai déjà souvent évoquées ici.
L'expérience ukrainienne montre que 90 % des petits drones utilisés sont perdus, avec des durées de vie de l'ordre de trois à six vols en moyenne. Il s'agit donc d'équipements consommables, s'apparentant davantage à une munition ou à un missile qu'à un aéronef.
Le ministre des armées a annoncé récemment l'armement des Patroller, que notre commission demande depuis 2017, ainsi qu'un socle de 1 800 munitions télé-opérées en LPM. Deux appels à projet ont été lancés par la direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence de l'innovation de défense (AID), Larinae et Colibri.
C'est un sujet sur lequel nous devons rester vigilants : les programmes doivent être conduits rapidement, pour aboutir à des produits qui ne soient pas déjà obsolètes à leur entrée en service. Les munitions télé-opérées doivent par ailleurs pouvoir fonctionner en système avec d'autres moyens tels que des drones de renseignement ou de l'artillerie.
Après la masse et la technologie, il faut évoquer les forces morales. Avant la guerre, les Ukrainiens ont créé les conditions d'une grande porosité entre les mondes civil et militaire. Une grande partie de leurs forces vives étaient passées par le front du Donbass, grâce à un fort turnover dans les armées.
Un tel turnover va à l'encontre de l'idée de fidélisation : c'est sans doute un handicap à court terme, pour une armée, mais cela peut devenir une force. Un fort turnover accroît en effet le nombre de réservistes et permet d'acculturer globalement le monde civil aux problématiques militaires.
Pour la France, la problématique des forces morales pose la question des réserves, et celle du Service national universel, dont nous aurons probablement l'occasion de débattre lors de l'examen de la LPM.
Je terminerai en évoquant justement quelques autres enseignements concrets de la guerre d'Ukraine pour la LPM
Je ne reviens pas ici sur la Revue nationale stratégique, qui n'a fait qu'effleurer les sujets ni sur le travail lancé par le Gouvernement sur l'économie de guerre, expression excessive au regard des objectifs poursuivis et surtout des résultats obtenus pour le moment.
Sans engagements fermes de l'État, sans contrats-cadres pluriannuels, les industriels dépendent de l'exportation. Ils ont peu de visibilité, notamment les PME. Suite au déclenchement du conflit ukrainien, il a été demandé à de petites entreprises de se tenir prêtes à répondre à d'éventuelles commandes, quitte à repousser d'autres ventes, sans que cela ne se concrétise par des engagements fermes de l'État.
La remobilisation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) est donc cruciale, sans quoi notre industrie risque d'être marginalisée, car la concurrence - notamment américaine et coréenne - est bien présente et prête à compléter rapidement les stocks des pays ayant livré des armements à l'Ukraine.
L'allègement des procédures et des normes doit se poursuivre. Des relocalisations sont nécessaires, par exemple pour les poudres propulsives. Des stocks stratégiques doivent être constitués.
Un grand plan interministériel doit en outre promouvoir les métiers industriels pour répondre à la pénurie de main-d'oeuvre. La constitution d'une réserve industrielle de défense pourrait être l'un des fers-de-lance de cette stratégie. Je rappelle qu'en 2022, le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) a annoncé que 86 % de ses entreprises adhérentes pensaient être en peine pour trouver suffisamment de main-d'oeuvre.
Par ailleurs, les questions de financement restent posées. La guerre d'Ukraine légitime pourtant pleinement de revaloriser l'image des activités de souveraineté et de défense. On sait combien la compliance bancaire est un sujet qui, malgré la guerre en Ukraine, continue à être une préoccupation majeure des entreprises de la BITD.
Cette guerre interroge ensuite les formats de nos armées. Entre 1991 et 2021, nous sommes passés de 1 350 à 220 chars, de 700 à 250 avions de combat, etc.
L'armée de l'air disposera, en 2030, de 185 Rafale. Est-ce suffisant, compte tenu de la sanctuarisation de la dissuasion ? Les incertitudes sur les programmes MGCS ou SCAF doivent inciter à laisser une place à d'éventuelles solutions alternatives, le « plan B », pour combler le retard probable et l'échec toujours possibles de ces programmes majeurs.
Nos capacités terrestres doivent être renforcées. Dans l'hypothèse, purement théorique, où la France aurait été confrontée à un conflit tel que la guerre ukrainienne, l'ensemble des chars français aurait été perdu en mars, l'ensemble de l'artillerie en avril, et les 1 800 Griffon programmés en août.
Je n'entrerai pas dans le détail, mais nous avons besoin de feux dans la profondeur, et notamment de préparer le remplacement du lance-roquettes unitaire sans trop attendre, car les carnets de commandes se remplissent et l'achat de matériels de type HIMARS, sur étagère, est d'ores et déjà soumis à des délais incompressibles de plusieurs années.
Toute la politique des stocks est à revoir s'agissant des équipements anciens qui pourraient être conservés, lors de l'acquisition de capacités nouvelles et pour les munitions, dont les volumes doivent être accrus. Il convient de pouvoir s'entraîner, mais aussi de retrouver une marge de manoeuvre pour soutenir si nécessaire nos alliés et partenaires, comme nous le faisons aujourd'hui.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO), les moyens d'évacuation sanitaire, la logistique sont d'autres verrous majeurs en haute intensité.
Enfin, c'est la préparation opérationnelle qui doit monter en puissance et en gamme.
Montée en puissance, tout d'abord : faut-il par exemple maintenir l'opération Sentinelle ? Compte tenu du nouveau contexte, la Cour des comptes a estimé récemment qu'il n'était - je cite - « plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un affichage de militaires dans les rues ». Elle préconise un passage de relais aux forces de sécurité intérieure.
.La préparation opérationnelle doit, ensuite, monter en gamme, à l'image de ce que nous proposera bientôt l'exercice Orion 2023. Il est nécessaire d'intégrer l'approche multi-milieux et multi-champs, et de s'entraîner dans des conditions dégradées, c'est-à-dire de se préparer à agir très rapidement, de façon décentralisée, selon des dispositifs de commandement et de contrôle (C2) revus.
Chers collègues, vous le voyez, les enseignements de la guerre d'Ukraine couvrent de nombreux domaines doctrinaux, capacitaires et même sociétaux. Pour être à la hauteur de ces enjeux, la LPM devra proposer un cadre clair, articulant les enjeux géostratégiques, les missions des armées et les besoins capacitaires. Nous devrons être particulièrement attentifs à la cohérence de cette articulation.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - Vous l'avez compris, les deux corapporteurs ont connu un problème, puisqu'à l'issue de deux auditions proposées par lui-même, mon corapporteur publiait dans la presse des tribunes traitant du sujet de ces auditions.
Je veux remercier le président Cambon, qui a essayé de « mettre de l'huile dans les rouages ».
Je pense que nous devons être très détachés des propos formulés par les industriels ou les militaires et faire très attention. Je ne peux pas non plus cautionner une remise en cause de la DGA pour faire plaisir à un fabricant de drones.
Je ne peux pas prendre en compte les propos d'industriels ou de généraux, même s'il est intéressant de les auditionner et de faire une synthèse de leurs propos. On s'engage, vis-à-vis des personnes qu'on interroge, à ne pas les citer directement.
Tout cela me pose problème.
Le Président de la République l'a annoncé - et le président Cambon l'a rappelé tout à l'heure à l'ambassadeur d'Allemagne : la nouvelle LPM comportera plus 100 milliards d'euros supplémentaires. Je m'interroge. Des militaires avec qui je suis en relation m'ont demandé pourquoi le corapporteur estime que 430 milliards d'euros sont nécessaires pour un modèle d'armée complet. D'où vient ce chiffre ?
Comme l'a dit Cédric Perrin à la fin de son intervention, nous devrons nous pencher sur la LPM, mais affirmer qu'elle nécessite 17 milliards d'euros de plus est largement prématuré. Je ne souscris donc pas à cette affirmation.
Je ne présenterai donc pas le rapport. Ayant été désigné corapporteur par mon groupe, j'ai dit ce que j'avais à dire. Suite à cela, le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat ne participera pas au vote sur le rapport.
M. Christian Cambon, président . - Merci. Vous l'avez compris, il existe des divergences de méthode entre nos deux rapporteurs, ainsi que des divergences de fond. J'ai essayé de faire en sorte que les choses se passent au mieux, car c'est un rapport très important. Il est très riche, et l'avis de la commission sur les premières leçons à tirer de l'Ukraine est d'autant plus attendu que ces enseignements vont éclairer le travail que nous allons mener sur la LPM.
J'invite la commission à sortir de ce différend par le haut. Je respecte la position du groupe socialiste, écologiste et républicain. C'est une question de liberté d'appréciation et de sensibilité, mais je souhaite que ces différends n'impactent pas le rapport, qui est indispensable pour préparer notre future feuille de route sur la LPM, et dont le contenu est très riche.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Je ne vois pas ce que vient faire ici mon tweet du mois de janvier concernant des propos que j'assume complètement et que je suis légitime à tenir, étant élu au même titre que n'importe quel autre collègue. J'ai le droit de dire que je considère que ces 430 milliards constituent une base pour la LPM. Je ne vois pas ce que cela vient faire ici. D'ailleurs, le rapport n'aborde à aucun moment ce point !
C'est mon avis personnel, non en tant que rapporteur. Je ne vois pas pourquoi on parle de ce sujet dans ce cadre, et je suis bien évidemment capable de défendre cette position sans aucune difficulté.
Je tiens à la disposition de tous nos collègues, quel que soit le groupe, l'ensemble des mails que j'ai échangés avec les différentes personnes avec qui j'ai rédigé ces tribunes. Ils datent d'avant le début du rapport - septembre, octobre. Ces tribunes n'ont pas été préparées la veille pour le lendemain !
Je n'ai absolument rien à me reprocher sur cette question. Je ne suis à la solde de personne, et personne ne remettra en cause ma probité ni mon honnêteté. Je n'ai « servi la soupe » à personne, que les choses soient claires !
Qu'il y ait eu un problème de date, je veux bien le comprendre. J'ai adressé un message encore hier soir à Jean-Marc Todeschini, dont le président est en copie. Je l'ai appelé dimanche soir pour essayer de lui faire comprendre ma position. Cela n'a vraisemblablement pas fonctionné. Je pense avoir tout essayé pour clarifier les choses.
J'ai pensé au message que nous a adressé Philippe Folliot et à sa conclusion : compte tenu de l'importance du sujet, je pense que ce rapport mérite beaucoup mieux. Nous avons beaucoup d'autres choses à régler que ce genre de différend.
M. Christian Cambon, président . - Je prends acte de ces interventions. Le procès-verbal de cette réunion sera annexé au rapport, comme c'est l'usage.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - Le message que j'ai reçu hier soir n'est que la répétition de ce que j'entends depuis le début.
Je ne sais comment Cédric Perrin aurait réagi si j'avais rédigé une tribune au lendemain d'une audition après avoir proposé d'entendre deux personnes, mais je pense qu'il n'aurait pas été satisfait.
Mon corapporteur a été très maladroit et ne veut pas le reconnaître. C'est son choix. Je ne participe donc pas à la présentation du rapport. Le président a également considéré que c'était une maladresse de sa part.
M. Christian Cambon, président . - Je pense interpréter l'avis de la majorité de nos collègues pour considérer que l'incident est clos. Le compte rendu tiendra compte de ces interventions. Le sujet de ce rapport est extrêmement important. Avant d'ouvrir le débat, je voudrais donner la parole à Philippe Folliot, qui arrive d'Ukraine et qui nous a remis un témoignage bouleversant et éclairant. Je lui avais demandé de porter un message de la commission à ses interlocuteurs.
M. Philippe Folliot . - En effet, et je l'ai remis au président de la commission de la défense de la Rada, qui était en partie avec nous pour cette visite sur le terrain.
Il a rappelé ses liens avec la commission de la défense de l'Assemblée nationale, et je lui ai dit qu'il me paraissait important que notre commission puisse nouer des liens avec la sienne.
M. Christian Cambon, président . - Nous avons échangé en visioconférence il y a quinze jours avec la commission des affaires étrangères de la Rada et nous sommes bien sûr désireux de faire de même avec la commission de la défense.
M. Philippe Folliot . - Au regard de ce que j'ai vu, je considère que cette guerre a une double nature. C'est une guerre à la fois technologique et une guerre du début du XXe siècle. J'ai eu la chance de passer une soirée avec des soldats ukrainiens qui revenaient des tranchées. Ces tranchées, ce sont celle de Verdun, avec tout ce que cela représente.
Il existe des chiffres, des statistiques, des matériels, mais il y a aussi des réalités humaines. Vous discutez avec des personnes qui savent très bien que, dans quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, elles ne seront plus là. Échanger avec eux apporte un peu d'humanité par rapport à quelque chose qui nous paraît abstrait à bien des égards.
Si j'ai eu l'opportunité de me rendre en Ukraine, c'est grâce à Yehor Cherniev, notre collègue chef de la délégation ukrainienne à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Il a combattu en 2014 avant que le front, à l'époque, ne se stabilise.
Je voudrais insister sur deux points et, en premier lieu, sur notre responsabilité collective par rapport au fait que nous n'avons peut-être pas analysé ce qui s'est passé en 2014 avec justesse, ce qui se traduit aujourd'hui par des larmes et du sang pour les Ukrainiens et, pour nous, par le prix que nous payons en termes économiques.
En second lieu, j'insiste sur la nécessité de poursuivre voire d'amplifier notre effort de soutien à l'Ukraine. C'est un enjeu important. La situation est difficile, même si le moral des Ukrainiens est intact. Ils ne se battent pas pour de grandes idées ou de grands principes, mais pour défendre leur pays, leur famille, les femmes et les enfants qui sont à l'arrière.
Les militaires ukrainiens nous ont dit combien le Caesar était essentiel pour soutenir et préserver autant que possible l'infanterie. L'enjeu du MCO des Caesar est prégnant. On peut se féliciter que la France ait décidé d'envoyer douze Caesar de plus, qui vont s'ajouter aux dix-neuf envoyés par le Danemark.
Politiquement et symboliquement, il a été essentiel que la France annonce la livraison des véhicules AMX-10 RC, car cela a déclenché la livraison des Leopard.
C'est aujourd'hui qu'il faut que nous fassions un certain nombre de choses car, demain, je crains qu'il ne soit trop tard. Les Russes ne pourront jamais gagner cette guerre, mais encore faudrait-il que les Ukrainiens puissent réaliser rapidement suffisamment d'avancées pour amener les Russes à la table des négociations.
M. Christian Cambon, président . - Merci pour ce témoignage.
En matière de chars, il vaut mieux avoir les mêmes modèles. C'est pourquoi les Ukrainiens demandent des chars Leopard. Le MCO des chars est complexe. S'il faut un dispositif différent pour chaque type de char, ce n'est guère efficace.
Le témoignage de Philippe Folliot est rempli d'émotion. Dans les débats que nous avons, il est bon de distinguer la dimension humaine.
Joëlle Garriaud-Maylam est également de retour d'Ukraine.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Ma visite était très différente. Il s'agissait d'une visite officielle, en tant que présidente de l'AP-OTAN. Les conditions de sécurité étaient draconiennes. Impossible de sortir de ce cadre extrêmement sécurisé.
Mes conclusions sont les mêmes que celles de Philippe Folliot. Je voudrais surtout insister sur l'urgence.
Mon déplacement a été organisé avec la Rada, le Parlement ukrainien. J'ai également rencontré Yehor Cherniev qui a pu participer à mes réunions avec le prix Nobel de la paix pour discuter du dossier concernant le tribunal spécial, les enfants, les différents sujets concernant les transferts de prisonnier. Il était là aussi quand nous avons travaillé sur la plateforme sur la Crimée. Je dois reconnaître avoir été moi aussi naïve en pensant que la Russie changerait. La Crimée n'est que l'avant-poste de ce qui se passe aujourd'hui.
J'insiste sur l'urgence de la situation et le besoin qu'a l'Ukraine d'un appui aussi immédiat que possible. L'Ukraine ne peut se permettre d'attendre des mois. Elle souffre d'un déficit démographique par rapport à la Russie. La Russie considère ses hommes sur le front comme de la chair à canon, en échange de compensations monétaires. Les veuves de soldats russes remercient le président Poutine parce qu'elles ont reçu des manteaux de fourrure pour les consoler de la mort de leur mari ! C'est un état d'esprit effroyable.
Malheureusement, même si les soldats ukrainiens sont valeureux, courageux et prêts à relever tous les défis, il existe un problème de nombre. Celui-ci ne peut être compensé que par un soutien extrêmement important, notamment en matière de protection de l'espace aérien.
Je voudrais féliciter Cédric Perrin pour son rapport, ainsi que son corapporteur. Je communiquerai ce rapport à l'AP-OTAN et il en sera fait bon usage.
Mme Vivette Lopez . - Monsieur le Président, mes chers collègues, je faisais partie du groupe de travail sur les enseignements de la guerre en Ukraine et j'ai participé à ce titre à plusieurs auditions.
Si vous le permettez, je souhaiterais compléter les propos de notre collègue Cédric Perrin pour aborder les enjeux maritimes.
Le retour d'expérience de la guerre en Ukraine couvre de nombreux domaines et doit nous permettre d'aborder la LPM. Je pense qu'il ne faut pas mésestimer les enjeux maritimes. Certes, la guerre en Ukraine n'est pas essentiellement maritime, mais son déclenchement par la bataille de l'île aux Serpents, puis la destruction du croiseur russe Moskva, le 22 avril 2022, ont illustré de façon spectaculaire ce que peut être la dimension navale des conflits armés.
La destruction du Moskva pose quelques questions quant à la capacité des Russes à maîtriser leur environnement aéromaritime et à mettre en oeuvre des moyens de défense. Mais la marine russe demeure puissante. La guerre n'a entamé que marginalement ses moyens. L'essentiel est préservé, en particulier la flotte sous-marine russe, qui est très performante.
Le milieu maritime est de plus en plus convoité sur le plan mondial. La sécurisation du trafic est un enjeu crucial pour l'Europe, pris en compte au travers des opérations Atalanta et Agenor, qui sont en cours de rapprochement pour s'ouvrir progressivement à l'ensemble de l'océan indien, zone que les États-Unis ont tendance à délaisser au profit du Pacifique.
La sécurisation des flux en provenance du Proche et du Moyen-Orient est d'autant plus stratégique que l'Europe se détourne de ses approvisionnements énergétiques russes.
L'économie mondiale repose par ailleurs pour une large part sur les câbles et tuyaux sous-marins : la destruction des gazoducs Nordstream en mer baltique confirme que les fonds marins sont un théâtre possible d'opérations.
Enfin, les ressources biologiques et minérales des fonds marins de nos outremer pourraient être convoitées.
Dans ce contexte, les marines occidentales ne sont pas à l'abri d'un incident qui dégénérerait. On se souvient de la manoeuvre de la marine turque à l'encontre de la frégate Courbet en 2020, ou de l'incident ayant opposé Britanniques et Russes en 2021 au large de la Crimée.
Un basculement soudain avec ouverture du feu en mer ne peut plus être exclu. C'est aussi l'un des enseignements de la guerre qui se déroule en Ukraine.
M. André Gattolin . - J'ai fait partie du groupe de travail et j'ai également assisté à certaines auditions.
J'ai trouvé le rapport très intéressant, mais j'aurais souhaité disposer du projet de rapport avant sa présentation. D'autres commissions et délégations procèdent différemment.
Néanmoins, le travail qui a été fait est très riche et intéressant. Il faut bien reconnaître que nous avons été aveuglés.
Ce n'est pas seulement un problème de renseignement à court terme ou d'analyse du renseignement. On parle ici beaucoup de tactique, de logistique, de stratégie : pour reprendre la taxinomie du général André Beaufre, nous avons failli stratégiquement !
Le 24 février 2022, Vladimir Poutine ne s'est pas réveillé en se disant qu'il allait envahir l'Ukraine. Les guerres caucasiennes, les interventions en Syrie, le rôle de juge joué par la Russie en Libye, le poids mis sur Chypre avec l'accès des navires militaires russes, les « alliances » avec la République d'Arménie et ce qui se passe en Géorgie constituent autant de pions que pousse la Russie. Comment les analyse-t-on ? Quels sont les objectifs réels ?
J'ai posé la question lors de l'audition du directeur général de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), la semaine passée : la Méditerranée orientale, qui est à la croisée des flux, constitue un enjeu primordial. Tous les pions avancés par Vladimir Poutine depuis quinze ans, d'un point de vue militaire et stratégique, auraient dû nous le laisser prévoir.
Comment allons-nous réviser nos erreurs de jugement stratégique ? Ce n'est pas simplement un défaut d'analyse du renseignement. C'est peut-être une erreur des différents ministères et gouvernements, passés et présents, mais cela vient aussi de notre fait, en tant que parlementaires. On nous a longtemps expliqué qu'on ne parlait pas assez avec Vladimir Poutine. Lorsqu'on évoquait ses exactions, on disait que tout devait s'arranger. Tout s'est-il arrangé ? Où allons-nous ? Quels sont les objectifs réels ou supposés de Vladimir Poutine ou, plus généralement, du Kremlin ?
C'est un aspect sur lequel il faudrait compléter le rapport. Le retour d'expérience sur l'Ukraine consiste d'abord à comprendre nos propres erreurs collectives, stratégiques. Le déni n'aide pas à comprendre l'avenir.
M. Jean-Pierre Grand . - Nous sommes tous d'accord sur les besoins en matériels de l'Ukraine et la préparation de la future LPM.
Ce qui m'intéresserait aujourd'hui, dans un deuxième temps, c'est que l'on puisse aller plus loin. Je voudrais connaître la situation particulière de la France, qui est le seul pays de l'Union européenne qui soit membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes directement concernés à l'extérieur du continent européen par les attaques russes via Wagner en Afrique. Cette guerre entraîne par ailleurs mécaniquement un ressenti vis-à-vis de l'Occident qui a des conséquences sur toute la planète.
La France a, sur le plan diplomatique, une position très particulière. Aucun de nous aujourd'hui ne sait où en est notre diplomatie. J'ai totalement confiance dans mon pays, qui poursuit la même politique étrangère depuis des années, en toute indépendance et en oeuvrant pour la paix. On le sait depuis la guerre en Irak. La France parle juste. Personne ne peut imaginer que nous n'avons pas une action diplomatique puissante. Où en est-on ? Il me semble que la commission devrait travailler sur cette question.
Par ailleurs, il faut aussi se pencher sur l'Afrique. Aujourd'hui, la situation se dégrade, notamment dans le Sahel, au point que les populations émigrent. C'est une arme que Vladimir Poutine emploie contre nous.
Le ressenti en Occident va naturellement poser des problèmes qui vont bénéficier aux pays-continents. Ce sujet paraît essentiel au gaulliste que je suis.
M. Olivier Cigolotti . - Tout d'abord, je voudrais saluer, au nom de notre groupe, la qualité du rapport sur un sujet éminemment sensible.
Concernant l'aveuglement qui a été le nôtre en 2014, peut-être nous sommes nous alors focalisés sur les problèmes liés à la lutte contre le terrorisme, mais nous aurions pu à l'époque tirer les conséquences de ce qui s'est passé en Crimée.
D'autre part, au-delà de l'effet d'annonce, donner dix AMX-10 RC paraît bien inférieur à ce qu'aurait pu faire la France. Un plus grand nombre, assorti des munitions nécessaires aurait été plus efficace.
On a longtemps polémiqué sur le fait de donner des chars Leclerc. La problématique est similaire : nous en avons peu. C'est un matériel dont les industriels n'assurent plus la maintenance ni la fourniture de pièces détachées.
On pourrait peut-être donner plus de canons Caesar et de dispositifs Mamba ou Crotale car les effets de notre aide ne sont pas ceux qu'attendent nos amis ukrainiens.
M. Olivier Cadic . - Je salue également la qualité de ce rapport et de ce qui nous a été présenté.
Je voudrais des précisions concernant la question cyber, qui n'a pas été évoquée. Quels enseignements peut-on tirer de ce conflit en la matière ?
À Kiev, en avril, nous avions rencontré le maire de la ville, qui nous avait expliqué les mécanismes qui leur avaient permis de stopper les forces spéciales russes qui cherchaient le président Zelensky. Disposez-vous d'éléments de ce point de vue ?
M. Pascal Allizard . - Je voudrais intervenir dans la suite de ce que j'ai dit à la tribune hier après-midi, au nom de mon groupe, sur la situation en Ukraine.
J'ai apprécié les propos pondérés de Cédric Perrin au début de son intervention concernant les années 2014 et les suivantes.
Je suis élu d'un département, le Calvados, où la cérémonie du 6 juin est très importante. J'étais à Ouistreham lorsque le groupe « Normandie » s'est constitué et que le président Poutine et son homologue ukrainien de l'époque se sont parlé. La recherche de la paix - on a en tout cas eu la faiblesse de le croire - était relativement réelle. Cette attente a été déçue, et on connaît tous la suite.
Il ne faut pas non plus négliger la situation politique interne de l'Ukraine. À l'époque des accords de Minsk, il avait fallu travailler sur la modification de la Constitution et sur une certaine décentralisation pour donner plus d'autonomie aux régions irrédentes. Cela faisait partie des accords. Un certain nombre de membres du Sénat français avaient travaillé sur ce texte, mais il n'y a pas eu de majorité à la Rada pour le voter. Il faut l'avoir en tête.
Aujourd'hui, il existe une certaine union sacrée, mais les divisions politiques restent présentes en Ukraine. Cela signifie que, dans la suite du conflit, il faudra bien intégrer ces paramètres.
Enfin, ce rapport nous permet de dresser un inventaire des rapports de force extrêmement intéressant, ce qui était l'objectif.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Je remercie Vivette Lopez pour son complément d'information. C'est un point qui n'avait pas été mentionné dans mon introduction.
Par ailleurs, le premier point du rapport, « Surprise stratégique ou prise de conscience brutale ? », évoque l'épisode de Gossi, à propos duquel nous n'avons pas réagi avec la force nécessaire, alors que la présence de Wagner au Mali aurait pu nous alerter.
Cela rejoint ce que disait Jean-Pierre Grand à propos de la nécessité de travailler sur une réflexion géostratégique ou géopolitique afin de mieux comprendre un certain nombre de choses.
Il est toujours facile de réécrire l'histoire. Que se serait-il passé en Ukraine si les Français avaient réagi différemment à la présence de Wagner au Mali ? Ce rapport n'a pas vocation à répondre à toutes les questions, mais il ouvre des questionnements.
Je suis entièrement d'accord avec André Gattolin : nous avons été aveuglés car nous n'avons pas la même rationalité que Vladimir Poutine. Le rapport le met largement en évidence.
Je partage l'avis d'Olivier Cigolotti. Doit-on donner du matériel pour faire de la figuration, et parfois gêner les Ukrainiens, qui travaillent à l'échelle d'un bataillon ? Un bataillon, c'est trois compagnies, soit une centaine de chars. C'est à ce niveau qu'intervient la logistique, le soutien, le MCO.
Il est intéressant d'avoir un apport différent dans d'autres domaines de soutien, qui peuvent aussi valoriser les matériels français. Je pense à la lutte anti-drones ou à la lutte anti-missiles, aux radars de haute performance, etc. Ce sont des questions qui sont sur la table.
Quels enseignements peut-on tirer au sujet du cyber ? C'est un sujet que l'on expose très largement. Je n'en ai pas fait état dans mes propos liminaires, mais le sujet est traité dans le rapport.
Les Américains, depuis 2014, préparent les Ukrainiens à la lutte cyber, notamment grâce aux GAFAM. Microsoft a été un acteur particulièrement important depuis 2014 sur le terrain. La lutte cyber s'est par ailleurs mise en place grâce à certains soutiens. Un certain nombre d'anciens officiers ont été remerciés et remplacés par de jeunes geeks, qui ne venaient pas forcément de l'armée mais qui avaient une connaissance significative du milieu cyber, des cyberattaques et de la défense.
Cela a été un point très important dans leur conception de la défense, nous le rappelons très largement dans le rapport. Cela fait déjà un certain temps que j'estime important de se concentrer sur la lutte cyber. Le Président de la République, le 19 janvier dernier, en a fait un de ses axes majeurs, avec la lutte anti-drones et les drones.
Enfin, je ne peux que souscrire à ce qu'a dit Pascal Allizard à propos de ce qu'il conviendra de construire après la guerre mais, pour cela, il faut arriver à obtenir la paix.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - J'ajouterai peu de choses différentes de ce que vient de dire Cédric Perrin.
On ne peut parler de guerre aéromaritime, car les Russes ont certainement failli dans le contrôle et la mise en oeuvre de leur supériorité aérienne. Tout cela est apparemment lié à un problème d'organisation interarmes au sein de l'armée russe. Alors qu'ils disposent d'une puissance aérienne importante, ils n'ont pas réussi à mettre en oeuvre dès le départ des centres de commandement, des radars, etc.
À l'inverse, les Ukrainiens n'ont pas pu contrôler leur ciel. Je pense que l'OTAN et la France n'auraient pas agi de la même façon si elles avaient dû intervenir dans un tel conflit dès le départ.
Pour le reste, la remarque de Jean-Pierre Grand au sujet de l'Afrique est importante. Je pense que nous avons une diplomatie et des services de renseignement efficaces, mais il y a eu un manque de réactivité. Wagner, en Afrique, nous a chassés peu à peu. Nous n'avons pas analysé que nous étions en train de perdre pied et d'être discrédités par les Russes.
En 2014, personne n'a voulu réagir au moment de l'annexion de la Crimée. Cela posera un problème pour la sortie de guerre. J'ai entendu hier l'intervention de Pierre Laurent : la sortie de guerre se fera autour de la table et on discutera. La Crimée constituera-t-elle un enjeu ? Les Européens et l'OTAN accepteront-ils que l'Ukraine récupère militairement la Crimée ? Je pense que c'est différent pour le Donbass, mais la Crimée posera certainement un problème, car on ne fait jamais la paix qu'avec ses adversaires.
Il faudra bien se mettre un jour autour de la table et discuter. Il me paraît compliqué que les Américains et l'OTAN fournissent des matériels pour récupérer la Crimée même si, dans l'immédiat, ce n'est pas le sujet.
Quant à la cyberdéfense, elle est primordiale pour demain. Cédric Perrin en a parlé, en évoquant également les drones. Les Ukrainiens ont pris de l'avance en matière cyber, puisqu'ils ont pu répondre immédiatement. La cyberdéfense russe n'a pas été à la hauteur. Les Ukrainiens ont réagi avec l'aide de Microsoft.
Si l'Ukraine ne s'est pas effondrée, c'est bien parce que les Russes n'ont pas su mettre en oeuvre d'actions interarmées. Leur puissance de feu aérienne n'a pas été utilisée convenablement. Cédric Perrin l'a dit tout à l'heure : tous les Ukrainiens pouvaient, avec leur téléphone portable, fournir immédiatement des renseignements. Ils ont su être très efficaces.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Ce conflit a été au départ conçu comme une opération spéciale qui ne devait durer qu'une dizaine de jours. Comme le disait Jean-Marc Todeschini, les Ukrainiens ont disséminé leur matériel, qu'il a été très difficile de mettre hors d'état de nuire.
L'arme aérienne n'ayant pas été employée comme elle aurait dû l'être, l'artillerie a occupé le terrain, et on en voit les conséquences aujourd'hui. Elle a repris ses lettres de noblesse. La dissuasion nucléaire est également essentielle mais elle n'est pas la réponse à tout. C'est un débat qui restera à éclairer dans le cadre de la LPM.
Faut-il conserver une défense conventionnelle ? Je pense bien évidemment que c'est nécessaire. Nous avons un certain nombre de munitions... mais c'est au regard du nombre de pièces d'artillerie dont nous disposons !
L'objectif est de continuer à discuter de tous ces points dans le cadre de la LPM.
M. Pascal Allizard . - Sans dévoiler notre rapport sur le retex de Barkhane et le terrorisme, je partage totalement ce qui vient d'être dit à propos des munitions. C'est très inquiétant.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les Ukrainiens s'inquiètent énormément au sujet des munitions. Concernant la cyberdéfense, il faut préparer la reconstruction de l'Ukraine dès à présent.
Notre ambassade fait un travail extraordinaire. Nous sommes le seul pays à avoir conservé une structure d'enseignement international en Ukraine. C'est un exemple parmi d'autres, mais il mérite d'être signalé.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - L'armée russe ne dispose pas du relais des sous-officiers. Dans l'armée française, les sous-officiers sont des relais importants et peuvent prendre des initiatives. Dans l'armée russe, celles-ci sont réservées aux généraux.
M. Philippe Paul, président . - Merci. Nous allons à présent passer au vote. Le groupe socialiste n'y participe pas.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 heures 20.