III. DISCUSSION DES ARGUMENTS CONTRE LA VÈNERIE SOUS TERRE
Concernant la chasse sous terre du blaireau, le rapporteur présentera la pratique actuelle, puis traitera du respect de la convention de Berne et des besoins de régulation et enfin du débat autour du mode de chasse lui-même.
Le blaireau d'Europe, espèce Meles Meles , est un mammifère omnivore. C'est le plus grand mustélidé avec 30 cm de hauteur au garrot et un poids moyen de 12 kg (un mâle peut atteindre 20 kg à l'automne). Il est présent sur tout le continent. C'est un animal nocturne et crépusculaire. Il vit dans des terriers complexes partagés et aménagés par des clans sur plusieurs générations. Les blaireaux s'accouplent toute l'année. Grâce à un phénomène de diapause embryonnaire, toutes les naissances ont lieu entre mi-janvier et mi-mars après 45 jours de gestation effective.
A. LA PRATIQUE AUJOURD'HUI
La chasse sous terre consiste à capturer par déterrage un renard ou un blaireau acculé dans son terrier par les chiens qui y ont été introduits. Elle est pratiquée par des chasseurs à pied. Aucun moyen mécanique ou électronique n'est autorisé.
Il y a en France environ 1 500 équipages réunissant 10 000 pratiquants . Ils sont, sauf exception, membres de l'Association française des équipages de vènerie sous terre, l'AFEVST. Environ la moitié des équipages chasse le blaireau .
La technique du déterrage peut également être utilisée à la demande expresse des préfets et sous l'autorité des lieutenants de louvèterie pour détruire des ragondins et des rats musqués ainsi que des blaireaux et des renards en dehors de la période de chasse.
Selon les chiffres portant sur 2019 , dernière année représentative compte tenu de la crise sanitaire, transmis par le ministère de l'environnement, sur 53 départements dont 42 avaient mis en place une période complémentaire, 10 000 blaireaux ont été prélevés par la vènerie sous terre, principal mode de chasse, 5 000 à tir 15 ( * ) et 5 600 ont été détruits à la demande des préfets, principalement par piégeage (collets ou cages) et tirs de nuit ( art. L. 427-6 CE 16 ( * ) ) . Le blaireau est chassé dans tous les départements sauf dans le Bas-Rhin.
B. LE BLAIREAU PEUT-IL ÊTRE CHASSÉ ET DOIT-IL ÊTRE RÉGULÉ ?
La pétition soulève deux questions : le blaireau est-il un animal protégé dont la chasse devrait être interdite ? Le blaireau doit-il être régulé en raison des dégâts qu'il cause ?
• La chasse au blaireau pratiquée en France est conforme à la convention de Berne
Le blaireau a longtemps été classé « nuisible », Espèce susceptible d'occasionner des dégâts (ESOD) selon la terminologie actuelle, mais a été classé gibier en 1988 à la demande des veneurs sous terre qui s'opposaient depuis de longues années à leur destruction , à celle de leurs terriers et aux moyens utilisés comme les gaz ou le poison, et ce en toute saison. Le blaireau est toutefois un gibier dont la viande n'est pas habituellement consommée en France, bien qu'elle le soit en Europe de l'Est où sa graisse est réputée pour ses propriétés curatives. Malgré ce classement, les propriétaires et exploitants agricoles conservent la possibilité de le détruire comme « bête fauve » en cas de dommage avéré ( art. L. 427-9 du CE 17 ( * ) ) car il ne fait pas l'objet d'un plan de chasse et ses dégâts ne sont pas indemnisés .
Par ailleurs, le blaireau est inscrit à l'annexe III 18 ( * ) de la Convention de Berne 19 ( * ) , qui a été ratifiée par la France le 26 avril 1990. Cette convention, signée dans le cadre du Conseil de l'Europe, est relative à la protection de la vie sauvage et du milieu naturel. Cette inscription à l'annexe III implique que la chasse et la régulation soient réglementées afin de maintenir l'espèce hors de danger . Par ailleurs, si certains procédés sont interdits, étant précisé que le déterrage ne l'est pas, des dérogations sont possibles si elles ne nuisent pas à la survie des populations ou pour prévenir des dommages importants aux cultures et au bétail, ainsi que dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques.
La France présente un rapport tous les six ans sur l'état des populations. Le prochain est prévu en 2025. Des plaintes ont été formulées en 2013 et en 2020 contre la France auprès du Comité de la convention qui a, à chaque fois, confirmé que la législation française n'était pas contraire à la convention et ne remettait pas en cause l'état de conservation de l'espèce .
Comme toutes les espèces sauvages, les populations sont imparfaitement connues. Des évaluations datant d'une quinzaine d'années ont avancé la présence de plus de 200 000 individus 20 ( * ) . Pour l'OFB , dans le cadre de son suivi pour la convention de Berne, les populations de blaireau sont dans un bon état de conservation et seraient en expansion . Le blaireau est présent partout en métropole, Corse exceptée, et les observations, particulièrement des blaireaux victimes de collisions routières, sont en augmentation. L'accroissement des surfaces forestières, l'arrêt de sa destruction depuis 30 ans, l'arrêt des campagnes de destruction de renard contre la rage, l'interdiction du gaz et du poison sont des éléments favorables à son développement. L'Union internationale pour la conservation de la nature, l'UICN, considère que le blaireau fait l'objet d'une « préoccupation mineure » 21 ( * ) , soit le plus bas niveau. Les densités en France sont intermédiaires entre celles très faibles des pays méditerranéens et beaucoup plus importantes au Royaume-Uni et en Irlande.
Hors Royaume-Uni et Irlande qui ont interdit la chasse du blaireau à la demande des associations de protection de l'environnement, mais procèdent à d'importantes campagnes de destruction, la chasse du blaireau est principalement interdite dans les pays méditerranéens, où l'espèce est peu présente (Portugal, Espagne, Italie, Grèce), ainsi qu'au Benelux et au Danemark. Sa chasse est autorisée dans vingt pays européens , y compris sous terre dans la plupart d'entre eux .
• Le blaireau cause de graves dégâts et présente une menace pour les élevages et doit être régulé
Le blaireau cause d'importants dégâts aux voies de circulation, dont les mieux documentés sont les voies ferrées, et aux cultures, dont le principal risque est la transmission de la tuberculose bovine.
Ø Les dégâts sur les voies de circulation
Le blaireau cause des dégâts aux voies ferrées, aux routes et aux voies navigables. Toutefois, tous ne sont pas documentés au niveau national.
Les dégâts sur les voies ferrées sont les mieux connus. Les terriers de blaireaux provoquent des risques d'affaissement et de déraillement . Les terre-pleins et remblais sont particulièrement propices pour accueillir des terriers. Ils peuvent conduire à l'arrêt des trains (12 % des cas) ou à des ralentissements de la vitesse de circulation (35 % des cas).
Exemple récent de terriers dans un remblai près de Pithiviers (45) ayant entraîné l'arrêt de la circulation des trains (Source : SNCF Réseau).
460 ouvrages font l'objet d'une surveillance particulière . La SNCF répertorie 173 incidents en 25 ans . Ils sont en croissance . Ce risque oblige la SNCF à un contrôle régulier des voies. En cas de présence de blaireau, elle fait procéder à leur piégeage. La vènerie sous terre est rarement utilisée compte tenu des sols . Une fois les animaux éliminés, les terriers sont remplis d'un coulis de ciment. Des travaux plus importants sont parfois nécessaires avec injection sous pression et maillage, protection des talus par grillage et enrochement. Les coûts associés sont élevés : de 6 000 à 25 000 euros pour les travaux de reconnaissance géophysique ou par sondage, et de 80 000 à plus de 400 000 euros pour injection gravitaire, sous pression et renforcement des remblais .
La SNCF a par ailleurs participé à une expérimentation de déplacement de blaireaux et de création d'un terrier artificiel dans le Bas-Rhin avec la LPO en 2020 et 2021 . Les résultats sont incertains, mais le coût de 47 000 euros et les contraintes inhérentes rendent difficile la reproduction de cet essai .
Vues des travaux d'installation du terrier artificiel terminé (Source : SNCF Réseau)
Sur le réseau routier, des cas d'effondrement sont rapportés, mais le ministère des transports n'est pas à même d'en donner un bilan national et de le chiffrer .
En revanche, le blaireau est fortement impliqué dans les collisions sur le réseau routier national (12 000 km de routes, soit 2 % des routes françaises mais 20 % du trafic national). En 2019, une analyse du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) indiquait que le blaireau était la 3 e espèce la plus impactée après le renard et le chevreuil et devant le sanglier . D'après les données remontées de 2018 à 2021 , 8 % des collisions concernaient le Blaireau.
Voie navigable de France n'est pas à même de remonter une vision nationale des dégâts de blaireau . En revanche, l'Association nationale des gestionnaires de digues évoque régulièrement des dégâts nécessitant des montants très élevés de travaux, sans qu'il soit possible de séparer ce qui relève des dégâts de blaireau de ceux causés par d'autres animaux, comme le ragondin, ou d'autres causes.
Ø Les dégâts agricoles
- La tuberculose bovine
La tuberculose bovine est le principal risque car il s'agit d'une maladie transmissible à l'homme, même si c'est devenu rarissime . Son éradication est obligatoire sur le territoire de l'Union européenne. Pour la France et sa filière élevage, l'enjeu est de conserver son statut de pays indemne acquis en 2001, afin de poursuivre sans obstacle la commercialisation des produits laitiers comme de la viande. La détection de la tuberculose entraîne dans 70 % des cas l'abattage de l'intégralité du troupeau et des autres animaux présents sur la ferme (équidés, chiens...), ce qui est à la fois traumatisant et coûteux. Selon Chambres d'agriculture de France, le coût total du dépistage et de l'abattage dépasserait 30 millions d'euros par an, soit 7 millions d'euros pour le seul dépistage et 26 millions d'euros pour l'abattage des cheptels . Un rapport de l'INRAE est attendu en 2023 ou 2024 pour préciser ces données.
Le maintien du statut indemne est menacé depuis plusieurs années car la maladie persiste ou réémerge dans plusieurs zones (Côte-d'Or, Sud-Ouest, Camargue, Normandie). Sur les cinq dernières années, le nombre moyen de foyers découverts annuellement varie de 100 à 120. En 2022, 104 nouveaux foyers de tuberculose ont été détectés en France .
Le graphique ci-dessous montre l'évolution du nombre de foyers et l'incidence annuelle depuis 2009 :
Source : Ministère de l'agriculture
Le maintien du statut indemne est lié au non-franchissement de deux seuils :
- conserver pendant six ans un taux d'au moins 99,9 % d'élevages indemnes de tuberculose (soit un taux de prévalence de 0,1 % qui correspond au nombre de cas d'élevages infectés divisé par le nombre total d'élevages dans le pays, sans distinction entre les cas nouveaux et les cas anciens - courbe violette par rapport à la barre rouge) ;
- ne pas avoir une incidence annuelle dépassant 0,1 % (à savoir le taux entre élevages contaminés apparus dans l'année divisé par le nombre total d'élevages - courbe rouge).
En outre, le programme de surveillance et de gestion de chaque État membre fait l'objet d'une évaluation régulière par les services de la Commission européenne, qui est habilitée à remettre en cause le statut sanitaire d'un État membre si l'évaluation de ce programme n'apporte pas les garanties de conformité satisfaisantes.
En cas de perte du statut, le recouvrement nécessitera au minimum deux ans pour démontrer le retour à une situation assainie .
Plusieurs animaux sauvages sont des réservoirs ou des relais de la maladie dont le cerf, le sanglier et le blaireau. Afin de surveiller et suivre l'évolution de la tuberculose dans la faune sauvage, un système de surveillance dédié, nommé Sylvatub, co-piloté par le ministère de l'agriculture et l'OFB, est déployé depuis septembre 2011. Cette surveillance est assurée par les chasseurs, des piégeurs et des agents de l'OFB. Les opérations de gestion (piégeage de blaireaux, interdiction d'agrainage, gestion des déchets de chasse, de lâchers de gibier, plan de chasse minimum) sont encadrées réglementairement via un arrêté spécifique du 7 décembre 2016 22 ( * ) .
À ce jour, la lutte contre la maladie dans la faune sauvage repose sur des actions d'identification des zones d'infection des blaireaux par dépistage régulier, la diminution des densités de blaireaux par piégeage en zones infectées en priorisant les zones à proximité des élevages - la vènerie sous terre est alors interdite pour éviter toute contamination des chiens -, et des mesures visant à empêcher les interactions bovins - faune sauvage.
Dans le cadre du programme Sylvatub, en 2021, sur 2 224 blaireaux analysés (419 animaux trouvés morts en bord de route et 1 805 piégés au titre de la surveillance programmée), 138 étaient infectés .
Dans le système complexe et multi-hôtes de transmission de la maladie, il semble que le blaireau joue un rôle particulier. Dans son avis 2016-SA-0200 de 2019 23 ( * ) , l'Agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, avait identifié le blaireau comme un hôte de liaison. Mais une thèse publiée en 2022 24 ( * ) et procédant à l'analyse génétique des souches de la tuberculose bovine a démontré que le blaireau était un hôte de maintien, comme cela a également été identifié au Royaume-Uni et en Irlande, pays très touchés par la tuberculose bovine et où les populations de blaireaux sont protégées et très nombreuses . Le blaireau serait également très contaminant à l'égard des bovins mais aussi d'autres espèces sauvages dont certaines protégées .
Enfin, selon les informations transmises par le ministère de l'agriculture et en application du Plan national de lutte contre la tuberculose bovine, une expérimentation sur la faisabilité de la vaccination des blaireaux devrait démarrer, en 2023, en Dordogne. La vaccination d'animaux sauvages reste très difficile.
- Les autres dégâts agricoles
Lors de son audition, Chambres d'agriculture de France a relevé que le blaireau causait des dégâts sur les cultures par consommation des plantes avant récolte, mais aussi des dégâts mécaniques sur les matériels en raison de la création de trous ou de talus ou en portant atteinte aux drainages. Bien que les dégâts de blaireau soient mal connus, car non indemnisés, elles estiment que 30 % des dégâts de sanglier seraient imputables au blaireau, soit environ 14 millions d'euros, sur la base des chiffres 2021 . En 2019, une enquête a fait ressortir des dégâts croissants dans 35 départements (cf. carte ci-dessous). Pour en avoir une meilleure vision, Chambres d'agriculture de France a mis en place, depuis début 2023, un outil permettant de déclarer rapidement les dégâts. Il devrait permettre de dresser un panorama complet.
Pour autant, la chasse ou la destruction ne sont pas les seuls moyens de limiter les dégâts de blaireaux . En effet, l'animal étant densité-dépendant, il profite de l'élimination de ses congénères pour occuper la niche écologique libérée par la chasse ou la destruction. Des naturalistes et des associations prônent donc des solutions non létales, comme les clôtures ou les répulsifs, pour éviter la déprédation sur les cultures . Pour les infrastructures, la capture et le déplacement des animaux tandis que les terriers sont obstrués permettent également d'apporter des solutions.
* 15 Ce chiffre interroge compte tenu de la rareté des rencontres avec les blaireaux lors de battues ou même à l'affût, et des habitudes crépusculaires ou nocturnes de l'espèce.
* 16 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033745997
* 17 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006833978
* 18 https://rm.coe.int/168097eb57
* 19 https://www.coe.int/fr/web/bern-convention/presentation
* 20 Enquête réalisée par la Fédération nationale des chasseurs en 2008.
* 21 https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/Liste_rouge_France_Mammiferes_de_metropole.pdf
* 22 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033623870
* 23 https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2016SA0200Ra.pdf
* 24 https://hal-anses.archives-ouvertes.fr/tel-03968029