EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 30 mars 2023 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Jean-François Rapin, président, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, comme chaque année, il me paraît important de procéder à un rapide bilan de notre travail au cours de la session parlementaire écoulée. Ce suivi fait partie de la mission de contrôle de notre commission : cette mission vise non seulement à faire connaître les positions du Sénat au Gouvernement, à qui nous avons confié le soin de légiférer à notre place à Bruxelles, mais aussi à vérifier quelles suites ont été réservées aux positions que nous avons exprimées.

En premier lieu, je voudrais vous remercier pour le travail accompli. En 2021-2022, l'activité de notre commission a été importante : nous avons tenu 48 réunions de commission - une de plus que lors de la session précédente - pour un nombre total d'heures de réunions comparable (72 heures et 17 minutes contre 78 heures et 40 minutes en 2020-2021).

La session 2021-2022 a été marquée par l'intensité de notre travail d'influence auprès des institutions européennes. Ce travail est en effet essentiel pour ne pas être pris au dépourvu par les réformes européennes et pour contribuer à ces dernières en faisant valoir les priorités de nos concitoyens.

Ce dialogue politique s'est d'abord traduit par l'audition de trois commissaires européens - le vice-président Maro efèoviè, le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, et le commissaire au marché intérieur et à l'industrie, Thierry Breton.

Il s'est également traduit par plusieurs déplacements de rapporteurs de notre commission à Bruxelles pour échanger directement avec les directions générales de la Commission européenne et les représentations permanentes des autres États membres, par exemple sur le devoir de vigilance des entreprises ou le pacte sur la migration et l'asile.

Ce dialogue a, de plus, été enrichi par l'organisation d'événements exceptionnels liés au volet parlementaire de la présidence française de l'Union européenne (PFUE). Pour rappel, le Sénat a accueilli le collège des commissaires, le 7 janvier 2022, ainsi que plusieurs conférences interparlementaires, à commencer par la « petite COSAC » (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires), réunion des présidents des commissions des affaires européennes des Parlements de l'Union européenne. Dans le cadre de la Cosac et sur notre initiative, des groupes de travail ont été institués - l'un mené par l'Assemblée nationale, l'autre par le Sénat.

Comme vous le savez, celui que je présidais avait pour thème le renforcement du rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne. Il a abouti à la formulation de conclusions ambitieuses, préconisant en particulier l'instauration d'un « carton vert », droit d'initiative qui nous permettrait de mieux contribuer au processus législatif européen.

Par ailleurs, avec ma collègue Gisèle Jourda, nous avons pu nouer de nombreux contacts lors des travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, dans le cadre de laquelle le président Larcher nous avait mandatés pour représenter le Sénat. Cela nous a particulièrement mobilisés au premier semestre 2022, puisque la Conférence a achevé ses travaux en mai dernier, en présentant 49 propositions. Même si le devenir de ces propositions est aujourd'hui incertain, ces réunions furent l'occasion de multiplier les échanges avec nos homologues des autres parlements de l'Union européenne et de les sensibiliser à nos priorités.

Je souhaite aussi rappeler que notre commission a entendu 33 communications - soit deux fois plus qu'en 2020-2021 - qui ont constitué autant de points d'étape sur d'importants sujets européens en cours de discussion - je pense aux salaires minimaux, à la révision du code frontières Schengen ou à l'accompagnement des pêcheurs français face au Brexit. Elles ont aussi permis de penser l'avenir - à l'exemple des communications sur la réponse européenne au développement de la puissance chinoise ou sur les perspectives d'élargissement de l'Union européenne. Elles ont enfin garanti l'information de notre commission sur l'activité des délégations du Sénat à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et à celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ont acquis une importance supplémentaire depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

L'activité de notre commission doit être ensuite évaluée au regard du contrôle qu'elle exerce sur la politique européenne du Gouvernement et de l'examen systématique qu'elle effectue de l'ensemble des textes européens qui lui sont soumis.

Au cours de la session 2021-2022, notre commission a été saisie de 949 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution, soit autant que lors de la session précédente. Elle en a examiné le quart - 261 textes - de plus près, soit en procédure écrite, soit directement lors de ses réunions. Il faut aussi signaler qu'environ la moitié des textes soumis à notre contrôle - 514 exactement - ont fait l'objet d'une procédure d'accord tacite après 72 heures, surtout - pour les deux tiers d'entre eux quasiment, soit 312 textes - en raison de la guerre en Ukraine.

Sur la base des textes européens reçus par notre commission, ce sont, en premier lieu, 17 résolutions européennes - contre 6 lors de la session précédente - qui ont été adressées par le Sénat au Gouvernement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Cette augmentation en un an est remarquable, mais correspond en fait à un retour au rythme de croisière habituel de notre commission, qui est d'une quinzaine de résolutions par an, après la rupture de rythme imputable à la pandémie et au renouvellement sénatorial de 2020.

Dans environ 64 % des cas, les positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité. Ce pourcentage est équivalent à celui constaté en 2020-2021, mais cette apparente stabilité est très satisfaisante, car, appliquée à un plus grand nombre de résolutions, cette proportion stable signifie que le nombre de résolutions ayant connu des suites favorables est beaucoup plus important - 11 au lieu de 4 l'année précédente. Ce résultat doit nous pousser à poursuivre nos efforts.

Les résolutions qui ont été le mieux suivies d'effets sont celles qui sont relatives au programme de travail de la Commission européenne pour 2022, à la lutte contre les violences faites aux femmes, au nécessaire soutien à la liberté académique, à la transparence de la publicité politique, à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie, à l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (Hera), au contrôle des subventions étrangères faussant le marché intérieur, au programme Iris (Infrastructure de résilience et d'interconnexion sécurisée par satellite) pour une connectivité sécurisée, ainsi qu'au cadre européen du numérique. Ce dernier a en réalité fait l'objet de 3 résolutions, relatives à la législation sur les marchés numériques, à celle sur les services numériques et au programme d'action à l'horizon 2030 « La voie à suivre pour la décennie numérique ».

À titre d'exemple, conformément aux préconisations du Sénat, une proposition de directive a été présentée par la Commission européenne, le 8 mars 2022, pour qualifier les violences faites aux femmes en infractions pénales à l'échelon européen et prévoir des sanctions harmonisées. Autre exemple : suivant notre résolution, le règlement européen adopté sur les services numériques lutte plus efficacement contre les contenus illicites en ligne et prévoit l'interdiction de certaines publicités ciblées, en particulier auprès des mineurs.

Par ailleurs, en l'état des négociations européennes, qui ne sont pas toujours achevées, on peut estimer que 5 résolutions européennes ont été partiellement suivies d'effets. Il s'agit notamment de notre résolution « fleuve » sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et des résolutions sur le devoir de vigilance des entreprises et sur le renforcement de la politique européenne du patrimoine.

Enfin, dans le cadre de la révision annoncée du règlement Reach (Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of Chemicals) et du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges (CLP), je veux rappeler nos deux résolutions relatives, l'une à la protection des huiles essentielles de lavande, l'autre à celle des filières du patrimoine.

Sur ces deux derniers dossiers, nos collègues rapporteurs Jean-Michel Arnaud, Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ ont eu la bonne idée d'assurer un suivi en poursuivant l'échange avec les institutions européennes, notamment dans le cadre d'un déplacement à Bruxelles le 17 février dernier. Ils estiment que le cabinet du commissaire Breton est plutôt optimiste quant à la possibilité d'atteindre un compromis satisfaisant à l'occasion de ces révisions, mais que la représentation permanente française est plus prudente. Notre vigilance ne doit donc pas se relâcher sur ces dossiers au long cours.

Enfin, signalons que le Sénat n'a malheureusement pas obtenu gain de cause dans sa résolution demandant la réorientation de la stratégie « de la ferme à la fourchette », afin d'assurer l'autonomie alimentaire de l'Union européenne dans le contexte de guerre en Ukraine.

En deuxième lieu, parallèlement à l'adoption des résolutions européennes adressées au Gouvernement, nous avons contribué à nourrir le dialogue politique informel institué avec la Commission européenne. Dans ce cadre, les Parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé à la Commission européenne 360 avis en 2021, contre 255 en 2020. Pour sa part, au cours de la session parlementaire 2021-2022, le Sénat a adopté 15 avis politiques - contre 8 sur la période 2020-2021 -, ce qui en fait la septième assemblée parlementaire de l'Union européenne sur 39 la plus active à cet égard.

Sur ces 15 avis politiques, 13 avaient le même objet que nos résolutions européennes. J'évoquerai donc les deux autres avis.

Le premier était relatif à la place des exigences du développement durable dans les accords commerciaux de l'Union européenne. Il a été adopté pour formaliser la contribution du Sénat à une consultation publique ouverte par la Commission européenne. Comme vous le savez, ces phases de consultation précèdent souvent l'élaboration des textes législatifs européens. Nous devons donc être prêts à renouveler de telles contributions dès que nous l'estimons nécessaire pour agir le plus en amont possible.

Le second avis politique répondait à un problème très concret consécutif au Brexit, à savoir la réintroduction de comptoirs de ventes hors taxes de biens du côté français du tunnel sous la Manche, dès lors que ces ventes étaient de nouveau autorisées sur les ferrys et du côté anglais du tunnel. Conformément à notre demande, les modifications réglementaires nécessaires à cette réintroduction ont été effectuées.

Je tiens à souligner que la Commission européenne a répondu systématiquement à nos avis politiques. Si cet effort doit être salué, je note que, malgré son engagement à nous répondre dans un délai de trois mois, son délai de réponse s'est fortement dégradé en un an, le taux de respect de ce délai passant de 62,5 % à 26,5 %. Les causes de cette évolution ne sont pas évidentes, mais peut-être est-elle liée à l'accroissement notable du nombre d'avis politiques adressés à la Commission par les Parlements nationaux.

Par ailleurs, je regrette la grande capacité de la Commission européenne, dans les réponses qu'elle nous apporte, à éluder les « sujets qui fâchent », par exemple lorsque nous lui avons demandé les analyses d'impact évaluant les conséquences du Pacte vert sur l'agriculture ou que nous l'avons interrogée sur la compatibilité du maintien du financement des partis politiques européens par les entreprises avec la préservation de leur indépendance.

En troisième lieu, la commission des affaires européennes a été saisie par la Commission européenne de 110 textes, sur la période concernée, au titre du contrôle de subsidiarité que les traités confient aux Parlements nationaux.

L'article 88-6 de la Constitution prévoit que « l'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ». À ce titre, notre commission s'appuie sur le groupe de travail subsidiarité créé en son sein, qui comprend un représentant de chaque groupe politique et qui effectue un examen systématique au regard du principe de subsidiarité de tous les projets d'actes législatifs transmis, soit les 110 textes évoqués pour l'année parlementaire passée. Ce groupe de travail s'est réuni régulièrement au cours de la session 2021-2022.

S'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, ce groupe recommande à notre commission de nommer un rapporteur pour expertiser ce point. Sur le fondement de son analyse, le Sénat peut ainsi adopter un avis motivé - prenant la forme d'une résolution - dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Dans ce cadre, il vérifie si l'Union européenne est bien compétente pour proposer une telle initiative, si la base juridique choisie est pertinente et si l'initiative proposée apporte une « valeur ajoutée » européenne. En outre, le Sénat vérifie si le projet n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis.

À ce titre, sur la session 2021-2022, notre commission a adopté quatre avis motivés. Ils portaient sur les propositions législatives relatives à la fixation d'objectifs de neutralité climatique dans les secteurs de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, au développement du réseau transeuropéen de transport, aux procédures judiciaires abusives contre les personnes participant au débat public et à la révision des directives relatives aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique.

Dans son avis motivé sur les procédures judiciaires abusives, le Sénat souligne que la procédure prévue pour rejeter rapidement les recours « manifestement infondés » est fragile au regard du droit effectif au recours et du droit au procès équitable, faute de définitions et de garanties suffisantes. Dans sa réponse en date du 16 août 2022, la Commission européenne nie l'existence d'une réelle difficulté. Les préoccupations du Sénat étant toutefois partagées par plusieurs États membres, cette procédure a finalement été réécrite dans le sens voulu par le Sénat dans le dernier compromis en négociation au Conseil.

Si l'impact de nos avis motivés est variable, la pérennité d'un contrôle de subsidiarité dynamique est une nécessité pour les Parlements nationaux, qui, je le rappelle, ne sont pas directement associés à l'élaboration des textes européens. C'est pourquoi le groupe de travail de la Cosac a recommandé un assouplissement des règles de mise en oeuvre du contrôle de subsidiarité. Un tel assouplissement serait d'autant plus justifié que la Commission européenne, invoquant la pandémie puis la guerre en Ukraine, multiplie désormais les règlements d'effet direct pour accroître son champ de compétences. En privilégiant de plus en plus les règlements au détriment des directives, elle prive trop souvent de marge d'appréciation les États membres.

De même, la Commission tend à recourir de manière croissante aux actes délégués, que nous pouvons comparer à nos ordonnances et qui échappent au contrôle parlementaire.

De telles évolutions ne doivent pas se faire « dans le dos de nos concitoyens ». Elles doivent donner lieu à un débat démocratique. J'espère que les élections européennes de 2024 en seront l'occasion et je veillerai à ce que notre commission y contribue.

La commission autorise à l'unanimité la publication du rapport.

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